Comment ça ‘ce qui se sera passé ici’ ? Qu’est-ce que Nathaniel pouvait bien vouloir dire par là ? Tout un tas de questions lui brûlait les lèvres et il devait se faire violence pour refouler son envie de les laisser s’échapper de sa gorge. Son esprit était trop en fusion et s’il se laissait aller à la panique maintenant c’était foutu, il allait perdre le contrôle et refusait que ça arrive. Logan préféra donc se taire et suivre Nathaniel sans broncher, le souffle court et le teint pâle.
De toute façon Clyde n’avait pas sa retenue et s’était chargé de reprendre la parole pour formulée la même pensée que lui mais à voix haute.

Est-ce qu’il allait leur demander d’allumer un grand feu de joie chez les Donnelly ? Où de trafiquer leur voiture pour qu’ils terminent dans le décor comme c’était supposé être le cas de leurs parents ?
Logan détestait l’idée de devoir faire ce genre de truc lui-même, surtout que ça n’était pas comme les déposer encore vivant dans une maison vide. Il fallait avoir le courage d’aller jusqu’au bout et l’assumer après. C’était rarement son cas…

Même s’il les détestait et souhaitait les voir morts, il se savait incapable de le faire lui-même. Du moins il était incapable de bien le vivre, l’idée de la mort, du sang et de la chaire glacée et putride l’angoissait trop et depuis trop longtemps pour qu’il ait l’âme d’un tueur. Quant à Clyde il était inutile de préciser que sa couardise ne faisait pas de lui le prédateur qu’était son frère.

Mais si Nathaniel leur donnait directement l’ordre de le faire ? Qui sait… ?
Logan avait du mal à se l’imaginer mais aurait été capable de passer à l’acte pour du vrai. Du moins c’est ce qu’il pensait, là, à chaud. Il ignorait quelle tête il ferait au moment de passer à l’acte pour de vrai, mais ça c’était une autre histoire. Le fond de sa pensée c’était surtout que si Nath le lui demandait il était prêt à le faire, à dire oui…

Mais ça n’était visiblement pas ça que le garagiste avait en tête apparemment. Le jeune homme cligna quelques fois des yeux pour marquer son étonnement et son incompréhension. Qu’est-ce que ça voulait dire ‘frappe-le ?’. Enfin il savait c’que ça voulait dire mais qui ? Dans quel sens ? D’où ça pouvait bien sortir ? Apparemment il parlait de Clyde, mais comme l’ordre tombait un peu comme ça, de nulle part, il y eu un long moment de blanc avant que qui que ce soit ne reprenne la parole.

« Q-que quoi ? … qui ? Frapper q-q-qui Nathaniel ? …. » bafouilla l’aîné, le menton tremblotant.

Ses yeux ronds comme des billes allaient et venaient entre son frère et Logan tandis qu’instinctivement, il se reculait déjà de quelques pas trainant vers le fond de la pièce, les bras étroitement croisées sur sa poitrine maigrelette qui se soulevait avec affolement, et ses mains coincées sous ses bras.

La tête que faisait Nathaniel le mettait atrocement mal à l’aise de son côté. Il ne répliquait rien mais son regard en disait tellement long que Logan ne put le soutenir bien longtemps. Il préféra jeter un coup d’œil plein d’incompréhension vers Clyde avant de déglutir péniblement.

« … nan » finit-il par lancer, l’air de dire ‘t’es dingue ou quoi ? Jamais’.

Pas qu’il ne savait ni se battre ni frapper, pour se défendre surtout, mais dans ce genre de contexte c’était juste hors de question c’était trop malsain. Il ne pouvait pas frapper comme ça à main nue sur quelqu’un qui ne lui avait rien fait, ou rien de grave en tout cas ! Pas sur Clyde qui ne savait pas cogner, seulement se faire cogner.

‘Un ordre’. Le mot en lui-même lui donnait des pulsions de révolte. Il mourrait d’envie de répliquer à son cousin qu’il n’avait pas d’ordre à lui donner, qu’il était libre de se tirer même s’il le voulait. C’était plus ou moins vrai dans l’fond, sauf qu’il était inutile et dangereux de le dire tout haut. Dans la réalité Nathaniel se trouvait tout en haut de la chaîne alimentaire et avait tous les droits, surtout sur eux deux. Il adorait ça et adorait en jouer aussi. Et si de temps en temps il lui était déjà arrivé de se rebeller, ça n’avait jamais été le cas de Clyde qui s’était toujours aplatit devant le charisme son frère.

Du coup celui-ci avait très certainement raison… s’il demandait à Clyde de le frapper, l’aîné risquait de chougner et de verser quelques larmes, mais il y avait tout de même de très grandes chances pour qu’il finisse réellement par le faire sans que Nath ait à le pousser plus que ça…

Au départ, Clyde avait nié et Logan avait presque été tenté d’y croire. Juste pour garder l’illusion de ne pas être complètement tout seul de son côté de la barrière, sans personne pour tenir un minimum avec lui. Même s’il avait toujours su que Clyde était lâche et ne prendrait jamais ouvertement son parti, il n’en restait pas moins le plus gentil avec lui. Plus gentil en tout cas que sa mère totalement indifférente et effacée, et plus gentil que Lucy, trop sévère, et qui lui avait de toute façon toujours préféré Clyde. Quant à son père et Nath, inutile d’en parler.

Cette fois-ci Clyde lui tournait clairement le dos. Dans l’espoir de sauver sa peau il choisissait de le montrer du doigt. Il était dos au mur, au sens propre comme au sens figuré, et se sentait comme mit sur le banc des accusés. Partagé entre l’envie de s’excuser platement et de les envoyer vertement bouler avant d’essayer de mettre les voiles, Logan tritura de nouveau la visière de sa casquette avec angoisse, ses yeux sombres passant d’un cousin à l’autre sans trop savoir ou s’encrer.

D’un côté, il n’avait aucune envie d’être mit de côté, était presque tenté de faire ce qu’il fallait pour s’amender. De l’autre, les relents aigres de l’écœurement lui barbouillaient presque l’estomac. Toute cette histoire de signature et de sac à dos les arrangeaient bien, histoire d’avoir quelqu’un à blâmer et à accuser. Quelqu’un d’autre que le miroir.

« … allez vous faire foutre tous les deux ! » finit-il par cracher, cœur battant à tout rompre, sa voix tendue par la boule d’angoisse qui lui nouait la gorge « T’as cas m’frapper Clyde vas-y ! J’essayerai d’pas rire »

Avec sa dégaine de timide et ses bras de famelette, son cousin ne risquait pas de lui faire bien mal, même s’il y mettait tout son cœur. Du moins pas comme aurait pu le faire Nath, ou comme aurait pu le faire son père. Alors qu’il y aille et qu’il le frappe. Logan préférait encore encaisser quelques coups de la part de Clyde plutôt que de céder à Nathaniel. C’aurait été admettre que toutes les merdes qui leur tombaient dessus aujourd’hui étaient sa faute et c’était juste au-dessus de ses forces.

Ce qu’il avait comprit ?... Bonne question à vrai dire. Il avait surtout compris que Nathaniel avait toujours le dernier mot et qu’il était pratiquement impossible de lui mentir. Il avait comprit qu’il n’avait pas droit au chapitre et devait se contenter de suivre sans poser de question et sans faire de remous.

Il avait comprit que Clyde était un enfoiré à qui on n’pouvait pas faire confiance aussi... Un enfoiré qui n’aurait pas hésité à lui taper dessus avec une béquille en métal, juste pour s’éviter quelques coups et une trop grosse engueulade de la part de son frère. A vrai dire c’était surtout ça qu’il avait comprit, parce que le reste il le savait déjà depuis longtemps et se contentait de l’oublier de temps en temps pour vivre un peu plus tranquille.

C’était surtout Clyde qu’il n’avait pas vu venir aujourd’hui. Et il avait presque envie que Nathaniel raconte effectivement à son père ce qui s’était passé la veille au soir. Pas parce que cette réunion sans lui le dérangeait, le sentiment de trahison qu’il ressentait n’avait rien à voir avec tout ça.

Il était juste dégoûté de voir à quel point Clyde se foutait de lui et de son sort. A quelle vitesse son cousin, toujours si gentil et si doux, s’était retourné contre lui sans l’ombre d’une hésitation. Si c’était une arme à feu que Nath avait jeté entre eux, Clyde aurait probablement essayé de lui coller une balle. Ce qu’il avait comprit c’est qu’il ne manquerait en fait à strictement personne une fois qu’il aurait enfin trouvé le moyen et le courage de s’tuer. Et si c’était l’cas il ne serait de toute manière plus là pour le voir.

Je n’en suis pas si sûre…

Cette histoire de couilles sur la table détourna pourtant son attention. La manière dont s’exprimait son cousin ouvrait clairement la porte à une rédemption possible, voir mieux encore. Le problème avec Nathaniel c’est que l’on n’avait jamais rien sans rien, et qu’il agissait comme un mauvais géni la plus part du temps. Chaque vœu exhaussé tournait au cauchemar…

Pourtant ça n’en n’était pas moins son vœu. Pas son vœu le plus cher, mais l’un de ceux qui l’avait suivit le plus longtemps assurément. Et il n’avait pas besoin de Clyde pour savoir que Nath essayait de le manipuler en l’appâtant avec ce qu’il savait être important à ses yeux, il n’était pas totalement débile comparé à c’que croyait le plus vieux, et savait comment fonctionnait son cousin sans se faire d’illusion.

Justement, il savait comment fonctionnait Nathaniel, et il savait surtout qu’il valait mieux être dans ses bonnes grâces que sur sa liste noire. Pour finir, Logan savait que Nathaniel faisait rarement de promesses en l’air. Tout dépendait maintenant de ce qu’il voulait en échange. Le jeune homme doutait que répondre à sa question soit suffisant. Quoi qu’il en soit, Clyde n’avait pas exprimé une seul once d’intérêt envers lui, et n’avait pas hésité à retourner sa veste plusieurs fois depuis qu’ils étaient là. Il l’avait cherché et ne pourrait blâmer que son miroir.

Le cœur battant et la respiration un peu courte, Logan lança un bref regard noir vers le plus vieux qui jappait dans son coin, avant de reporter ses yeux sombres sur Nathaniel qui semblait le défier du regard et attendre le verdict avec sévérité.

« Je… j’ai compris que » débuta Logan sans pouvoir s’empêcher de déglutir avec peine «J’ai compris que la trahison doit être punie »
« N-non L-l-lo-logan, je s-ssuis d-dés-désolé-é » hoqueta l’aîné entre deux sanglots paniqués que Logan choisi d’ignorer.
« … qu’est-ce que tu veux qu’je fasse exactement ? » questionna-t-il d’un regard farouche et méfiant.

Logan avait eut terriblement peur de recevoir cette réponse, et maintenant que Nathaniel confirmait la chose, la peur se muait en terreur. Une espèce de bouffée glacée de panique qui lui tordait les boyaux et lui nouait la gorge. Il réussissait à n’pas trembler, par contre à l’intérieur il se sentait comme entrain de fondre. La pression dans son crâne était si forte que la lumière lui semblait soudainement plus crue, plus agressive à son œil. Le simple fait de déglutir lui semblait difficile.

Le cœur battant et la respiration courte, il du s’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à ouvrir la bouche pour répondre. Il avait l’impression qu’on venait de le changer en pierre, d’être totalement paralysé de peur, comme un stupide hérisson devant les roues d’un camion.

« Tu… tu veux que j’le frappe pour du vrai » articula-t-il d’une voix pâle.

Ca n’était pas une question bien sûr, et il n’avait pas non plus besoin que son cousin le lui confirme. Il avait surtout dit ça pour que l’information lui semble plus tangible et plus réelle. Il s’était déjà battu pas mal de fois, rien que la veille par exemple, il avait sans hésité collé une bonne droite à Calvin avant de le regretter amèrement et de s’enfuir comme un couillon, la queue littéralement entre les jambes.

Mais passer quelqu’un à tabac, quelqu’un d’aussi proche surtout, … rien que d’y penser il sentait son estomac s’alourdir. Il revoyait son oncle frapper comme un sourd, son père l’attendre avec sa règle en bois, c’était la première fois qu’il se retrouvait dans ce rôle là. Le rôle de celui qui frappe, brise, blesse, casse. Son père avait raison de dire qu’il n’avait pas son cran. C’était vrai, pour l’instant, malgré l’attitude de Clyde, il se sentait incapable de frapper. Il l’avait déjà fait une fois c’est vrai mais c’était pour se défendre, et ça changeait tout.

« … n-noooon …. N-n-nathaniel par-p-pardon, p-pit…t-ié » s’étranglait leur aîné qui s’était laissé complètement glissé au sol, en pleine crise de larmes.

D’un côté, le voir s’étaler, geindre et implorer de cette manière lui donnait effectivement envie de le frapper. D’un autre il observait les larmes se mêler au sang, le désespoir et la panique, et songeait que c’était lui qui provoquait cette peur chez son cousin. De nouveau son estomac se nouait de dégoût. Ses poings s’étaient crispés comme pour frapper pourtant il restait planter là, à cligner des yeux de plus en plus fort, comme pour chasser de devant son regard une espèce de voile de peur qui lui brouillait presque la vue.

« Pourquoi …. Pourquoi c’est moi qui dois l’faire ?... il est déjà par terre de toute manière. J’ferai c’que tu veux Nath, mais juste… demande moi autre chose »

Une perle de sueur glacée était venue se perdre dans son sourcil sombre tandis qu’une autre dégringolait le long de son dos entre ses deux omoplates. Son tee-shirt collait désagréablement à sa peau et son colle semblait vouloir l’étrangler. Où était passé l’oxygène ? C’était comme si l’air fuyait ses poumons et se dissipait autour de sa bouche pour ne plus lui laisser qu’une atmosphère viciée et moite. Pourtant il avait froid et quelques frissons désagréables lui hérissaient le poil, le secouant de quelques tremblements nerveux tandis que ses yeux ronds et voilés scrutaient le visage ensanglanté de son cousin.

Il retrouvait cette terreur qui lui bourdonnait aux oreilles comme on retrouve une vieille copine d’enfance. Le genre de copine que l’on n’a pas du tout envie de croiser et qu’on évite la plus part du temps. Celle à qui on n’sait pas trop quoi dire et qui vous ramène droit vers certaines choses qu’on préfèrerait oublier, ou tout du moins continuer à nier. Cette vieille copine dont le visage souriant sonnait atrocement faux et qui vous refoutait en pleine gueule quelques anciens souvenirs tout emprunt de malaise étouffant, d’angoisse irraisonnée et de panique vicieuse.
Exactement comme quand il était gosse et voyait le ciel se teinter de pourpre et le soleil se coucher. La simple idée de voir la nuit tomber, de devoir regagner ses draps, de se retrouver seul dans le noir, avec pour seuls compagnons quelques souvenirs sanglants et la nausée, il avait mouillé son lit des années durant avec cette unique angoisse.

Il avait découvert bien plus tard que cette angoisse en question n’avait pas vraiment lieu d’être. Du moins pas dans son cas. Jusqu’à aujourd’hui du moins. Il n’avait jusque là jamais rien fait pour s’honorer, mais jamais rien fait pour le contrarier non plus. Avec l’arrivée des Donnelly c’était chose faite. Nathaniel avait raison et Logan se rendait compte qu’il le savait. Depuis le début il le savait mais refoulait l’idée d’une punition aussi frénétiquement que possible. Son cousin venait de le rappeler à la réalité. Du moins leur réalité. La punition était inévitable. Tout ce qu’on lui laissait comme choix c’était celui du bourreau. Il avait le choix entre Nathaniel, son père… ou Lui. Que ce soit maintenant, dans deux jours, dans deux mois, la sentence tomberait forcément, c’était forcé.

Choisir le moindre mal devenait la solution logique. Si la charge revenait à son père il avait de forte chance pour qu’une côte cassée soit le cadet de ses soucis. Quand à Lui… Logan préférait ne même pas laisser son esprit vagabonder de ce côté-là. C’était trop perfide, trop insidieux et il finirait par être physiquement malade ou par tourner de l’œil. Il ne pouvait pas se le permettre. Plus tard, mais pas maintenant puisqu’il avait fait son choix. Un choix qui lui paraissait être le seul viable pour le moment. Du moins pour lui…

Un hoquet d’angoisse lui provoqua une nausée que Logan chercha à dissiper de quelques inspirations plus profondes qui ne réussirent même pas à faire ralentir les battements affolés de son cœur. Presque inconsciemment, il avait déjà serré les poings et bandés ses muscles. Tout ce qu’il lui restait à trouver c’était le courage de se lancer et de commencer, et il lui fallu quelques très longues secondes encore, avant de balancer son premier coup de poing…