Sans nul doute, il détestait les jeudis.
Depuis le week end du cinéma en plein air où avait eut lieu ce pitoyable « accident » chez les Donnelly, Logan avait passé la semaine à plus ou moins éviter son cousin.
C’était un peu compliqué vu qu’en principe, ils étaient pratiquement voisins et qu’ils travaillaient au même endroit. Pourtant c’était possible, il l’avait prouvé tout ce début de semaine.
Il avait passé son temps à se trouver des excuses pour bouger du garage, pour aller à droite et à gauche, et surtout, ne pas se retrouver seul trop longtemps avec son cousin enragé.
Car enragé, il l’était. Logan n’avait pas besoin de la moindre désagréable discussion pour le savoir. Ils se connaissaient depuis toujours et étaient de la même famille, il savait à quoi s’attendre de la part de son aîné.
Pourtant, le jeudi était resté un problème qu’il n’était pas arrivé à résoudre.
Il avait bien essayé de se trouver une excuse pour ce midi, mais rien à faire, il se retrouvait tout de même chez son cousin, une fois de plus. Comme tous les jeudis midi depuis des années lumières, à ce qui lui semblait.

La semaine dernière, le diner s’était révélé encore plus déplaisant que d’habitude. Et pourtant, ça n’était rien comparé à ce que craignait le jeune comptable pour aujourd’hui.
Ce qui s’était passé chez les Donnelly était un vrai problème. Ca n’était absolument pas comme ça que les choses étaient prévues, Logan le savait.
Pourtant il ne pouvait pas s’empêcher de trouver les choses amusantes.

Un peu de vandalisme c’est toujours terriblement excitant…non ?

Pas vraiment. C’était juste l’ironie de la situation.
Ils étaient tous là, à craindre pour leur secret, à espérer qu’ils se tirent de chez eux sans faire de remous, et quand quelqu’un prenait l’initiative de le leur faire comprendre on ne peut plus clairement, ils criaient au scandale.
C’était donc drôle et plein d’ironie.
La chose aurait pu fonctionnée cela dit. Ils auraient vraiment pu prendre peur et se faire la malle la nuit même. Mais non. Apparemment les quatre têtes blondes étaient aussi quatre têtes plus dures que du béton.
La preuve : on était jeudi, jeudi midi, et ils étaient toujours là, ils n’avaient pas bougé.

Plus ironique encore ! Le Maire avait chargé le shérif de l’enquête…
L’enquête… c’était tellement drôle ! Qu’est-ce qu’ils allaient faire au coupable ? Lui faire laver la tapisserie de la maison souillée ? Lui coller une amande ?
Une amande ici à Grayson ? QUI recevait d’amande à Grayson ? Et depuis quand la moindre enquête devait-être menée ici ? Est-ce que le shérif avait seulement la moindre idée de comment procéder ?
Jusque-là il n’avait fait qu’interroger les gens. Comme si le coupable allait lui répondre « et bien oui Shérif, c’est moi ! Je suis rentré chez les Donnelly avec mon pot de peinture pour redécorer le rez-de-chaussée »

Cette histoire était ridicule.
Pourtant il savait qu’il n’y couperait pas et que la discussion de ce midi tournerait forcément autour de ce sujet pourri.

Pour l’instant néanmoins, c’était le silence qui faisait loi. Comme toujours, Lucy mangeait son repas dans le calme, cet air parfaitement serein sur son visage sonné.
Nathaniel aussi était silencieux, concentré sur le découpage de la paire de saucisses qui trônait à côté de sa purée.
Clyde quant à lui, observait son verre d’eau d’un air très concentré.

Personne n’avait évoqué le sujet, personne n’avait d’ailleurs évoqué le moindre sujet, c’était le principe de la torture des jeudis midi. Pourtant celui-ci planait au-dessus de leurs quatre têtes avec force. Il était déjà dans toutes les bouches alors qu’elles ne s’étaient même pas encore vraiment ouvertes.

Aller vas-y… la vérité c’est que c’est toi qui à envie d’en parler, petit polisson !

Logan noya cette pensée dans une grande gorgée d’eau, qu’il aurait préférée plus alcoolisée. Il reposa ensuite son verre dans un claquement sec, étouffée par la nappe immaculée. De ses yeux sombres il fit un tour de table, observant sa famille, songeant à l’étrangeté de la nature humaine.

« Je mise 50 dollars sur Madame Pietsky… Clyde tu me suis ? »

Celui-ci releva la tête a l’énonciation de son prénom, mais ne sembla pas comprendre où il voulait en venir. D’autant plus qu’il était on ne peut plus rare, voir inédit que le moindre sujet de conversation soit lancé par Logan. Ca n’était pas grave, il savait que Lucy, et surtout Nathaniel avaient suivis eux.

La famille Redd, ou quand n’importe quelle discussion pouvait prendre une tournure atrocement désagréable, même lorsqu’on abordait l’ennuyeux sujet du temps qu’il fait.
Etrange que Logan ne l’ai pas vu venir.
Parmi leur voisin, une telle rumeur ne l’aurait pas étonné le moins du monde. En règle générale, on ne l’aimait pas beaucoup. Il était ce vieux type saoul quiz zonait parfois avec ses cheveux sales devant ses yeux sombres et hagards. Et il prenait grand soin d’entretenir l’image. Ou plutôt il ne faisait aucuns efforts pour en avoir une meilleure.
Mais venant de sa propre famille, il était tout de même cillé. Surtout de la part de Lucy. Ils n’étaient pas proches, mais il appréciait son rôle de tampon entre eux trois. Elle arrivait à faire taire Nathaniel en résumé. C’était bien la seule.

C’est vrai que c’est tellement étonnant, vous êtes tous si soudé. C’est triste une famille divisée dans l’adversité. La bonne blague. On a de toute façon toujours su que cette petite garce de rouquine n’était qu’une traitresse et une catin.

Quoi qu’il en soit, il avait le plus magnifique, le plus extraordinaire, le plus sublime, le plus magique et le plus parfait de tous les mobiles. Il avait Kathleen. Et il avait un portrait daté pour le prouver !
Et cette pensée estompa toute contrariété quant à l’accusation.
Ce soir là lui, il l’avait passé avec Kathleen. Et d’un côté, il n’avait aucune envie de le leur dire. Du moins pas comment ça, comme un conférencier autour d’un plat de purée faite maison. En plus il savait très bien qu’ils s’en foutaient. Qu’il ait un mobile ou pas, ses trois aînés le croiraient s’ils en avaient envie.
D’un autre côté, depuis cinq interminables jours il brûlait de le raconter à quelqu’un, n’importe qui ! Peu importait, il avait envie de le dire. Il n’avait jamais envie de rien dire le reste du temps mais ça, c’était trop improbable pour qu’il le taise.
Il en était presque heureux qu’on l’accuse en fin de compte.

Lentement, ses lèvres s’étirèrent en un sourire discret et il préféra reporter on regard sur son assiette dans la quelle il se mit à trifouiller nerveusement.

« J’ai une très bonne défense » déclara-t-il avec le plus grand calme « J’était avec Kathleen »

Logan se racla la gorge, puis trouva le courage de relever son regard vers le visage de Nathaniel. Il se fichait un peu de ce que Lucy et Clyde allaient en penser, ou des mimiques qu’ils allaient faire, ou de si ils allaient le croire ou pas. C’était secondaire en tout cas.
C’était surtout la réaction de Nathaniel qu’il appréhendait.

« Et vous ? » ajouta-t-il ensuite, plus parce qu’il ne voulait pas que le prénom de Kathleen reste en suspend, dans un long silence gênant dont ils étaient tout aussi spécialistes, tous autant qu’ils étaient.
Il arracha enfin son regard du visage de son cousin et fit un tour de table, gardant son léger sourire aux lèvres.

C’est très amusant en fin de compte ! C’est encore mieux que le Cluedo ! Que dis-tu de Clyde, avec une lime à ongle dans la cuisine des Donnelly ?

Avec Kathleen, tiens donc. Nathaniel tenait là l’alibi le moins crédible de l’histoire des alibis. Alors qu’il allait éclater d’un de ces rires moqueurs dont il avait le secret, le doute le saisi pourtant, lui mordant la langue et lui nouant la gorge. Quelque chose dans le regard de son cousin le troublait. Une fierté mal dissimulée, presque incommodante et perverse. Une fierté qui ne pouvait pas être feinte, son cousin en aurait été incapable.
Les rumeurs qu’il avait captées par-ci par-là ces derniers jours lui revinrent alors à l’esprit.
Ses voisins affirmaient avoir vu la jeune femme en mauvaise compagnie le jour de la séance de cinéma plein air organisée au parc. On l’aurait surprise au Leo’s Deli en compagnie du petit dernier des Redd, qui n’était plus si petit que ça depuis bien longtemps. Jusque là, il n’avait accordé aucun crédit à ces racontars, pendant simplement qu’ils parlaient de leur conversation à trois. Il avait cela dit prévu de charrier son cousin à ce propos et de tout faire pour évoquer le sujet en sa compagnie et celle de Kathleen, histoire de l’achever et de s’amuser un peu.
Sauf que maintenant, il n’était plus certain qu’il s’agisse simplement de ragot. Et s’ils avaient vraiment déjeuné ensembles ? Et si par la suite, Kathleen et lui avaient passé la soirée, voir la nuit ensemble ?

Cette pensée contrariante finit pourtant par lui arracher un sourire. En fin de compte, c’était plutôt cocasse. Il choisissait le soir où un crime était commis dans Grayson pour avoir rencard avec la petite princesse du village. La petite sainte nitouche que personne n’imaginait à son bras. Mais personne ne les avait vus ensemble et Kathleen avait passée sa soirée dans son cabanon. Tout le monde l’avait vu y entrer et le film avait été stoppé à la fin par ses soins. En revanche, personne n’avait vu Logan de près ou de loin cette nuit là.
Conclusion : si Kathleen corroborait son alibi, tout le monde penserait qu’elle mentait pour le couvrir et il serait le suspect numéro un. Si elle niait, il serait le suspect numéro un. Dans tous les cas, il était baisé jusqu’à l’os.
Et c’était dommage, parce que Nathaniel, lui, le croyait.

« La belle et le bête » ricana-t-il pour toute réponse « Voilà qui est fort intéressant,… pas vrai Clyde ? »
« Je… sais pas trop, Nath » bafouilla l’intéressé « En tout cas moi, je suis resté avec Lucy toute la soirée, au stand restauration et… »
« Tu ne vas quand même te justifier, Clyde » le coupa son cadet, atterré « Tu n’as aucun compte à rendre à Dom Juan, pas plus que moi d’ailleurs. Et puis, il faudrait vraiment être stupide pour penser que l’un ou l’autre d’entre nous aurait pu commettre une telle erreur. En revanche, Logan, tu comprendras qu’il fallait que je te pose la question »

Son sourire mauvais ne désertant pas le bas de son visage, il saisit sa fourchette et enfourna un morceau de saucisse qu’il mâchonna joyeusement.

« Puisque tu as l’air de tout savoir sur tout, mon cher amour, pourquoi ne nous éclairerais-tu pas de tes lumières, maintenant que le sujet est lancé » le relança soudain Lucy, un sourire crispé déformant ses traits harmonieux
« Je n’ai aucune idée de qui ça peut bien être mais crois-moi, quand j’aurai mis la main sur l’imbécile qui a fait ça, je le lui ferai payé… » répondit-il en retrouvant son sérieux l’espace d’un instant
« Il me semblait que Declan t’avais défendu de jouer les shérifs à sa place »
« Il ne me l’a pas dis, il a envoyé son gentil copain William s’en charger. Ton frère est un lâche ignorant et incompétent par-dessus le marché »
« S’il vous plait… On pourrait ne pas se disputer ? » intervint timidement Clyde
« Nom de Dieu, tu veux bien arrêter de faire ça ! » s’agaça Nathaniel en lui jetant un regard accusateur
« Et tu voudrais bien cesser d’invoquer le nom du Seigneur en vain sous mon toit ? » rétorqua Lucy d’un ton cassant « Il me semblait pourtant avoir été claire à ce sujet »

Nathaniel soutint son regard durant de longues secondes, avant de détourner son visage pour planter ses yeux sombres dans ceux de son cousin qui suivait leur échange en silence.

« Bon alors, tu l’as baisée ta Kathleen ? Parce que si elle a pas un peu d’toi en elle, personne croira jamais ton histoire vieux »

Comment ça ‘En revanche Logan tu comprendras qu’il fallait que je te pose la question ?’ Qu’est ce qu’il veut dire par là ?

Logan ne voulait pas le savoir. Peut importait ce que les gens disaient, ou même Nathaniel en fin de compte, l’important restait que lui, il avait passé la soirée avec Kathleen. Et il se fichait qu’on le croit ou pas, ça ne changeait pas la soirée qu’il avait passé. La meilleure de toutes.

Non, on ne s’en fiche pas, demande lui, fais-lui cracher le morceau à ce sale rat !

Logan s’y refusa et se contenta de continuer à écouter l’échange. Il écoutait sans vraiment écouter, se raccrochant simplement à cette idée fixe qui éclipsait absolument tout le reste.
Sa soirée avec Kathleen, le dessin de Kathleen. Le reste ressemblait à un vague décor d’arrière fond au quel on ne paye pas grande attention. C’est là, c’est le décor, mais ce n’est pas ça qu’on regarde. On préfère regarder la belle, quand on est une bête.

Le jeune homme eu du mal à ne pas écouter sa petite voix intérieur qui hurlait à qui voulait bien l’entendre, c'est-à-dire lui, d’arracher les yeux de son cousin avec sa fourchette. Il en avait envie tous les jeudis midis. Et tous les jeudis midis, il devait se retenir de le faire.
Nathaniel le charriait la plus part du temps mais c’était souvent superficiel. Il ne savait pas comment lui parler autrement, Logan le savait bien. Et de temps en temps, il dépassait cette limite déjà si permissive que Logan avait érigé entre eux.
La barrière s’appelait souvent Kathleen, là aussi. Il devait bien l’avouer. Son cousin savait toujours exactement comment dire les choses pour qu’elles soient le plus dégradantes possible.
Et il faisait ça parce que justement, il savait ce que représentait cette soirée pour Logan. C’était d’ailleurs le seul à pouvoir entrapercevoir toute l’importance que ce simple moment avait pour le jeune homme.
Pas tellement parce que Logan le lui confiait, ça n’arrivait jamais. Plutôt parce qu’ils vivaient l’un sur l’autre une grande partie du temps, et qu’avec les années, garder des secrets devenaient difficiles. Le plus difficile étant surtout de les cacher à Nathaniel. C’était un fouineur et il était observateur.
A force, Logan n’essayait même plus de se cacher.
Ca n’empêchait pas Nathaniel d’être un vrai salop parfois.

« Non, on a pas… » Logan s’interrompit, il ne voulait pas utiliser de mot aussi cru pour parler d’elle « Je l’ai dessiné si tu veux tout savoir »

Il jeta encore un regard à son cousin, mais le plus brièvement possible.
Il se mit à songer que bientôt, avec le temps, sa bonne humeur allait finir par s’estomper et sa soirée avec Kathleen ne deviendrait plus qu’un souvenir, plus assez vivace pour lui faire oublier le reste.

Une chose était certaine, Logan ne comprenait pas très bien la réaction de son cousin. Toutes ces fameuses fois où il le charriait un peu à propos de Kathleen, il ne cessait de lui répéter qu’il était lâche, qu’il était un pervers. Qu’il avait l’air d’un fou à l’observer de loin comme un maniaque alcoolique de film d’horreur.
Il le lui avait tellement répété que Logan avait finit par se lancer, et maintenant il agissait comme si l’idée lui déplaisait.

Tu es déçu peut-être ? Tu espérais qu’il te souhaite tout le bonheur du monde avec Kathleen ?
Mon pauvre garçon tes œillères sont aussi épaisse que les cuisses d’un basketteur noir…

Il l’avait dessinée. Pourquoi cette révélation ne le surprenait pas le moins du monde ? N’importe qui d’autre aurait fanfaronné de cette manière parce qu’il avait obtenu un baiser, une caresse voire plus si affinité. Mais son cousin se contentait d’avoir dressé le portrait de sa belle. Une part de lui trouvait ça touchant, vraiment adorable. Une autre part lui soufflait que Logan approchait de la trentaine et que c’était simplement ridicule, ou quasiment honteux.
Il était entouré d’incapable. Remarque, Logan, lui au moins, dessinait des femmes, pas des oiseaux stupides, contrairement à son frère…

Nathaniel ouvrit la bouche pour faire part de sa remarque à toute l’assemblée, mais il se figea et la referma aussitôt, fixant son cadet avec attention, l’œil brillant. Il l’avait dessinée. Elle avait été d’accord et il avait passé une partie de la soirée à exécuter son portrait, certainement dans la cabine de projection, à l’abri des regards.
Et c’était grâce à lui. Nom de Dieu, c’était grâce à lui !
Tout ça découlait de leur conversation dans le parc, du moment où Logan avait pensé qu’il venait étaler ses dessins à la vue de sa bien-aimée. Peut-être que l’attitude de la jeune femme l’avait incité à lui avouer ce qu’il pensait que contenait le cahier, peut-être qu’il n’avait pas parlé de ça mais lui avait proposé de la dessiner, tout simplement. Mais peu importe la manière dont il avait présenté les choses, c’était cet action qui avait tout déclenché. La sienne.
Il avait permis à son idiot et immature de cousin de passer sa soirée avec celle qu’il aimait secrètement depuis des années, peut-être même une décennie maintenant. Et où était sa médaille ?

Le regard chocolat de l’homme dévia inconsciemment vers le buffet à sa droite. Voilà où elle était, bien au chaud, à l’abri des regards indiscrets. D’un regard en particulier, même si son oncle n’était plus autorisé à pénétrer son habitation depuis un moment maintenant. Nathaniel préférait garder sa médaille cachée. De cette manière, elle était rien qu’à lui. A lui et à elle, bien évidemment. Il pouvait aller la chercher quand il le voulait, lorsqu’il était seul et qu’il en ressentait le besoin.
Sa petite faiblesse. C’était comme ça qu’il l’appelait.

****

Nathaniel s’avança dans la pièce, les mâchoires crispées par cette colère sourde qui ne le quittait plus depuis l’accident. Il devait pourtant prendre sur lui et la leur dissimuler au mieux. Il ne pouvait pas se permettre de craquer lui aussi, Clyde allait trop mal pour qu’il le fasse et il aurait détesté être considéré comme faible. Ne serait-ce qu’une seconde.
Après tout, il était Nathaniel Redd, le jeune garçon bizarre et insensible dont tout le monde avait peur. Si on l’avait vu pleurnicher parce que sa môman était morte, sa réputation aurait été finie. Il ne pouvait pas se le permettre, il aimait trop le pouvoir que la peur lui donnait sur les autres.

Le jeune homme d’une vingtaine d’années à peine, posa un regard circulaire sur le salon, aux aguets, s’assurant ainsi que personne ne pourrait le surprendre. Mais la bâtisse était déserte. C’était l’heure de la messe après tout et depuis le décès de son frère, ce cher oncle Patrick c’était mis en tête de retourner fréquenter les bancs de l’Eglise. C’était drôle de penser que c’était justement en allant se recueillir que ses parents avaient trouvé la mort… Ou plutôt, qu’elle les avait trouvés.

Nathaniel se mit en mouvement sans perdre davantage de temps et se dirigea directement vers la petite figurine posée sur la commande, au milieu d’autres bibelots. La colère l’envahi à cette vision. Comment avait-il pu faire ça ? La caser au milieu de toutes ces horreurs ! Ce sale fils de pute ne perdait rien pour attendre, il lui ferait payer son affront, d’une manière ou d’une autre.
La respiration saccadée et le visage rougis par le ressentiment, Nath tendit la main et se saisit précautionneusement de la petite danseuse. Il la porta à hauteur d’yeux et étudia son socle avec attention. Sa gorge se noua malgré lui et la colère se fit soudain engloutir par le vide. Un vide immense qui pesait pourtant sur son estomac, dans ses entrailles, dévorant tout autre sentiment.

Grace McAlister
13 juin 1965
"Petit rat d'opéra"

La récompense de sa mère. Sa plus grande fierté. Cette figurine était le seul objet auquel elle tenait vraiment, le seul qu’elle avait pu sauver des griffes de son idiot de mari. Lorsqu’il l’avait frappé trop fort et qu’elle se sentait moins que rien, il la voyait s’en saisir et se projeter quelques années en arrière. Il la voyait partir, voyait son regard embué de larmes s’allumer tandis qu’elle s’effaçait du monde réel pour retourner dans cette salle de danse où elle avait brillé.
Il représentait sa porte de sortie, la porte d’entrée dans ce monde où elle était une grande danseuse, reconnue et aimée de tous.
Sa mère était au paradis, Nathaniel le savait. Et puisqu’elle pensait que le paradis était un endroit où l’on pouvait revivre encore et encore la plus belle période de sa vie, il savait qu’elle était là. Dans son endroit. Là où elle était intouchable, jeune, belle, gracieuse et admirée de tous.
Cette figurine lui revenait. Il fallait qu’il l’ait, qu’il en prenne soin. De cette manière, sa mère serait encore un peu avec lui et il pourrait la rejoindre, de temps en temps, dans son bel endroit à elle.

Le bruit d’une porte que l’on claque l’arracha soudain à ses rêveries. Son cœur manqua quelques battements dans sa poitrine et Nathaniel retint son souffle, les yeux écarquillés par l’angoisse. Il se retourna d’un bond, cramponné à sa statue, et se retrouva face à Logan...

Logan s’était levé à l’aube et s’était empressé de ficher le camp avant que ses parents ne se lèvent à leur tour pour se rendre à l’église.
Sa mère lui proposait systématiquement de les accompagner lorsqu’il était là, et il lui répondait systématiquement non. Jamais il ne voulait poser un pied dans une église, c’était s’exposer à être foudroyer sur place. Et comme tous les dimanches matins, quand il répondait non à sa mère, celle-ci se mettait à piailler. Et comme son cher et tendre mari ne supportait pas le son de sa voix, il s’en prenait à Logan, seul responsable des piaillements de sa femme.
La solution qu’il avait alors trouvée pour éviter ce cinéma hebdomadaire était la fuite. Généralement, il veillait toute la nuit, incapable comme bien souvent de trouver le sommeil de toute façon, puis s’évadait vers 5 heures du matin. Souvent il regardait l’aube se lever et se promenait dans les campagnes, jusqu’aux champs du Maire, puis vers 11 heures et demi, il rebroussait chemin, coupait à travers bois et revenait un peu avant que ses parents ne rentrent à la maison. Son père détestait lorsqu’il était en retard pour le repas de midi. Il passait alors une bonne heure à écouter sa mère déblatérer sur ses amies de la chorale dont il se fichait parfaitement. Heureusement, Patrick finissait toujours par lui dire de fermer sa grande gueule et de manger en silence.
Il détestait les dimanches. Il détestait les repas en famille.

Longeant le trottoir, revenant de sa longue ballade ennuyeuse, le jeune homme passa devant la maison qui trônait presque à côté de la sienne.
Comme toujours, il plissa les yeux et scruta toutes les fenêtres pour essayer d’apercevoir Kathleen. Malheureusement il était rarement chanceux.
Même si il passait le plus de temps possible en dehors de la maison, sa voisine elle, restait le plus souvent à l’intérieur. Il était rare qu’ils se croisent. Cette année pourtant, il n’avait pas vraiment matière à se plaindre, ils allaient enfin dans la même école. Grâce à cela, il pouvait la croiser plusieurs fois dans une même journée. Là, c’était le week end, et il commençait à trouver le temps long.
A 13 ans à peine, Kathleen était déjà la plus jolie fille de tout le lycée. Elle ne semblait même pas vraiment se rendre compte du nombre de garçon qui lui tournait déjà autour. Parfois, Logan captait le regard d’un de ses congénère masculin et se sentait prit au trip par une rage qu’il avait beaucoup de mal à contrôler. Parfois, il n’y arrivait pas du tout et finissait par se battre.

Tu les imagines glisser leurs grosses pattes sous sa petites jupette et ça te rend fou, hm ? Ca finira bien par arriver avec un petit cul pareil…

Heureusement, du moins d’une certaine façon, son attitude étrange et son agressivité sans apparente raison n’avait pas entaché la réputation qu’il s’était déjà forgé. Il ne pouvait pas être plus à l’écart qu’il ne l’était déjà. Lui, il était le garçon qui ne parle pas et qui cache ses yeux derrière un rideau de cheveux sales. Celui qui à une bouteille de bourbon, quelques feuilles blanches pliées et une quarantaine de crayons dans son sac mais aucuns cours.
La seule raison pour la quelle on ne l’avait pas encore mit dehors, c’était parce que tous savaient qu’il était un Redd et que c’était s’exposer à de nombreux problèmes. Ils vivaient dans un coin perdu, ponctués de petites villes de campagne, personne ne savait quoi faire d’autre de lui de toute façon. Sans compter que ses points en rédactions, histoire et art plastique étaient souvent très bon. Cette excuse le sauvait toujours in extrémiste.
Et il préférait de loin l’école que sa propre maison.
D’ailleurs, il n’allait pas pouvoir retarder l’échéance plus longtemps, il allait falloir qu’il y rentre.
Le jeune garçon de bientôt 16 ans s’exécuta donc et pénétra dans le hall d’entrée qui faisait face à l’escalier qui menait à l’étage.

Comme toujours, la maison était calme et encore vide à cette heure. Mais plus pour longtemps.
D’un pas trainant, il se dirigea vers le salon. Il se figea dans l’embrasure de la porte, son cœur se mettant à battre la chamade. Il lui avait fallut une ou deux secondes pour reconnaître son cousin.
Plus parce qu’il ne s’était vraiment pas attendu à le voir se tenir là, chez lui, sans aucune raison apparente.
Ils restèrent plantés là, les yeux dans les yeux durant un long moment. Comme tous les deux prit sur le fait. La vérité, c’était que Logan avait toujours l’impression d’être prit sur le fait de quelque chose d’horrible, peu importe le moment de la journée, ou si il avait vraiment fait quelque chose de mal.
Cette expression par contre, était bien plus étrange pour Nathaniel. Il ne prenait jamais cet air angoissé, ou coupable. Nathaniel avait toujours le dernier mot sur tout, et il avait toujours raison.
Une petite voix souffla à Logan qu’il fallait se méfier, et que l’imprévu, surtout lorsqu’il venait de Nathaniel, n’était jamais, jamais bon signe.
Le jeune garçon recula donc de quelques centimètre, fronçant ses sourcils sombre derrière les quelques longues mèches qui pendaient devant son visage bruni par le soleil. Il se posta à moitié derrière le chambranle de la porte et détailla son cousin.

Logan finit par remarquer la statuette qu’il tenait dans les mains. La corrélation se fit immédiatement dans le cerveau du jeune garçon.
Il savait bien que cette statuette un peu moche et très vieille poserait des problèmes un jour ou l’autre. Car ça n’était pas une simple statuette un peu moche et vieille, c’était aussi l’objet fétiche de sa tante.
Celle-ci venait à peine de mourir. Quelques mois avaient passés déjà, pourtant tout cela lui semblait comme hier. Logan n’avait jamais été proche d’aucun des membres de sa famille, mais elle avait toujours été sa préférée. Le jeune homme aurait aimé la connaître mieux, mais le fait était qu’elle était marié à la pire pourriture que le monde ait porté et que celui-ci l’écrasait de tout son poids, ne lui laissant absolument aucune place.
Elle était terriblement discrète, terriblement silencieuse, d’allure fragile, presque invisible, et puis parfois, rarement, ils se retrouvaient tous les deux, les jours ou Logan passait l’après-midi chez son oncle et sa tante. Elle en profitait toujours pour lui donner quelque chose à manger. Et elle passait toujours sa main dans ses cheveux. Juste une fois. Et juste pour ces quelques secondes, et ce regard qu’elle lui servait, Grace avait toujours été sa préférée.
Elle avait ce reflet un peu attendrit, c’était léger, mais il adorait ça. Sa mère ne passait jamais sa main dans ses cheveux elle.

Ravale ton Oedipe mal placé sale petit bâtard.

Puis elle avait toujours aimé les danseuses. A sa naissance, tante Grace avait offert une petite boîte à musique à sa propre mère, où trônait une petite danseuse étoile. C’était cette boîte à musique qui l’aidait à trouver le sommeil enfant, et c’était cette boîte à musique qu’il observait des heures lorsqu’il ne pouvait pas voir Kathleen aujourd’hui. Il imaginait que c’était elle qui tournait sur elle-même, au rythme de la petite musique entêtante qui s’élevait.
Du coup, il avait toujours eut l’impression de partager un secret avec sa tante, même si ce n’était pas le cas au fond.

Et aujourd’hui, Nathaniel se trouvait dans son salon pour récupérer la statuette de danseuse que sa mère chérissait tant. Sauf que désormais, cet objet appartenait à son père.
Patrick avait été anéantit pas la mort de son cher frère aîné. Il se fichait bien de Grace, et il ignorait ce que cette danseuse représentait pour elle. Sûrement ignorait-il même sa passion pour la danse. Pour lui, tout objet qui provenait de la maison de son frère, avait appartenu à son frère.
Il y avait récupéré une foule de chose et les avaient réparties à peu près partout dans leur maison. Chaque pièce portait désormais l’emprunte de son défunt frère, son bien aimé Jonathan. Pas un jour ne passait sans qu’il n’évoque l’oncle Jon, et comment ses deux incapables de fils ne lui arrivaient pas à la cheville. Depuis la mort de Jon, Nathaniel et Patrick s’étaient souvent disputés. Son père harcelait sans cesse son cousin sur des sujets tel qu’un bébé, ou sa manière de gérer le garage.
« Maintenant que t’as épousé la petite Spelling, agite-toi un peu et fais-nous un garçon ! Si on compte sur ton attardé de frère on est bon pour l’extinction ! C’est c’que Jon aurais voulu tu sais, un beau garçon ! »
Inutile de dire que Nathaniel accueillait ce genre de remarque avec tout le fiel qu’il était capable de cracher. Logan ne pouvait pas le blâmer. Il savait lui, comme il adorait sa mère. Il l’avait souvent envié pour ça.

« Tu devrais pas la prendre… » lâcha-t-il enfin, craignant que son cousin ne se mette en colère « Mon père va le voir… et il va venir chez toi pour la récupérer, et vous allez vous battre et vous saurez pas vous arrêter et un jour vous allez finir par vous entretuer »

Miam, avoue que l’idée est plaisante, trésor, imagine… plus personne pour t’emmerder. Leurs sales gueules seront bien plus sympathiques une fois écrasées contre le trottoir.

Prenant sur lui, Nathaniel bomba le torse et fit disparaitre toute trace d’hésitation de son visage tendu. Il arbora cette expression hautaine qui le caractérisait et baissa les yeux vers la statuette qu’il serrait avec un peu trop de force. Il l’observa longuement puis releva la tête vers son cousin, un sourcil haussé, l’air moqueur.

« Et tu crois que ce genre de choses m’arrêterait ? » demanda-t-il d’un ton rieur « Si tu veux tout savoir, mon petit Logan, j’espère bien que ton attardé de père va le remarquer. J’espère qu’il viendra chez moi pour la récupérer… »

Le jeune homme n’alla pas plus loin dans son discours, persuadé que son cousin connaissait déjà la suite et comprenait parfaitement où il voulait en venir. Il espérait que Patrick se pointe, espérait pouvoir le cogner, lui faire ravaler ses dents et sa bêtise par la même occasion. Il n’attendait même que ça : pouvoir se battre avec lui jusqu’à ce que mort s’en suive.
Et il serait celui qui s’en sortirait. Peut-être pas indemne, mais il y arriverait. Parce qu’il avait ce qu’il fallait pour ça, qu’il ne reculerait devant rien contrairement à son oncle. C’était une brute, un raté violent et grossier. Mais jamais il ne tuerait, Nathaniel l’avait vu dans ses yeux.
Lui, il avait déjà tué, il avait vu la mort en face… Et Logan aussi l’avait vue. C’était leur petit secret, celui qui les avait tout deux changés, avait bouleversé leur vie à jamais et les liait aujourd’hui à un certain niveau.
Un pesant silence s’installa, s’étirant toujours plus tandis qu’ils se fixaient l’un l’autre. La tension était palpable et aucun d’eux ne semblait décidé à bouger le premier ou à reprendre la parole.
Pourquoi dire de toute façon ? Nathaniel ne comptait pas se justifier davantage, il n’avait aucune envie d’expliquer à Logan pourquoi il avait tant besoin de cette figurine en plâtre. De son côté, son cadet n’avait visiblement pas envie de le questionner. Soit parce qu’il savait déjà, soit parce qu’il n’en avait rien à faire, tout simplement. On ne pouvait jamais vraiment être certain de ce que pensait l’adolescent.

Un bruit de moteur les fit pourtant réagir. Les deux garçons tournèrent la tête en direction de la fenêtre du salon et le plus jeune finit par s’en approcher, soulevant le rideau pour apercevoir la voiture qui s’avançait maintenant dans l’allée. Nathaniel n’avait pas besoin qu’il lui confirme ses craintes, aussi ne lui demanda-t-il pas s’il s’agissait bel et bien de ses parents qui rentraient plus tôt, pour une raison inconnue.
Une vague de chaleur l’envahi soudain. Il voulait affronter Patrick, mais pas aujourd’hui, pas alors qu’il tenait la statuette entre ses mains moites. Il ne pouvait pas se permettre de lui faire courir le moindre risque. Son regard inquiet croisa alors celui de Logan qui, pour sa part, semblait garder son sang froid.
Nathaniel le fixa durant une poignée de secondes qui lui parurent durer bien plus longtemps. Peut-être parce que c’était la première fois qu’il le regardait de cette manière, la première fois de toute sa vie qu’il posait sur lui un regard presque suppliant et que Logan endossait le rôle d’ainé.
Plus tard, il détesterait ce regard, mais pour le moment, c’était la chose la plus rassurante au monde.

Logan se mit soudain en mouvement, lui passant devant pour atteindre la cuisine. Il ouvrit la porte sans un mot et la maintint ouverte en le fixant. Et Nathaniel comprit ce qu’il avait à faire et ce qui allait certainement suivre. Lui allait s’échapper avec son bien et Logan allait inventer une excuse pour expliquer la disparation de la petite ballerine. Cette nouvelle allait certainement énerver Patrick…
Sans perdre une seconde, Nathaniel s’échappa par l’arrière de la maison, n’adressant pas un regard à son cousin. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine, mais il n’arrivait pas à dire si c’était à cause de la peur ou de l’excitation.

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Nathaniel arracha son regard au buffet, redonnant son attention à Logan qui fixait son assiette, mal à l’aise. Il chercha à croiser son regard mais son cousin ne le laissa pas faire. Un sourire étira doucement ses lèvres tandis qu’il repensait à celui qu’il avait eu ce jour-là. Ce regard assuré, apaisant, calme. Nath s’était assuré de ne jamais le revoir. Il avait tout fait pour rabaisser Logan et ne plus jamais se sentir inférieur à lui de quelque manière que ce soit. C’était plus fort que lui, presque viscérale. Il détestait l’idée que Logan ait posé ses yeux sur sa faiblesse, qu’il l’ait vu vulnérable l’espace d’une seconde. C’était affreusement gênant et ça ne devait jamais se reproduire.
Pourtant, aujourd’hui encore, Nathaniel lui était reconnaissant du geste qu’il avait eu. Mais jusque là, il n’avait jamais trouvé comment payer sa dette. Jusque là.
Maintenant, il y avait cette histoire de dessin et son rapprochement avec Kathleen qu’il estimait être dû à son intervention. Même si tout cela était parti d’une mauvaise intention, du bon en était ressorti.
Portant son verre de vin à ses lèvres pour en avaler une gorgée, l’ainé des deux cousins reprit la parole.

« Je suis certain que ça lui a fait très plaisir » lâcha-t-il simplement, un large sourire mystérieux aux lèvres

Logan, surpris, fit danser son regard entre le visage de son cousin et son assiette. Il ne s’était pas vraiment attendu à ce genre de réponse et redoutait qu’une suite beaucoup plus déplaisante ne soit à venir. Pourtant, rien ne fut plus prononcé. Pas un seul mot. Et Logan ne doutait pas que ce soit la surprise qui avait provoqué ce silence. Ils étaient tous habitués à l’entendre critiquer sans retenue les moindres faits et gestes de chacun. Une approbation, quelle qu’elle soit, était à marqué d’une croix rouge dans un calendrier.
Pourtant apparemment, c’était bien ce qui venait de passer.
Le jeune homme ne savait pas ce qui l’avait retenu de lui balancer une vanne, mais il en était bien content.
Au départ il ne s’était même pas attendu à ce que Nathaniel le crois. Du coup, et même si il avait presque envie de lui dire merci de ne pas l’avoir insulté, le garagiste fut incapable d’ouvrir la bouche, sauf pour y porter un petit bout de viande qu’il mastiqua longuement.
Est-ce que ça avait vraiment fait plaisir à la jeune femme selon son cousin ou disait-il ça pour lui faire plaisir à lui ?
La seconde solution était un peu risible. Depuis quand Nathaniel se montrait-il avenant envers lui ? Son sport préféré était de trouver tous les moyens possibles pour l’emmerder et le rabaisser, tout le monde le savait. Maintenant qu’il avait l’opportunité de le piquer avec un sujet dont il se souciait vraiment, il choisissait d’être aimable. Tant mieux. Logan ne s’en plaignait pas. Il était juste intrigué.
Et peut-être que cela voulait dire que Nathaniel pensait sérieusement que cette soirée avait fait plaisir à Kathleen. Que ce soit l’un ou l’autre, il ne pouvait s’empêcher d’être surpris. Il avait presque envie de lui poser plus de question, pour qu’il approfondisse sa remarque et qu’il puisse comprendre pourquoi il disait ça. Mais encore une fois, Logan ne put se résoudre à ouvrir la bouche pour parler.
C’était s’exposer à des remarques redevenues cinglantes. Il préférait rester avec ses questions positives plutôt que d’avoir des réponses négatives.

Ce genre de réaction imprévisible ne pouvait être du qu’a l’effet Kathleen. Tout se passait toujours bien avec elle. Et il n’avait jamais été aussi chanceux qu’en ce moment. Maintenant qu’elle entrait dans sa vie autrement que sur papier, les choses se mettaient à tourner mieux qu’avant. Comme pour lui indiquer la voix à suivre. Comme un grand panneau lumineux qui aurait clignoté au dessus de la jeune femme pour lui faire comprendre qu’elle était la bonne.
Même Nathaniel devenait moins déplaisant lorsque c’était d’elle qu’il était question.
C’en était presque louche de perfection.
Et Logan ne doutait pas non plus du piège. Il savait très bien qu’il se faisait des films et qu’il ne voyait que ce qu’il voulait voir. Le piège résidait surtout dans le fait qu’aucun panneau lumineux ne clignotait au dessus de sa propre tête. Surtout pas du point de vue de Kathleen.
Ca n’allait que dans un sens, et même si c’était agréable d’en rêver, il n’espérait pas plus.

Il devait prendre les rares bonnes choses que la vie lui tendait sans broncher ou quémander plus.
Aujourd’hui, grâce à cette histoire, la torture du jeudi midi n’avait pas été si horrible que ça, au contraire. Le jeune homme s’était détendu, et s’était même un peu redressé sur son dossier tandis que le silence continuait de s’étirer, sûrement pour demeurer jusqu’à la fin du repas.
Peut-être que le reste de la journée à passer en compagnie de son cousin ne serait pas trop pénible non plus. Et avec un peu de chance, il croiserait Kathleen au détour d’une rue.