Les vieille bottines de Nathaniel martelaient le sol en cadence tandis qu’il parcourait les rues de Grayson à bonne allure. Il pouvait presque sentir deux grandes putains d’ailes venir orner son dos pour l’aider dans son projet !
Comme à l’accoutumé, un étrange sourire s’étalait sur son visage pâle et singulier. Un sourire qui pouvait à lui seul faire frissonner les quelques habitants qui l’avait un jour croisé à leur dépend.
Et aujourd’hui, celui qui devait trembler s’appelait Logan Redd.
Jeudi dernier en effet, alors que le garagiste l’avait invité à partager un succulent repas à sa table, son cousin avait fait scandale. Il avait alors dû supporter les remarques désobligeantes de son frère ainé venu déjeuner aussi, et de sa frigide de femme qui n’avait eu de cesse de se plaindre d’avoir cuisiné pour rien.
Personne ne s’était interroger sur les sentiments de Nathaniel quand à ce départ précipité.
Avait-il été vexé par l’attitude de son cadet ? Blessé ? S’en voulait-il des réflexions qu’il lui avait faites au préalable ? Songeait-il à s’excuser ?
Tout le monde s’en moquait, personne ne s’intéressait jamais à ce genre de chose. On se contentait de le blâmer et de le couvrir de reproches.
Il était Nathaniel, le diable personnifié pour eux et était incapable de ressentir quoi que ce soit.
Bien sûr, ils avaient tous raison et il se fichait complètement que son cousin se soit tiré au beau milieu du repas.
Ce qu’il n’avait pas apprécié, c’était ce qui avait suivi…
Le garagiste aurait pu faire payer son épouse pour ses attaques grinçantes, mais y avait finalement renoncé. Lorsqu’ils étaient en dispute, les choses devenaient trop compliquées sous leur toit… et Lucy le connaissait trop bien pour se laisser avoir. Elle était l’une des seuls – si pas l’unique – habitante de Grayson à laquelle il n’osait pas vraiment se frotter.
Il ne lui restait alors que Logan.

Il n’avait pas fallut plus de quelques minutes à Nathaniel pour formuler un plan d’attaque satisfaisant. Rien de violent, sauf si son cousin le devenait. Et le trentenaire ne doutait pas qu’ils en arrivent là… Le plus jeune des Redd avait hérité cette incroyable capacité à user de ses poings plutôt que de son cerveau de son débile de père.
Mais prendre une raclé ne le gênait pas plus que ça. Réussir à faire sortir Logan de ses gonds et le pousser à se battre était une plus grande victoire à ses yeux que lui incruster lui-même la tête dans le trottoir. En plus de ça, son cousin passait alors toujours pour un primate agressif à éviter à tout prix et sa cote de popularité déjà basse plongeait alors un peu plus.
Si Kathleen était en plus là pour voir ça, il pourrait mourir heureux sous les poings de Logan…

Prenant une grande inspiration, le grand brun posa un premier pied sur l’herbe fraichement coupée du parc. Il avait toujours aimé cette odeur. Elle le ramenait chaque fois quelques vingt ans en arrière, à l’époque où il était chargé d’entretenir le jardin avec Clyde et de tondre la pelouse. Son frère n’était pas très adroit dans ce domaine et après qu’il ait manqué de s’arracher un bras en tentant de récupérer il ne savait quoi sous les lames en mouvement, Nath s’était naturellement proposé de se charger de cette partie du travail.
Chaque fois qu’il atteignait l’énorme arbre au milieu de leur pelouse, sa mère s’approchait de lui, un verre de limonade à la main. Elle le lui offrait et ils discutaient de tout et de rien jusqu’à ce qu’il l’ait vidé et puisse le lui rendre. Grace lui adressait alors l’un de ces sourires complices qu’il estimait tant.
Bien évidemment, quand son père avait enfin remarqué ce petit manège, il les avait battu tous les deux, chacun leur tour. Elle parce qu’elle avait autre chose à foutre et lui parce qu’il paressait trop.
En réalité, il était simplement jaloux, tout le monde s’en était bien rendu compte.

Encore tout à ses souvenirs, Nathaniel continua de s’avancer dans le parc, apercevant rapidement ses voisins. Comme il l’avait présumé, Kathleen était là, occupée à discuter avec David, préposé à la tonte de la pelouse.
Certains des habitants étaient déjà venus déposer les sièges qu’ils utiliseraient le soir de la projection et y avait déposé des petits partons pour être certain qu’on ne le leur chipe pas. Ils voulaient bien être solidaire, mais pas au détriment de leur confort, pour sûr.
L’écran serait installé au dernier moment, après que les tables aient été installées pour recevoir les nombreux plats froids préparés par tous ainsi que les boissons qui seraient distribuées aux convives par Casey, Colleen et Elizabeth.
Mais avant que tout soit installé, il leur fallait monter la cabine de projection. Comme chaque mois, ou presque, Logan avait hérité de cette mission et, comme chaque mois, il semblait en difficulté.
La vision de son cousin perché sur son escabeau étira encore un peu son sourire.

C’est à ce moment précis que son bricoleur de cousin se tourna vers lui. Son regard se fit immédiatement méfiant, à sa grande satisfaction.
Dans un geste travaillé, il leva son bras pour le saluer jovialement, savourant chaque seconde. Sa main n’était pas vide. Il avait veillé à faire un petit détour par le garage avant de se rendre au parc pour venir encourager les travailleurs et, plus particulièrement, la délicieuse Kathleen.
Nathaniel agita le carnet de croquis de son cousin dans sa direction, un sourire de Grinch étirant ses lèvres avec malveillance.
Voilà, il avait maintenant toute son attention.
Sans plus lui adresser un regard, il dirigea celui-ci vers la brunette au teint de porcelaine qui se tenait à une quinzaine de mètres seulement. Elle semblait avoir remarquée sa présence elle aussi et son sourire avait perdu de son éclat. La jeune standardiste semblait maintenant mal à l’aise, intimidée, et elle n’en avait certainement pas conscience mais son corps était maintenant en position de défense, ses épaules légèrement en arrière, ses muscles bandés. Elle était prête à prendre la fuite au moindre mouvement menaçant de sa part.
C’était jouissif.
Lorsqu’il arriva à sa hauteur, David, avec qui elle conversait jusque là, lui adressa un signe de tête avant de s’éloigner sans demander son reste. Tant mieux, Nathaniel n’avait jamais vraiment aimé faire la conversation à cet ahuri.
Sans se dépeindre de son sourire éclatant, il accorda toute son attention à sa vis-à-vis.

« J’étais certain de vous trouver ici, mademoiselle Wood ! Toujours en train de soutenir nos valeureux travailleurs » s’exclama-t-il avec entrain « Oh, en parlant de travailleur… Bonjour, Logan. Je ne t’avais pas vu » minauda le plus vieux en se tournant vers son cousin qui les avait rejoint, le visage rougit par une colère mal contenue, les traits tendus « Tout va comme tu veux ? Tu sembles contrarié... »

Tout s’était passé dans un ralentit affreux de film à sensation. Logan, toujours perché, avait observé, méfiant, son cousin traversé le parc et se diriger vers Kathleen. Tout avait prit forme dans son esprit en l’espace de quelques fractions de secondes à peine lorsque, dans cet affreux ralentit, il avait vu Nathaniel brandir l’un de ses carnets de comptes.
Ceux qu’il gardait au garage pour faire professionnel et qu’il passait son temps à recouvrir de dessin en tout genre. En tout genre mais surtout de portrait de Kathleen…

Ce n’était jamais la joie entre les deux cousins, mais ces derniers temps l’ambiance avait été plus tendue encore. Depuis l’arrivée des Donnelly en vérité. La semaine dernière ils s’étaient disputés à plusieurs reprise, et la différence entre eux deux, c’est que si Logan passait l’éponge rapidement et se trouvait être du type plutôt colérique, ce n’était pas le cas de Nathaniel. Celui-ci n’oubliait jamais, cogitait, préparait son coup, et se vengeait une bonne fois pour toute quand on ne le voyait plus venir.
Le jeune homme avait très bien compris ce qu’il avait l’intention de faire et l’espace d’une atroce seconde, une onde glacée et terriblement douloureuse lui traversa l’entièreté du corps, des pieds à la tête. Une sueur glacée, mélange de honte, de panique, et de rage.
Rapidement, les jambes molles, il était descendu les quelques marches de son escabelle, pour sortir du début de cabane qu’il avait déjà monté et rejoindre Nathaniel. L’idée vague de courir pour l’empêcher d’arriver jusqu’à Kathleen l’avait effleuré mais il était trop tétanisé pour ça.

Chaque fois que son esprit venait frôler l’idée que Kathleen pose ses yeux sur ses dessins, la même onde venait le torturer et lui retourner l’estomac. Il ne pouvait pas faire ça. C’était complètement disproportionné, il n’avait rien fait qui mérite un tel châtiment, c’était complètement injuste.
Il allait tout briser si il faisait ça.
Il n’aurait jamais du s’avancer pour les rejoindre, il aurait du faire comme si il n’avait rien vu et rester dans sa cabane miteuse, s’y cacher plus tôt. Peut-être que si il bifurquait maintenant et s’en allait discrètement ? S’en aller sans se retourner pour ne pas voir la réaction sur le visage de Kathleen.
Qu’est ce qu’elle allait dire ? Où penser de lui ? Est-ce qu’elle allait le raconter à tout le monde ?
Est-ce qu’on pouvait mourir de honte ? C’est très certainement ce qui allait arriver.

Sans compter que Nathaniel allait sans doute accompagner les images d’un discours horrible où il le décrirait comme un pervers bon a enfermer et Kathleen allait prendre peur et le fuir comme la peste. Elle allait le détester et il n’aurait jamais plus jamais le cran de la regarder en face où de lui adresser la parole. Peut-être qu’elle allait avertir le shérif, où son père, qui eux-mêmes avertiraient le siens !

Logan n’avait jamais songé révéler quoi que ce soit à Kathleen. Jamais de la vie. Jamais il n’allait savoir supporter son regard après ça.

Lorsque le jeune homme arriva enfin à hauteur de son cousin et de la réceptionniste, il évita totalement cette dernière du regard. S’il posait ses yeux sur elle il était fichu, il allait se liquéfier. Il se contenta de fixer intensément Nathaniel qui venait de se retourner vers lui dans une surprise feinte qui lui donnait envie de l’étrangler.
Dans un même élan, Logan agrippa Nathaniel par le pull et se plaça entre lui et la jeune femme, le poussant en arrière pour prendre le plus de recule possible avec elle. Il priait de toutes ces forces pour qu’elle n’entende et ne comprenne rien.


« Qu’est ce que tu fais bordel de merde ? » souffla-t-il, plus parce qu’il n’arriverait de toute façon pas à parler plus fort que parce qu’il cherchait à être discret.

Comme il avait envie de lui arracher ses petits yeux plissés et rieurs, et ce sourire bien trop large pour ne pas lui donner l’air d’un gremlins.

Sentant la main de Logan se refermer avec force et colère sur lui, Nathaniel commença à glousser. Il recula de quelques pas, contraint et forcé, faisant dévier son regard de la jolie petite brunette à celui de son cousin. Le moins que l’on puisse dire, c’était que son plan avait fonctionné. A merveille. Son cadet n’avait pas marché, il venait de courir le marathon droit vers la toile qu’il lui avait tendu.
La question était : allait-il le dépecer maintenant qu’il le tenait entre ses mains ?
Fixant ses deux billes clairs et fielleuses sur le visage enragé et terriblement pâle de son cousin, Nath prit la parole avec calme. Rien de tel pour tourmenter qu’une personne qui tentait de décharger toute sa furie sur vous.

« Mais qu’est-ce qui te prends ? » l’interrogea-t-il, assez fort pour que puisse suivre leur échange, un sourire encore amusé sur ses traits

Il ne pouvait la voir qu’en arrière plan mais pouvait deviner qu’un pli soucieux était apparu sur son grand front. Le garagiste pouvait distinguer ses mains, sur sa poitrine, par-dessus l’épaule de Logan.
Un tic nerveux agitait maintenant sa bouche alors que le doute commençait à l’envahir. Nathaniel pouvait voir ses yeux sombres tenter de ses soustraire pour observer la jeune femme derrière son dos et observer ses réactions. Mais il n’osait jamais aller jusqu’au bout.
Ses joues s’empourprèrent davantage, la honte venant probablement s’allier à la colère qui le faisait subrepticement trembler.

« Tu ne voudrais tout de même pas qu’elle te voit frapper sur ton cousin, Logan, mon beau » minauda le trentenaire, à voix basse cette fois, remuant à peine ses lèvres étendues par un sourire qui empestait le faux « Ça ternirait définitivement l’image qu’elle a de toi… »

Et alors que son cousin semblait pourtant très tenté par l’idée de lui écraser son poing dans la figure, Nathaniel se dégagea de son emprise. Avant que l’autre ait pu réagir, il passa son bras autour de ses épaules et l’obligea à se retourner.
Ils faisaient maintenant tous deux face à une Kathleen anxieuse et méfiante qui les dévisagea tour à tour. S’armant de son plus beau sourire, s’appuyant sur son jeune cousin, son livre de compte dans sa main libre, il reprit la parole.

« Désolée pour cette petite intermède. Il est vrai que je n’étais pas censé me présenter au parc ce matin. A vrai dire, j’ai été malade toute la nuit et Clyde m’avait fait promettre de garder le lit jusque ce soir. Mais que voulez-vous, je ne pouvais décemment pas rester allongé à ne rien faire alors que mon petit cousin préféré travaille vaillamment ! C'ets plus fort que moi, j'ai besoin de me sentir utile » s’exclama-t-il en dégageant son bras pour venir pincer la joue de son cousin qui semblait se liquéfier, mais trouva tout de même la force de repousser son bras « Et puis il y a ce petit quelque chose dont j’aimerai vraiment m’entretenir avec vous… » ajouta Nathaniel avec mystère, faisant claquer quelques fois le carnet contre sa cuisse pour attirer l’attention de ses deux interlocuteur dessus

Voyant le minuscule foret de l’appareil s’approcher dangereusement de son visage, Nathaniel réagit enfin avec conviction. Se faire étrangler, il en avait l’habitude dans le fond et, même si parfois son cousin allait un peu loin, il n’avait plus peur. Le manque d’air et la pression sur son cou n’étaient évidemment pas agréables, mais il parvenait toujours à rester calme assez longtemps pour trouver un moyen de s’en tirer.
La visseuse en revanche était un élément nouveau, bruyant et quelque peu inquiétant.
D’un geste vif, il saisit une ouverture et asséna un mauvais coup de genou dans l’entrejambe à découvert de son cousin. Ce n’était pas la première fois non plus, mais sous le coup de la colère, Logan oubliait souvent qu’en combat, les positions de dominant/dominé s’inversaient en un clin d’œil.

En l’occurrence ici, la violence du coup que Nath venait de lui porter dans l’affolement fit lâcher prise à Logan. L’air infiltra ses poumons sans douceur et le trentenaire resta un instant immobile sur l’herbe fraiche, peinant à retrouver son souffle. Près de lui, son cousin poussait des grognements coléreux et frustrés. Il avait abandonné son arme improvisé pour l’instant et préférait assurer la protection de ses outils de travail personnels.
Nathaniel, lui se redressa dans un soupir rauque, massant son cou qui prendrait sûrement des teintes variées dans les jours à venir.
Le garagiste plongea son regard clair et brillant dans celui de son cousin et, sans crier gare, leva son poing pour l’abattre sur sa pommette. Il n’y avait pas mis beaucoup de force. Juste assez pour faire comprendre qu’il n’avait pas aimé l’attitude de son cousin. S’il avait pu parler sans craindre d’irriter sa gorge malmenée… Non, il ne l’aurait pas fait, il préférait le cogner pour marquer le coup.

Il savait déjà que tout était terminé. Logan agissait souvent par impulsion mais retrouvait rapidement son calme. C’était logique en un sens, puisque se battre demandait un semblant de volonté et qu’il n’en avait aucune.
Se sentant donc parfaitement en sécurité, Nathaniel poussa un nouveau soupir. Assis sur l’herbe à l’abri des regards, il allongea ses jambes devant lui et laissa mollement retomber ses mains sur ses cuisses. Il tourna ensuite ses yeux verts en direction de Logan, le souffle aussi court que le sien.

« Mais enfin ! A la visseuse, Logan » le réprimanda-t-il comme s’il venait d’avoir une idée stupide mais pas le moins du monde meurtrière « Pour qui tu serais passé, hm ? Tu ne t'étais même pas posé la question, j’en suis certain ! Il faut que tu apprennes à réfléchir avant d’agir ! Ce manque de réflexion te mènera à ta perte un jour tu sais ! Oh, bien sûr, tu aurais pu plaider la folie après coup, tout le monde y aurait cru. On t’aurait seulement lobotomisé au lieu de te faire purger une peine de prison, mais après ça, tu n’aurais sans doute plus eu droit de mettre les pieds à Grayson » soupira-t-il comme si cette possibilité l’accablait « Et tu sais ce qui se passe quand on reste loin d’ici un peu trop longtemps, n’est-ce pas ? »

Il marqua une pause pour donner plus d’impact à ses mots, conscient des souvenirs qu’il réveillait chez son cousin. Il méritait bien ça après ce qu’il venait de lui faire !
Nathaniel poussa un nouveau soupir avant d’entreprendre de se redresser tandis qu’il reprenait la parole.

« En tout cas -et ce n'est pas la première fois que je te le dis- je te trouve bien ingrat » fit-il remarquer en époussetant l’arrière de son pantalon « De toute manière, vous êtes tous des ingrats par ici. Je viens gentiment apporter le registre à Kathleen pour que Charlie puisse y inscrire les noms des gens qui payent ou s’incrustent au contraire sans le faire et de ce fait éviter les problèmes de pénurie de bouffe du mois dernier, et je me fais taper dessus ! Par mon propre cousin ! …Bon, je l’avoue, mon choix de support n’était pas innocent, mais regarde le bon côté des choses ! Ma petite blague toute innocente t’a permis de passer une ou deux minutes sur les cuisses de ta précieuse Kathleen ! J'pari que tu ne l'avais jamais vue d'aussi prêt » s’exclama-t-il savourant l’impact de ces mots sur son cousin « Et t’as même pas été foutu d’en profiter… Tss, et après tu vas dire que je ne fais rien pour toi, que je suis un monstre insensible, blablabla » minauda Nathaniel en roulant des yeux « Quand est-ce que vous allez enfin réaliser qu’absolument tout ce que je fais, je le fais dans votre intérêt, hm ? »

Logan resta un long moment vautré sur le sol, les deux mains entre ses cuisses où la douleur ne semblait pas vouloir s’arrêter de déferler. D’un côté ce n’était pas plus mal. C’était comme si Nathaniel venait de débrancher une prise, celle qui alimentait la rage du plus jeune.

Pourquoi ça ne m’étonne pas qu’une telle prise se trouve entre tes jambes ?

On pouvait dire qu’il était calmé maintenant. Il était même complètement à plat et c’est pour cette raison qu’il n’imita pas son cousin lorsque celui-ci se remit sur ses jambes. Ce n’était pas lui qu’on venait d’étrangler, pourtant l’air lui manquait. Son souffle avait été coupé par le coup en traître de Nathaniel, et mine de rien, pour étrangler il fallait serrer fort, surtout quand l’autre se débattait comme un beau diable.
Il ressortait pantelant de toute cette foutue histoire qui, il venait de le comprendre, n’était en fait qu’un grand rien du tout. On ne pouvait pas non plus appeler cela un malentendu bien sûr. Logan avait compris exactement ce que son cousin avait voulu qu’il comprenne. A partir de là, il y avait juste eu duperie. Et une duperie qui se rangeait facilement dans la catégorie trois étoiles.
Nathaniel avait fait pire, il avait aussi été plus doux dans sa cruauté.

Mais puisque au font, Kathleen ne savait rien, et n’allait rien savoir au final, alors le mal qui avait été fait ne dépassait pas la barre des non retours. Elle l’avait juste vraiment frôlée, voir écorchée au passage. Ils n’étaient pas passés loin d’un petit meurtre en famille. A la visseuse qui plus est. Un évènement pareil, Madame Pietsky en aurait parlé jusqu’à sa mort…

Evidemment, Logan en voulait à son cousin de l’avoir fait passé pour un fou. Surtout aux yeux de Kathleen. Il supposait que celle-ci ne tarderait pas à revenir et il ignorait encore totalement comment il allait pouvoir se justifier pour tout ça.
Au moins, elle ne l’avait pas vu essayer de tuer Nathaniel, tout n’était pas encore perdu. Jamais il ne fallait négliger le bien, même dans le mal. Surtout quand on était cerné.
Et comme venait de lui signaler Nathaniel, il avait passé quelques instants sur les cuisses de la jeune femme. Même si il était dans le coltar à ce moment, le fait même de le savoir faisait que cette journée n’était pas si mauvaise au final.
Il avait même envie de poser des questions pour obtenir les détails, mais il se garda de les formuler maintenant. Nathaniel n’allait sûrement pas lui faire le plaisir de lui en parler.
Peut-être qu’il tenterait tout de même un peu plus tard, …

Mais là n’était pas la question pour le moment.
La douleur de son entrejambe s’étant enfin un peu calmée, Logan poussa un long et lourd soupir, laissant reposer sa tête quelques secondes dans l’herbe fraiche. Puis dans un grognement d’effort, il se redressa enfin, tirailler encore par la fameuse prise que Nathaniel avait débranché si délicatement.

Tant bien que mal, il tenta de rassembler ses esprits, épousseta ses vêtements, tira sur son tee-shirt, passa les mains dans ses cheveux pour les ramener en arrière, puis une main sur son visage et ses yeux humides. Après un nouveau soupir et un raclement de gorge, il fit face à son cousin qui l’observait de son petit air si complaisant, les sourcils très légèrement crispés dans une expression proche de la pitié, mais accompagné d’un soupçon hautain.

« … j’aurai pas du essayer de te crever les yeux, désolé » finit-il par lâcher, le souffle encore un peu court.

Il ne regrettait pas de lui avoir sauté dessus, nila strangulation. Au fond, à chaque fois qu’il essayait de tuer Nathaniel, et était persuadé d’enfin y arriver, une petite voix, toujours la même, venait lui rappeler que plus profondément encore, il savait pertinemment qu’il n’irait jamais jusqu’au bout.
Jamais il ne tuerait Nathaniel. Pas seulement parc qu’il savait que c’était mal de tuer –il en était bien conscient malgré les apparences, mais aussi parce qu’au fond, il n’en avait pas vraiment envie. C’était étonnant, mais c’était comme ça. Nathaniel était un salopard, un trou du cul cruel, méchant, vraiment malsain, et terriblement cinglé, mais c’était son cousin et la seule et unique personne avec qui Logan avait un semblant de relation.
Pourtant cette fois, c’était à propos de Kathleen que Nathaniel était venu le torturer, ça l’avait aveuglé. Et du coup il avait voulu aveuglé son cousin lui aussi. Peut-être que Nathaniel éviterait de se foutre de lui à ce propos à l’avenir, et s’en tiendrait à tout le reste…

« … mais si tu touche à mes carnets, j’te saignerai quand même » ajouta-t-il pour que tout soit vraiment bien clair entre eux.

Logan était décidemment un être des plus imprévisible. Il venait de manquer de réagir d’une manière complètement disproportionnée, avait manqué de le tuer, et agissait comme s’il venait simplement de lui piquer son goûter. Et par-dessus ça, il trouvait le moyen de le menacer.
Et tout cela ne lui semblait pas étrange le moins du monde.
Nathaniel se demanda l’espace d’une seconde s’il devait ou non s’en inquiéter ou au moins signaler à son cousin qu’il lui manquait une case. Finalement, il décida de ne rien faire. Les fous ne vous croyaient jamais quand vous leur annonciez qu’ils l’étaient effectivement. Son cousin ne devait pas réellement réaliser la porté de son geste. Comme toujours, il avait agi par pur instinct et ne prenait aucun recule… c’est que réfléchir demandait un effort.

Le plus âgé des deux hommes lui répondit par un soupir désillusionné, avant de poser ses mains sur ses hanches, laissant son regard se porter sur les alentours après s’être décalé pour avoir une meilleure vue. Personne ne semblait vraiment avoir remarqué ce qui s’était joué ici. Les quelques personnes présentes se trouvaient de l’autre côté de la cabine de projection, occupées à discuter de choses et d’autre, à boire où à installer leur siège en décalant presque subtilement celui de leur voisin pour avoir la meilleure place.
Nathaniel ne tarda pas à repérer une forme mouvante se dirigeant droit sur eux. Kathleen. La jeune femme revenait vers eux au petit trot, les joues rougies par l’affolement et la course qu’elle venait d’effectuer.
Un sourire amusé étira les lèvres du garagiste qui tourna la tête vers son cadet.

« C’est vrai qu’elle est bien mignonne » concéda-t-il « Trop pour toi, évidemment, mais ne dit-on pas que l’espoir fait vivre ? »

Sans attendre une quelconque remarque de son cousin et perdant son sourire, Nathaniel enchaina en retrouvant son sérieux.

« Je ne toucherai pas à tes maudis carnets, j’aurai trop peur de choper une saloperie. J’imagine bien ce que tu fais avec quand tu t’isoles avec, gros porc ! D’ailleurs, je ne t’en aurai pas voulu de m’avoir crevé les yeux si ça avait pu m’éviter de voir ce sourire pervers apparaitre sur ta gueule de con chaque fois qu’tu la Sali en la mattant » persiffla-t-il en plongeant son regard devenu menaçant dans les siens « Touche-moi encore une fois, pauvre fou, et je t’arrache les couilles pour les lui faire bouffer. Pigé ? »

Logan n’eut jamais l’occasion de répondre. Kathleen venait d’apparaitre à leur côté et Nathaniel avait retrouvé son sourire avenant et enthousiaste.

« Ah ! La voilà ! Nous parlions justement de vous » s’exclama-t-il en accordant son attention à la jeune femme pantelante « Je disais à Logan qu’il vous avait causé une belle frayeur à l’instant ! Mais tout va bien maintenant, c’est certainement à cause des fruits de mer que nous avons mangé chez Leo’s hier soir. Je me disais bien que ces moules n’avaient pas l’air très fraiches ! Oh, merci pour le verre d’eau, je meurs de chaud » enchaina-t-il en attrapant le verre des mains de l’intéressée avant qu’elle n’ait pu réagir

Elle ouvrit la bouche, très certainement pour lui signaler qu’il était destiné à Logan, mais se ravisa et le regarda simplement en avaler une longue gorgée. Une fois désaltéré, Nathaniel laissa échapper une exclamation contenté puis adressa un dernier sourire charmeur à ses deux interlocuteurs.

« Bon, vous avez l’air de maitriser la situation ici, je vais voir si je peux me rendre utile à la maison. Lucy est toute excitée à l’idée de faire goûter sa nouvelle recette de coq au vin à tout le monde ! Elle est intenable. Je pressens déjà que ce sera une soirée mémorable… Mais assez bavardé, j’en connais un qui a du pain sur la planche ! » s’exclama-t-il en assénant une bonne tape dans l’épaule de son cousin « Oh et, sois gentil... fait attention avec cette visseuse, Logan. Je ne voudrai pas que tu te blesses… A ce soir ! »

Et l’instant d’après, sans plus de cérémonie, Nathaniel s’éloigna à bonne allure. Il pouvait presque sentir deux grandes putains d’ailes lui pousser dans l'dos…