Les yeux révulsés, sa main enfoncée dans son boxer élimé et son pantalon rendu à ses chevilles, Nathaniel entrouvrait un peu plus ses lèvres pour laisser passer ses gémissements lascifs. Il n’avait plus besoin d’avoir le magazine qu’il avait acheté sur les yeux pour voir les personnages mis en scène en action. Tout se passait entre lui et son imagination maintenant et sa propre silhouette avait remplacée celles de certains des personnages en papier glacé.
Il lui avait fallut agir finement pour obtenir ces quelques précieuses pages qu’il lui avait évidemment fallu acheter en dehors de la ville pour qu’aucune rumeur ne puisse circuler. Ternir l’image des Redd de cette manière aurait équivalu à se tirer une balle de la tête. Encore que le sort que lui aurait réservé son père aurait certainement été plus violent qu’un simple morceau de métal plongé entre les deux yeux. Il y aurait mis les formes, comme toujours.
C’était le seul moment où ce gros porc était un peu inventif ; quand il devait leur taper dessus. Il pouvait trouver une seconde utilisation à absolument tous les objets de leur maison. Même les plus anodins. C’était à la fois démoniaque et fascinant.

Un frisson parcouru le corps transpirant de l’adolescent qui s’en délecta et accéléré encore ses mouvements de poignets.
Mais un éclat de voix facilement reconnaissable attira soudain son attention deux étages plus bas. C’était le genre d’hurlement qui vous faisait arrêter toute activité séance tenante. Même celle-ci, même si proche du but.
Nathaniel se redressa, le cœur battant et le souffle court. Il n’avait pas vraiment besoin d’analyser la situation et pourtant, il s’accorda quelques secondes pour faire le point.
Son père était en train d’être créatif. Juste sous ses pieds. Le jeune homme n’avait aucune idée de la personne sur laquelle il testait son art, mais ça n’avait pas d’importance. Qui que ce soit, même si c’était cette sale pute ménopausée de Pietsky, il devait intervenir.
Il ne savait pas qui lui avait attribué ce rôle au fond, mais il savait depuis quand il ressentait le besoin de le jouer.
C’était depuis ce fameux soir. Celui où il avait entrainé Logan là-bas.
Nathaniel avait alors su qu’à partir de maintenant, il serait de son devoir de protéger les siens. Quoi qu’il advienne, peu importe la situation. Il faudrait qu’il se dresse devant l’ennemi et serve de rempart.
Et c’est ce qu’il comptait faire aujourd’hui encore.

Le jeune homme alors âgé de seize ans se redressa en vitesse, attrapant son pantalon qu’il remonta rapidement, le boutonnant tandis qu’il se mettait déjà en marche. Le contact du tissu sur sa peau moite le dégouta. Il ressentait une douleur désagréable dans le bas ventre, là où il aurait au contraire dû éprouver du plaisir. Son père paierait pour ça.
Sans une hésitation, Nathaniel attrapa la poignée de la trappe du grenier poussiéreux faisant office de sauna aujourd’hui et l’air frai lui parvenant d’en bas termina de le sortir de sa torpeur.
Ne perdant pas une seconde, il dévala la petite échelle et se précipita vers la pièce d’où provenaient les aboiements de son chien de géniteur. Une poignée de secondes s’étaient écoulées seulement depuis le moment où les premiers hurlements lui étaient parvenus.
Maintenant qu’il s’était rapproché, il pouvait entendre les couinements plaintifs de sa petite victime. Il ne s’agissait pas de sa mère. Elle, elle encaissait en silence. Ça l’agaçait d’ailleurs prodigieusement parce qu’il ne pouvait pas intervenir et la protéger s’il ne se doutait même pas qu’elle était en danger. Clyde en revanche, hurlait et suppliait chaque fois que son père ne faisait que l’approcher. C’était à la fois drôle et terrible.
Cependant aujourd’hui, c’était vraisemblablement à Logan qu’il s’en prenait.

Nathaniel ignorait ce que son cousin était venu fabriquer ici. Certainement pensait-il pouvoir le suivre quelque part et l’assommer de questions stupides mais pourtant de son âge. L’adolescent ne comprenait pas qu’il recherche encore sa compagnie après ce qu’il lui avait fait.
Mais c’était un autre débat.

Alors qu’il se tenait à quelques pas de la porte, l’adolescent croisa le regard de sa mère, plantée au milieu du couloir, les yeux exorbités par la terreur, son grand couteau de cuisine en main. Il savait qu’elle l’avait pris uniquement parce qu’il était dans sa main au moment où elle avait elle aussi entendu son époux beugler. Elle ne l’avait pas pris pour défendre le garçonnet. Jamais elle n’aurait pu faire de mal à son bourreau de mari. Pourtant Dieu sait que Nathaniel avait prié pour qu’un jour sa mère intervienne et le soustraie aux coups de son paternel... Mais elle se contentait toujours d’avoir ce regard de poisson mort et de rester planter quelque part.
C’était désolant.

Détournant son regard, le garçon continua sa progression. Il pénétra alors dans la pseudo-salle de sport de son père, ouvrant d’un coup d’épaule la porte que ce dernier avait pris soin de pousser derrière lui, histoire de ne pas être dérangé pendant qu’il apprenait une quelconque leçon de vie à son neveu.
L’espace d’une seconde, tandis qu’il découvrait la scène, Nathaniel fut envahi par un profond sentiment de déception. Jonathan avait décidé de punir le « sale voleur de ses deux » avec la boucle de sa ceinture. Tout cela manquait cruellement d’imagination.

« Tu vas voir la raclé que Pat va te donner quand j’lui dirai que son merdeux d’gosse est un voleur !! » continua de beugler Jonathan, abattant sa ceinture sur le corps recroquevillé et pleurnichant de son cousin « Tu voles ta propre famille en plus ? J’vais t’apprendre moi !! »

Crétin.
Nathaniel observa le décor une seconde, profitant que son père ne l’ait pas encore remarqué. Il ne lui fallut pas longtemps pour trouver comment obtenir son attention. Un sourire mutin aux lèvres, il s’approcha du vieux poste de télévision de son paternel et se tourna vers lui.

« Hey, bouseux ! Regarde un peu par ici ! » cria-t-il

L’adolescent n’avait plus peur de son père depuis qu’il avait accepté son rôle de bouclier humain. Il avait réalisé à quel point ses supplices étaient insignifiants à côté de ce dont Il était capable.
Comment pourrait-il encore avoir peur d’un tel sac à merde après ce qu’il avait vu ?
Comment quiconque pourrait-il craindre un être qui ne savait s’exprimer qu’avec ses points ?
Il était faible. Il lui avait fallut près de seize ans pour le réaliser mais maintenant que c’était chose faite, il n’arrivait plus à voir son père autrement que comme un paquet informe de viande avariée.
Il était aussi désespérant que sa mère pouvait l’être quand elle adoptait cet air absent. Il avait ce regard ; dénué de toute intelligence. Il n’était rien. Il ne valait pas mieux qu’un animal, une bête sauvage qui ne possédait même pas l’instinct de survie.
Une bête à abattre.

« Touche à ça et… »
« Et quoi ? Je suis mort ? » minauda l’adolescent en élargissant son sourire

Jonathan se détourna alors du corps tremblant de Logan pour s’approcher de lui d’un air menaçant. Nathaniel poussa alors le téléviseur à deux mains, ne quittant pas son père des yeux une seule seconde.
C’était jouissif. Il avait vu son expression coléreuse devenir panique au moment où, comme dans un ralenti, l’homme avait vu son bien le plus précieux chuter.
Il n’y eut pas d’explosion, d’étincelles ou un quelconque effet pyrotechnique, il n’y eu qu’un choc sourd et le petit bruit sourd produit par la prise soudain arrachée du mur et retombant sur la moquette.
Puis un silence pesant tomba sur la pièce. La bouche ouverte en un o surpris, Jonathan semblait retenir son souffle, affichant un air Bauvin qui paraissait lui coller à la peau.
Et soudain, le temps repris sa course.

« Sale MERDEUX !! »

Nathaniel laissa échapper un éclat de rire sonore, observant son père foncer vers lui. Il était incapable de ressentir la moindre trace de peur. Tout ce qu’il ressentait, c’était de l’amusement, une immense et bienfaisante satisfaction. C’était encore mieux que se branler dans son grenier étouffant.
Le premier coup l’envoyer à terre et les gloussements quasi-hystérique de l’adolescent redoublèrent.

Ignorant la présence de son jeune cousin à ses côtés, Nathaniel observait toujours le poste de télévision qui gisait sur le sol plucheux de la salle de sport. Il avait encore du mal à réaliser ce qui venait de se passer et son mal de crâne lancinant ne l’aidait pas à se concentrer.
De toute manière, il n’avait pas réellement envie de se laisser à réfléchir à tout ça, de se poser des questions et analyser la situation. Il venait de se prendre une véritable raclée et c’était lui-même qui avait provoqué tout ça. Il n’avait pas besoin d’en savoir plus ou de songer aux conséquences certainement terribles de son acte.
Pour le moment, l’adolescent était juste bien.
Evidemment, chaque parcelle de son corps le faisait souffrir et il avait assez pris de correction dans sa vie pour savoir que quelques uns de ses os étaient brisés.
Pourtant, il n’arrivait pas à faire disparaitre ce sourire de plénitude absolu qui étirait péniblement ses lèvres sanguinolentes.

Il n’avait jamais vraiment été masochiste et préférait faire souffrir les autres. Il n’avait jamais vraiment appréciée la vue de son propre sang non plus. Pourtant, il savourait le goût de son propre sang dans le fond de sa gorge.
Il avait un goût de triomphe.
Pour la première fois depuis des années, il avait tenu tête à son père. Nathaniel l’avait provoqué, s’était ouvertement moqué de lui pendant qu’il s’écharnait sur sa carcasse et en avait redemandé. Et finalement, son père s’était arrêté, de lui-même, avec cette expression jouissive sur le visage.
Du dégout. Non, mieux : de la peur.
Il lui avait fait peur.
Pour la première fois de sa vie, cette grosse chose infâme et arriéré avait ressenti de la peur. Il n’était pas encore passé du statut de bourreau à celui de victime, mais ce serait la prochaine étape, Nathaniel venait de s’en faire la promesse.
L’ordre des choses venaient d’être bousculer, les rôles avaient été quasiment inversés et il y avait eu des témoins.
Dorénavant, les choses allaient changer sous le toit de la famille Redd et Jonathan y réfléchirait à deux fois avant de s’en prendre à lui ou à qui que ce soit d’autre, l’adolescent y veillerait personnellement.
Et tout le monde le savait.

Nathaniel sursauta en sentant la main de son cousin se poser sur son épaule avec hésitation. Son mouvement réveilla ses côtes douloureuses et une grimace perça un instant le masque souriant de l’adolescent.
Il autorisa son esprit embrumé à se reconnecter à la réalité peu à peu.
Avec une lenteur infini, il posa ses yeux verts sur la petite main qui frôlait son épaule plus qu’elle ne s’y appuyait vraiment après quoi, il remonta jusqu’à son visage d’une pâleur inquiétante.
Il le fixa longuement, sans prononcer le moindre mot, son sourire mystérieux flottant toujours sur son visage meurtri.
C’était à lui qu’il devait tout ça. C’était son cousin qui avait mis son père en colère et l’avait obligé à jouer les héros. C’était grâce à lui qu’il se sentait si bien et si mal en même temps.
Ce petit con de voleur de merde pas foutu d’être discret, toujours à trainer dans ses pattes et à lui pourrir la vie. Et tout ça pour quoi ? Un stupide paquet de clope qu’on l’avait obligé à voler.

Oh Nathaniel savait bien ce qu’il entendait par là. C’était la même rengaine depuis qu’il l’avait accompagné jusqu’à la maison. Tu crois qu’Il reviendra ? Tu crois qu’Il v nous punir d’avoir regardé ? Tu crois qu’Il nous surveille, dis Nath ?
Son foutu ogre…
L’adolescent ne le voyait pas du tout de cette manière évidemment, mais il n’avait plus onze ans et n’avait plus besoin de nommer les choses pour les rendre moins effrayante. Ce qu’ils avaient vu n’était pas un ogre.
Il n’y avait même pas de mot pour décrire ce qu’ils avaient vu, on ne pouvait pas le nommer.

Après un long moment, Nathaniel élargit un peu plus son sourire, le rendant presque compatissant. Il leva son bras qui jusque là soutenait inconsciemment ses côtes meurtries, et fit passer une main lourde dans la tignasse brune de l’enfant.

« J’te crois… » répondit-il joyeusement avant de se détourner pour cracher un mélange de salive et de sang « Je ne t’en veux pas le moins du monde, voyons… »

Il le bouscula légèrement puis s’affala un peu plus contre le mur, continuant d’afficher un large sourire.

« C’est bien naturel à ton âge de vouloir faire des expériences » poursuivit-il avec calme, usant toujours d’un ton badin « Moi c’est des sucettes que j’ai volées à l’épicerie. Cela dit, j’ai eu la présence d’esprit de ne pas me faire prendre et personne n’a du payer à ma place pour ma bêtise. J’espère que tu retiendras la leçon en tout cas… »

Logan continua de le fixer sans ciller, buvant ses paroles, sa lèvre inférieure tremblant sensiblement.

« Tu sais de laquelle je parle ? »

Après un instant de réflexion, le garçonnet hocha la tête avec lenteur.

« Bien… » chuchota Nathaniel

Et l’instant d’après, sans qu’il ait rien laissé présager, il abattit son poing avec force au milieu du visage de l’enfant. Il poussa un cri de douleur et porta ses mains à ses côtes qui lui avaient envoyés des sortes de décharges dans tout le corps.
Il poussa un long soupir tandis que, près de lui, son cousin avait plaqué ses deux mains sur son nez en sang, l’air plus atterré qu’en proie à la souffrance.
L’expression de son visage arracha un éclat de rire douloureux à l’adolescent et quelques larmes vinrent mouiller ses joues pâles.

« Fumer nuit gravement à la santé, mon vieux ! » s’exclama-t-il « A ta santé et à celle de ton entourage, du con ! T’entends ça ? Elle est bonne hein !? Ah-ah ! Sûrement la plus grande leçon que j’t’apprendrais jamais ! » hurla-t-il en se laissant tomber sur le sol, hilare