01. Smile like you mean it [Aidan, Casey & Joshua]

Aidan expira profondément, son regard boudeur dirigé vers Isaac qui paraissait bien misérable et lui adressait un regard de chien battu. Chien qu’il aurait aimé abattre lui-même. Son frère avait décidément bien du toupet !

C’est bon, j’vais l’faire !

Mais j’ferai pas ami-ami avec une… paysanne ! J’peux très bien m’occuper tout seul, j’ai pas besoin de…retire tout de suite cet affreux sourire de ton visage ! Ou bien je répète ce que tu viens de dire à Allie !

Le grand blond qui lui faisait face s’exécuta immédiatement, peinant tout de même à garder un visage impassible. Poussant un nouveau soupir et roulant des yeux d’un air méprisant, Aidan se détourna avec toute la dignité qu’on voulait bien lui laisser.
Le gratin raté de sa belle-sœur dans les bras (et avec son bras dans le plâtre, il avait du mal à le soutenir convenablement), il traversa rapidement les quelques mètres qui le séparait du stand « Petite Restauration ». Il avait toujours trouvé que les noms français des enseigne de restaurants et autres commerces étaient stupides. Personne ne savait ce que ça voulait vraiment dire et tout le monde avait l’air bête en les prononçant. Et dans un trou paumé du style de Grayson, tout ça paraissait encore plus ridicule…
Mais il n’allait pas se les mettre encore plus à dos en le leur signalant, bien évidemment.

Tâchant de mettre son agacement de côté, le petit blond ralentit son allure en arrivant près des tables où s’entassaient bon nombre de ses nouveaux voisins. Ils observaient les plats qui avaient été disposés là et faisaient leur choix avec une lenteur insoutenable, s’adressant à une bonne femme rousse qui présentait bien et paraissait avoir une petite trentaine d’années. Un homme se tenait derrière elle, jetant des regards inquiets tout autour de lui. Il avait l’air de ne pas savoir ce qu’il fichait là et Aidan pouvait facilement le comprendre. A sa place, il se serait même certainement mis à s’agiter d’avant en arrière, à la manière d’un autiste.
D’après ce qu’il avait compris, les tâches n’étaient pas réparties sur base du volontariat mais étaient imposés pour que les habitants occupent tous les postes, chacun à leur tour. Une façon de procéder que le jeune homme trouvait particulièrement cruelle… Mais ça aussi, il se passerait d’en faire la remarque à quiconque.
Un homme d’une bonne soixantaine d’années aux cheveux blancs et sourcils épais d’un noir profond le bouscula, manquant de lui faire échapper le plat qui l’encombrait. Ça n’aurait pas été une grosse perte cela dit…

Woh ! Doucement mon petit, regard où tu mets les pieds

Aidan haussa les sourcils avec scepticisme, l’observant s’éloigner jusqu’à le voir s’installer sur un confortable fauteuil, quelques mètres plus loin. Le jeune homme laissa échapper une exclamation dédaigneuse avant de se retourner vers le petit attroupement près des tables. Il patienta quelques instants, espérant que la rouquine ou le type bizarre et mal à l’aise le débarrassent, mais aucun d’eux ne paraissaient l’avoir remarqué jusque là. Et ce malgré ses raclements de gorge bruyants qui lui avait valu une remarque désobligeante de la part d’une petite fille arborant deux horribles couettes mal alignées...
Finalement, alors qu’il allait jouer des coudes pour se frayer une place parmi les clients du stand qui faisaient la queue, une jeune femme vint à sa rencontre.

Le teint pâle, quelques mèches brunes tombant devant ses grands yeux mornes couleur chocolat, elle le fixa sans dire un mot. Si elle avait sourit, elle aurait pu être mignonne, mais ce n’était pas le cas. Son visage était fermé, inexpressif. Et si elle n’avait pas eu d’aussi bonnes joues, il aurait pu la croire malade…
Mettant ces jugements de côté et ne s’attardant pas à l’observer plus en détails, le jeune homme s’approcha pour remplir sa tâche. Il tendit le plat en direction de l’adolescente qui se trouvait de l’autre côté de la table et devait donc être en charge du stand. Son frère l’avait repérée quelques temps plus tôt et lui avait alors proposé de se charger d’apporter le plat réalisé par sa fiancée à sa place. Il lui avait suggéré d’aller faire la conversation « à la fille très mignonne qui devait avoir son âge et semblait s’ennuyer au moins autant que lui, là-bas ». Aidan n’avait pas été dupe, son frère voulait simplement qu’il arrête de lui suivre comme son ombre pour pouvoir se retrouver seul à seul avec Allie. Il le comprenait et c’était pour cette seule et unique raison qu’il avait accepté de s’occuper de ça… ça n’avait rien à voir avec « la fille très mignonne qui devait avoir son âge et semblait s’ennuyer au moins autant que lui, là-bas »…

Bonsoir

J’viens déposer ça… c’est ma belle-sœur qui l’a fait. Je crois qu’elle voulait faire un gratin à la base mais d’après ce que je l’ai entendu dire, c’est du ciment prise rapide

J’vous conseille de le jeter tout de suite. Et si jamais une métisse très mignonne et à peu près de cette taille se présente ici, dites-lui que c’est partie comme du petit pain et que tout le monde en voulait ! …Quoi qu’elle serait capable de nous en refaire après alors… dites que le plat vous a échappé

J’m’appelle Aidan. Donnelly

Ne venait-il pas de dire à son frère ainé qu’il ne ferait pas ami-ami avec des paysans ? Il lui smeblait bien que si. Alors pourquoi prenait-il la peine de s’introduire ? Une petite voix lui signala très habilement que c’était uniquement parce qu’il était un homme et qu’en présence du sexe faible, son deuxième cerveau prenait les commande, quoi qu’il fasse. Et même si la fille en question n’était pas une future miss. Encore qu’elle avait un certain charme, un petit quelque chose de particulier qui la rendait agréable à regarder. Mais une fois encore, un sourire n’aurait pas été de trop…

**Casey F.** Invité

Casey n'arrivait plus à se rappeler la raison pour laquelle elle se trouvait là, plantée derrière une large table occupée par divers plats plus ou moins comestibles, à servir ses voisins qui s'empiffraient comme si leur vie en dépendait. Et non seulement elle avait payé sa place de cinéma de plein gré, mais c'était pour en plus passer sa soirée derrière le stand de "Petite Restauration" toute la soirée. O joie. Elle aurait simplement pu rester chez elle devant la télévision à zapper sur les trois chaînes qu'on pouvait capter ici, regarder un vieux téléfilm bidon en écoutant les commentaires narquois de son frère, mais non. Elle était bloquée au stand de la "Petite Restauration" dont le nom la laissait perplexe, parce qu'elle ne connaissait du français que les mots "bonjour" et "au revoir" (lexique amplement suffisant pour Casey). Au départ, il avait été prévu qu'elle s'occupe du stand boissons, activité peu différente de celle qu'elle faisait là (les alcolos en moins) certes, mais elle s'était confortée dans l'idée qu'elle allait passer la soirée en compagnie de Suzanna. Seulement voilà, sa mère s'étant fait la malle, elle avait hérité de sa position. Pas qu'elle se plaigne de la compagnie de Mr et Mrs Redd, mais bon. On avait vu plus passionnant. Casey serra la louche qu'elle tenait dans sa main d'un air menaçant. Elle n'arrivait pas à croire que sa génitrice parvienne à l'irriter à ce point sans même être présente. Elle ne savait pas si elle devait être impressionnée ou effarée.

Casey scanna la foule du regard (enfin 'foule'... façon de parler) à la recherche de son jumeau. Le traître s'était enfui. Agacée, elle coupa une énième part de gâteau et la tendit à un vieil homme, qui, elle en était sûre, était déjà venu plus d'une fois visiter ce stand. Après la gigantesque part qu'elle venait délibérément de lui couper, s'il revenait encore une fois, c'était salade et rien d'autre pour lui. Non mais.

Les gens étaient bruyants. Un peu d'animation et ils en étaient tout excités. Et pourtant, quelqu'un était parvenu à surpasser le brouhaha puissant des villageois. Une série de raclements de gorge avait fini par attirer son attention. Elle aurait été sourde pour ne pas l'entendre, on aurait cru qu'on égorgeait un porc. Elle jeta un regard noir au couple Redd qui ni l'un ni l'autre n'avait daigné aller s'en occuper. Finalement, Casey s'approcha de l'adolescent blond, source du bruit, avant qu'il ne morde quelqu'un ou fasse une attaque cardiaque et tombe raide mort sur le sol, causant la panique générale, l'arrivée des pompiers et des ambulanciers, mettant fin à la petite soirée cinéma en plein air. Ce qui aurait été vraiment, vraiment dommage.

Il lui tendit un énorme plat qui dégageait littéralement une aura maléfique qu'elle prit tout de même, quelque peu méfiante, comme si une énorme bêbête allait soudainement en surgir et l'attaquer. Et c'était à ce moment-là qu'elle était supposée complimenter la cuisine du bienfaiteur qui avait ramené de quoi nourrir (empoisonner) les villageois affamés de Grayson, quitte à mentir platement. Jusque là, Casey considérait qu'elle s'en était plutôt bien sorti avec tous ceux qui n'avaient pas exactement rapporté de la cuisine de gourmet (même si elle n'y avait pas mis toute la bonne volonté du monde). Mais là, vraiment, elle ne se sentait pas le coeur à mentir et s'était contenté de poser le plat sur la table. Et bien heureusement pour Casey, son nouvel interlocuteur n'avait pas attendu qu'elle parle pour commencer à s'expliquer. S'il n'avait pas mentionné le mot 'gratin', elle n'aurait certainement pas deviné la nature du plat. Alors qu'il parlait dudit gratin et de sa cuisinière hors norme, Casey se demanda si elle devait ou non retirer le plastique transparent qui le recouvrait. Sans doute pas. On verrait moins bien le gratin et l'odeur ne rebuterait personne. Brillant, songea Casey avec satisfaction. Enfin, elle reporta son attention sur le jeune homme qui avait fini sa tirade et qui attendait vraisemblablement une réponse, voire une présentation de sa petite personne. Elle l'observa, l'air songeuse. Il souriait beaucoup. Détail sans aucune importance, mais dans le cas du jeune Donnelly, elle s'était presque attendue à voir une étincelle au coin de ses dents comme dans les pubs pour dentifrice. Elle devait avoir l'air étonnamment sinistre à côté de lui. Créature de la lumière versus créature des ténèbres (ou de l'oubli).

"Tu parles beaucoup" lâcha-t-elle finalement.

C'était plus une constatation qu'autre chose. Casey ne faisait pas dans le sarcasme (pas souvent du moins). Ca, c'était plus du domaine de son frère. Remarquez, il n'avait pas dit grand chose à par pour parler de son gratin. Un peu comme les grands-mères qui venaient déposer leurs petits plats faits maison et ne manquaient pas de lui laisser trois tonnes de recommandations. Mais la comparaison était sans doute un peu triste pour un jeune homme de son âge, aussi bien se passa-t-elle d'énoncer le commentaire à voix haute.

Casey baissa la tête vers sa chemise et réajusta la petite étiquette maladroitement agrafée où l'on pouvait lire "Casey" orné d'un immonde smiley jaunâtre qui souriait autant qu'elle ne souriait pas. Comme si avec à peine une cinquantaine d'habitants dans Grayson qui se connaissaient plus ou moins tous au moins de tête, les organisateurs avaient cru nécessaire d'infliger cette torture supplémentaire aux non-volontaires des stands. Toujours est-il que dans le langage silencieux de Casey, ça revenait à "Je m'appelle Casey" sans avoir à le formuler à voix haute. C'était une jeune fille tout à fait polie qui n'ignorait pas du tout les gens. Il fallait juste s'en rendre compte.

Et bien, Casey, je suppose que je peux te renvoyer la balle et assurer sans mal qu’à contrario, tu ne parles pas beaucoup

Vous avez sorti le grand jeu ce soir en tout cas. A Cleveland, les places de cinéma coûtent en moyenne trois fois plus cher que ça et si on veut manger ou boire quelque chose, il faut encore sortir son portefeuille et ce n'est pas donné

Les fauteuils n’ont pas l’air aussi confortables que certains que j’ai vu ici non plus. C’est Charlie qui nous a dit de prendre des sièges, apparemment vous faites ça à chaque fois mais on n’était pas au courant. Remarque, ça ne m’aurait pas gêné de m’installer par terre, ici au moins, on ne risque pas de s’asseoir sur une seringue… parce que ça, ça arrive souvent en ville. Enfin là d’où je viens. T’as déjà été à Cleveland ?

Hey… c’est vrai que je parle beaucoup…

**Casey F.** Invité

De toute évidence, oui, elle n'était pas personne à parler plus que nécessaire. Perte de temps et d'énergie considérable. Suivre le fil de la conversation lui demandait déjà un effort, alors il ne fallait pas pousser. Un jour elle avait essayé d'apprendre le langage des signes pour voir. Et puis finalement, elle en avait déduit que le problème ne venait pas de la mauvaise volonté de ses cordes vocales, c'était juste épuisant de réfléchir et chercher quelque chose à dire. Quant à Aidan, en plus d'être bavard, il souriait tant qu'elle se demandait s'il n'allait pas finir par se chopper une crampe à un moment donné. A moins qu'il n'essaye de l'anéantir à coup de flash lumineux émanant de ses dents brossées au dentifrice Colgate. Mais bon, aux dernières nouvelles, elle ne fondait pas encore à la lumière et mangeait de l'ail alors ça ne marcherait pas. Sans doute.

Il n'avait pas attendu qu'elle dise quoi que ce soit (et de toute évidence, elle ne l'aurait pas fait) pour enchaîner sur... des choses et d'autres. On aurait dit un flot de paroles destiné à la mettre KO avant qu'elle ait eu le temps de réagir. Et quand enfin, il sembla que la participation de Casey fut requise dans ce semblant de conversation à sens unique...

"Oui." De quoi oui ? Ben oui, il parlait beaucoup. Quoi, il s'en était pas rendu compte ? "Non." Non, elle n'avait jamais été à Cleveland. C'était où ça ? Au Nord ou au Sud ? "Hein ?" Quoi donc, à propos des seringues ? Argh. Et puis c'est là qu'elle réalisa l'horrible méfait qu'il était en train de commettre. Il était en train d'essayer de lui faire la conversation. Terrible. Elle ne parlait pas aux inconnus (à moins qu'on lui donne un bonbon). Remarquez, elle ne parlait pas non plus aux gens qu'elle connaissait... Enfin là n'était pas la question.

Casey retomba dans le silence, son visage reflétant une intense réflexion. Qu'il parle beaucoup, c'était une chose. Mais essayer de l'entraîner dedans, c'en était une autre. Elle n'essayait absolument pas de cacher sa réticence à prendre la parole alors elle ne put en déduire qu'une chose, il le faisait fichtrement exprès. Casey laissa tomber ses yeux sur la table qui les séparait. S'ils s'étaient retrouvés dans une bande dessinée, une petite ampoule électrique se serait sans doute allumée au dessus de sa tête. Scannant du regard la table, elle semblait chercher un ustensile qu'elle ne tarda pas à trouver. Tandis qu'elle se saisissait d'un énorme couteau qui ressemblait plus à un hachoir de boucher qu'autre chose, elle retint son souffle et retira la film plastique qui recouvrait l'énorme plat devant elle. La jeune fille traça à l'aide de son ustensile ce qui ressemblait vaguement à une grille de morpions complètement asymétrique. Elle se saisit ensuite d'une louche (qui avait définitivement déjà servi pour autre chose et n'était sans doute pas destinée à l'usage qu'elle en faisait) pour détacher un énorme rectangle (ou trapèze) de nourriture non identifiable qu'elle déposa dans une assiette en carton. Elle y planta fièrement au sommet une fourchette en plastique comme Neil Armstrong devait sans doute l'avoir fait autrefois sur la lune.

"Gratin ?" proposa-t-elle (imposa-t-elle) en tendant la petite assiette cartonnée qui menaçait de se déchirer en deux sous le poids monumental de la nourriture malfaisante.

Oui. C'était définitivement l'ombre d'un sourire goguenard qu'on venait d'apercevoir aux coins de ses lèvres.

Merci mais… non merci

Tu n’aimes pas vraiment les garçons qui parlent beaucoup, ou bien c’est moi qui te pose un problème ?

Parce qu'au lieu de me suicider en mangeant ça, je pourrais simplement circuler... Enfin j'trouvais ça chouette de pouvoir parler avec quelqu'un qui ne pourrait pas être ma tante ou ma grand-mère..

**Casey F.** Invité

Au bout d'un certain moment, il avait quand même fini par la prendre cette assiette, à la plus grande satisfaction de Casey. Des fois elle se demandait si elle n'avait quand même pas un peu pris du sadisme de son jumeau. Peut-être un peu. M'enfin c'était quand même drôle. Beaucoup. C'était plus facile pour Casey de mettre mal à l'aise que d'être mise mal à l'aise. Et voyez le résultat, il avait réussi à se taire pendant qu'elle lui servait une part de gratin cinq étoiles. Le blondinet grimaçait de façon tout à fait comique et si elle avait été personne à être plus expressive qu'un distributeur automatique, elle lui aurait sans doute bien ri au nez.

Etre égocentrique au point de croire qu'il puisse être la cause de son mutisme était très drôle. Et ce n'était pas tant qu'elle n'aimait pas les personnes qui parlaient trop, mais plutôt qu'elle avait vraiment du mal à suivre leur rythme. Cela dit, elle n'avait pas pris la peine de nier ses suppositions. Elle n'était pas une personne très rassurante. Une fois, alors qu'elle faisait du bénévolat pour visiter les malades dans un hôpital, une petite fille très innocente en phase terminale d'une maladie grave lui avait demandé les yeux larmoyants "Je vais bientôt mourir ?". Bon, et puis qu'elle aurait pu en savoir Casey ? Elle était pas médecin quoi ! Alors évidemment, elle n'avait rien fait d'autre que de lui tapoter gentiment l'épaule avec un sourire (crispé) qui se voulait gentil. Après, c'est une question d'interprétation... mais étonnamment, on lui avait demandé de ne pas revenir après ça.

Et pendant qu'Aidan pinaillait sur sa grand-mère ou dieu sait quoi, Casey s'était remise à servir deux trois morfales qui traînaient ici et là, évitant soigneusement le gratin maudit et tous les aliments qui se trouvaient dans un périmètre relativement proche du plat. Tsk. Quelle fillette. Si Casey avait un problème avec les gens qui causaient trop, lui avait carrément un problème avec les gens qui parlaient peu. Ou avec les gens qui lui offraient gentiment du gratin. Quelle ingratitude. Et dire que des petits enfants mourraient de faim dans le monde entier. (Même si en tout honnêteté, quelques pensées malfaisantes lui avaient quand même traversé l'esprit).

Comme pour changer, Casey ne répondit absolument rien et se contenta de le jauger du regard. Elle poussa un soupir infime puis tendit la main pour reprendre l'assiette qu'elle venait de lui donner à l'instant avant qu'il ait eu le temps de protester (et elle doutait sérieusement qu'il le fasse de toute façon). L'adolescente jeta un regard défiant au contenu carbonisé et y décrocha la fourchette qui semblait se plaire là où elle se trouvait, parce qu'il fallut à Casey beaucoup d'effort pour séparer le couvert du morceau compact de gratin. Avant d'avoir eu le temps de réfléchir, elle plongea dans sa bouche la fourchette ornée d'un énorme bout de nourriture indescriptible, visage totalement impassible et inexpressif. Et elle mâcha. Et elle mâcha... longtemps.

Il était difficile d'interpréter ce qu'elle avait voulu dire par cette action très débile. Son frère aurait sans doute su le faire. Mais là on pouvait juste supposer qu'elle avait voulu dire "Chochotte !" ou bien que c'était un genre de truc plus émouvant que le serment du sang entre deux gosses jeunes et débiles (à l'époque, elle s'était jurée de ne plus le refaire de sa vie... ça faisait trop mal de se piquer avec une épingle à nourrice). Voyez ? Elle avait les yeux presque larmoyants. Et c'était pas du tout parce qu'elle venait de manger l'un des plats les plus atroces de toute son existence. Au pire, si elle en mourrait, elle reviendrait hanter tous les gratins de Grayson.

Il n’est p’têtre pas trop tard pour cracher… personne ne t’en voudra. Surtout pas moi

Si tu veux, je peux aller te chercher quelque chose à boire. Encore que parfois, c’est pire... Y a un genre de réaction chimique bizarre et… voilà…

Tu pourras pas dire que j’t’avais pas prévenue

Mais c’est… admirable de ta part de tester ce que tu sers à tes clients ! Non, vraiment, ça force l’admiration et, moi qui allait tourner les talons avec une très mauvaise impression, je suis maintenant tout à fait sûr que tu ne me veux que tu bien !

Maintenant sois gentille et débarrasse-nous de ça avant que quelqu'un d'autre ne veuille prouver sa bravoure…

**Casey F.** Invité

C'était une expérience vraiment particulière et unique. Elle n'avait su reconnaître aucun aliment comestible qu'elle connaissait et elle aurait pu juré qu'il y avait un quelque chose qui ressemblait à de la terre ou du gravier (Quoi, vous avez jamais essayé d'en manger quand vous étiez petits ?). C'était croquant et mou à la fois, pimenté, acide, amer, et tout un tas d'adjectifs qualificatifs divers et variés mais absolument pas mélioratifs. Indéfinissable en clair, mais vraiment immonde pour sûr. Fierté oblige, elle n'avait pas recraché. Évidemment. Toute façon, c'était trop tard, voilà. Elle aurait eu l'air de quoi si elle avait recraché ? Bon, de quelqu'un de bête mais quand même un peu sensé, et qui tenait à la vie surtout. Reposant l'assiette d'une main tremblante, Casey se racla la gorge, espérant faire passer l'arrière goût passablement désagréable au fond de sa gorge. Peine perdue. Et puis avec cette histoire de réaction chimique bizarre, elle n'allait pour sûr plus oser boire de l'eau de toute la journée, de peur de voir ses boyaux fondre. Imaginez un peu que le gratin ait contenu une matière bizarroïde dangereusement réactive à l'eau qui libérerait un gaz létal ? Avec ça dans l'estomac, elle était bonne pour la morgue. Remarquez, avec 65% du corps composé d'eau, elle en aurait déjà crevé et plus d'une fois si c'était possible.

Casey nota l'air concerné de son interlocuteur, qui donnait totalement une impression d'hypocrisie. Preuve à l'appui, il ne tarda pas à éclater de rire. Tch. En voilà qui pourrait toujours crever pour avoir à manger pendant la projection. Elle sentit son pied piétiner de mécontentement. Hmph. Les étrangers étaient grossiers (ou elle était juste très susceptible). En guise de réponse, elle lui envoya un regard franchement ennuyé, sourcils froncés et ondes malveillantes projetées dans tous les sens. Ce n'était pas les remarques désobligeantes qui menaçaient de franchir le seuil de ses lèvres mais bornée jusqu'au bout, elle n'était toujours pas décidée à parler plus que nécessaire et voire moins. Que du bien ? Tsk, de toute évidence, elle ne lui voulait que du mal à présent.

"Rafraichissant" se sentit-elle tout de même dans l'obligation d'ajouter, l'air de rien.

Genre elle n'avait pas du tout envie de recracher ses tripes. Quoiqu'il en soit, il était hors de question qu'elle se débarrasse du plat. Puisqu'elle avait dû goûter à cette horreur culinaire, elle voulait au moins avoir la satisfaction de voir un(e) pauvre innocent(e) en faire de même, tant qu'à faire. N'écoutant qu'elle-même, elle poussa l'énorme gratin au centre de la table bien en évidence même si malgré cela, les chances qu'un deuxième courageux s'y essaye était très minimes. Et c'est qu'il avait pas l'air très accueillant le pauvre gratin. Elle tenta tant bien que mal de retirer la croute calciné à coup de louche mais ce n'était visiblement pas pour arranger son aspect... Casey sortit alors de la poche de son pantalon un bout de papier (chiffonné) et un stylo bic (orange attention) pour y gribouiller quelques mots. Finalement, elle posa près du plat dangereux pour l'humanité le bout de papier où l'on pouvait lire "Gratin Malin" orné d'espèces de fleurs mal dessinées et pas du tout symétriques.

" C'est joli comme ça."

Sans doute... Pour le coup, personne ne pouvait être vraiment sûr que le mot 'malin' soit supposé être positif ou non, mais au moins, ça rimait avec 'gratin'. Casey reporta alors son attention sur Aidan, auquel elle infligea un regard insistant et quelque peu menaçant, comme si elle attendait (exigeait) une affirmation de son interlocuteur.

Ouais, c’est…

Non, non c’est pas joli, c’est flippant. Je devrai appelé… un service d’hygiène et faire fermer ce stand sur le champ ! Non, j’devrai prévenir le shérif et te faire accuser de tentative de meurtre sur la personne de tes voisins… Mais peut-être que je pourrais être accusé de complicité

Non, ça craint comme plan, laisse tomber

Tu ne t’amuses pas beaucoup ici, pas vrai ? J’veux dire en général. Dans la vie… Tu fais pas grand-chose pour te distraire hein… ?

**Casey F.** Invité

A ce qui devait être une plaisanterie drôle, Casey n'avait pas ri. Pourtant c'était drôle, sans doute. Et elle avait de l'humour, au moins un peu. On n'aurait pas dit, mais ça lui arrivait quand même de rire (pas beaucoup). Mais voilà, elle ne se sentait pas spécialement d'humeur à rire. Et puis à la réflexion, ça aurait été bizarre d'avoir une quelconque réaction maintenant alors qu'elle s'en était bien abstenue depuis le début de la soirée. Et un sourire encourageant avait toujours l'effet contraire à celui voulu. Loin de se détendre, elle se crispa même un peu plus. Aidan lui donnait l'impression de vouloir apprivoiser un animal sauvage. Ce qui était stupide en soi, étant donné que si Casey avait dû être un animal dans une autre vie, elle aurait sans doute été un poisson rouge dans un aquarium rond qu'on aurait nommé Grayson.

Elle se sentit désagréablement observée, soudainement. Ce qui n'avait pas de sens puisque deux personnes qui conversaient se faisaient en toute logique face et ne regardaient pas ailleurs. Sauf que là, en l'occurrence, il avait les yeux plissés comme s'il cherchait une tâche sur son visage. Tâche qui n'existait pas, (elle espérait) elle en était sûre. L'adolescente n'appréciait pas beaucoup être examinée de la sorte. C'était un peu comme aller chez le médecin et attendre qu'il vous annonce que quelque chose n'allait pas. Mais Aidan n'était pas médecin (enfin, elle en savait rien mais il était définitivement trop jeune pour avoir fini médecine... à moins qu'il soit un génie, mais elle en doutait). Et elle était persuadée qu'elle n'aimerait pas sa prochaine remarque. A juste cause.

En guise de réponse, Casey jeta à son interlocuteur un regard sévère. Elle trouvait sa dernière remarque intrusive et carrément insultante. Pas pour autant que c'était faux, remarquez. Casey, c'était pas un bout-en-train. Et elle vivait parmi les vaches et les poulets. Alors forcément, quand on combinait le trop pas passionnant et le carrément barbant, ça donnait ce que ça donnait. Mais en plus de ça, elle n'avait vraiment pas besoin qu'un blanc bec vienne le lui rappeler. Et comment ça "ici" ? Pas qu'elle soit du genre à s'attacher à une ville en particulier mais quand même, son père était maire alors un peu de respect pour la ville qu'il gérait.

"Circule..." grinça-t-elle (grogna-t-elle) d'un ton tout sauf avenant.

Casey n'était pas personne à montrer ses dents, pas souvent du moins. Mais elle prenait souvent et vite la mouche. Et puis n'importe qui aurait pris la mouche après avoir été pris en pitié. En tout cas, c'est comme ça qu'elle voyait les choses. Et puis ils se connaissaient depuis quoi, dix minutes ? Ils avaient pas élevé les cochons ensembles à ce qu'elle sache. Et elle avait déjà le droit à une consultation ? Trop aimable.

A partir de là, elle mit un effort admirable à ne plus faire attention à son interlocuteur. Évidemment, lui tourner totalement le dos était trop puéril et évident. En plus, elle devait encore surveiller le stand. L'adolescente avait pris pour partie de considérer Aidan comme un être totalement invisible, et il avait beau être juste sous son nez, elle parvenait quand même à imaginer voir ce qui se trouvait derrière lui. Voilà, elle arborait maintenant l'expression "Tu n'existes plus, mmphf...". Enfin pour ce que ça changeait après...

Une fois encore, Aidan ouvrit la bouche à plusieurs reprises pour se contenter de la refermer sans avoir trouvé quoi répliquer. Depuis un instant maintenant, son visage exprimait un mélange de scandale et de remord. Il n’avait pas voulu être vexant et, même s’il pouvait comprendre la réaction de Casey, il avait du mal à l’accepter.
Bon, d’accord, il n’avait pas franchement été délicat et avait mis les deux pieds dans le plat, mais qui pouvait le blâmer ? Depuis qu’il s’était approché, pas une parole aimable n’avait franchie les lèvres de la jeune femme. Tout ce qu’elle avait fait, c’était le regarder de haut, lui servir une part de gratin maudit –pardon, gratin malin- et lui sortir quelques phrases pauvres en complément.
On ne pouvait pas franchement qualifier son comportement d’amical. S’il l’osait, Aidan irait même jusqu’à dire qu’elle avait été franchement hostile.
Il y avait mis toute sa bonne volonté mais ça n’avait pas eu le résultat escompté une seule petite fois.

Le jeune homme aurait pu s’avouer vaincu et suivre ses directives. Circuler et retourner auprès d’un de ses frères en essayant de profiter un minimum de la soirée. Seulement voilà, il n’avait pas envie de le faire, et ce pour deux raisons au moins.
Premièrement parce qu’il sentait bien que ses ainés en avait marre de toujours l’avoir dans leurs pattes, d’autant que deux d’entre eux étaient en charmante compagnie. Ensuite, parce qu’il détestait tout simplement s’avouer vaincu aussi facilement.
Aidan voulait qu’elle lui parle. Il voulait qu’elle lui adresse une phrase entière, même si c’était pour l’insulter ou prévenir la sécurité qu’on la harcelait.
Parce qu’elle avait ce quelque chose. Parce qu’elle lui avait résisté. Il détestait ça. Il détestait qu’on ne lui donne pas sa chance et qu’on le déteste sans raison.

C’est donc tout naturellement qu’il se rapprocha encore un peu, collant ses jambes au bord de la table pour être le plus proche possible de Casey. Cette dernière évitait obstinément son regard et s’était tourné de manière à lui faire comprendre qu’elle ne désirait plus le voir.
Et s’il n’en avait pas envie lui ? Quelle belle égoïste elle était !!

Bon, ok, c’était une remarque naze

Mais avoue que tu ne me facilites pas la tâche non plus !

La jeune femme ne lui accorda pas plus d’attention que précédemment et il laissa s’échapper un court silence méditatif avant de reprendre.

Peut-être qu’on pourrait reprendre à zéro, non ? J’vais pas reprendre le gratin parce qu’il est lourd et que j’suis un peu handicapé alors c’est soulant, mais on peut faire comme si

Mais vraisemblablement, ça ne marchait pas non plus. Qu’à cela ne tienne, il était plein de ressource.

C’est juste que j’ai pas vraiment l’occasion de parler à grand monde ces temps-ci… J’dois être un peu rouillé. Depuis que j’suis arrivé à Grayson, y a pas grand monde qui est venu nous parler. On nous regarde beaucoup mais personne ose nous approcher, je sais pas trop pourquoi. Enfin… j’m’étais dis qu’on pourrait… j’sais pas, sympathiser tu vois

La carte de la pitié, c’était bien ça, non ?

Tu sais, j’suis du genre à jamais reculer devant les obstacles… et j’suis aussi du genre à me mettre à plat ventre et à supplier

**Casey F.** Invité

Wow. Il ne s'arrêtait vraiment pas. A croire qu'il n'y avait pas de limite à être un moulin à paroles. Mais Casey était bornée. Et puis c'était tout d'un art d'ignorer les gens lorsqu'ils vous parlaient et elle était passée maître dans ce domaine là depuis des lustres. Elle n'était pas spécialement décidée à lui faciliter la tâche. Déjà parce que ça sous-entendrait être plus loquace et l'idée ne lui avait absolument pas traversé l'esprit. Dans son genre, Aidan était incroyablement persistant et indécrottable. Beaucoup de gens auraient déjà laissé tomber. Et pas seulement parce qu'elle y mettait de la mauvaise volonté, mais aussi parce qu'elle n'avait strictement rien à dire. Faire la conversation avec Casey c'était aussi fascinant que d'agrafer une centaine de polycopiés d'affilé. Rébarbatif.

Bien qu'elle ne disait toujours pas un mot, elle lui accorda quand même son attention. C'est qu'il était un sketch à lui tout seul l'autre. Un instant il arborait une mine vaguement prise de remord et la minute d'après il avait retrouvé son sourire enjoué, attendant vraisemblablement une réaction de sa part. Reprendre à zéro ? Bah, pourquoi pas. Aidan serait venu rapporter une seconde fois son gratin malin indigérable (et déjà entamé) et elle se serait débrouillée pour s'éclipser aux toilettes pendant ce temps-là. Scénario totalement probable s'il avait eu la brillante idée de jouer le jeu et de partir pour revenir. Et puis handicapé ou non, elle n'était absolument pas compatissante. Encore, il aurait été atteint d'une maladie grave et incurable, ça aurait été autre chose.

Il ne tarda pas à sortir la carte de la pitié. Et c'était risqué. Casey n'était pas totalement insensible et loin d'être inhumaine mais bon... elle partageait quand même les gènes de son frangin, adolescent dérangé et passablement misanthrope, alors ça voulait dire ce que ça voulait dire. Elle eut tout de même pour réaction de hausser un sourcil sceptique. Ce n'était absolument pas encourageant mais c'était toujours mieux qu'un silence pesant et glacial. Enfin y avait toujours le silence quoi... mais elle avait au moins arrêté de fixer du regard le pauvre vieux qui s'étouffait dans sa part de gâteau plus loin derrière Aidan. (Spectacle pas spécialement très agréable parce qu'il crachait et en foutait partout sur les gens dans un périmètre de deux mètres). Casey prit quand même un peu pitié de lui (Aidan, pas celui qui s'étouffe). Pour des raisons et d'autres, les gens n'étaient pas toujours très accueillants envers les intrus. Selon elle... c'était parce qu'il parlait trop (m'enfin, c'était juste son cas personnel en fait).

Et puis finalement Casey prit la parole. Parce que voilà, malgré tout, c'était un être vivant doté de paroles. Un peu aussi parce qu'il allait finir par causer une scène et qu'elle détestait attirer l'attention.

"Sympathiser" commença-t-elle avec ce qui ressemblait très nettement à un reniflement moqueur. "Pour quoi faire ? Aller galoper ensemble dans les champs et chasser les papillons ?"

Oui, c'était purement ironique. Elle avait déjà fait ça une fois. C'était beaucoup moins drôle qu'on le dit. Et puis s'imaginer courir dans les champs... c'était un peu... enfin ça faisait peur. Elle s'imaginait telle Candy courant dans les champs. Enfin est-ce que Candy courait dans les champs ? Aucune idée, mais vu sa tête, sans doute.

A la plaisanterie d'Aidan, elle se demanda un instant s'il aurait vraiment osé se mettre à plat ventre et à brailler comme un marmot. Ca aurait été drôle. Perturbant, effarant et flippant mais marrant quand même. Le shérif aurait pu éventuellement l'arrêter pour nuisance publique. Mais bien que très tentant, Casey ne le défia pas de le faire. Il avait l'air assez stupide pour ne pas refuser.

Son sourire ayant maintenant déserté ses lèvres, Aidan observait Casey, son visage ne trahissant aucune émotion. La jeune femme, au contraire, semblait commencer à s’ouvrir et son visage exprimait une nette satisfaction. Son regard pesait des tonnes sur les épaules du petit blond qui le soutenait avec neutralité.
Pourtant intérieurement, il bouillonnait.

D’aussi loin qu’il s’en souvienne et malgré ce qu’il assurait à qui voulait bien l’entendre, Aidan avait toujours été susceptible.
Depuis l’enfance, il avait toujours été adulé par sa mère qui le voyait comme l’une des merveilles du monde (ses frères aussi cela dit, ils étaient tous merveilleux dans sa famille d’après elle). Mais lorsqu’il avait grandit, la trop grande confiance en lui qu’il avait développée à cause de cela avait conduit les autres enfants à le mépriser et à lui tourner le dos.
Rejeté par les autres, il avait dû apprendre à se contenter de s’aimer lui-même. Petit à petit, les compliments de sa mère l’avaient agacé, il s’était mis à en douter. Ça lui avait tout de même pris un bon nombre d’années cela dit et avant l’adolescence, il n’était pas adepte de la remise en question.
Et puis par un bel après-midi d’août, ça lui était tombé dessus, sans prévenir.
Il avait organisée une petite fête pour son douzième anniversaire et avait invité bon nombre de ses camarades de classe. Samuel qui vivait encore avec eux avait été autorisé à faire venir deux amis chez eux, histoire qu’il lui fiche la paix.
Personne n’était venu. Aidan avait passé son après-midi près de la vitre à surveiller les allers et venus. Samuel, lui, avait passé sa journée dehors avec ses amis.
Alors il avait réalisé que quelque chose clochait chez lui. Ce jour-là, il avait incendié sa mère lorsqu’elle avait tenté de le convaincre qu’ils avaient dû se tromper dans les cartons d’invitation. Tout le monde savait qu’il n’y avait eu aucune erreur.

Après ça, il n’avait plus réussit à croire qu’il était aussi parfait que sa mère le laissait entendre. Comment aurait-il pu alors que le reste du monde lui crachait dessus ? Assurément, elle lui mentait, tentait de le rassurer, parce que c’était le rôle d’un parent.
Il l’avait laissé faire jusqu’au dernier jour de sa vie, lui adressant ces larges sourires qui la rassuraient, parce que c’était ce que lui était censé faire. Mais Aidan n’y croyait plus.
Bien sûr, il ne doutait pas d’être un beau garçon pour autant et sa vision de lui-même n’était pas déformée. Dans le milieu où il tentait de percer, on lui avait souvent dit que son physique était un atout non négligeable et il comptait énormément là-dessus, en jouait souvent.
Seulement voilà, sa belle confiance en lui avait été piétinée et il avait du mal à accepter les critiques depuis ce fameux 13 août. La moindre remarque désobligeante, le moindre feedback négatif l’atteignait de plein fouet et restait gravé dans sa mémoire. Le jeune homme n’en tenait jamais rigueur aux personnes qui l’avait méprisé ou insulté, il n’était pas rancunier pour un sou. Mais il commençait à se remettre en question et entrait dans des phases de dépression plus ou moins longue, allant de la minute à la semaine entière.

Et depuis une dizaine de minutes maintenant, quand elle ne le niait pas, Casey le rabaissait. Il avait mordu sur sa chique, il avait encaissé sans broncher, essayé de rebondir, de laisser couler : rien n’avait pris.
La journée était pourrie. Il était fatigué, s’est sentit de trop depuis le réveille des autres et n’aspirait qu’à rentrer chez eux. Pas dans la maison pourrie qu’ils louaient sur Jefferson Street. Non, il voulait retourner dans sa chambre, à Cleveland pour disparaitre sous sa couette jusqu’à ce que sa mère remarque son absence et vienne frapper à sa porte.
Sauf qu’évidemment, sa mère était morte et que la maison dans laquelle il avait grandis était en vente parce que trop cher à assumer pour eux. Il n’avait même plus sa couette.
Tout ça était pourri et il ne voyait aucune raison de s’infliger cette torture plus longtemps.
Aidan accueillit donc la remarque acerbe de la jeune femme avec froideur.

Ouais, t’as raison, c’est stupide comme idée. Pourquoi j’irai m’abrutir avec des illettrés pas fichus d’tenir une conversation d’toute manière ?

Ce genre d’attaque bête et méchante ne lui ressemblait pas. Mais de toute manière, depuis qu’il était à Grayson, il ne se reconnaissait plus vraiment. D’abord il agressait des pauvres types dans des garages, puis il allait boire seul dans un parc, se mettait à chialer sans raison dans des placards pendant la nuit et se mettait à agresser des filles à qui il offrait des gratins moisis.

Bon film et bon vent

Mais alors qu’il s’apprêtait à s’éloigner d’un bon pas pour conclure cet échange foireux, la tête haute, il percuta un jeune homme qui se tenait depuis il ne savait quand dans son dos.
Aidan fronça les sourcils et plongea son regard azuré dans celui du brun qui lui faisait face et paraissait avoir le même âge que lui. Il le toisait avec indifférence, ses deux billes noirs ne le quittant pas des yeux un seul instant… il ne clignait même pas des paupières… c’était flippant.
Le blond finit par se racler la gorge une énième fois, essayant de se décaler pour poursuivre sa route. Mais le jeune homme l’imita, l’empêchant encore d’avancer.

Décidemment, cette journée était comme le gratin d’Allie : à jeter.

**Joshua F** Invité

Joshua Ferguson

C'était assez dingue de voir à quel point ce qui aurait été un événement banal et à peine remarqué dans tellement d'autres villes devenait, à Grayson, l'événement du mois, voire de l'année. Contrairement à beaucoup d'autres habitants de cette ville, Joshua ne s'était absolument pas réjoui à l'idée de l'organisation de ce cinéma en plein air. Certes, il aimait le cinéma. Mais tout seul. Dans une salle noire, et vide de préférence... Et il avait une certaine inclination pour les films ultra violents débordants d'hémoglobines. Enfin bref, Joshua était tout sauf enchanté de se trouver là, au milieu de tous ces... gens... (les gens ça craint), condamné à y rester, purement et simplement parce qu'il devait se charger de la distribution des repas froids pendant la séance. Et en plus il devait payer pour ça... Bien évidemment, ce n'était pas de gaité de coeur ni avec toute la bonne volonté du monde qu'il avait accepté cette tâche (s'il l'avait seulement accepté). Si ça n'avait tenu qu'à lui, il serait resté chez lui à glander inutilement mais ô combien agréablement. Mais ça n'avait pas tenu qu'à lui. Ses parents avaient joué un rôle plus que conséquent dans sa décision (si on peut appeler ça une décision) d'apporter une contribution active au divertissement annuel de ce bon vieux trou paumé, ce aux termes de divers débats impliquant chantage, menaces, punitions et une histoire sordide à propos d'un telettubies violet (mais vous avez de la chance, je vous épargne les détails - et ce n'est pas du tout parce que je ne les connais pas).
Joshua devait donc attendre, condamné à poirauter et à jouer les larbins auprès de graysoniens sous évolués. Il savourait pour le moment ses derniers instants de liberté, la séance n'ayant pas encore commencé, et trainait des pieds ça et là, tandis que sa pauvre soeur, elle aussi plus ou moins enrôlée de force (mais en se faisant nettement moins prier que son frangin) servait d'ignobles collation à quelques affamés courageux et imbéciles. Ce fut une fois qu'il eut fait tant de fois le tour du petit espace où régnait une ambiante ignoblement festive (répugnant), après avoir constaté qu'il n'y avait rien à voir, rien à faire, rien à attendre de ces graysoniens abrutis et rien à espérer de ce rassemblement de crétins finis que Joshua considéra que quitte à devoir supporter tout ça, autant que cela soit le moins désagréable possible. Et la seule compagnie qu'il considérait comme relativement correcte ou du moins approximativement digne de lui était celle de sa jumelle, qui devait bien en baver, la pauvre, derrière son malheureux stand, entourée de tous ces abrutis. Sa présence ne pourrait pas lui faire de mal... Enfin... Oui, bon... même si Joshua n'était de loin pas un maître en matière de réconfort, il pourrait du moins rendre à Casey cette épreuve plus agréable.

Joshua alla donc rejoindre sa soeur, mais arrivé à proximité du stand, il constata que celle-ci n'était pas seule. Elle parlait (dans la mesure où Casey était capable de parler) à un jeune blond qui devait avoir leur âge, et qui, d'emblée, agaça le jeune homme (parce qu'il parlait à sa soeur). Joshua ne reconnaissait pas le blond. En même temps, terré comme il le restait dans la ferme parentale la majeure partie du temps, c'était à peine s'il connaissait le nom ou le visage de ses voisins. Cela dit, il pouvait plus ou moins deviner s'il était censé connaître ou non les personnes qui se trouvaient ici... Et ce type là, bah il lui disait rien du tout... ça devait être un de ces nouveaux dont il avait (forcément) entendu parler et dont il se fichait comme de l'an quarante (à moins qu'ils ne décident eux aussi de crever, là ça deviendrait interressant, mais apparemment non). Bref. Etant donné son affection considérable pour tout autre individu que lui-même (et en partie sa soeur), il s'était apprêté à faire demi-tour. Aucune envie de se taper la conversation avec un inconnu. Mais il changea vite d'avis quand il entendit les derniers mots que le blond adressa à Casey.
S'il interprétait assez positivement cette réaction dans le sens où elle mettait en évidence le fait que Casey avait encore été de cette locacité qui en exaspérait plus d'un et qu'appréciait beaucoup son jumeau, il n'en demeurait pas moins qu'on venait de manquer de respect à sa soeur. Et il aimait pas ça. Bien sûr, il n'aurait jamais déclaré haut et fort qu'il n'aimait pas qu'on manque de respect à sa frangine (qui elle avait le droit, et l'obligation, même, à ses yeux, de manquer de respect à à peu près tout le monde... sauf à lui, hors de question). Ce n'était pas le genre de frangin qui de prime abord avait l'air ultra possessif et ultra protecteur... Mais quand même. Sa soeur, on la laissait tranquille. C'était sa soeur quoi. Avec qui jouerait-il au uno ou au jenga si elle n'était pas là.
Bref. Du coup, Joshua n'était plus du tout décidé à rebrousser chemin, mais plutôt à exercer un peu de son art machiavélique sur le blondinet.

Ce fut pour cette raison que, quand ce dernier tourna les talons, prêt à s'en aller, Joshua lui barra la route, un léger sourire aux lèvres.

« Je te bloque le chemin? Vraiment? J'avais pas remarqué. »

Genre.

« On ne se connaît pas, je crois. Moi c'est Joshua Ferguson. »

Il lui tendit la main.
Louche. Très louche. Ceux qui connaissaient un peu Joshua (mais ils n'étaient pas si nombreux) savaient qu'une telle réaction de sa part ne présageait pas grand chose de bon.
Bah ouais, fallait laisser sa soeur tranquille (et le premier qui sort que c'est meugnoooon je lui aspire la cervelle avec une paille).[/i]

01. Smile like you mean it [Aidan, Casey & Joshua] Oj41at

© Joseph Gordon-Levitt
PV interprété par LAPIN MALIN

INFORMATIONS
19 ans
Fils de William & Alicia, jumeau de Casey Ferguson
Chômeur

Aidan

J’vous déconseille le gratin malin, à moins d’avoir des tendances masochistes

__________________________________
HJ : T'inquiète c'est parfait! On savait que tu étais occupée, c'était juste pour te permettre de nous rejoindre, quand tu le sentais ^^

**Joshua F** Invité

Joshua Ferguson

Joshua dû faire au mieux pour que son sourire ne s'élargisse pas trop. Pas facile cela dit, même si Joshua était relativement doué pour ce qui était de masquer ses sentiments, il avait du mal à cacher l'intense satisfaction à l'idée de voir que sa soeur avait pu à ce point miner un pauvre innocent plein de bonnes volontés qui n'avait sans doute rien demandé à personne. Joshua savait pertinemment que Casey avait un certain potentiel malheureusement inexploité pour faire souffrir les gens... Enfin, c'était son avis. La preuve, c'est qu'elle l'utilisait involontairement. Il faudrait qu'il la félicite, tiens.
Nan mais vraiment, il ne savait pas exactement à quoi s'était résumé leur conversation (même si une conversation avec Casey tenait à peu de mots), mais apparemment elle avait eu son petit effet. Comme quoi, il y avait des moments, Joshua était vraiment fier de sa jumelle (ce qui n'était d'ailleurs peut-être pas une si bonne chose que ça pour elle). Décidé cependant à ne pas lacher le blondinet, et à l'achever, plutôt, il était certain qu'il ne le laisserait pas partir de suite, même s'il semblait en mourir d'envie.

« Gratin malin.. ça sonne comme lapin malin. » remarqua-t-il sans la moindre raison.

Bah quoi? C'est un fait non? D'ailleurs il avait fait exprès, c'était sûr.
Bref... Joshua n'attendait évidemment aucune réponse par rapport à cette étrange remarque. N'empêche que si on poursuivait l'analogie gratin malin/lapin malin, Joshua pouvait très bien supposer que le gratin appartenait à une race mutante de gratins maléfiques dont le destin était d'envahir le monde. Dans ce cas là, mieux valait-il tous les manger (comme les monster munch), à moins qu'ils n'entrent en possession de votre estomac après digestion pour contrôler vos moindres faits et gestes. Oui, Joshua avait quelque fois des réflexions surréalistes. Mais en même temps, Joshua avait en lui même quelque chose d'assez surréaliste.

« Quoi qu'il en soit, je meurs de faim. Tu aurais des plats mangeables à me conseiller? »

Mine de rien, il se rapprocha de la table, et donc de Casey. Tant qu'à faire, autant réintégrer Casey dans la conversation. Il voulait mesurer par lui-même l'étendue des dégâts autant qu'il était curieux de savoir à quel point sa sœur avait été capable d'agacer Aidan.
Il leva les yeux vers sa jumelle, qu'il fit semblant de ne pas avoir remarqué plutôt (comme si c'était vraiment possible).

« Tiens, salut frangine! » il insista bien sur le mot "frangine".

Bah ouais, avoir un jumeau Ferguson sur le dos, ça va, en avoir deux, bonjour les dégâts.

© Joseph Gordon-Levitt
PV interprété par LAPIN MALIN

INFORMATIONS
19 ans
Fils de William & Alicia, jumeau de Casey Ferguson
Chômeur

Le cœur d’Aidan rata un battement à la dernière remarque du jeune homme qu’il avait manqué de percuter et le petit blond fut incapable de retenir sa mâchoire de tomber. Il observa tour à tour les deux adolescents et la lumière se fit dans son esprit. Même âge, même allure, physionomie similaire… ils n’étaient pas simplement frère et sœur, ils étaient très vraisemblablement jumeaux.
Il venait de tomber sur les jumeaux Adams.
…Une minute, les enfants Adams étaient-ils jumeaux ?
Aidan chasse ses pensées aussi rapidement qu’elles lui étaient venues. Il n’avait pas le temps pour ce genre d’idioties.
Secouant sa tête comme pour mieux se tirer de sa torpeur, il dévisagea longuement Casey, son expression surprise maintenant remplacée par une moue observatrice et grave. Leur conversation lui revint en tête, et il finit par pousser un long soupir et se tourner vers Joshua.

Le brun le fixait toujours, un sourire dérangeant aux lèvres. Ça devait être un genre de culte à Grayson ; le culte du sourire flippant. Visiblement, il y avait beaucoup d’adeptes, mais Casey n’en faisait pas parti… bien qu’elle puisse mettre très mal à l’aise.

Écoute, Joshua Ferguson

je cherche pas les problèmes et… enfin je suppose que tu m’as entendu envoyer bouler ta sœur mais je vais pas m’excuser pour ça

Ok, ce n’était pas très fin, mais il ne pouvait pas s’en empêcher. Depuis de longues minutes, il avait pris sur lui, avait sourit et tendu les bâtons pour se faire battre. Il n’était plus à ça près et en avait assez de s’écraser et de laisser passer.
D’autant que, comme l’avait très justement fait remarquer Casey, il n’était pas là pour se faire des amis. A quoi lui serviraient-ils ? Galoper dans les champs ?
A quoi pensait-il en essayant de sympathiser ?

J’ai essayé d’être aimable et visiblement, ça ne prend pas, c’est tout. Je pense que ta sœur est assez mature pour reconnaitre qu’elle a mérité la manière dont je lui ai parlé et elle n’a pas été tendre avec moi non plus. Alors je propose qu’on en reste là et qu’on évite de se parler à l’avenir

Et sans plus de cérémonie, il se décala une dernière fois et dépassa Joshua pour ne plus qu’il puisse lui bloquer le chemin. Il se retourna ensuite, arborant l’air de celui qui vient de se souvenir de quelque chose, accompagnant le tout d’un index dirigé vers le ciel.

Finalement, j’pense que le gratin vous ira très bien

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01. Smile like you mean it [Aidan, Casey & Joshua]

01. Smile like you mean it [Aidan, Casey & Joshua]

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