La vigilance était un état d’esprit épuisant, surtout lorsque rien ne se passait et que l’on restait dans l’expectative d’un évènement inconnu. Pourtant William ne se laissait que rarement le choix. La vigilance devait être constante, aussi bien ce soir qu’en règle générale. Et si le Maire avait voulu prendre un break, il n’aurait sans doute plus su comment faire. Il se souvenait à peine de l’époque où il n’avait comme problèmes que les moissons et son maïs. Aujourd’hui ces mêmes problèmes lui paraissaient reposant en comparaison à ce qu’il devait prendre en charge.
Surtout en ce moment, avec l’arrivée des Donnelly. Leur équilibre déjà précaire avait été définitivement rompu, et il ne devait plus seulement surveiller les étrangers, il devait également surveiller les siens de très près.
Il en avait eut la preuve ce matin durant la construction de la piscine. A peine avait-il tourné le dos, relâché son attention qu’une bagarre avait éclatée. William enrageait intérieurement et ne pouvait décidément se fier à personne.
Pourquoi fallait-il que Nathaniel soit à ce point ingérable et revêche ? Pourquoi toute cette provocation ? Il savait que son très cher voisin avait quelque chose en tête, mais il lui manquait bien trop d’informations pour pouvoir ne serait-ce qu’entrevoir son plan. William détestait se sentir à côté de la plaque et en manque de contrôle. Peut-être allait-il devoir simplement accepter l’idée que certaines choses, certains évènements à venir serait inévitable et hors de sa portée d’action.

Toutes ces idées fatigantes tournaient et retournaient dans l’esprit du Maire tandis qu’il allait et venait dans le parc plongé dans la pénombre de cette chaude soirée d’été. Il avait redouté le pire lorsque les Donnelly étaient arrivés, avant de se rendre compte que le plus jeune ne les avait pas accompagnés. Il espérait tout de même que les trois autres ne fassent pas plus d’esclandre.
Alors lorsqu’il avait vu le plus âgé de la fratrie se mettre à bavarder avec Lucy Redd, le sang de William n’avait fait qu’un tour. Il s’était instinctivement rapproché, abandonnant sa surveillance pour venir s’assurer que l’échange ne tournerait pas au bain de sang, d’une manière ou d’une autre.
Même si Lucy avait toujours été fort raisonnable, elle n’en était pas moins la femme de Nathaniel, et n’était donc absolument pas fiable dans cette histoire. Elle avait choisi son camp il y a fort longtemps déjà, le Maire le savait. Il avait toujours eut du mal à la cerner, d’accord, mais raison de plus pour que sa confiance en elle soit émoussée et bancale.

Une fois posté à côté d’Aahron, William répliqua au salut de celui-ci d’un bref mouvement de tête avant de se tourner vers la grande rousse à l’air avenant.
Une belle soirée ? Dieu comme il aurait voulu pouvoir en profiter, comme il aurait souhaité un peu de légèreté. Il lui rendit son sourire poli et croisa les bras sur sa large poitrine dans un soupir discret.

« Etouffante » commenta donc le Maire.
Il ne parlait pas du temps, mais ça, les deux autres n’avaient pas besoin de le savoir.
« Est-ce que tout se passe bien au stand Lucy ? » avait enchaîné le plus vieux après un très court instant de silence.
« Comme toujours William, comme toujours » répliqua-t-elle dans un grand sourire « Et ce malgré l’absence de Colleen. Elle était sensée distribuer les assiettes de repas froid avec Calvin, comme vous le savez bien entendu, malheureusement elle ne s’est pas montrée. La pauvre, elle traverse des moments tellement difficiles en ce moment. » enchaîna Lucy d’un air compatissant « Elle est tellement sensible, j’imagine qu’elle doit être également très troublée suite aux évènements de ce matin. Nous avons tous pu constater que ce malheureux incident l’a beaucoup touchée, n’est-ce pas William ? »
« Oui, oui, c’était vraiment regrettable » répliqua le Maire en se passant de tout commentaire, un sourire poli légèrement figé sur le visage, ses yeux bleus braqués sur la jeune femme aux cheveux roux.
« Je me suis entretenue avec Alicia à ce propos un peu plus tôt dans la soirée. C’est qu’il est tellement étonnant que nos deux maris soient mêlés à ce genre d’affrontement » affirma Lucy en ramenant son regard sur Aahron pour le prendre à témoin « Heureusement que notre cher Maire était là pour calmer le jeu » termina-t-elle avec reconnaissance.

Une fois de plus, William ne répliqua rien et se contenta de sourire et d’adresser à son interlocutrice un léger mouvement de tête.
Si il avait fallut traduire l’échange qu’ils venaient d’avoir, les choses auraient sonnées bien différemment. En résumé, lorsque William était arrivé, il avait demandé à Lucy de se tirer, elle l’avait envoyé se faire voir et avait ramené la conversation sur le sujet épineux du jour. Pour l’emmerder, cela va de soit. Puis elle avait terminé sa petite tirade en lui faisant comprendre que la tempête qu’il récoltait aujourd’hui, il en avait semé les graines tout seul, en bon fermier qu’il était. Après tout, mettre les Donnelly dans une situation dangereuse pour ensuite leur sauver la mise et acquérir ainsi leur confiance, c’était lui qui l’avait eut durant leur petite réunion plusieurs semaines auparavant.
Hors c’était précisément ce qui s’était passé aujourd’hui…

S’il y avait bien une chose qu’Aahron ne supportait pas, c’était d’être prit pour un idiot. Isaac s’était prit un nombre incalculable de raclée par le passé parce qu’il avait osé lui démontrer par des raisonnements d’intellos insupportable qu’il avait tort et était un crétin fini.
Et en l’occurrence, tandis qu’il suivait l’échange de Lucy et William, le trentenaire avait l’impression que quelque chose lui échappait et qu’on le prenait pour un idiot. Peut-être était-ce dû à cette absence de regard dans sa direction tandis qu’ils s’entretenaient de la pluie et du beau temps, ou presque…
Comme si elle avait capté ses doutes, Lucy lui redonna son attention, comme pour le prendre à témoin.
Aidan avait en effet vaguement parlé de l’intervention du maire dans sa bagarre avec Nathaniel (ou Logan du coup), sans pour autant s’appesantir sur le sujet. En revanche, son jeune frère l’avait chargé de transmettre un message bien clair à William quant à son avenir en tant qu’employé de ferme… Le plus vieux avait bien tenté de le raisonner mais aucun de ses arguments n’avait pris : Aidan ne retournerait pas là-bas. Jamais.
Aahron savait que cette décision lui coûtait et qu’en réalité, son cadet avait juste terriblement honte de son comportement. Il l’avait entendu parler de William avec Samuel et il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre que l’homme comptait pour lui. Son approbation du moins… et le voir se battre comme un chiffonnier avec l’un de ses voisins n’était certainement pas le meilleur moyen de gagner le respect du maire de Grayson.

« Oui » concéda finalement Aahron, décidant d’attendre que Lucy se soit éloignée pour s’entretenir avec William « Ca n’aurait jamais dû arriver et je suis désolé pour le dérangement occasionné. Je suis sûr que vous vous en êtes rendu compte, Aidan n’est pas méchant. C’est même un garçon serviable, je ne sais pas ce qui lui a pris »

Evidemment, ce n’était pas vrai. C’était dans la nature d’un Donnelly de se mettre dans la merde et de taper sur son prochain quand il vous cherchait un peu trop. Il ne pouvait pas lutter contre leur propre sang…
Cela dit, ce n’était pas très vendeur et trouver des excuses à Aidan en blâmant Nathaniel ne servirait pas leur plan.

« J’ai parlé avec lui et il est sincèrement désolé. Ca ne se reproduira plus, vous avez ma parole »
« Bon, tout est bien qui fini bien alors » sourit Lucy

Aahron n’aurait pas été jusque là, mais c’était une façon de voir les choses…

« Je parle, je parle, et j’en oublie mon devoir ! Vous faisiez la queue pour manger et je vous tien la jambe. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? »
« Oh, hem… un peu de salade de pates, ce sera très bien » répondit-il après avoir jeté un œil du côté des plats proposés
« Parfait. Et vous William ? »

Le maire lui fit signe qu’il ne désirait rien pour l’instant et, après leur avoir adressé un dernier sourire enjoué, Lucy retourna derrière sa table pour servir une assiette à Aahron.
Ce dernier se racla alors nerveusement la gorge et se tourna vers William. Les mains à présent enfoncées dans les poches de son jean, il fixa son interlocuteur d’un air grave.
Si Aidan était mortifié à l’idée d’avoir déçu son employeur, son ainé voyait les choses d’un tout autre regard. En vérité, il éprouvait une certaine rancœur à l’égare du maire de Grayson à qui il avait indirectement confié la garde de son jeune frère.
Maintenant que Lucy avait disparu et avant qu’elle ne revienne lui porter sa salade, il comptait bien obtenir une explication...

« Les nouvelles circulent vite dans les villages du genre de celui-ci et je suis persuadé que vous êtes parfaitement au courant de l’altercation qui avait déjà eu lieu entre Nathaniel Redd et mon frère dans son garage » commença-t-il d’un ton où pointait clairement une accusation « Alors je pourrais savoir où vous étiez ce matin exactement et pourquoi vous l’avez laissé s’approcher d’Aidan ? »

William se prit la dernière remarque du plus âgé des frères en pleine dents. Il se sentait déjà coupable d’avoir eu le malheur de relâcher son attention durant la matinée, mais entendre Aahron faire écho à ce sentiment ne faisait que confirmé qu’il était bel et bien responsable. Il détestait que l’on mette le doigt sur ses défauts et ses manquements. L’idée le mettait en colère, une colère plus proche de la frustration de ne pas avoir su gérer comme il l’aurait du.
Au moins Aahron n’avait pas tourné longtemps autour du pot. Il avait même été sacrément direct et avait abordé le sujet, sans faux semblant ni sourire avenant qui sonnait faux, c’était au moins cela qu’il pourrait laisser au jeune homme.

Avant de répondre il lança un bref regard à Lucy pour s’assurer que celle-ci ne pouvait plus les entendre, puis accompagna son mouvement d’un regard circulaire, ses yeux sévères balayant l’assemblé avec rapidité.
Sa bouche était pincée et sa mâchoire serrée, les choses ne se passaient absolument pas comme il le voulait et la contrariété ne le quittait plus depuis trop longtemps maintenant.

« J’ai tourné le dos durant approximativement trente secondes, et il en a profité pour s’éloigner, je ne l’ai même pas vu faire. L’instant d’après il plongeait sur Nathaniel Redd en hurlant qu’il allait le tuer. Ne vous méprenez pas Aahron je ne blâme pas Aidan, bien au contraire, il y a certains moments ou je souhaiterais pouvoir m’accorder le droit à ce genre de comportements excessifs. Seulement dans ce genre de situation mieux vaut savoir garder son sang froid, j’ose espérer que c’est une chose qu’Aidan à compris maintenant. Je ne serai pas toujours là pour empêcher les Redd de lui démolir le portrait. Vous étiez là la première fois, je me suis chargé de la seconde, mais si un jour Aidan décide de s’attaquer à eux tout seul je ne donne pas cher de sa peau ! » lança-t-il sèchement entre ses dents.

A cet instant, Madame Hofgood passa non loin d’eux pour se diriger vers le stand de restauration et William répondit à son bonjour dans un sourire poli mais sans joie. Une fois qu’elle se fut éloignée, il ne perdit pas une seconde et vint planter son regard glacial dans celui de son interlocuteur.

« Que ça soit bien clair : Je comprends votre présence ici, je comprends vos motivations, et je comprends que tout cela soit difficile à gérer, mais je ne tolérais pas indéfiniment ce genre de comportement. Aidan est jeune, d’accord, mais jusqu’à maintenant, d’après ce que je constate, c’est lui qui éprouve des problèmes à se contrôler, et pas l’inverse. »

Ca n’était pas parce qu’Aidan avait morflé plus que les autres qu’il en devenait la victime. Même si Nathaniel était venu le provoquer d’une quelconque manière, quelqu’un de tempéré et de mature aurait simplement réussit à se contrôler et se serait éloigner. Aidan avait commis l’erreur de céder à ses pulsions. Et il était injuste de le blâmer des pulsions colérique du jeune garçon.

Fort heureusement pour William Ferguson, contrairement à son jeune frère, Aahron avait appris à maitriser ses instincts et à ne pas se jeter tête baissée dans les ennuies. Encore que, vraisemblablement, puisqu’ils se trouvaient à Grayson, faire preuve de stupidité et d’entêtement lui arrivait encore.
Cela dit, il n’était pas encore capable de dissimuler ses émotions à ses interlocuteurs, et n’en avait finalement pas envie. Il était furieux.
Furieux parce qu’il n’avait pas été là pour empêcher Aidan de se jeter sur Nathaniel, de ne pas avoir empêché Nathaniel de l’approcher. Furieux contre lui-même de s’être déchargé de son rôle de protecteur sur William qui n’avait évidemment pas su gérer l’adolescent révolté et endeuilé qu’était encore Aidan.
Furieux de s’entendre faire la leçon par ce maudit fermier qui gérait la ville où étaient morts ses parents.
La situation échappait totalement à son contrôle et c’était affreusement frustrant. Trop pour ses petits nerfs. Et il s’en voulait d’avoir entrainé ses frères avec lui, ses frères qui lui paraissaient encore parfois si vulnérables, si maladroits.

Il aurait pu répliquer quantité de choses au maire, balayer ses arguments en quelques phrases cassantes, mais à quoi est-ce que ça aurait servi ? Il savait bien qu’au fond, William n’avait pas complètement tord et n’était pas le seul à blâmer dans cette histoire. Tout comme il savait qu’Aidan était loin d’être un jeune homme modèle qui avait simplement dérapé…
Il était un Donnelly. Même s’il aimait danser et passait des heures à coiffer ses cheveux, il n’hésitait pas une seconde à se jeter la tête la première dans une baston et n’était pas le dernier à donner des coups.

« Rah pitié » finit par grincer Aahron, une grimace franchement agacée sur le visage « Il a dix-neuf ans et ses parents, qui lui ont toujours tout cédé et l’ont couvé toute sa vie, viennent de mourir ! Ici même ! Evidemment qu’il a du mal à se contrôler ! » articula—til en luttant pour continuer à parler à voix basse

Sa réplique ne faisait rien avancer puisque William avait lui-même abordé ces thèmes dans son discours moralisateur. N’empêche qu’il avait ressenti le besoin d’insister un peu plus. Oui, être jeune et orphelin n’excusait pas tous les écarts, mais de son point de vue, ces éléments devaient être pris en considération et obtenir le crédit qui leur revenait.

« J’en ai plus qu’assez de vous voir débarquer à notre porte un par un pour nous demander de mettre de l’eau dans notre vin alors que, de votre côté vous n’faites pas franchement d’effort ! Notre maison a été saccagé il y a un mois et il me semble que nous avons été plutôt conciliants à ce sujet ! » reprit Aahron, s’assurant toujours de s’exprimer sur le ton de la confidence « Mis à part quelques rares exceptions, les gens nous traitent comme des parias et, corrigez-moi si j’me trompe, nous ne sommes pas venu nous plaindre ou vous prévenir que nous ne tolèrerions pas indéfiniment ce genre de comportement ! »

Aahron aurait voulu être capable de s’arrêter là mais il ne était incapable. Il se contenait depuis ce qui lui semblait être une éternité et finalement, n’était pas plus capable qu’Aidan de se maitriser…

« Les choses vont même plus loin puisque, d’après Aidan, le mur de notre voisine, Charlie, a été vandalisé ! Pour la simple et stupide raison qu’elle sort avec mon frère ! Ce genre de comportement là est toléré ? Hm ? Alors avant de venir faire des remarques déplacées sur le comportement de mon petit frère et me menacer, assurez-vous d’être irréprochable, monsieur l’maire ! Parce qu’il se pourrait qu’aucun de nous quatre n’ai plus vraiment envie de se contrôler si les choses continuent sur cette lancée… » articula-t-il d’un ton entendu, alors que Lucy revenait vers eux
« Et voilà ! Je vous ai apporté une serviette et des couverts » annonça-t-elle dans un sourire

Elle le perdit cela dit assez rapidement, certainement consciente de la tension qui régnait entre les deux hommes.

« Est-ce que… Tout va bien ? » les questionna innocemment la rousse, son regard passant de William à lui avec incertitude
« Oui, nous étions simplement en train de chercher un nouvel arrangement, puisqu’Aidan ne travaillera plus à la ferme » répliqua Aahron sans quitter le maire des yeux une seconde, son visage rouge de colère retrouvant peu à peu une teinte plus naturelle
« Oh, non, c’est vraiment dommage » se lamenta Lucy avant de pousser un soupir « J’espère que ça n’a rien à voir avec ce qui s’est passé ce matin »
« J’en ai bien peur » reprit le trentenaire en se détournant finalement de William pour décharger la jeune femme
« La dernière chose dont a besoin ce garçon, c’est de se retrouver sans occupation. J’ai un peu honte de l’avouer mais ce n’est pas la première bagarre qui éclate ici. Les pelouses de Grayson en ont vu d’autres ! Mais s’il se repend, il n’y aucune raison pour que les choses ne s’arrangent pas et ne reprennent leur cours. Pas vrai, William ? Si Aidan vous présente ses excuses, vous accepterez qu’il continue à se rendre utile à la ferme ? Je suis certaine que Joshua et Casey seraient terriblement déçus de perdre ainsi leur camarade »

Aahron appréciait la tournure que prenaient les évènements. Visiblement, Lucy avait mal interprété leur attitude et ses remarques et pensait William à l’origine de la perte d’emploi d’Aidan...

Encore une fois, William aurait voulu pouvoir s’accorder un soir où il aurait eu l’occasion de balayer toutes ses valeurs et ses principes rigoureux d’un revers de la main pour pouvoir se défouler un peu, frapper, ou seulement dire ce qu’il avait sur le cœur.
Malheureusement, ce genre de comportement avait des conséquences. Une fois que le coup était porté, il était porté, et l’on plongeait alors dans un engrenage difficilement contrôlable. Qu’est-ce qui était compliqué à comprendre là-dedans ? C’était les conséquences qui étaient déplorables et inquiétantes, pas l’action en elle-même, et c’était à ça que William pensait. Bon Dieu s’il avait pu ne serait-ce que dix minutes parler à cœur ouvert de toute cette affaire, tout aurait été bien plus simple.

Puis pour couronner le tout, Lucy était revenue pour les interrompre. Pourquoi s’entêtait-elle à se mêler de ce qui ne la regardait absolument pas ? Et pourquoi se sentait-elle obligé de donner son avis insipide et inutile ? Si elle rajoutait un mot de plus à sa tirade, il ne répondait plus de rien.

« Merci Lucy, je pense que nous n’avons plus besoin de rien » ‘et surtout pas de ton avis’, avait-il mentalement poursuivit, accompagnant sa remarque intérieure d’un sourire aussi avenant que ceux de l’épouse de Nathaniel.

Il vit son nez tâché de son venir se froncer légèrement. Il savait parfaitement qu’elle comprenait ce qu’il venait de lui dire, à savoir « dégage tout de suite ». Le Maire avait envie de pouvoir s’exprimer sans que chacun de ses mots ne soient rapportés à Nathaniel. Quoi que fasse Lucy il n’aurait jamais au grand jamais confiance en elle. Point final.
Et puisque son stupide et vaniteux de mari avait choisi de faire très visiblement bande à part, alors lui aussi devrait subir l’ignorance de certains détails, et de certaines conversations.
Celle-ci promettait d’être garnie en rebondissements qui plus est.

« Bien » avait finalement articulé la rousse dans un affreux silence plein de tension « Et bien si vous n’avez plus besoin de moi je vais donc retourner à ma besogne et vous laissez discuter entre homme » poursuivit Lucy, son grand sourire bien vite retrouvé.

Elle adressa un dernier regard à Aahron d’abord, puis à William ensuite, prenant la peine d’y faire teinter une lueur meurtrière. Puis elle se détourna pour s’en aller enfin, sans un regard en arrière.

William attendit qu’elle se soit éloignée pour refaire face à son interlocuteur. Cette interruption avait tout de même eut comme avantage de déconnecter un peu la colère. Si William avait répliqué immédiatement à Aahron, il ne se serait pas donné la peine de prendre le moindre recule. Dans une grande inspiration, il tenta donc de faire le point sur la situation afin de trouver les mots justes pour éviter d’envenimer les choses.
Aahron avait beaucoup parlé, et soulevé bien des points problématiques. Il allait devoir s’efforcer de répondre sans trop en dire.

« Aahron… » soupira le Maire, tiraillé intérieurement « Je ne vous ais pas menacé. D’ailleurs j’aimerai que vous compreniez bien, et que vous me croyiez lorsque je vous affirme ne pas être une menace, ni pour Aidan, ni pour vous, ni pour aucun membre de votre famille. J’ai une famille moi aussi. Deux enfants de l’âge de votre frère, comme vous le savez. Je sais ce que c’est que d’être responsable de quelqu’un, je sais ce que c’est d’être inquiet. Sans oublier que je suis le Maire de ce village. Je sais combien peuvent peser les responsabilités. La pression que l’on peut ressentir lorsque d’autres compte sur vous. Qu’il s’agisse d’une dispute, d’une bagarre, de vandalisme, ou d’un vol de poulet, je suis toujours là pour assumer mes responsabilités. Même lorsque cela inclue d’être interrompu en plein milieu d’un repas familiale, le soir, par un coup de téléphone de Madame Hofgood, scandalisée parce que l’adjoint du shérif est venu lui demander d’apprendre à ses enfants à ne pas gribouillée sur l’allée –et non pas le mur- de chez l’épicière parce qu’elle sort avec l’un des nouveaux venus qui, justement, se trouvent être l'un des hommes qui accusent l’un des membres les plus respectés de cette communauté du meurtre de leurs parents » déblatéra-t-il en oubliant de respirer « Je sais ce qui se passe dans mon village Aahron, plus que vous ne pouvez l’imaginer. Seulement je ne peux pas être toujours présent lorsqu’une situation dégénère, je le voudrais, mais c’est impossible. J’ai du mal à l’admettre mais je ne vais pas pouvoir gérer toute cette situation à moi tout seul, j’ai besoin d’aide. Malheureusement pour nous deux, le seuls qui soit en mesure de m’aider dans cette situation c’est vous » termina le Maire, sa voix sourde à peine articulée.

William aurait difficilement pu être plus grossier vis à vis de Lucy et son attitude réjoui quelque peu Aahron. Le donneur de leçon n’avait finalement rien à leur envier et paraissait lui-même chargé d’une colère qui ne demandait qu’à être évacuer.
Le trentenaire observa la rousse s’éloigner pour retourner à sa tâche, puis il croisa ses bras sur sa poitrine et refit face au maire.
Ce dernier paraissait prendre sur lui et demeura silencieux quelques longues secondes, méditant certainement sur la meilleure manière de le sermonner sans s’attirer ses foudres.
Aahron se connaissait et avait déjà assisté à ce genre de manège plus d’une fois au cours de sa vie… Les gens qui le connaissait un tant soit peu et n’ignorait donc rien de son mauvais caractère prenaient toujours des gants pour lui parler et cherchait à tout prix à éviter de s’en faire un ennemi. A moins d’être un rien barge, ivre ou d’être un de ses frères et de savoir qu’il n’irait jamais trop loin. Encore que…

L’interlude avec Lucy lui avait permit de faire redescendre un peu sa colère et le ton posé qu’employa William par la suite termina d’amenuiser le feu dévorant qui brûlait en lui. Avec le temps, l’expérience (et un frangin du genre d’Isaac), il avait pris l’habitude de recevoir ce genre de message, prétendument plein de sagesse qui, en fin de compte, ne visait qu’à critiquer votre façon d’agir ou remettre en question vos idées.
Aahron ne s’en vexa pas et se contenta d’observer le maire en silence, ses sourcils se fronçant de temps à autres, comme pour ponctuer son discours.
Une fois encore, il aurait eu une tonne de répliques à lui servir, mais préféra se taire et écouter pour quelques instants. Parce que c’était ce que les gens civilisés faisaient et qu’ils avaient décidé d’arrêter un peu leurs conneries et d’enfin passer à l’attaque. Enfin façon de parler puisque ses frères et lui prévoyaient au contraire de faire croire qu’ils étaient aussi passifs que pacifistes…

Cela dit, les remarques de William continuaient à lui déplaire. Est-ce qu’il rêvait ou est-ce que le maire réclamait de sa part qu’il fasse encore plus d’effort qu’à l’heure actuelle ?
Non, c’était assurément ça. C’était ce qu’ils réclamaient tous depuis leur arrivée après tout ! Qu’ils ne fassent surtout pas de vague et ne perturbe pas la petite vie tranquille des bons habitants de Grayson. La bonne blague !
S’il avait besoin de son aide pour qu’il passe une muselière à Aidan ou un autre de ses frères, il pouvait toujours rêver !

« Ecoutez,… » finit-il par se lancer, le silence se prolongeant « je sais que notre arrivée vous met dans une situation délicate et je sais qu’au fond, ce n’est pas mon aide que vous attendez, mais notre départ. Et croyez-moi, je ne souhaite rien de plus que repartir. J’ai un petit garçon qui m’attend à Cleveland, un travail, une vie que j’ai été contraint de mettre entre parenthèses. Mon frère va devenir papa dans peu de temps et il n’a toujours pas eu le temps d’épouser la mère de ses enfants parce qu’aucun de nous n’avait le cœur à célébrer un mariage un mois après l’enterrement de nos parents… » grinça-t-il, ses mâchoires se crispant malgré lui « Sauf que, vous l’avez compris maintenant j’espère, quoi que vous fassiez ou pourrez dire, nous ne repartirons pas avant d’avoir éclairci cette histoire d’accident. Peut-être que ça nous prendra des mois, mais je suis près à faire ce sacrifice et mes frères aussi. Nous ne repartirons pas sans nos parents, William… Alors la question est : êtes-VOUS prêt à m’aider à ramener mes frères chez nous ? »

C’était la première fois qu’Aahron mettait de tels mots sur la raison de leur venue à Grayson. Parce qu’au fond, c’était ce qu’ils cherchaient tous les quatre. Retrouver leurs parents. Morts ou vifs. Mais très certainement plutôt morts qu’autre chose…
Ils auraient pu se mettre à draguer le lac eux aussi, à fouiller les bois, retourner la terre pour retrouver leurs corps, mais ce n’était pas vraiment quelque chose qu’ils voulaient faire.
Ils voulaient savoir où ils étaient. Ils voulaient juste les retrouver. Parce qu’au fond, ils n’étaient que des gosses. Quatre orphelins complètement largués qui réclamaient la chaleur rassurante des bras de leurs parents.

Au départ, lorsqu’Aahron avait commencé à lui répondre, il avait eut peur du discours que risquait de tenir l’aîné des Donnelly. Au fond il était normal qu’il ne capte pas la multitude de sous entendus dans ses propos puisque justement, il ne connaissait rien des vrais secrets de Grayson. Il lui était donc impossible d’interpréter correctement ses dires, comme le Maire aurait voulu qu’il le fasse.
Cependant les deux dernières phrases prononcées par le grand blond donnèrent à William un vague espoir que le jeune homme finisse par comprendre qu’il ne fallait pas seulement écouter ce qu’il disait, il fallait aussi l’interpréter.

Cette idée le rassura grandement. Ses mains étaient toujours liées, mais il ne perdait pas espoir envers les Donnelly, il continuerait d’espérer qu’ils l’aident, et qu’ils fassent ce que lui ne pourraient jamais faire. Pas qu’il n’en n’avait pas le courage. Mais comme il l’avait dit, lui aussi avait une famille, une famille enchaînée tout comme lui par un pacte qui les dépassaient tous. Qui sait ce qui leur arriverait s’il prononçait les choses trop clairement ?
Les Donnelly étaient des gens déterminés, et surtout, libre. Il fallait qu’Aahron comprenne, où au moins, capte rien qu’un peu ses double sens.

William mit quelques instants à répliquer, poussant un bref soupir avant d’afficher un faible sourire énigmatique.

« C’est celle-là, la bonne question à me poser Aahron » répliqua le Maire d’une voix à peine audible « Pour l’instant, la réponse est non. Et ce n’est pas près de changer si vous continuer à agir sans réfléchir, sans penser aux conséquences » il prit une inspiration, lançant aux alentours un regard en biais.

Il avait beau faire, il ne cessait de se sentir épier lorsqu’il abordait ce sujet, comme un millier d’yeux invisibles braqués sur lui, comme un millier d’oreilles indiscrètes. Et même si il faisait tout son possible pour ne pas être vu ni entendu, il ne pouvait se détacher de ce sentiment affreux d’être à découvert. D’être à la merci de forces qui le dépassaient complètement.

« Je ne pourrai jamais vous répondre oui si vous continuer de poser les questions avec vos poings. Ca n’est pas de ce genre d’aide dont j’ai besoin. Vous ne vous aidez même pas vous-même en fonctionnant comme ça »

Restait à voir si Aahron ruinait tout ses espoirs en se vexant de ce qu’il venait de dire, où si, enfin, il comprenait ce que tentait réellement de lui faire passer le Maire de Grayson.

Sans qu’il y prenne vraiment garde, la conversation qu’il avait avec le maire semblait avoir atteint un tout autre degré. Aahron avait l’impression d’être le détenteur d’un message codé que son interlocuteur semblait comprendre et détenir lui aussi. Sauf qu’en cours de route, l’ouvrier avait perdu la clé de ce fameux code dont il lui smeblait pourtant avoir été le créateur…
C’était perturbant. Terriblement perturbant.
Ils parlaient mais leurs mots n’avaient pas réellement le sens qu’un intrus aurait pu saisir. Leur conversation était bien au-delà de cela et Aahron était incapable de savoir à quel moment les choses avaient ainsi évoluées.
Il se sentait comme dans un de ces films d’espion que Samuel regardait parfois, sauf qu’il commençait à se sentir comme la doublure du héros… Celui à qui ont dit d’agir mais qui n’a aucune réplique à donner. Il se sentait larguer pour faire simple.

Les sourcils froncés, il observa William avec doute. Il n’était pas certain d’interpréter convenablement ses paroles et n’avait pas vraiment envie de passer pour un débile profond en lui demandant d’être plus clair.
De toute manière, il paraissait évident que le maire ne pourrait pas répondre positivement à sa demande. Sinon pourquoi faire tant de mystères à la base ?
Ou alors, il était simplement en train de le faire mariner, de se fiche de lui. C’était encore plausible, mais Aahron se refusait à y croire.
Peut-être à cause de cet éclat qu’i lavait vu s’allumer au fond du regard de l’home auquel il faisait face. De l’inquiétude, une certaine détresse… Comme s’il bravait un interdis en lui parlant. D’ailleurs, il avait baissé d’un ton pour le faire, cherchant à n’être entendu que de lui.
C’était d’autant plus rageant puisqu’il doutait d’avoir bien compris ce qu’il essayait de lui dire.

« Aidan est difficilement contrôlable ces derniers temps » lâcha-t-il finalement, sans savoir d’où cela lui venait ni quel rapport tout ça avait avec leur conversation actuelle

Et pourtant une fois encore, il savait qu’il était dans le juste. Il le sentait.

« En réalité, aucun de nous ne sait vraiment comment s’y prendre avec lui ni comment le contrôler. Je ne peux pas le surveiller en permanence, tout comme vous n’avez pas été capable de l’empêcher d’être approcher par Nathaniel Redd ce matin. Ce que je sais en revanche, c’est que depuis qu’il travaille à la ferme, il est plus serein » poursuivit-il « Je pense que, si la demande vient de vous, il acceptera de revenir travailler. Il a perdu ses repères pour le moment et je pense que…je pense que travailler pour vous l’aidera et nous aidera.. Pour ce qui est d’Isaac et Samuel,.. eh bien il me semble que jusque là, ils n’ont pas fait de faux pas. Et je suppose que moi-même, je pourrais commencer par aller présenter mes excuses à mademoiselle Pryde pour l’avoir mal reçue il y a quelques temps… »

Aahron ne doutait pas que le maire soit également au courant de ce menu incident... C’était un moyen comme un autre de lui prouver sa bonne volonté. Et pour quelles raisons au juste ?

« En ce qui concerne les Redd par contre, je ne promets rien… S’il provoque Aidan, et entre nous, je suis persuadé qu’il recommencera, je ne sais pas de quelle manière il réagira. Je sais qu’il s’en veut beaucoup de ce qui est arrivé ce matin, mais il est impulsif et ne réfléchi qu’après avoir agit » poursuivit-il d’un ton entendu « Alors… Est-ce que vous seriez d’accord pour rencontrer Aidan et lui proposer de revenir travailler pour vous ? »

Si William avait été plus expressif, il aurait poussé un « ouf » bien sentit. Ca avait été plutôt laborieux, plutôt tendu, mais le Maire était presque certain que le message était enfin passé. Aahron s’était radoucit et allait soudainement dans son sens. Il n’avait pas articulé clairement de « Eureka j’ai compris votre code » mais il semblait plutôt évident désormais qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. Du moins sur des longueurs voisines. C’était un pas en avant dans toute cette affaire. Et un pas plus positif que le reste pour changer. William prenait ce maigre avancement avec plaisir cela dit. La moindre lueur était bonne à prendre lorsqu’il faisait aussi noir.
Bien entendu il ne doutait pas devoir assumer certaines conséquences. Il savait qu’on n’avait rien sans rien à Grayson. C’était un donné pour un rendu. On risquait même de le lui rendre au centuple, mais tant pis. Les choses s’étaient faites ainsi et il était de toute façon trop tard pour revenir en arrière.

En un sens, William sentait qu’il avait désormais franchi une étape. Aussi bien dans sa relation avec les frères Donnelly que par rapport à ses récentes décisions vis-à-vis du village. Depuis longtemps il rêvait secrètement de mettre un terme à tout cela. Ce soir, il avait posé la première pierre de ce projet des plus risqués. Le Maire avait dépassé la frontière, et peu importe ce qui l’attendait à l’autre bout du chemin, il avait embarqué les Donnelly avec lui.
Et puisqu’il y avait un diable, sûrement, et il priait pour cela, y avait t’il aussi un Dieu. Il priait également pour que celui-ci lui pardonne, lorsque viendrait le temps du jugement.

« M’entretenir avec Aidan était déjà sur ma liste des choses à faire dès demain matin. Après tout, lorsqu’il est à la ferme, il a les mains et l’esprit occupé et il n’est jamais seul bien longtemps. C’est, je pense, ce qu’il y a de mieux pour lui en ce moment »

Ou une façon plus douce de dire qu’il était ainsi plus commode pour tous de le garder éloigner des ennuis. Ennuis dont le nom de famille débutaient par un R.

« Quant à Miss Pryde et le reste, je suis certain que vous prendrez les bonnes décisions » commenta sobrement l’aîné.

Qu’il aille s’excuser ou pas, l’important était surtout qu’il ait compris le message. Le message étant qu’ils devaient absolument garder profile bas. Voir plus bas que terre. Les choses avaient déjà dégénéré à l’épicerie, William savait que ce qui s’y était passé était un avertissement. Un avertissement déjà bien sévère, qui sait ce que pourrait donner le prochain ? Heureusement, personne ou presque n’avait été blessé. Pas grièvement en tout cas. Une fois de plus William priait pour que rien ne change.
Car ce qui lui faisait le plus peur dans cet étrange affrontement à venir, c’était que quelqu’un, ou pire, plusieurs personnes ne le payent de leurs vies. Une petite voix tout au fond de lui, lui soufflait que cela ne serait certainement pas possible. Il s’efforçait de la faire taire, en prétendant ne pas l’entendre.

Mais si les choses arrivaient à se calmer, alors peut-être pourrait-il enfin aiguiller les quatre frères sur le chemin qui menaient aux réponses.

Aahron acquiesça aux remarques de William et un silence un peu gêné s’installa entre les deux hommes. Ils avaient fait le tour de ce qu’ils avaient à se dire ou du moins, de ce qu’ils pouvaient se dire au milieu du parc bondé de Grayson. Ca au moins, Aahron avait finit par le comprendre.
L’ouvrier voulu s’occuper en enfournant une plâtrée de pates mais se retint de justesse. Ce n’était certainement pas la chose la plus polie à faire… Le mieux pour lui, c’était encore de disparaître. Mieux valait de toute façon qu’il s’échappe tant qu’il était en bons termes avec William, les choses ayant tendances à dégénérées trop facilement ici…

« Je suis certain que vous n’aurez pas à beaucoup argumenter pour qu’il accepte de revenir » ajouta-t-il après un moment « J’ai l’impression que mon frère vous aime bien. Vous ou votre fille »

Voilà, c’était de ce genre de remarque qu’il avait prévu d’éviter en fuyant… Trop tard.
Aahron se racla nerveusement la gorge, adressant un sourire grimaçant à son interlocuteur qui restait inexpressif mais n’en pensait certainement pas moins.
Cela dit, il devait bien se douter de quelque chose. Après tout, Casey et Aidan étaient jeunes, la saison des amours était entamée et une piscine venait d’ouvrir dans le village. Tous les ingrédients étaient réunis pour qu’avant la fin de l’été, Aidan imite Samuel et se dégotte une petite amie.
Restait à savoir si cette idée serait appréciée ou non par le maire.
Mais c’était une autre histoire.

« Je vais vous laisser… » reprit l’ainé des frères Donnelly en levant son assiette de pates pour se trouver une excuse « Bonne soirée et... à bientôt »

Dans un dernier raclement de gorge, il tendit sa main libre vers le maire qui la lui serra brièvement. Le côté solennel avait été un peu effrité par sa remarque mais en un sens, c’était mieux comme cela. La conversation qu’ils venaient d’avoir avait mis Aahron mal à l’aise et, même s’il comptait en parler aux autres, pour le moment il préférait oublier tout cela.
Et peu à peu, tandis qu’il s’éloignait du maire, ses pensées se tournèrent à nouveau vers ses frères et ses inquiétudes. Il repéra rapidement Isaac et Allie, toujours au même endroit et consulta son téléphone pour s’assurer qu’Aidan n’avait pas tenté de le joindre. Il lui passerait sûrement un coup de fil dans la soirée, mais c’était sans doute un peu prématuré pour le moment et son adolescent de frère lui reprocherait de le fliquer.

Le regard clair d’Aahron se porta à nouveau sur l’assemblée, à la recherche de Sam cette fois. Et après quelques longues secondes, ne l’ayant toujours pas repéré, l’ouvrier laissa un pli soucieux barrer son front alors que ses sourcils se fronçaient d’inquiétude.
Où avait-il encore été se fourrer celui-ci ?

Cette habitude qu’avait pris William de discutailler avec Aahron Donnelly au cours des séances de cinéma plein air n’était pas du goût de Nathaniel. Cela dit ce soir, rien ne semblait réellement pouvoir l’atteindre ou le contrarier, pas même l’arrivée des frères à leur petite sauterie. Il l’avait prévue de toute manière. Se cacher n’était pas le genre de ces maudits irlandais qui se pensaient tout permis.
Sa bonne humeur avait été renforcée par la constatation de l’absence d’Aidan, le petit dernier de cette bande d’infâmes trous du cul. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes et il ne voyait à présent aucune raison que son plan ne fonctionne pas.
Lucy l’avait mis en garde, lui répétant qu’il ne devait en aucun cas se reposer sur ses lauriers et s’imaginer que la chose était acquise. Mais Nath était confiant. Après tout, il avait tout prévu et pouvait se le permettre…

Le garagiste confia un ballon à l’enfant auquel il faisait face puis passer une main dans ses cheveux bouclés, lui souriant avec une bonne humeur non feinte. Les parents entrainèrent le gosse ravi avec eux et, à présent seul, Nathaniel s’autorisa un nouveau regard en direction du maire.
Ce dernier venait d’être délaissée par son amant ouvrier et le garagiste su qu’il devait saisir cette chance de l’approcher. Pendant ce genre de soirées, ce cher William Ferguson était souvent occupé et harcelé par toutes les vieilles du coin qui tenaient à le féliciter de vive voix pour blablabla. Nathaniel espérait le voir mourir d’ennuyer, malheureusement, son con de voisin semblait aimer tout cela.

Chassant ces pensées, Nath pressa le pas pour rejoindre le maire qui lui tournait le dos. Un large sourire mutin aux lèvres, il s’approcha et vint soudain apposer ses deux mains sur les épaules de l’homme qui sursauta.
Ne lui permettant pas de se retourner, Nathaniel se colla dans son dos pour lui chuchoter quelques mots à l’oreille.

« Il fut un temps où l’on vous aurait tondu et pendu pour avoir ainsi converser avec l’ennemi, Willy »

Le maire se dégagea de son étreinte d’un geste rageur puis lui fit face. Nathaniel éclata d’un rire moqueur, savourant déjà sa victoire. Ce grand niai ne le savait pas encore, mais ses beaux plans d’évacuation des eaux usées (des Donnelly) allait être déjoué.
Nath avait gagné. Il n’y avait même jamais vraiment eu de jeu en fin de compte.
Ils voulaient tous nier l’évidence mais c’était lui qui était au contrôle, lui qui tenait les rênes à Grayson…

« Pitié, ne me frappez pas, Monsieur le maire, c’était une simple plaisanterie » fit-il mine de se défendre, les mains levée « La dernière chose dont ce village a besoin, c’est d’une bagarre dans ses rues ! Enfin…une autre bagarre, si vous voyez ce que je veux dire… » ajouta-t-il en désignant son visage meurtri par le coups que lui avaient porté cet imbécile d’Aidan

Rien ne pouvait entacher l’allégresse du garagiste, à une exception près. L’exception qui venait toujours tout salir et assombrir son humeur. Et William venait de tirer cette carte de sa manche comme le tricheur qu’il était… C’était affreusement déloyal et Nathaniel allait devoir le faire payer à présent.
Le trentenaire se débarrassa immédiatement de son sourire taquin pour arborer une expression menaçante et chargée de haine. Une expression qu’il ne s’autorisait que rarement à employer puisqu’elle l’obligeait à faire tomber ce masque qui lui collait à la peau depuis si longtemps.

Comment osait-il ? Comment ce petit connard de bouseux osait-il parler de sa mère ou de son enfance ? S’i l’un d’eux devait être jugé, c’était William, pas lui ! William et son apparente petite famille parfaite qui était à gerber ! Joshua lui avait raconté. Joshua lui avait raconté tout un tas de choses… Parce que le fils du maire lui faisait confiance, bien plus qu’à son propre père.
Avant de s’attaquer à sa famille, il devrait examiner la sienne d’un peu plus près et retirer ses œillères.

Oh oui, son charmant paternel avait voulu les aider et passer à l’acte, mais Nath l’en avait dissuadé et pas de la manière la plus douce.
Il pouvait gérer sa famille. C’était ce qu’il lui avait dit. Personne ne touchait à sa famille sans qu’il en ait donné l’occasion et cet enfoiré de maire avait fini par le comprendre. Nathaniel s’en était assuré…
Et en un sens, ça avait été vrai longtemps. Il avait su protéger son frère et sa mère en faisant diversion. Il avait même quelques fois défendu Logan et l’avait malheureusement parfois enfoncé un peu plus aussi sans l’vouloir.
Et après de très longues années, son attardé de père avait compris son petit manège. Alors il avait changé de tactique, se contentant de lui promettre une raclée quand il en aurait terminé avec les autres. Il avait même quelques fois frappé sa mère pour le punir lui et l’atteindre plus durement qu’avec ses poings.
Alors Nath avait dû passer à la vitesse supérieure et commencer à attaquer à son tour. Et ça avait marché pendant un temps, son vieux c’était calmé pour ne pas se faire calmer. Mais les vieilles habitudes ont la vie dure et Jon s’y était remis de plus belle.
Alors le garagiste avait été obligé d’aller plus loin encore. Mais il ne l’avait pas fait seul cette fois, on l’avait aidé. Et la demande était venue de lui… Cela dit, ce n’était pas vers le maire qu’il s’était tourné pour l’obtenir…
Et puis son père était mort. En réponse à ses prières.
Sauf que sa mère était morte aussi. Ca avait été le prix à payer pour se débarrasser de ce connard. UN prix un peu trop élevé selon Nath, mais il n’était pas celui qui fixait les règles à cette époque et c’était fait avoir comme un bleu.
Aujourd’hui, les choses étaient différentes et plus personne ne l’aurait. Surtout pas ce connard de William.

« Ecoute moi bien, petite merde » cracha haineusement le garagiste, parlant assez bas pour que Will soit el seul à l’entendre « Je t’ai à l’œil. Et si je te vois faire le moindre faux pas, tu ne seras pas le seul à payer, je me suis fait comprendre ? Parce que contrairement à tous les autres, je ne suis pas dupe… Tu peux te persuader que je n’ai pas le pouvoir de te faire souffrir, mais tu te tromperais lourdement. Moi aussi j’ai cherché une solution pour me débarrasser de mon père, et j’en ai trouvé une, figure-toi… Mais j’ai obtenu de l’aide et je pense que tu sais exactement à qui je fais référence » ajouta-t-il, son regard brillant d’un éclat fiévreux alors qu’un sourire tremblant d’une excitation malsaine venait étirer ses lèvres « Jusque là je t’ai laissé le bénéfice du doute. Mais parle encore une seule fois de ma mère, tente de me ridiculiser comme tu l’as fais lors de notre dernière réunion ou regarde moi simplement de travers, William, et alors je lui parlerai de ce que tu fais. Je lui parlerai de tes grandes idées de mettre en confiance ces quatre rats et la trainée qui les accompagnes… Et alors tu sais ce qu’il fera ? Je serai toi mon petit Willy, au lieu de m’intéresser à la famille des autres, je m’intéresserai tout particulièrement à la mienne… Et au cas où la formulation ne serait pas assez claire : oui, Will,… c’est une menace. Mais contrairement à toi, j’ai les couilles de mettre mes plans à exécution »

Et avant que le maire ait pu répliquer, Nathaniel se détourna d’un pas vif et s’éloigna sans demander son reste. Il se sentait à la fois furieux et exalté. A la fois en colère et soulagé.
William l’avait cherché, l’avait trouvé et il avait pu vider la pochette latérale de son sac bien rempli. C’était peu, mais c’était déjà largement suffisant pour illuminer cette soirée qui promettait de s’annoncer merveilleuse…
Alors qu’il s’était éloigné de plusieurs bons mètres, une main le harponna soudainement, l’obligeant à faire volte face. L’espace d’une seconde, Nath s’imagina que William avait enfin fait pousser une paire de burnes entre ses deux jambes osseuses, mais il réalisé rapidement qu’il ne s’agissait que de Lucy, son petit bout de femme.
Son visage était tendu et la colère transpirait par tous les pores de sa peau.

« Nathaniel, Wilmott Redd ! Qu’est-ce que tu as été dire au maire !? » gronda-t-elle à voix basse, jetant des regards autour d’elle pour s’assurer que personne ne prêterait attention à leur échange « Et n’essaie pas de me cacher quoi que ce soit, je le verrai ! Le mensonge est un péché ! »

Mais Nath n’avait absolument pas l’intention de lui mentir. Pas sur cette conversation du moins...