« Ah tu vois ? Je te l’avais bien dis Gladys, c’est l’fils le coupable tu vois ? Regarde, la police l’arrête »
« C’est vrai » confirma Charlie d’un ton lointain, ses yeux noisettes rivés sur le reflet qui lui renvoyait le miroir plein pied qui trônait à l’entrée du salon de la maison.
« Ils vont l’interroger maintenant. Je trouve qu’il a une sale tête. Hm, ah voilà ils sont dans la voiture, tu vois ? »
«Oui oui » assura la jeune femme en se tournant de trois quart pour jeter un coup d’œil à ses fesses moulées d’un jean dans le miroir.
« Tiens, j’avais raison, ils l’interrogent maintenant… Il va finir en prison… Ah voilà ils lui montrent quelque chose, ce sont sans doute des preuves, là, tu as vu ? Ce sont des feuilles. Il les lui montre, tu vois ? »
« Oui je vois »

Elle voyait surtout que son petit haut orange jurait un peu avec la couleur de ses bottines. Elle n’avait pas envie de changer de chaussure alors ça voulait dire qu’elle allait devoir changer de tee-shirt. D’un geste vif, elle le fit donc passer par-dessus sa tête et le jeta sur le divan inoccupé pour enfiler celui qui attendait sagement son tour d’essayage sur l’accoudoir.

« Ooohhh, regarde-le ! Regarde ! Ils se battent. Tu as vu le coup qu’il vient de lui mettre ? Il est coupable c’est sûr. Maintenant il demande son avocat… rohlalala » continua de radoter Louise, tassée dans son fauteuil juste en face du téléviseur.

L’engin diffusait d’ailleurs un vieil épisode des Experts et comme souvent, Louise allait passer sa soirée à commenter absolument chaque réplique et les moindre fait et gestes des héros. Elle n’écoutait même pas vraiment ce qui se disait et ne portait qu’un très faible intérêt à l’histoire. Elle préférait s’inventer la sienne, tout haut, bien fort, sans interruption et en la prenant systématiquement à témoin, qu’elle soit là ou pas d’ailleurs… Insupportable.
Mais Charlie s’y était fait, ça avait tout de même le don de mettre n’importe qui d’autre mal à l’aise. Que louise soit seule ou pas, elle ne l’était jamais totalement. Pas dans sa tête en tout cas, toujours plongée qu’elle était dans quelques souvenirs morcelés qui se superposaient aléatoirement à la réalité.

Mais ce soir l’ambiance était calme comparée à d’habitude. Pas qu’elle soit hystérique ! Loin de là, juste qu’elle avait encore pas mal d’énergie, physiquement parlant, et surtout, quelques éclaires de lucidité parfois. L’été qui battait son plein les lui avaient volés. De plus elle semblait sans cesse essoufflée, épuisée, ne mangeait guère et ne buvait pas assez. Et si Charlie n’était pas derrière elle pour l’obliger à prendre son traitement, elle l’oubliait systématiquement, chose qui n’arrivait pas avant. Mis à part la tenir hydrater et surveiller ses prises de médicaments, Charlie ne pouvait pas faire grand-chose et sentait la frustration monter jour après jour. Du coup, même si une certaine culpabilité latente venait la titiller, elle avait également besoin de s’éclipser ailleurs et de prendre l’air de temps en temps. Elle n’osait plus vraiment disparaitre trop longtemps et la laisser seule une nuit complète, alors une soirée chez son petit ami c’était tout ce qu’elle s’autoriserait pour l’instant.

Satisfaite de la silhouette que lui renvoyait son reflet, elle vérifia ses cheveux, renonça à se barbouiller de maquillage tant il faisait lourd et moite, puis se tourna enfin vers sa grand-mère, qui continuait de commenter son feuilleton avec un intérêt constant.

« Tu as pris tes médicaments ? » l’interrompit Charlie en venant vérifier elle-même le petit plateau repas posé juste à côté de la vieille femme « Cool. Fini ton verre d’eau d’accord ? »
« C’est quand même ahurissant ces manières. Regarde comme il lui prend le bras ? Alors qu’elle n’a rien fait cette demoiselle, elle vient d’arriver je ne sais pas qui c’est ! »
« Oui. Je reviens dans deux ou trois heures d’accord ? Je vais voir Sam »
« Elle est d’origine étrangère il me semble, elle a des gros sourcils je trouve. Je trouve ça particulièrement disgracieux chez une femme les gros sourcils, hm ? Oui, peut-être mexicaine »
« Bon à ce soir » soupira Charlie, roulant des yeux discrètement.

Elle se détourna rapidement, agrippa son sac et le cala sur son épaule avant d’agripper ses clés et de sortir de là. Elle ferma la porte un peu sèchement et, clenche toujours en main, poussa un long soupir entre grognement hystérique et cris de soulagement.
Elle assumait ses devoirs de petites-filles et prendrait soin de Louise aussi longtemps qu’il le faudrait mais, Bon Dieu, quelle plaie !! L’entendre radoter à longueur de temps lui fatiguait le crâne et l’esprit et chaque seconde passée à l’extérieur valait mieux qu’une sieste pour se reposer.

Se détournant enfin, elle prit une longue inspiration et gratifia les alentours d’un long regard circulaire. Personnes ni dans les rues ni dans les coquets jardins de ses voisins, et au loin, un ciel sanguine de soleil couchant.
D’un pas pressé, elle dévala l’allée de son propre jardin puis avala les quelques petites dizaines de mètres de trottoir qui la séparait de Sam. Et plus elle avançait plus elle se sentait légère.

Une fois devant la porte de la maison, elle frappa trois coups, patienta deux secondes juste histoire de dire, puis ouvrit la porte d’elle-même. Il lui tardait de se relaxer un peu et de penser à autre chose que sa grand-mère, la chaleur et son Alzheimer.

« Y’a quelqu’uuun ? Sam ? T’es là ? » héla-t-elle en pointant déjà du nez dans le salon.

Tranquille pour la soirée ? Sérieusement ? C’est presque trop beau pour être vrai tant la chose se faisait rare dans cette maison. Pas facile en même temps d’être jamais seul avec trois frères et une belle sœur dans les environs. Délocalisés, sans boulots et sans vrais amis dans le village ou alentours, autant dire qu’ils passaient tous le plus clair de leur temps là, les uns sur les autres. Et attendre qu’ils soient tous couchés n’étaient pas valable non plus puisque l’aîné dormait sur le divan du salon.
En bref il y avait toujours quelqu’un dans le coin, et lorsqu’il s’agissait d’Aidan il ne les lâchait pas puisque lui et elle s’entendaient bien. Charlie ne s’en plaignait jamais car elle savait que leur présence ici était difficile pour lui et qu’il traversait une période plutôt rude, n’empêche qu’avoir une peu d’intimité lui faisait du bien pour une fois.

Oui bien entendu, il y avait chez elle, et ils y étaient tout de même plus tranquilles d’ici. Le seul souci restait Louise et plus les jours passaient plus sa présence se faisait encombrantes à cause de ses problèmes de santés. Alors mêmes si avoir un moment privilégié à deux était plus simple dans sa maison à elle, la jeune caissière appréciait tout de même de sortir de ses quatre murs et de voir un peu un autre décor que celui au quel elle avait droit tous les jours.

Encore que là, … à choisir, elle aurait préféré que son petit ami et sa famille choisissent une autre maison de Grayson où s’établir. Bon, ok il n’y en n’avait pas vraiment d’autre. Pour la simple et bonne raison qu’absolument personne ne voulait de celle-ci ! Déjà elle était vieille et même si les frères y avaient fait quelques menus travaux pour essayer d’améliorer la chose, c’était loin d’être ça. Ensuite, sa réputation carrément macabre avait bercé son enfance et elle avait singulièrement du mal à se détacher des histoires qui se racontait sur elle. L’histoire de Francis Mercer et des meurtres à la hache lui avait été racontée tellement de fois et de tellement de manières différentes qu’elle avait presque l’impression que cette bâtisse avait une personnalité propre. Comme une entité un peu bizarre et malsaine. Le fait que cette maison là se trouve deux portes plus loin par rapport à la sienne ne l’avait jamais rassurée, maintenant qu’elle était contraire d’y trouver refuge pour profiter d’un minuscule répit, c’était toujours avec un petit brin d’angoisse.

Ses bras fin autour des hanches du jeune homme, elle lui répondit cela dit d’un sourire contenter. Loin d’elle l’idée de faire la fine bouche, elle prenait ce qu’on lui offrait sans se plaindre !

« J’ai dis à Louise que je rentrais dans deux ou trois heures. Mais ça peut être trois ou quatre » concéda-t-elle d’un œil malicieux.

Puis d’un bref baisé sur ses lèvres, levées sur la pointe des pieds, elle se détourna pour poser son gilet et son sac sur une chaise.

« Pff j’en ai marre, y’a vraiment pas d’air » soupira-t-elle en s’éventant distraitement « Au fait, ton frère et Allie sont rentrés non ? Pff qu’est-ce que je ne donnerai pas pour me casser pendant dix jours comme ça. Si y’avait pas le boulot et ma grand-mère j’crois que j’irai faire un tour au Canada, genre Vancouver ou un truc comme ça. Tu m’diras ça m’avait jamais arrêté avant » remarqua-t-elle soudain en levant les yeux au plafond d’un air méditatif « ‘faut croire que j’deviens quelqu’un de raisonnable et d’chiant »

Elle esquissa une grimasse blasée et fit mine de s’enfoncer deux doigts dans la gorge pour vomir, puis revint au sourire avant de passer ses deux mains autour de l’avant bras musclé du jeune homme et de placer son menton sur son épaule.

« Bon, qu’est-ce qu’on fait belle blonde ? » lança-t-elle d’une voix de crooner, sourcil séducteur arqué.

Eh bien dis donc, quelle bonne pioche cette fois-ci ! Quand Dakota disait « tu devrais plutôt discuter avec Sam », elle ne rigolait pas, c’était carrément Dieu qui le lui avait soufflé !
Avec Sam non plus ça ne rigolait pas. Deux poids deux mesures ? Connait pas chez Donnelly. Tout ou rien, c’est tout c’que t’auras ! Voilà comment ça se passait dans cette maison.
Pas qu’elle se plaigne évidemment ! Ca aurait été gonflé de sa part c’était certains. Elle ne faisait que constater le contraste.

Quant à l’histoire en elle-même, pour Charlie qui était tout en sensations, ça avait d’abord été une sourde appréhension et un léger poids dans l’estomac. Puis un nœud dans la gorge. Un nœud de peur d’abord, puis au fur et à mesure, une espèce d’excitation.
Ca n’était pas non plus que la nouvelle la mettait de bonne humeur loin de là, plutôt cette espèce de sensation grisante, enivrante, de soulever un coin de cet immense voile de Mystère. Pas simplement celui de Grayson. Celui du monde en général ! Un monde où il n’y avait de place pour la magie et l’inexplicable qu’à la télévision entre deux pubs. Tout le monde savait ce qu’était un fantôme, un loup garou, un vampire, on en faisait même des héros ! Mais qui pouvait réellement affirmer savoir ? Savoir pour du VRAI.

Elle n’étalait pas son mysticisme à tout va, mais ça ne l’empêchait pas de l’être. A fréquenter Colleen et sa mère le temps d’une vie, voilà ce dont on écopait ! Elles avaient vu le Seigneurs des Anneaux un bon milliard de fois et avaient essayés d’apprendre le Klingon, et petites, elles étaient partie à la chasse au Leprechaun quand d’autres enfants chassaient la grenouille. Et puis évidemment, elles lisaient leurs horoscopes, se tiraient les cartes autour d’un joint, et puis il arrivait à Charlie de prier. Vraiment prier pour Dieu ! En bref, ça avait toujours été leur monde de rêve, de fantasmes.
Et même si cette histoire lui arrachait de violents frissons de craintes, elle ne pouvait s’empêcher de songer que c’était tout de même comme un rêve qui devenait réalité. Une grande aventure, une quête, comme dans les comtes de fées. Elle avait même droit au Prince Charmant.

Le quitter maintenant ? Il était totalement fou ! C’était sans hésitation la chose la plus intéressante qui lui était jamais arrivé de toute sa vie ! Alors même si elle avait une peur bleue de savoir, elle avait également une peur bleue de passer à côté.
Elle n’allait pas passer à côté.

« Sam, si jamais tu me demandais d’t’faire un bébé, j’envisagerai éventuellement de me faire la malle, mais je pense que j’peux vivre avec une cave mystérieuse et une séance de spiritisme ratée »

Puis elle plaqua une main sur sa bouche pour étouffer un rire un rien nerveux.

« Pendant un moment j’ai eu envie de t’faire peur, de prendre mon sac avec une tête d’enterrement et de faire semblant de partir. Ca aurait vraiment été méchant » avoua-t-elle d’un ton d’excuse attendrie en posant ses deux mains sur ses joues pour l’attirer à lui et lui voler un gros bécot « Aidan va bien ? » s’enquit-elle en premier lieu.

Et elle en avait des questions, des milliards ! M’enfin la santé d’abord, et elle avait aussi besoin de quelques secondes pour digérer. Elle le prenait avec le sourire mais le nœud dans sa gorge restait indélogeable.

Alors comme ça il venait de lui confier quelque chose dont Julie et Allie ne savaient rien ? Charlie avait presque du mal à y croire ! Voilà qui était un revirement de situation tout à fait inespéré. Enfin non ! Au contraire ! Elle l’avait grandement espéré, elle n’avait même espéré que ça pendant un moment. Et maintenant c’était fait, c’était vrai.

Et pour tout dire ça faisait une drôle d’impression. Elle avait presque oublié l’effet que ça pouvait faire de voir quelque chose qu’on veut vraiment arriver pour de bon. Elle avait oublié la satisfaction qu’on en éprouve, ce plaisir de constater qu’enfin la chance nous sourit un peu. Et puis ce flottement agréable au creux de son estomac. De la gratitude. Envers Sam déjà, mais aussi en général.

En bref, elle était toujours aux prises entre deux tendances opposées. Une appréhension pour le concret mais du plaisir pour l’abstrait. Elle aimait le fait qu’il lui parle enfin, mais pas vraiment ce qu’il avait à dire. Ca n’était pas si cher payé pour la satisfaction d’enfin se sentir réellement complice, intégrée, si pas avec tous les Donnelly, avec Sam au moins. Elle ne demandait pas plus. Pas maintenant du moins. Chaque chose en son temps et chaque étapes l’une après l’autre.
Elle aimait en tout cas se sentir privilégiée, le fait qu’il lui fasse assez confiance pour qu’ils aient leur secret.

D’un hochement de tête et d’un petit sourire rassurant, la jeune femme lui promis muettement de ne divulguer à personne ce qu’il venait de lui confier. Et elle était bien trop contente d’obtenir enfin ce qu’elle voulait de lui pour risquer de tout bousiller en jouant les commères. Ca n’était de toute manière pas son style et surtout, surtout, elle n’avait de toute manière personne à qui le raconter. Ca résolvait pas mal le problème.

« Un spécialiste ? ... C-comment ça ? » répéta-t-elle avec des yeux ronds.

Comme ils venaient de parler d’évènements inexplicables, elle se demandait vraiment ce qu’il voulait dire par « spécialiste » ! C’était mystérieux et elle ne put pas s’empêcher d’essayer d’en savoir encore un peu plus.

« Tu parles… d’un genre d’exorciste ? Un prêtre ou quelque chose du style ?! » d’un ton effaré.

Si c’était le cas alors ils n’y allaient pas de mains mortes !
Mais en même temps quel genre de spécialiste pouvait-on bien appeler dans ce genre de situation ? Ca n’était pas comme si ce genre d’infos était disponible dans le bottin !
Quoi que si en fait, c’était carrément disponible dans le bottin. Y’avait tout un tas de voyants ou de magnétiseurs qui y faisaient leur pub. Mais comment savoir qui étai un charlatan et qui était un type sérieux ? Quelqu’un qui possédait un vrai don n’allait tout de même pas l’étaler dans le bottin… si ?

Charlie trouvait leur décision un rien étrange. Pourquoi demander de l’aide à un psychologue ou un hypnotiseur ? C’étaient effectivement des spécialistes, mais leurs spécialisations respectives ne collaient absolument pas avec le problème qu’ils avaient sur les bras.

Ils ne savaient même pas encore vraiment quel était le problème justement, alors comment savoir vers qui se tourner ? Et en même temps, s’ils ne demandaient de l’aide à personne ils ne risquaient pas de comprendre ce qui leur tombait dessus. Un cercle plutôt vicieux. Du coup, Charlie se garda d’émettre la moindre critique et se contenta d’acquiescer. Elle-même ignorait totalement comment on pouvait gérer une situation telle que celle-là et se félicitait presque d’en n’être qu’une actrice extérieur.

Peut-être aussi qu’elle ressentait les choses comme ça parce qu’elle venait tout juste d’être mise au courant et se prenait tout d’un seul coup dans la face. Elle se remettait à peine de cette histoire d’empoisonnement et l’angoisse qu’elle avait ressentit la taraudait encore. Comment faisaient-ils pour encaisser un nouvel évènement de ce genre quasiment coup sur coup ? C’était sans doute l’avantage de pouvoir partager son fardeau avec la famille. Ils étaient cinq dans cette maison, et selon Charlie c’était certainement ça qui faisait toute la différence, et leur force par la même occasion. Une force qu’elle jalousait toujours un peu secrètement.

La jeune caissière retrouva le sourire et acquiesça vivement. Et comment qu’il pouvait venir dormir avec elle ce soir !

« Bien sûr » sourit-elle doucement en quittant son propre siège pour venir rejoindre le jeune homme près de l’évier.

Elle passa ses bras autour de son torse et l’observa quelques instants. Elle le sentait nerveux.
Quelle étrange famille tout de même ces Donnelly…

« Je te cuisinerai quelque chose de bon. C’que tu veux » assura Charlie qui savait qu’ici, les cuisinières de qualité ne faisaient pas légion…

Mais d’un petit froncement de sourcil, elle laissa son sourire s’envoler et revint sur le sujet précédent, juste pour un dernier détail, une dernière question qui la turlupinait.

« Juste une dernière chose : y’avait qui durant cette… cette réunion de spiritisme exactement ? C’était qui le type à qui Aidan à dit des trucs étranges ? »

Elle connaissait tout le monde au village, et des jeunes ils n’y en n’avaient pas cinquante ! Elle devait forcément connaître ceux et celles qui s’étaient retrouvés là-bas ce soir-là.

Elle lui aurait bien répliqué quelque chose du genre « comment ça passer par l’estomac pour atteindre le cœur ? Il me semblait que je l’avais déjà atteint moi ton cœur… », elle avait même ouvert la bouche pour se lancer et le dire, avant de renoncer au tout dernier moment faute de cran. Et puis surtout c’était chercher la petite bête là où il n’y avait guère raison de la chercher. C’était juste ses propres angoisses et sa propre vision de la chose qu’elle voyait se refléter partout et dans chaque phrase, presque comme si elle cherchait après une confirmation de ce qu’elle n’avait pourtant absolument pas envie de se voir confirmer.

Un petit peu maso comme manière de penser. Typiquement et tristement féminin aussi, elle s’en rendait bien compte et se félicita donc de s’être interrompue juste à temps. Pas besoin de mettre le feu aux poudres lorsque tout le reste du village se chargeait déjà de la besogne…

Heureusement il enchaina pour répondre à sa dernière question. Pas très explicite comme réponse d’ailleurs, et elle plissa le nez d’un air méditatif. Les yeux en l’air, elle réfléchi quelques instants à l’identité du jeune homme en question mais rendit les armes presque immédiatement. C’était trop flou pour qu’elle détermine de qui il s’agissait.

« Un gamin qui ne vie pas à Grayson et dont le père est décédé… pff j’vois pas » dit-elle d’un petit haussement d’épaule « Mais quoi c’est tout ? Aidan, Julie et ce garçon ? J’ai cru comprendre qu’il y avait tout un groupe. A Grayson, des jeunes de l’âge de Aidan il doit y en avoir cinq ou six, pas plus. Il traine souvent avec les jumeaux du Maire ça j’le sais, mais j’les vois vraiment mal sortir en pleine nuit pour une séance de spiritisme. C’est un peu une famille de coincés tu vois l’genre ? » lui confia-t-elle d’un hochement de tête presque résigné.

Tous les deux très discrets, rarement vu en dehors de leur ranch et rarement très causant une fois sortit de leur ferme. Charlie les voyait mal crapahuter dans un endroit interdit pour aller prier les morts. M’enfin en même temps, depuis quelques semaines, le petit équilibre de Grayson était complètement rompu et toutes leurs si vieilles habitudes de petit village perdu se retrouvaient sans dessus dessous. C’était terriblement déstabilisant pour tout le monde, presque palpable dans l’air, une espèce d’aura troublée. Pourtant, au fond, et les affreuses histoires d’empoisonnements terrifiant mises à part, la chose plaisait presque à la jeune caissière.

Elle qui avait tant espéré que quelque chose lui arrive un jour, aujourd’hui elle était servie. « Careful what you wish for », un adage bien connu qui prenait soudainement tout son sens cet été…

Charlie continua d’être sceptique quelques instants concernant les jumeaux mais finit par se rendre à l’évidence qu’il disait la vérité. C’est vrai qu’elle ne les connaissait pas tant que ça m’enfin vraiment, vraiment, elle les voyait mal sortir en pleine nuit pour ce genre de plan complètement foireux. Décidemment c’était le monde à l’envers en ce moment, plus rien n’avait l’air de tourner rond, elle avait l’impression de perdre tous ses repaires et c’était déstabilisants.

Mais bref, Charlie voyait enfin de qui il parlait maintenant. Un jeune garçon de l’âge d’Aidan, qui ne vie pas à Grayson et dont le père est décédé, c’était le fils Browning, qui avait effectivement une copine à la crinière rouge et à la réputation de lolita.

La jeune caissière avait déjà croisé la mère du jeune garçon à plusieurs reprises et tout le monde avait déjà entendu parler du suicide de son mari. C’était l’une de ces histoires un p’tit peu glauque que les vieilles adoraient remettre sur le tapis épisodiquement. Un peu comme l’histoire de la femme du shérif, et dans la même lignée que la maison où ils se trouvaient actuellement et celle des Black à l’autre bout du village. C’était là tout le folklore local en quelque sorte… jamais très joyeux.

« Donc Aidan, Julie, Casey Ferguson et son frère jumeau, Suzanna Spelling, et … Gregory Browning ? Non Demitri. Demitri Browning. La rousse je n’sais plus trop comment elle s’appelle mais je sais que c’est la petite sœur d’une fille du village. Ils vivent là, dans la rue. Trois maisons après la mienne. Je l’ai croisée l’autre jour. La sœur, pas la rousse. Enfin bref. Moi on m’a dit que ce sont des ados à problème. J’crois qu’il vaudrait mieux qu’Aidan évite de trainer avec eux deux à l’avenir. J’suis pas trop du genre à écouter les ragots de l’épicerie mais j’dois avouer que cette fois-ci ça se vérifie un peu. C’est déjà eux deux qui ont édités le journal. Tu vois d’quel journal je parle » expliqua la jeune femme d’un regard entendu.

C’était donc pour les beaux yeux de ces deux ados un peu turbulent qu’Aidan lui avait piqué une photo de Colleen sans sa permission pour la publier dans leur feuille de choux. Ca n’était pas qu’ils étaient fâchés, pour cause : ils ne s’étaient même pas disputés. C’était juste une espèce de froid jeté sur la relation. Ca n’était qu’un nuage au milieu d’un ciel bleu (oui, enfin…fallait l’dire vite quand même), n’empêche qu’elle regrettait un peu la tournure des évènements et que ce Demitri et sa copine n’y étaient pas pour rien.
C’était peut-être deux jeunes sympas au fond, mais jusque là ils ne leurs avaient vraiment pas portés chance…
L’instant d’après elle se mettait tout de même à pouffer d’un air attendrit.

« Boh regardez-moi ça cette grosse tête de chat soucieux ! J’te torture avec mes questions hein ? Ca se voit comme la truffe au milieu d’la figure ! » s’exclama-t-elle en se hissant bien haut sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur le nez du grand blond.

Détourner la conversation pour du sexe ? Quel idiot, jamais elle ne lui aurait reproché un truc pareil puisqu’au final c’était elle qui avait dévié la conversation pour du sexe. Du sexe qu’il n’obtiendrait définitivement plus avant ce soir, parce que ça lui servirai de leçon à l’avenir et qu’avec de la chance il se montrerait plus attentif aux opportunités qui se présentent à lui !

Cela dit, le plus frustré des deux c’était certainement lui dans cette histoire. Elle-même appréciait tout autant qu’il la tienne dans ses bras en lui parlant d’autre chose que de ses frères pour changer, qu’une puissante partie de jambe en l’air dans un endroit exposé et instable. Elle préférait largement qu’il lui parle d’elle, de lui, ou d’eux deux, ou de quelque chose d’autre à la limite. Mais pas de ses frères, ils étaient déjà tout le temps là, dans toutes les bouches, dans toutes les têtes, c’était comme sortir avec les quatre en même temps au final ! Non les cinq en fait, elle sortait aussi avec Allie du coup…

Si le seul moyen de l’avoir rien que pour elle c’était de le laisser investir ses petites cuisses fermes à même l’évier de la cuisine, avec le risque que l’un de ses gros balourds de frères ne les surprennes culottes baissées, alors cas cela ne tienne ! Elle était prête à le faire, ou tout du moins à le lui faire miroiter pour détourner son attention. Ce qui avait fonctionné à première vue.
Au lieu de lui causer de l’un de ses frères il lui parlait effectivement d’elle en des termes très, vraiment très hautement poétiques. Mais une poésie unique en son genre, d’un courant artistique particulièrement atypique…

Elle laissa sa tête se renverser en arrière quelques secondes, le nez plissé d’un fou rire qui dessinait de petites pates d’oies au coin de ses yeux. Elle avait eut droit à tout un tas de déclarations dans sa vie, des bonnes et des moins bonnes, des nulles à chier aussi, jamais rien de trop extraordinaire cela dit, mais ça, ça c’était du jamais vu à ce jour.

« Mes soupirs lascifs hein ? Rien qu’ça » répète-t-elle sur un ton qui mélangeait amusement et attendrissement « quoi tu veux dire, … un peu comme ça ? » questionne-t-elle en venant se coller à lui.

L’instant d’après elle portait ses lèvres à hauteur de son oreille pour y gémir doucement. Non, pas doucement, attention, lascivement ! La différence était de prime importance apparemment !

« J’sais pas toi mais j’suis pas convaincue, c’est pas l’genre de bruit qu’je fais pendant une partie de baise torride, c’est trop mou ! Rappel-toi sur le parking du Susan’s le soir de l’anniversaire ! Puis j’trouve que ça colle pas du tout avec la sonorité de la pièce. Non j’imaginaire plutôt quelque chose comme ça, écoute » explique-t-elle avec tout le sérieux dont elle est capable avant de reprendre position tout contre lui, ses lèvres collées a son oreille et ses mains perdues dans sa nuque.

Elle pousse un couinement de plaisir étranglé, puis un second, avant de se décoller pour observer Sam avec attention l’air de dire « là voilà, tu vois mieux de quoi je voulais parler maintenant mon chéri ?! »