04. Family, friends and enemies [Clyde, Dakota, Elizabeth & Nathaniel]

L'image de Lucy auréolée avec ses ailes blanches, et la populace la vénérant comme une sainte s'imposa à son esprit. Elizabeth retint alors de justesse un pouffement dans son verre et le maquilla en chat dans la gorge en prenant l'air de s'étouffer à moitié. Ce qui était d'ailleurs pratiquement le cas avec son rire retenu. Elle leva sa coupe, les yeux rouges.

" Il ne faut pas boire trop vite, je vous le dit ! "

Tout en se sentant particulièrement ridicule, elle trouvait particulièrement drôle d'imaginer que personne à Grayson ne pense Lucy capable d'avoir commis le crime en question. Pour la fréquenter plus souvent qu'elle ne le souhaitait, elle pensait au contraire que la rousse était la coupable idéale.

Elle fut heureuse de ne pas avoir été en train de boire pendant que Nathaniel changea de sujet : elle se serait sans doute noyée réellement, cette fois. Le journal publié par les jeunes gens de Grayson n'était pas quelque chose qui lui plaisait particulièrement, et elle avait de bonnes raisons d'être agacée.

" Oh ne m'en parle pas, s'il te plait ! " Elle prit l'air agacé - ce qu'elle était réellement - et entreprit d'expliquer le problème à Dakota avec des accents de colère contenue. " Quelques jeunes ont souhaiter publier un petit journal, pour s'amuser. Sauf qu'ils ont décidé de s'amuser de la mauvaise facon ! Entre autres choses, ils ont fabriqué une fausse pub concernant l'épicerie ! La moitié du village est venue me demander d'appliquer la promotion, et très peu ont accepté l'idée de publicité mensongère... Entre les discussions que ca a créé, les tensions et la perte sèche pour l'offre qui a été faite par obligation, je peux te dire que j'ai bien envie de leur apprendre les bonnes manières... " et elle conclut avec un soupir rageur.

« C’est moche » se contenta-t-elle d’admettre en haussant les épaules. « Je suppose que c’est toujours préférable à aller tagger le mur du salon des voisins, ou engendrer une bagarre publique » fit-elle remarquer, se rendant compte seulement après coup que les exemples cités n’étaient pas les meilleurs en soi et que bien que ce soit la vérité, aucun d’eux ne croiraient à une malheureuse coïncidence.

« Laissez-moi deviner. Les jeunes de cette communauté n’auraient jamais eu l’idée d’offenser si ouvertement les habitants et c’est forcément Aidan Donnelly qui les a convaincu de se lancer dans cette entreprise? » demanda-t-elle par pure rhétorique, même si elle était à peu près certaine d’obtenir une réponse. Mais c’était ce qu’elle avait entendu quand elle avait vaguement capté une conversation entre deux mégères à propos de ce fameux morceau de papier.

Clyde n'avait plus besoin que d'un siège confortable accompagné d'un paquet de pop corn... Sauf qu'il n'appréciait pas du tout le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Et Nathaniel avait en plus décidé de venir mettre son grain de sel dans un mélange détonnant.
Il regardait la sortie avec envie, il voulait partir et prendre l'air. Du grand Clyde : un lâche. Il mettait la tête dans un trou dès qu'il voyait que ça allait trop loin... Mais là, il était peut-être temps de faire une pause.

« Ce sont les grandes vacances... Ils s'occupent comme ils le peuvent. Il ne faut pas trop les blâmer. »

Clyde avait l'impression de revivre la même scène...

S’ils avaient occupé leur été en dépeçant des chats, je ne pense pas que tu tiendrais ce genre de discours, frérot. Je vais sans doute un peu loin avec ce genre de remarque, mais ce que je veux dire, c’est que toute action à des conséquences et qu’il est dangereux de ne pas les mesurer. Peut-être qu’ils ne pensaient pas à mal, mais c’est justement le fond du problème. Ils n’ont pas pensé…

Et si jamais ce journal a été écrit à des fins malveillantes, justement pour attirer l’attention et semer la discorde à Grayson… Alors là nous aurions un problème. Un problème qui s’appellerait sans aucun doute Aidan Donnelly. Il est le seul à avoir intérêt là semer le trouble et l'a prouvé par le passé. Peut-être l'a-t-il fait par vengeance, allez savoir ! D’après ce que je sais, c’est lui qui est venu trouver Casey Ferguson pour la convaincre d’obtenir l’aval de son père… Tous se sont fait duper

Elizabeth fut bien forcée d'acquiescer à la remarque de Nathaniel.

" Ce genre de chose n'est jamais arrivé jusqu'à maintenant. Or voila que les Donnelly débarquent, et on se retrouve avec des ennuis à la pelle. Reconnait, Dakota, que si le raccourci est facile, il semble néanmoins se vérifier... En plus ce journal est truffé de méchancetés gratuites. "

Elizabeth avait l'air navré.

" Et après, nous allons encore passer pour des arriérés qui se défient des étrangers. Mais ils n'ont rien fait pour faciliter les choses. Cette fois, Aidan est allé trop loin. "

Et visiblement, ca lui pèse, à Elizabeth. Elle avait voulu faire bon accueil aux Donnelly, leur montrer qu'ils n'étaient pas des assassins, et voila comment ils se faisaient remercier.

« Alors alors ? »

« dites-moi vite quels sont les derniers potins ? »

« J’admets volontiers qu’ils n’ont rien fait pour se faire accepter de votre communauté » répondit-elle pour ne pas être de mauvaise foi. « Cela dit vous n’avez rien fait pour calmer le jeu. De la peinture rouge au beau milieu de leur salon alors qu‘ils venaient trouver des réponses après un décès de famille, il y avait plus subtil comme façon d’agir. Il n’y a ni coupable ni victime, vous n’arrêtez pas de vous renvoyez la balle » continua cette dernière. « Quant à vous, pour un homme qui passe son temps à mépriser les autres et à se croire supérieur, vous accordez beaucoup de crédit à un adolescent de dix neuf ans » répliqua l’inspectrice en plantant son regard dans celui du garagiste, avant de jongler entre lui et Elizabeth. « Aidan a eu une mauvaise idée, je vous l’accorde. Cependant je ne pense pas qu’il ai mis le couteau sous la gorge à Casey Ferguson ni aux autres pigistes en herbe, ni même qu’il les ai torturé pour obtenir des informations sur vous autre. Il faut choisir, soit vous pointez le groupe du doigt, soir vous ne pointez personne, car en effet vous semblez apprécier les raccourcis faciles »

« William » la salua-t-elle respectueusement, puisque c’était là le sentiment qu’il lui inspirait, et aussi parce que sa fille était citée dans ses dernières paroles.

Pourquoi diable avait-il fallu que Nathaniel vienne rajouter sa sauce piquante au plat déjà douteux ? Clyde en arrivait sans cesse à la même conclusion : son frère avait un don pour raviver les tensions entre les gens rien que par sa présence. Quand il ouvrait la bouche, ça devenait pire. Comment son frère était-il devenu comme ça ? Est-ce que Clyde avait vu l'évolution ? Non, peut-être parce que Nathaniel était né comme ça après tout. C'était peut-être aussi du à leur enfance si... Peu heureuse par certains aspects. Clyde ressemblait beaucoup à leur mère, il avait hérité de sa bonté, de son coeur généreux et tendre. Nathaniel, lui, de qui tenait-il ? Clyde se refusait à le comparer à leur père... Et Nathaniel n’apprécierait pas d'ailleurs.

« Bonjour William. Et bien... Comme toujours... Cette histoire de journal... Puisque personne dans ce village n'a jamais fait d'erreurs, ces pauvres gosses sont considérés comme des scélérats... »

Il retint un hoquet d'horreur : ses paroles avaient dépassé sa pensée. En général, ce genre de réplique restait bien ancrée dans sa gorge et n'en sortait jamais. Pourquoi maintenant ? Peut-être parce qu'il en avait marre de toute cette hypocrisie face à des gosses qui eux, ne savaient rien justement. Après tout, les autres avaient peut-être raison : si Joshua et Casey savaient, peut-être qu'ils seraient en mesure de freiner les conneries de jeunes de cette ville...

Elizabeth accueilli William avec un sourire un peu énigmatique. Il est vrai que le sujet le concernait directement après tout.

" Les derniers potins, tu les connais malheureusement... En ce qui me concerne, je n'en ai pas d'autre... " conclut-elle avec un sourire d'excuse.

Elle ne voulait pas rebondir sur les propos de Dakota, d'autant que la jeune femme n'avait sans doute pas tort. Mais il parait que Casey avait apparemment ignoré le contenu du journal... la jeune fille aurait pu mentir, certes. Mais quand meme...
Et puis elle coula un regard sidéré à Clyde. C'était bien lui qui avait sorti ca ? Elizabeth resta la bouche ouverte un instant, et puis elle eut finalement un petit rire. Après tout, c'était aussi bien qu'il s'émancipe un peu.

" il ne faut pas exagérer non plus ! mais il faut bien qu'ils se rendent compte que ce n'est pas anodin. On peut faire des erreurs quand on est jeune, mais s'il n'y a personne pour dire que c'en est, comment pourrait-on grandir ? "

C’est exactement là que je voulais en venir, merci Elizabeth

Sur ce, je vais retourner tenir compagnie à mon épouse. Elle m'a fait jurer de ne pas l’abandonner trop longtemps

Et n’hésitez pas à goûter les toasts au fromage !

« Et bien personnellement »

« Je vais me faire un plaisir d’aller en toucher deux mots au jeune Browning en personne »

« Je suis plutôt de l’avis d’Elizabeth. Je veux bien être conciliant et prendre en compte leur jeune âge, mais justement, à 18 ans, il est temps de faire preuve d’un peu plus de maturité. Leur dernière rubrique était presque entièrement consacrée aux déboires amoureux des habitants du village. Qu’ils s’expriment, d’accord, qu’ils se moquent, c’est autre chose. Je serai curieux d’entendre l’avis de ton cousin Clyde, je suis certain qu’il n’a pas apprécié qu'on étale sa vie sentimentale. Colleen et Grifith non plus j’imagine… Avoue que c’était excessivement déplacé… »

Et voilà ça allait lui retomber sur le coin du nez. il allait devoir payer son affront, il l'avait senti dans le regard de son frère. Il en avait frémi de peur : c'était parti de sa nuque jusqu'à ses reins. Il avait senti ses poils se hérisser tout partout et il s'était même mordu la langue. Il avait mal maintenant. Nathaniel parti, il pensait avoir droit à un sursit mais Ferguson ne voyait pas les choses comme ça...

« Ahum... Huphr... Je ne sais pas... » PATHETIQUE. Pauvre Clyde, il avait voulu bien faire et il le regrettait déjà. Il était condamné. « C'était pas très malin et correct, je suis d'accord, mais... Enfin... De là à les calomnier de la sorte... »

Après tout, est-ce que les vieilles pies de Grayson étaient mises au pilori dès qu'elles ouvraient la bouche ? Si tel était le cas, la maison de retraite ne serait pas un problème. Tiens, il était peut-être temps d'aborder le sujet avec William... Ou pas. Ou si... Clyde était fatigué de ses hésitations constantes, de ses doutes, de ses peurs. Il aurait aimé être un peu plus comme... Son frère : par certains aspects uniquement bien sûr.

« Et puis il y a euh... Plus important je crois... La situation de nos habitants retraités est alarmante... » finit-il par dire dans un decrescendo qui finissait sur une note quasiment inaudible...

Hum.... visiblement, Nathaniel n'appréciait guère que Clyde ne soit pas de son avis. Ce n'était pas bon pour la santé, en général... Mais si cela pouvait permettre à Clyde de s'émanciper un peu, pourquoi pas ? Tout ce qui affaiblissait Nathaniel paraissait bon à Elizabeth, aussi eut-elle un petit sourire de soutien pour le docteur, d'autant plus que Nathaniel leur laissait le champ libre. Il faudrait qu'elle parle à Clyde. Rapidement.
Elle coula un regard en coin à William pour voir s'il pensait la même chose qu'elle, à savoir que Clyde ne faisait peut être pas tant corps que ca avec son frère...

Par contre, le changement de sujet de Clyde la laissait perplexe.

" De quoi veux-tu parler ? "

Encore une fois, en voulant changer de sujet et apaiser les esprits, il se retrouvait une nouvelle fois à devoir donner des explications... Et il n'avait d'ailleurs pas choisi le sujet le plus approprié pour adoucir toute cette conversation. D'une voix hésitante, il se lança.

« Je parle de la mort de Monsieur Pinkman et de celles qui ne vont pas tarder à suivre si on ne prend pas des mesures rapidement. »

S'il avait été comme Nathaniel, il aurait lancé un regard accusateur à William... A la place, il se contenta de poser ses yeux sur ses chaussures...

Le sujet de la mort de Monsieur Pinkman arracha un plissement de sourcils désolé au Maire. Il avait connu cet homme-là toute sa vie, et ça avait été le cas de son père avant lui aussi. Même s’il avait assisté à l’enterrement et qu’il lui avait dit au revoir, il avait encore du mal à imprimer le fait que le vieillard soit effectivement décédé. Il avait fait partie intégrante du décor de Grayson durant des lustres à ce qui lui semblait, et sa mort qui plus est, ne présageait rien de bon. Ca voulait dire que l’étau se resserrait autour d’eux…
L’idée que d’autres personnes âgées subissent le même sort lui était détestable.

« Hm » grogna-t-il d’une petite mine de regret « Pourquoi ne passe-tu pas à mon bureau demain ou… quand tu le peux Clyde. On en discutera » proposa William.

C’est vrai qu’il n’avait pas encore eu le temps de se pencher sur la question de manière plus attentive. C’est qu’il avait d’autres soucis en tête en ce moment qui prenaient toute la place et s’imposaient à lui.

« Vous m’excuserez mais j’ai encore deux ou trois petites choses à faire et l’heure tourne à une vitesse folle » tenta la jeune femme entre deux phrases échangées, ce qui était sans doute une façon plus polie de dire ‘je me fais chier comme un rat mort, à plus les mecs’. « J’espère que vous récolterez assez d’argent pour votre projet en cours » termina-t-elle pour partir sur une note plus joyeuse. Et après un regard doux aux trois autres, elle fit quelques pas sur le côté avant de s’éclipser.

Enfin un aspect positif à cette journée jonchée de soucis en tous genres. Il entrevoyait enfin une petite lueur d'espoir au milieu de ces sombres querelles fusant en toutes directions : William lui laissait l'espoir de pouvoir faire quelque chose pour aider les anciens de Grayson. Enfin !

« Merci William... Je... je passerai demain alors... M'enfin, j'appellerai avant... Juste enfin... Au cas où... »

Foutus problèmes d'élocution ! Pourquoi ? Il s'était pourtant très bien débrouillé quand il avait suivi ces quelques leçons d'orthophoniste plus jeune... Oui, il le savait, c'était la pression, il avait les épaules trop faibles pour soutenir le poids des remords, de la culpabilité.
Et cette chaleur... Les pauvres petits vieux de Grayson fondaient littéralement à cause d'une chaleur quasi surnaturelle...

Dakota les quitta sans demander son reste. L'ambiance entre elle et sa cousine était des plus tendues. Il souffla un presque inaudible « Au revoir... » qui était bien sincère. En général, un au revoir était quelque chose de poli à insérer dans une phrase de conclusion à une rencontre mais là, la revoir était une chose que souhaitait presque Clyde : ils avaient été amis après tout.

Clyde avait raison bien sur. C'était un sujet bien triste que la mise en danger des personnes âgées, surtout avec la chaleur ambiante. Et si une part bien peu charitable d'elle même regrettait que Mme Pietsky n'ait pas elle même succombé à la canicule, elle n'en partageait pas moins l'inquiétude de Clyde, et lui offrit un sourire encourageant. Il était sur une bonne voie.

Le départ de Dakota la surprit dans le sens où il ne lui fit ni chaud ni froid. Dakota partait. Oui, ok. Il semblait toujours vain de vouloir améliorer leurs relations - surtout vu ce qu'elle pensait de Declan - mais c'était sa famille après tout...

" A bientôt, Dakota. " Le tout accompagné d'un sourire qui se voulait engageant. Et elle se retrouva seule. Enfin, avec William et Clyde. Seule femme. On va dire. Toujours est-il qu'ils se retrouvaient ensemble animés par le même motif : ce que représentait ce journal.

" C'est une bonne chose que vous vous en occupiez... " elle lanca un regard circulaire à la salle. Il y avait beaucoup de citoyens de la ville présents, il n'était pas question de trop en rajouter.

" Et peut être qu'on arrivera à se débarasser de ... ca... " Le "ca" pouvant tout aussi bien se rapporter à chacun de leurs problèmes individuellement. Ou tous en même temps...

Clyde jeta des coups d'oeil furtifs autour de lui : n'importe quelle personne n'étant pas dans le secret n'aurait strictement rien compris à l'allusion de l'épicière mais Clyde avait toujours cette impression que lui les écoutait et ça lui filer la frousse.
Oui, il avait peur, peur de beaucoup trop de choses. Il n'appuya pas son regard sur Elizabeth de peur de passer à nouveau pour un rater, une mauviette, un moins que rien. Il savait que la jeune femme n'était pas de nature mauvaise et qu'elle n'était pas du genre à le prendre en pitié ou à l'enterrer de regards assassins comme pouvait le faire Nathaniel, mais tout de même, il ne fallait pas tenter le diable...

« Oui ... »

Naze. Il ne savait pas quoi ajouter en fait. Devait-il relancer la conversation ? Et si oui, sur quel sujet ? Il voulait faire comme Dakota, se tirer pour espérer enfin avoir à droit à son moment de tranquillité, de sûreté. Parce que c'était ça : il ne se sentait pas en sécurité à l'extérieur de chez lui, plus depuis des années...

« Mouais… »

« Les problèmes s’accumulent et ne se ressemblent pas. Il commence à y avoir un petit peu trop de « ça » à régler si vous voulez mon avis… »

« Je vous laisse, je vais tâter la température du côté du jeune Browning. S’il s’avère qu’il est aussi buté que son père… souhaitez-moi bonne chance »

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04. Family, friends and enemies [Clyde, Dakota, Elizabeth & Nathaniel]

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