Aidan frappa rudement sur sa poitrine pour accompagner le rot qu’il laissa passer sans retenu. Qui allait s’en plaindre de toute manière ? Il était seul dans le parc de Grayson, au milieu de quelques arbres fatigués au tronc centenaire et noueux. Le jeune homme leva sa bouteille de Tequila déjà bien entamée en direction des grands feuillus, comme pour porter un toast en leur honneur. Cette idée l’amusa beaucoup et il gloussa lamentablement avant de porter la bouteille à sa bouche engourdie. Il ne fit que tremper ses lèvres dans le liquide et poussa un soupir las.
Il trouvait idiot de boire tout seul au milieu d’un décor de film d’horreur, dans un village flippant qu’il n’aspirait qu’à quitter. C’était la première fois qu’il se lançait dans une telle aventure. Boire seul, sans raison apparente. Il avait toujours éprouvé une pitié teintée de dégoût pour les personnes qui buvaient pour oublier leurs problèmes et s’était toujours pensé au-dessus de ça. Lui quand il buvait, c’était pour passer du bon temps, en compagnie de son frère, jamais dans le but de s’anesthésier l’esprit.
Pourtant cet après-midi, c’était bel et bien pour endormir sa conscience et s’arrêter de penser qu’Aidan cherchait à s'ennivrer.
Et pour la première fois de sa courte existence, il avait voulu se saouler en solitaire.
Il ne s’était pas posé la question de savoir pourquoi exactement : peut-être pas peur d’en dire trop une fois éméché, de se mettre à pleurer sur l’épaule de l’un ou l’autre de ses frères (de Samuel en l’occurrence puisqu’aucun des autres ne le laissait approcher d’alcool fort. C’était peut-être simplement parce qu’il avait honte de vouloir boire pour autre chose que se détendre un peu en compagnie de son éternel partenaire de débauche.

Le regard morne d’Aidan se posa sur une souche d’arbre et il le fixa longuement, peinant à rester immobile et tanguant légèrement. Finalement, poussant une exclamation blasée, il s’approcha et s’installa sur le large tronc sectionné à la hache. Il resta assis là un moment indéfini, son regard clair et un peu vitreux perdu dans le vague.
Il n’avait même pas la force de réfléchir et c’était certainement la meilleure des choses qui pouvait lui arriver en ce moment. C’était ce qu’il recherchait de toute manière. Un peu de calme. Du bon air, aucunes pensées sombres et un bon litre de Tequila piquée dans la réserve personnelle de son ainé.
Sans doute devrait-il rendre des comptes en rentrant à la maison ce soir. Si bien sûr on envisageait qu’il soit capable de retrouver le chemin jusque là. Rien n’était moins sûr dans son état d’ébriété actuelle. Quoi qu’il s’était déjà surpris lui-même à de nombreuses reprises avec quelques verres dans l’nez.
Aidan baissa la tête vers son bras plâtré. Ça, ça faisait parti des choses qui l’avaient eu par surprises, mais pas dans le bon sens.

« Connard » marmonna-t-il sans savoir à qui il s’adressait réellement

Peut-être Sam, peut-être lui-même ou même son crétin de radius qui avait eu la bêtise de casser. Cet accident idiot avait marqué le début de sa fin. Aidan s’était retrouvé enfermé chez lui, incapable de jouer, handicapé. Il n’avait plus eu le cœur à sortir et le peu d’amis qu’il avait - et n’en étaient pas vraiment en fin de compte - lui avait tourné le dos puisqu’il ne leur était plus d’aucune utilité et ne savait rien faire.
Puis les cauchemars avaient commencés, ses parents avaient disparus et il était assis sur une souche d’arbre en train de chialer.
Aidan essuya rageusement les quelques larmes brûlantes qui avaient profité de son absence pour glisser sur ses joues. Assurément, il n’était pas encore assez ivre.
Au moment où il portait la bouteille à ses lèvres, un nouveau morceau de musique vint briser le silence qui s’était imposé et l’avait pris en traitre. Aidan pouffa et farfouilla un instant dans sa poche pour attraper son mp3 et pousser le son à fond. Il plaça ensuite ses écouteurs jusque là simplement passés autour de son cou sur ses oreilles, puis se leva. Ou du moins, s’y essaya. Il lui fallut pas moins de quatre essais pour parvenir à se mettre debout et à tenir sur ses jambes cotonneuses.

Une fois debout, il commença à se déhancher en rythme, les paupières closent. Un sourire perça ses lèvres tandis qu’il récitait les paroles de la chanson ô combien adaptée de Paradisio Girls qui hurlait à ses oreilles. Ses mouvements étaient un peu gauches et son équilibre précaire, malgré cela, sa chorégraphie improvisée tenait à peu près la route. Évidemment, il aurait eu moins l’air stupide si l’éclairage avait été plus électrique et qu’il avait baigné au milieu d’une foule d’autres danseurs...

« I'm on Patron, Tequila I'm drunk on Margarita ! That Patron, Tequila me and my mamacita » entonna-t-il en continuant de remuer bras et jambes, se souciant peu d’arroser l’herbe copieusement avec sa bouteille « Hey girl where's your drink ? We goin'all get real drunk tonight ! Hey girl I got bud, we can all get fucked up tonight. By the end of the night Imma have you drunk and throwing up by the end of the night Imma have you so fucked up ! »

Aidan éclata de rire, sa gorge irrité par les nombreux passages de gorgée d’alcool le brûlant lorsqu’il scanda les dernières paroles de la chanson. Avant qu’il n’ait compris ce qui s’était passé, il se retrouva sur les fesses, assis dans l’herbe. Sa chute ridicule ne fit que renforcer son hilarité et il se laissa complètement aller dans l’herbe, les épaules secoués d’un rire chevrotant, quelques larmes roulant allègrement sur son visage pâle.
Une fois calmé, il poussa un long soupir contenté. Il n’avait pas eu l’occasion de rire comme ça depuis ce qui lui semblait être des siècles.
Soudain, un visage vaguement familier apparu dans son champ de vision. Un visage halé surmonté d’une casquette orange et penché au-dessus de lui.
Malgré le contre jour et sa vision trouble, il n’eut pas grand mal à reconnaitre Charlie, la caissière de l’épicerie de Grayson.

« Charlie » lui dit-il, un œil fermé et l’autre plissé pour se préserver un minimum des quelques derniers rayons de soleil de l’après-midi « T’en veux un morceau ? » demanda ensuite le jeune homme en soulevant sa bouteille pour la mettre à sa portée