Après la journée qu'elle venait de vivre, Elizabeth aurait donné n'importe quoi pour un moment de solitude absolue, à l'abri de sa maison. Porte fermée, rideaux tirés, un verre de vin, un doudou quelconque et un film sans saveur pour oublier que la journée s'était encore terminée sans même que Declan ne lui adresse la parole. Pour oublier de William espérait toujours un soutien dans ses projets. Pour oublier que Nathaniel n'avait pas changé, qu'il était toujours l'affreux de son enfance, et même pire. Pour oublier les devoirs et les déboires. Mais il fallait d'abord ranger le stand qu'elle avait tenu envers et contre tout, en ignorant autant que possible Nathaniel et ses regards chargés de sous-entendus. Elle avait survécu, bien que l'entrain ait été difficile à feindre après son entrevue avec le garagiste. Il l'avait ébranlée plus qu'elle ne voulait l'admettre, mais elle avait fait front : tout n'était qu'une question d'apparences, et elle avait un statut à honorer, malgré les médisances et les regards des villageois qui se demandaient sur quoi se basait la rumeur. Mais était-ce par respect pour son nom, par égard pour ses sentiments, parce qu'ils se défiaient désormais d'elle, ou pire, qu'ils aient peur que la réalité ne soit pas à la hauteur de leurs fantasmes et de leurs médisances, toujours est-il que personne ne lui avait posé la moindre question au sujet d'elle et Declan.

La journée avait eu néanmoins ceci de bon qu'elle avait pris une décision ferme concernant les projets de William, et avait pris le parti de le trouver chez lui le lendemain pour lui en faire part. Il se moquerait sans doute des raisons, trop satisfait d'obtenir ce qu'il voulait. Mais qu'importe. Elle n'était pas du genre à se plaindre. Comme elle l'avait fait entendre à Nathaniel, ils se sacrifiaient pour que ce genre de désagréments puissent avoir lieu, par un choix librement consenti. Par un choix tout aussi assumé, elle était finalement prête à ... autre chose... Elle ne savait pas encore quoi, mais une page devait se tourner.
Mais cela attendrait le lendemain. En attendant, elle n'aspirait qu'à rejoindre son lit.

Elle était en train de découper le pain en morceaux pour les derniers sandwichs de la soirée, et pour pouvoir les ranger plus facilement dans les sacs en papier destinés aux fermiers qui en nourriraient leurs bêtes. Une tache monotone qui laissait son esprit libre de vagabonder. Oh bien sur, ses pensées la ramenaient aux mêmes choses, Declan lui promettant un avenir se superposant au regard de dégout haineux de Suzanna lorsqu'elle avait tout découvert, puis quand elle était passée à proximité du stand dans la journée... Mais aussi Nathaniel et ses yeux braqués sur elle comme autant d'armes chargées prêtes à tirer...
Etait-ce la fatigue, l'inattention, ou... A Grayson, on ne savait jamais vraiment... Toujours est-il que le couteau qu'elle manipulait dérapa sur un morceau de pain trop dur, lui ouvrant la paume d'une profonde entaille, qui saigna abondamment.
Hébétée, Elizabeth regarda sa main ouverte d'un côté sans en sentir la moindre douleur, puis le couteau ensanglanté dans l'autre main. Elle leva machinalement les yeux pour trouver une aide - Colleen était peut être disponible - mais c'est le regard de Nathaniel qu'elle croisa. Il buvait visiblement la scène des yeux, avec un sourire mauvais et une expression qui ne laissait pas de place au doute : elle pouvait prolonger l'entaille, tant qu'à faire... Pour un peu, on aurait dit un gamin tout excité devant un cadeau de Noël particulièrement pervers. C'était malsain et terrifiant.

C'en fut trop pour la jeune femme. Les larmes coulèrent aussitôt et avec un petit râle, elle tourna les talons et courut se réfugier dans les toilettes où elle alluma le robinet d'eau et laissa sa main sous le jet, qui se teinta aussitôt de rouge. Perturbée qu'elle était, il ne lui vint pas à l'esprit que c'était sans doute la chose la plus stupide à faire : sous l'eau, la plaie ne risquait pas de se tarir, au contraire. Mais pour l'instant, elle avait les yeux braqués sur le couteau qu'elle n'avait pas lâché, en se demandant pourquoi diable elle l'avait emmené avec elle. Elle n'avait pourtant aucune intention de s'en servir, ce n'était qu'un accident...

Elle resta là un long moment, la main sous l'eau tellement froide qu'elle s'engourdissait, à scruter le couteau, à travers ses larmes qu'elle n'arrivait plus à arrêter, comme s'il détenait la réponse à une question qu'elle ignorait.

Foutus mots croisés. Ils avaient fini par faire émerger la rancoeur qu'il éprouvait vis à vis des personnes s'amusant un peu plus loin à l'emplacement où se tenaient les divertissements prévus pour cette soirée pourrie puant l'hypocrisie. Mais, la journée s'était plutôt bien passée jusqu'à présent pour lui. Calvin n'avait fourré son poing nulle part, n'avait intenté aucune entorse au règlement, ne s'était pas servi de la moindre chaise comme arme contondante. Non, il ne s'était pas fait remarqué en public pour une fois. Ironie du sort, cette prestation inhabituelle pouvait justement être remarquée par certaines personnes tellement elles étaient habituées à ses frasques choquantes et perturbant la tranquillité des lieux. Logan était même venu lui faire la conversation en début de soirée - tout en buvant un coup au passage comme d'habitude - . Même si l'entrevue s'était plutôt bien passée, Calvin ne pouvait pourtant pas le regarder de la même manière désormais. Une certaine méfiance s'était sciemment installée et il remarquait que l'on ne pouvait être sûr de rien à Grayson et que les choses évoluaient parfois de manière surprenante.

Et le voilà désormais seul alors que l'astre solaire déclinait lentement mais sûrement dans le ciel. Calvin commençait à ranger son stand, bar de fortune de ce pique-nique. Les bouteilles non vidées reprenaient leur place dans un carton à l'arrière du pick-up. Plus vite il se débarassait de cette tâche, plus vite il rentrerait chez lui. Calvin était dans cet état d'esprit d'ailleurs et s'attaqua aux tables dans la foulée avec une idée en tête. Celle de passer le reste de sa soirée avec un dernier verre, un bouquin tout en écoutant la musique qu'allait lui cracher sa radio alors qu'il serait vautré sur son lit. Et pourtant, cela n'allait pas se produire aussi rapidement qu'il l'imaginait. En apercevant Elizabeth détaler à toutes enjambées vers les toilettes en tenant sa main ensanglantée, il eut le réflexe de penser à son kit de premier secours traînant dans sa boîte à gant. D'ailleurs, il lui fit signe de la main mais elle ne semblait pas l'avoir vu. Râlant dans sa barbe, Calvin fit tout de même le déplacement jusqu'à son véhicule avant de se diriger vers les toilettes. Calvin n'avait rien contre elle. D'ailleurs, il la côtoyait de temps à autre lorsqu'il devait se rendre à l'épicerie pour faire ses emplettes hebdomadaires.

En arrivant, la stupeur vint le tenailler de l'intérieur en distinguant aisément le couteau maculé de sang dans sa main. Pourquoi l'avait t'elle amené ici ? Elle n'en avait plus besoin, en tout cas pas pour le moment. Immobile, Calvin freina instinctivement son allure, les sourcils froncés et un air grave assombrissant, refroidissant ses yeux marron. Lui, qui avait eu l'occasion de saigner à de maintes reprises, remarquait qu'elle n'allait rien arranger en laissant sa main traîner sous le robinet. Il décida finalement de s'approcher et de réellement lui prêter secours. Et cela parce qu'elle en avait besoin. Il n'aimait guère jouer les chevaliers salvateurs à la base alors il fallait que ça paraisse nécessaire à ses yeux. De plus, il était curieux d'en savoir plus, lui qui aimait être au courant de ce qui se passait à Grayson. Toutefois, le barman ne savait quoi dire dans pareille situation. Alors, il se contenta de s'avancer lentement pour ne pas la surprendre mais aussi pour étudier davantage son comportement. Elle pleurait toutes les larmes de son corps et Calvin avait ce soupçon de sensibilité, ou plutôt d'orgueil, pour savoir que dans une telle situation, il n'obtiendrait pas grand chose d'elle et de son plein gré en terme d'explications.

De manière assez neutre et froide, le barman, venu de nulle part, s'avança jusqu'à ce qu'il se retrouve à sa portée dans la pénombre. Un brin démuni au vu de la situation, l'inspiration ne venait toujours pas lui souffler la moindre parole. Cependant, il devint enfin acteur en saisissant brusquement la main dans laquelle Elizabeth tenait le couteau. Calvin s'en empara au bout de quelques secondes, regardant l'espace d'un instant l'objet tranchant avant de reposer ses yeux sur l'épicière. Sa main ferme vint quant à elle s'échoir un peu brusquement sur l'épaule tremblante de la jeune femme vulnérable en espérant qu'elle reprenne une certaine contenance pour ne pas qu'il ressente un certain agacement.

Parfaite conclusion d'une journée pourrie que de finir sanglotante et blessée dans les toilettes d'un parc, et sans personne pour vous tenir la main... Finalement, on était tous seuls, n'est-ce pas ?

Elle était encore à se demander si elle allait poser le couteau quand une main ferme s'empara de son poignet, du couteau, puis de son épaule. Dans un éclair, une vision claire se fit dans l'esprit de la jeune femme : trop heureux de cette occasion, Nathaniel l'avait finalement suivie. Il s'était emparé du couteau et s'apprêtait à la tuer, comme il l'avait toujours voulu, pour... peu importait la raison. Il allait la tuer, la laisser agoniser sur le béton ciré, et pourquoi pas, tout mettre sur le dos de Suzanna... Il en était bien capable, et tout le monde le croirait parce qu'il était Nathaniel Redd et que tout le monde lui faisait confiance. Une vague de pitié envahit Elizabeth pour la jeune fille, tout en se trouvant ridicule d'avoir de la compassion pour une adolescente qui effectivement, serait plus heureuse de la voir morte. Mais surtout, elle se demanda ce que Nathaniel prévoyait. Il n'était pas du genre à écraser rapidement une mouche. Plutôt lui arracher les ailes, puis les pattes, les unes après les autres, en prenant le temps à chaque fois de regarder comment la bête se débrouillait... Pourquoi ferait-il autrement avec elle, alors qu'il avait toujours rêvé de ce moment ?

Terrorisée, elle tenta de s'échapper, mais la poigne de fer le retint. Elle se retourna donc contre son agresseur et commenca de lui marteler la poitrine de sa main blessée malgré la douleur, puis tenta de lui arracher le couteau des mains pour pouvoir se défendre.

" Tu n'y arriveras pas ! Et même si tu y arrivais ! Il ne veut peut être pas de moi, mais Declan te le fera payer ! Et William aussi ! Tu ne gagneras pas ! "

Oh elle avait vaguement conscience que ce côté "si tu m'embêtes, je vais le dire à mon grand frère" - qui ne l'était même pas - était purement puéril, mais en cet instant, elle voulait juste se libérer de celui qui la retenait, sans réaliser que la carrure n'était pas exactement celle du garagiste.

" Lache moi Nathaniel ! " Elle ne se sentait pas de taille à gagner, et voyait le moment où il allait utiliser le couteau contre elle arriver. Elle fermait les yeux, crispée, en se débattant, comme si elle pouvait se libérer juste de cette facon. Mais elle n'avait aucune chance de s'échapper.

Ce n'était pas vraiment son profil que de soigner les blessures quelles qu'elles soient. Calvin représentait plutôt le parfait opposé. Il était une lame tranchante, léthale, taillant à vif la chair de ses cibles, la plupart du temps par l'usage de la parole seulement. En soulignant le fait que Elizabeth se trouvait déjà dans un état émotionnel proche de l'hystérie, que pouvait il donc espérer en venant à sa rencontre ? Il était évident qu'elle avait sûrement eu vent de ses déboires. Son kit de premier secours ne servirait certainement pas à l'amadouer comme ça. Si seulement elle faisait l'effort de se tenir avec un minimum de retenue, cela faciliterait la tâche du gérant du Drugstore. Calvin n'était pas doué dans ce genre de psychologie, d'autant plus qu'il ignorait parfaitement ce qui était tombée sur l'épicière et qu'il ne préférait pas le savoir...Du moins dans un premier temps.

Lorsque cette dernière s'était tournée vers lui, Calvin entama un léger mouvement de recul, surpris par son aggressivité. Il resserra dans la foulée son emprise sur le couteau tandis qu'elle chassait sa nervosité en tambourinant sur la poitrine du barman. Cela eut le don de l'agacer copieusement, d'autant plus qu'il n'était pas venu dans l'intention de déclarer un autre conflit même si il n'avait pas respecté son quota de la journée. Mais, il se rendit compte quelques secondes plus tard qu'elle était tellement déboussolée qu'elle le prenait pour Nathaniel. Irrité, il relâcha le kit de premier secours qui vint s'écraser sur le sol dur et rugueux avant d'envoyer dans les airs vers l'arrière le couteau auteur de la vilaine entaille. Puis, Calvin vint saisir la brune fermement par les épaules.

"Nathaniel ? Est-ce que je ressemble à une petite fouine stupide avec une coiffure...toute aussi stupide ? Bon sang, calme toi, regarde moi, c'est Calvin !..Et ça c'est une chemise à 30 dollars !"

Le barman avait haussé le ton à la fin de sa phrase en espérant que ses propos franchissent le blocage de son esprit. Sa main droite vint se poser sous son menton pour la pousser à le regarder dans les yeux. D'ailleurs, Calvin attendit qu'elle soutienne son regard pour récupérer la pochette au sol. Ses sourcils froncés et les traits tirés de son visage exprimaient une totale incompréhension de la situation en plus du fait que son cinéma allait finir par lui taper ailleurs que sur le système à ce rythme là.

"Oh, je m'inquiète pas, ces p'tits bouseux de Declan et William essayent déjà de me faire manger..Et oui t'as raison, si tu continues à me frapper, je n'arriverai pas à t'aider, il devrait y avoir des menottes dans ce kit, ça me faciliterait la vie ! Et comment ça il ne veut pas de toi ? je comprends rien à ce que tu me sors, j'ai l'impression de parler à une alien dans Star Trek !"

Declan et William...encore eux. A quoi étaient ils encore mêlés ? Quel rôle jouait Elizabeth et Nathaniel là dedans ? Décidement, il se rendit compte que ce village n'était pas sur le point de manquer d'histoires en tout genre. Pendant ce temps, le tenant du drugstore s'affairait pour désinfecter sa blessure à l'aide d'un spray, en la tenant solidement au niveau de l'avant bras. Puis, il attrapa le bandage qu'il tenait entre ses dents pour l'appliquer convenablement alors que la discussion suivait son cours.

Les yeux fermés et crispés, le nez enfoui dans sa masse de cheveux qui volaient au rythme de ses contorsions pour échapper à l'emprise de Nathaniel - enfin de Calvin, mais dans un premier temps hein... - , elle ne risquait pas de reconnaitre le barman. D'autant qu'elle attendait le moment fatidique où le Mal incarné en la personne du garagiste allait se décider à plonger le couteau dans ses côtes après l'avoir empêchée de le lui reprendre. Le son du kit de premier secours s'écrasant au sol la fit sursauter, et dans son demi délire - ou délire complet, au choix - elle se persuada que c'était la porte des toilettes que l'affreux jojo venait de claquer pour se soustraire au regard d'un éventuel témoin.

Oui, le coup allait venir. Il ne serait sans doute pas mortel, Nathaniel serait bien trop heureux de la voir agoniser, les yeux dans les yeux.

Pathétique ? Sans aucun doute. Mais à bout de nerfs comme elle l'était, elle ne prêtait plus guère d'intérêt à ce qu'on pensait d'elle. Le monde pouvait bien crouler, ca lui était bien égal.

Pourtant, et malgré ses pires craintes, elle se sentit rien que deux mains la saisir fermement par les épaules. Elle se rétracta sur elle-même dans un premier temps, avant de réaliser qu'on lui parlait. Qu'on lui parlait de chemise à 30 $ et de coupe de cheveux débile. La microscopique part de son esprit encore rationnelle capta même un prénom. Calvin ? Calvin ? C'était qui ca déja ? Pas Nathaniel. Ca c'était un bon point. Tout était mieux que Nathaniel. Elizabeth se risqua donc à ouvrir les yeux et reconnu son terrible agresseur. Calvin. Pas forcément l'être le plus aimable du village, mais certainement pas un ennemi. Certainement pas un adepte du Nathanielisme aigu... Juste Calvin. Un terrain neutre en quelque sorte.
Réaliser qu'elle se retrouvait face à quelqu'un étranger à toute son histoire faillit la faire défaillir de soulagement. S'il ne l'avait pas tenue, elle se serait probablement retrouvée en serpillère sur le béton. Et bien sur, ses larmes - de soulagement - redoublèrent. Et plus encore quand elle le vit s'affairer avec son kit de soin et se saisir de sa main pour la nettoyer et la bander.

Elle porta sa main valide devant sa bouche en réalisant sa méprise.

" Oh Calvin ! Pardon ! Je... J'ai... " Apparemment, elle avait dit des choses, mais ne se souvenait même pas vraiment de ce qu'elle avait crié, hystérique qu'elle était. Pourtant, il semblait qu'elle avait parlé de Declan. Y repenser lui fit à nouveau monter les larmes. Elle si maîtresse d'elle-même habituellement n'arrivait plus à s'arrêter. " J'ai passé une journée horrible... Et même une semaine... Et même plus que ca... C'est... " Elle grimaca de douleur pendant que Calvin s'occupait de sa plaie. " Je me suis comportée comme une gourde, et maintenant, je n'ai que ce que je mérite... " Elle renifla un gros coup.

Elle n'osait pas regarder Calvin, de peur de ce qu'elle y lirait. Savait-il seulement ce qu'il y avait - avait eu - entre Declan et elle ? Et en citant dans la même phrase son amant, William et Nathaniel comme le laissait entendre Calvin, n'avait-elle pas commis une erreur ? Elle réussit à réfléchir à peu prêt clairement. Bien sur, de prime abord, on pouvait se contenter de son histoire ratée avec le shérif. Mais en quoi aurait-elle aussi peur du garagiste ?

Comment allait-elle se sortir de cette affaire ?!

Sa main la ramena cependant à des préoccupations plus immédiate alors que Calvin s'efforcait d'apposer un bandage sur la blessure. " Aïe !! Ca fait mal !! "

Finalement, elle s’était décidée à ouvrir les yeux. Si il avait su qu’elle était aussi froussarde, Calvin aurait tenté une approche moins directe. Visiblement, Declan, Nathaniel et William étaient à l’origine de son désespoir. Certains avaient le culot de critiquer le comportement du tenant du drugstore mais ils ne valaient certainement pas mieux. Prévenu à de maintes reprises, Calvin s’était montré relativement tranquille aujourd’hui tandis que d’autres avaient apparemment œuvré dans l’ombre. Il ne pouvait que le constater en scrutant Elizabeth. Le règlement fonctionnait pour certains et pas pour d’autres apparemment.

«Ca va, relax…ma semaine n’a pas été mieux. Mais, il n’y a pas de quoi se mettre dans un tel état.. »

Une soirée arrosée parsemée de quelques coups de tabouret l’avait propulsé en cellule pendant deux jours. Il n’y avait pas de quoi être franchement heureux en somme. Alors, quand on passe en plus toute une journée avec les mêmes personnes en se sentant observé de toutes parts, il y avait de quoi se sentir oppressé, énervé. Mais, il s’était contrôlé…dans le but de faire mal plus tard. Demeurer imprévisible était sa priorité.

« Tu n’as que ce que tu mérites ? Je ne sais pas ce que t’as fait mais si je sais une chose ici, c’est que l’on a jamais ce que l’on mérite. Enfin tout dépend de quel côté de la barrière on se trouve… »

Le barman termina son bandage avec plus ou moins de dextérité. Ce n’était pas vraiment sa première qualité. Il était bien meilleur pour préparer un cocktail que pour jouer l’infirmier du dimanche. D’ailleurs, Elizabeth semblait grimacer de douleur par moment jusqu’à ce qu’il eut terminé.

«En général, quand on se met à pisser le sang, c’est douloureux oui…Allez, la journée est terminée, tu ferais mieux de rentrer chez toi. »

Calvin tenta de dédramatiser ce qui venait de se passer. Son index vint relever le menton de l’épicière pour que celle-ci cesse de regarder ses pompes. Dans la foulée, il replaça une de ses mèches derrière son oreille. Elle s’était décoiffée en se comportant comme une hystérique, il fallait qu’elle se reprenne. Calvin n’était pas le meilleur soutien imaginable – peut être pas assez cérébral et empathique et un peu trop révolutionnaire et belliqueux - mais lui était là même si son aide était toute à fait fortuite.

Elizabeth haussa les épaules dans un geste très enfantin. Depuis son enfance, elle n'avait eu que le meilleur. Tout ce qu'elle avait voulu, elle l'avait eu : elle était une Pryde, et le statut de sa famille conférait quelques avantages. Pourtant, depuis quelques temps, elle découvrait qu'elle ne pouvait pas obtenir tout ce qu'elle voulait exactement comme elle le voulait, et c'était proprement déroutant pour une jeune femme habituée à la vie facile - d"une certaine manière.
Elle n'avait parlé à personne de ce qu'elle ressentait encore, l'occasion ne s'était pas vraiment présentée, les circonstances la tenait trop occupée pour prendre le temps de discuter avec Charlie, d'autant qu'à chaque fois qu'elle l'envisageait, Elizabeth se sentait morveuse de demander des conseils à son employée. Elle avait l'impression qu'elle irait la voir comme une spécialiste des situations amoureuses foireuses, et que Charlie s'en sente blessée. Alors elle n'avait pas provoqué l'occasion. William était plus proche de Declan, et Declan... n'était pas la bonne personne pour se confier... Elle aurait pu parler avec Alicia, mais elles n'avaient jamais accroché. Et dans les relents de scandale que Suzanna distillait, personne n'était venue lui demander quoi que ce soit... Calvin était sans doute le dernier auquel elle aurait pensé, mais après tout, les barmans n'étaient-ils pas les journaux intimes des piliers de bar - qu'elle n'était pas - ? Elle ne savait pas trop ce qu'il en dirait, mais elle n'était plus à ca prêt. Declan était à priori du bon côté de la loi, sans reproche, et ca ne l'avait pas empêché de se comporter comme un... fumier avec elle. Alors pourquoi le repris de justice ne serait pas une oreille plus attentive ? Au moins pour une partie de la vérité.

Il fallait que ca sorte, et il était là, lui. Alors ca sortirait... Nouveau haussement d'épaule. " J'ai couché avec celui qu'il ne fallait pas. Et maintenant sa fille est au courant. Et elle est contre. J'ai été stupide de croire que ca marcherait, et idiote d'espérer que ca s'arrangerait. Et du coup j'ai été encore plus stupide. Et idiote... " Conclut-elle en désignant sa main avec des larmes plein les yeux. " Je n'ai rien gagné avec cette histoire ! Seulement de faux espoirs... "

Elle regardait le bandage approximatif que Calvin venait de lui faire, curieusement rassérénée pas le fait qu'il se soit occupée d'elle de la sorte, mais elle se sentait toujours aussi seule. Un haussement d'épaule répondit à la suggestion de Calvin de regagner ses pénates. " Sans doute... j'y serai tranquille... seule... " une perspective peu réjouissante...

Elle cherchait un peu d'énergie pour se lever et rentrer quand il lui fit lever le nez. Et lui remettre une mèche derrière l'oreille dans un geste d'une douceur inattendue : Calvin n'avait pas la réputation d'être le plus tendre des habitants de la ville. Elle croisa son regard avec une expression de reconnaissance derrière sa tristesse du moment et s'essaya à un sourire - pitoyable. Elle cherchait quoi dire quand elle réalisa que la chemise de Calvin était effectivement fichue. Elle tendit la main pour frôler le tissu humide.

" J'ai vraiment taché ta chemise... Il faudrait la nettoyer sans trop attendre... Je dois avoir ce qu'il faut... " Elle se sentait coupable de s'en être pris à Calvin de la sorte, et voulait se racheter. Sans parler du fait qu'elle n'avait guere envie de rentrer seule. Peut être que le temps de nettoyer une chemise et de remettre son propriétaire dehors lui permettrait d'aborder sa nuit avec plus de sérénité... De toute facon, elle ne pouvait plus faire grand chose à son stand avec sa main dans cet état.
Sans retirer sa main de la chemise, elle leva les yeux pour guetter la réponse de Calvin. Elle n'avait pas d'arrière pensée, juste le besoin d'une oreille attentive.

Il ne restait plus que deux pistes possibles pour savoir avec qui Elizabeth avait entretenu une relation intime, Nathaniel n’ayant pas fait de rejeton. Du moins, pas à la connaissance de Calvin. Et c’était certainement la meilleure chose qu’il avait fait de sa vie. William ? Ce serait très étonnant. Quel intérêt avait-il à fauter avec l’épicière alors qu’il était marié avec sa blonde et avait déjà deux gosses ? Non, il n’avait pas ce qu’il fallait pour se lancer dans une telle aventure. C’était un casanier sans aucune ambition. Il n’avait même pas le cran de répliquer quand on lui mettait une tarte, comment pourrait il tenter de faire des infidélités à sa femme ? Il ne restait plus que Declan. L’hypothèse la plus probable. Il avait tous les critères du petit fumier baratineur en plus d’avoir une fille. Si il devait parier, le barman miserait son billet sur lui.

Calvin tentait d’y voir plus clair dans cette histoire qui ne le concernait pas du tout. Mais, tout cela avait du bon dans un sens : ça ferait toujours davantage de poids à ses propos. Et ce n’était jamais de trop lorsque des informations filtraient à propos de Declan comme pour ses ‘associés’ d’ailleurs.

«Ce n’est pas eux qui te délivreront un semblant de vérité. Ils passent leur temps à nous rabaisser dans ce village…Tu es juste un pion manipulé en finesse pour le bon plaisir de certains…au sens propre d’ailleurs…Et tout ça en te faisant miroiter autre chose au départ. »

Apparemment, Calvin ne pouvait que remarquer à quel point la solitude s’était emparée d’elle. Il put le remarquer parfaitement lorsqu’elle lui demanda indirectement de l’accompagner chez elle. Et après la soirée du drugstore, bon nombre d’habitants devaient penser que sa compagnie était pour le moins indésirable. Mais, elle avait besoin de lui. Il savait qu’il était en position de force en quelques sortes. Et puis, ce n’était pas tous les jours qu’il pouvait aller squatter chez une semi-inconnue. En effet, il ne la connaissait que d'un point de vue professionnel à vrai dire.

«Hm, c’est pas grave mais si ça peut t’aider, ça me va…viens, je t’amène.»

Elle était vulnérable à tout point de vue. Même si elle était assez plaisante à regarder et que sa main et cette distance rapprochée établissaient une entrevue assez privilégiée, il n’avait pour le moment aucun but en tête. Mais, l’idée de s’amuser avec l’ex de Declan après celle de Grifith commençait à militer fermement dans son esprit. Et il savait qu’elle savait qu’elle avait besoin d’attention et de protection. Et son statut de rebelle incontrôlable pouvait la séduire sans qu’elle s’en aperçoive.

Elizabeth fronca les sourcils en entendant l'analyse faite par Calvin sur sa relation avec Declan - et, vu le pluriel employé, il mettait William et Nathaniel dans le même panier, même si elle n'avait aucune sympathie pour Nathaniel. Rien que l'idée qu'elle puisse être intime avec le garagiste lui donnait la nausée. Mais le barman avait visiblement deviné qu'il se passait quelque chose entre eux trois - et qu'elle était une part de l'équation. Mais du point de vue de Calvin, elle passait pour un pion. Elle passa en revue certains de ses souvenirs.
Bien sur, elle savait que pour Nathaniel, elle n'était rien. Il l'utilisait à loisir, avec ou sans son consentement, en utilisant l'ascendant qu'il pouvait avoir sur elle. Pas de secret là dedans.
Elle savait aussi que William l'avait utilisée pour certaines affaires qui les concernaient, mais il ne le lui avait pas caché. Certes, il ne lui avait pas dit la finalité de son plan, mais elle avait accepté d'entrer dans son jeu en son ame et conscience.
Pour ce qui est de Declan... Elle n'avait jamais considéré qu'il l'utilisait pour son bon plaisir. Depuis le début, elle pensait qu'ils partageaient de bon moments, jusqu'au moment où leur relation avait monté d'un niveau. Mais quand il avait fallut avancer et faire des choix... c'avait été au détriment de ce qu'ils s'étaient promis. L'avait-il considéré comme ... une distraction utile ? Elle ne pouvait se résoudre à l'accepter.

Elle secoua la tête.

" Non... Ca ne s'est pas passé comme ca... C'est juste... arrivé... Tu sais comment c'est : ca commence par une nuit, et après... on ne sait jamais où ca peut nous mener. Dans notre cas... Ca s'est terminé par une impasse. " Elle occultait volontairement William et Nathaniel. Elle ne voulait pas donner à Calvin encore plus l'impression que les quatre habitants avaient des affaires communes autres que la vie quotidienne du village. Mais ca n'expliquait toujours pas pourquoi elle craignait Nathaniel de la sorte.

Lorsque Calvin accepta de la raccompagner chez elle, elle accueillit la nouvelle avec un sentiment mélanger, preuve qu'elle était très perturbée.
Une part d'elle-même était soulagée de ne pas rentrer seule, et de rentrer maintenant. Elle ne risquait plus de recroiser le garagiste, et si elle était accompagnée, elle ne ferait pas de mauvaise rencontre. Et si quelqu'un frappait à la porte, elle n'aurait pas peur de la personne à qui elle ferait face. Elle en avait un peu assez d'avoir peur...
D'un autre côté, elle se trouvait idiote d'avoir invité Calvin, sans doute un des habitants les moins recommandables de Grayson, d'autant plus depuis qu'il avait fait un séjour dans les cellules du sherif. La situation était pour le moins incongrue. Il était imprévisible, pouvait être violent...
Mais il était un peu tard pour revenir en arrière, et le soulagement de ne pas être seule l'emportait sur le doute.

Elle hocha la tête et prit une inspiration avant de se redresser : elle n'était pas sure de tenir sur ses jambes flageolantes et attrapa le bras de Calvin pour assurer le coup. Finalement prête à marcher, elle le lacha avec une petite grimace gênée.

" D'accord. Alors allons y. Je... je n'ai vraiment pas envie de rester ici... Merci... "

Tout commençait par une nuit qui ne laissait augurer ce qui allait suivre dans un avenir proche. Les paroles d’Elizabeth permirent au barman de trouver sa place dans cette représentation de la vérité générale. La nuit passée avec Colleen illustrait parfaitement ces propos. Calvin ne se souvenait même pas comment tout cela avait commencé exactement. Il se remémorait une jeune femme assez blasée de son petit copain mais aussi entreprenante, quelques verres de temps à autre, une attirance sexuelle soudaine apparaissant telle une opportunité tout à fait fortuite et devançant la sympathie qu’il éprouvait à son égard, et les dés étaient jetés. Calvin n’en demeurait pas moins un homme.

Seulement, il ne fallait pas se voiler la face. Le tenant du drugstore savait que la plupart du temps, ce genre de relation menait à une impasse. Du moins, au vu de son expérience personnelle. D’un autre côté, il était loin d’être un spécialiste des relations sentimentales depuis un événement funeste qui s’était produit de nombreuses années plus tôt. S’investir dans une relation lui serait certainement un peu trop compliqué maintenant. Certains pouvaient y voir une solution de facilité de traiter les femmes comme des objets de consommation. Mais, qui était exempt de tout reproche dans ce domaine dans ce putain de village ? Même l’épicière ‘clean’ se laissait aller à des coups d’un soir. Aucun doute que celui qui mettrait ce sujet sur la table verrait son propre dossier ouvert au grand jour. Le comptoir du drugstore était bien plus étoffé en détails que les nombreux coffres secrets de la CIA.

«Au moins, je vois que ces tocards ont un semblant de vie sociale. Ils ne sont pas si pitoyables qu’ils en ont l’air. »

C’était venu du fond de son cœur même si cette phrase pouvait donner l’air d’être mal venue vu le contexte. Le sujet dérivait lentement vers Nathaniel, William et Declan et Calvin dut se retenir d’aller plus loin. Il n’y avait aucun intérêt à étendre son linge sale en comité restreint et devant une jeune femme perturbée et apparemment perdue dans ses pensées. Le tenant du bar de Grayson l’observa un instant au vu de sa démarche hésitante. C’était à se demander comment les jambes pouvaient devenir moins fonctionnelles lorsque l’on trouvait le curseur de notre état émotionnel sur le voyant ‘tristesse’. Sur celui du barman, le voyant ‘colère’ était démesuré, preuve qu’il en absorbé d’autres.

Calvin décida d’ouvrir le chemin, jetant un œil de temps à autre à Elizabeth qui semblait sécher ses larmes désormais. Cela le rassurait d’un côté parce qu’il ignorait parfaitement ce qu’il aurait pu dire d’autre pour changer la donne. Une fois à bord de son véhicule, un pick-up dont le capot dissimulait un moteur aux ronronnements nerveux, il alluma les phares machinalement, tel un réflexe provenant tout droit de son subconscient de conducteur, et s’engagea sur une des routes de ce village. Bien sur, les limitations de vitesse ce n’était pas son fort. Mais, si ils disposaient d’un radar à Grayson ça se saurait. Il n’y en avait même pas à Gower en plus. Même sa conduite semblait nerveuse alors qu’il paraissait à peu près calme. Une fois arrivé à bon port, il coupa le contact et entreprit de briser le silence qui s’était installé.

« Hum…c’est normal si il y a quelques canettes de bière qui traînent par terre. C’est pour qu’elles fassent un peu de bruit si je venais à m’assoupir. Ca fait 15 ans que je fais ça, 15 ans que ça marche, ça te pose un problème ? t’as l’air de regarder ça bizarrement…Et merci, pour la chemise, je me demandais comment j’allais pouvoir faire… »

Evidemment, elle devait plutôt fixer ses pompes toujours aussi triste au lieu de fixer ces futiles canettes.

Elizabeth emboita le pas à Calvin, ce qui était dans tous les cas la meilleure chose à faire : elle n'avait aucune idée de où il avait pu mettre son pick-up. Elle n'était même pas sure de pouvoir reconnaitre la voiture du barman. Elle n'y avait jamais vraiment prêté attention. Pourtant, en approchant du véhicule, cela lui sembla évident. Elle le voyait pourtant souvent... Mais elle accordait peu d'attention aux voitures. Elle-même n'en avait pas, c'était les fermiers qui apportaient leurs marchandises quand ils avaient des choses à livrer. Le reste des fournitures pour l'épicerie... Elle ne s'en souciait pas.

" Ce ne sont pas plus des tocards que moi... " Elle eut une pensée fugitive pour Nathaniel. " Enfin... William a sa famille, et Declan a perdu sa femme... " Elle se retrouvait à nouveau à les défendre, et elle trouvait cela incongru. Pourtant, c'était la vérité...

Elle grimpa dans le véhicule aux côtés de Calvin et se perdit dans ses pensées. Sa main l'élancait. Elle allait garder une marque de cette fichue journée... Elle avait ressenti une pression tout le long. D'abord la crainte que Suzanna ne la provoque, l'espoir que Declan vienne enfin vers elle, la peur de Nathaniel, si proche, dangereux, et le regard qu'il lui avait adressé, comme dans ses pires cauchemars d'enfant... Il devait être arrêté, parce qu'il prenait sa propre route, sans plus prendre le conseil des autres, ou juste les en informer. Parce qu'il prenait trop de plaisir à tout cela. William avait raison, elle en était désormais convaincue. Tout cela devait s'arrêter, pour le meilleur et pour le pire. Parce que les Donelly ne devaient pas payer pour eux.
Par ailleurs, elle se sentait ridicule de s'être donnée en spectacle comme elle l'avait fait. Tout le monde avait du la voir traverser l'aire de pique-nique en courant. Ca n'allait pas arrêter de jaser... Et le style de conduite de Calvin ne l'empêchait en rien ses pensées, plutôt noires, de la hanter. Demain serait certes un autre jour, mais lequel ?

Le moteur qui s'arrêta la tira de sa torpeur, et elle entendit la remarque de Calvin. Elle vit alors
les canettes qui jonchaient effectivement le sol du véhicule.

" Je t'avouerais que je n'y avais pas fait attention, mais... C'est ta voiture après tout... Et puis... Tout dépend en combien de temps tu les as bues... Si c'est l'oeuvre des 15 dernieres années, ce n'est pas bien grave. Si tu les as bues dans les 15 dernières minutes... C'est plus problématique... " Elle réussit enfin à sourire légèrement en regardant Calvin, avant d'ouvrir la portière et de descendre du pick-up pour précéder le barman devant sa porte. Elle plongea sa main gauche dans sa poche droite pour tirer les clés de sa maison. Elle n'avait emmené que cela, ne laissant donc ni sac, ni la moindre affaire personnelle sur l'aire de pique-nique. Bien sur, il y aurait des aliments à ramener, mais Nathaniel l'avait vue se blesser, et aviserait sans doute Charlie. Elle avait les clés de l'épicerie...
Elle finit par extraire les clés de sa poche et entreprit maladroitement de déverrouiller sa porte.

" C'est normal, c'est de ma faute. Et puis si on ne peut pas s'aider entre voisins... enfin voisins... tu vois ce que je veux dire... " Elle lui adressa un nouveau sourire avant d'ouvrir la porte. S'être éloignée du parc et de retrouver l'abri de sa maison lui avait redonné des couleurs. Elle ne savait toujours pas trop comment allaient se passer leur entrevue, ce qu'ils pourraient se dire, mais elle se sentait rassurée, c'était déja ca.

Marmonnant dans sa barbe un instant alors qu’il se remémorait Elizabeth qui tentait de défendre de nouveau le maire et le shérif de la ville, il prit un air plus détendu lorsqu’elle avança ce qu’elle pensait de ses canettes de bière. C’était bien ça, quelqu’un qui ne s’offusquait pas d’un style de vie particulier. Bref, quelqu’un qui ne le considérait pas comme un bouseux tout simplement. Dakota, elle, s’était prise une rasade en pleine tronche de manière presque instantanée.

«J’sais pas, si je devais tenir un registre à chaque fois que j’en vidais une…C’est la seule chose que je fais aussi souvent que m’en prendre aux flics du coin…Et à force de tout faire pour les mettre de travers, j’ai du mal à me souvenir de tout.»

Le tenant du drugstore descendit à son tour du véhicule et accompagna Elizabeth en se dirigeant vers le palier de la porte de sa maison. Le fait de considérer tous les habitants de ce village, aussi petit qu’il était, fit hausser des sourcils Calvin. Tout dépendait du voisin en question. Certes, bon nombre de ces personnes étaient sans histoire.

«Ouais, je vois. J’ai aidé pas mal de mes ‘voisins’ en écrasant la tronche de certains contre un de mes tabourets. » répondit il avec une ironie propre à lui.

Le barman haussa des épaules avec une certaine nonchalance – malgré son passage en cellule au commissariat – et entra dans la foulée dans la demeure sobre de l’épicière. Les mains dans les poches, il se laissait guider jusqu’au salon. Rien de bien particulier ne lui sautait aux yeux dans un premier temps. Il put voir à travers la fenêtre la plateforme de son véhicule chargée du matériel et des boissons mises à disposition pour l’événement au stand boissons. Il ne lui manquait plus qu’une table et un parasol à récupérer et une voix intérieure lui disait qu’on ne viendrait pas s’en prendre à ces deux objets lui appartenant. Le graysonien moyen était fourbe mais pas stupide au point de le provoquer pour un stupide parasol. Calvin se détourna dans la foulée et ôta les boutons de sa chemise tâchée avant de tendre le vêtement à Elizabeth l’aide de sa main droite.

«Je te la laisse…je suis pas du genre à croire aux miracles mais j’te fais confiance. »

Un léger sourire prit place sur le visage du barman avant qu’il ne se détourne pour laisser œuvrer l’épicière en tranquillité. Son nez se dirigeait dans toutes les directions et ses yeux observaient ce lieu nouveau sous différents angles avant que ceux-ci ne se reposent de nouveau sur Elizabeth. Un soupçon de culpabilité certes infime se propagea un instant en lui lorsqu’il se mit à observer l’épicière. Il ne s’en voulait pas de la regarder la sorte à vrai dire, il s’en voulait de l’observer ainsi alors qu’il l’avait vu perturbée un quart d’heure plus tôt. D’un autre côté, cela ne lui empêchait pas de défendre les fumiers que Calvin détestait éperdument. Il jugeait alors qu’elle resterait en retrait et qu’elle n’hésiterait pas à tourner sa veste comme Colleen à la première occasion. Alors pourquoi faire preuve de bienveillance ? Elle faisait partie de ceux qui ne savaient pas où ils habitaient dans ce village. Ses éventuelles réticences disparurent et ses yeux se posèrent discrètement sur elle de temps à autre au gré de son désir.

Là, dans l'intimité de sa maison, elle avait l'impression qu'on lui avait enlevé un poids des épaules. Malgré la douleur de sa main, et les souvenirs de la journée, elle se détendait quelque peu. Et même si elle gardait une pointe de tristesse dans le regard, c'est un sourire plus franc qu'elle lui adressa.

" Oui il parait. Je ne sais pas si c'est le meilleur moyen de rentre service à la communauté, cela dit... Tu ne t'es jamais dit que c'était pour cela que tu n'étais pas très apprécié ? " Il n'y avait pas de jugement dans cette question, simplement une constatation. Elle était bien placée pour savoir comment les nouveaux venus à Grayson pouvaient avoir du mal à s'intégrer. Elle savait aussi que Calvin n'avait pas forcément fait ce qui était le plus indiqué pour réussir le tour de force d'être accepté par les habitants du village. " D'habitude, on pense plutôt à emprunter un kilo de sucre, ou à prêter un marteau plutôt qu'à faire se rencontrer un nez et un tabouret... " Et elle conclut avec le regard de réprobation indulgente qu'on réservait à l'enfant qui avait descendu toute la boite de biscuits : elle le taquinait. Cela pouvait surprendre après la crise de larmes qui avait précédé. Mais on l'a dit, elle se sentait plus en sécurité dans l'abri familier de sa maison. Et puis son caractère la poussait à dépasser le désespoir pour se résoudre à agir et changer les choses. Il fallait bien commencer quelque part.

Elle le laissa explorer son salon, décoré avec délicatesse. Tout semblait confortable et doux : c'était un intérieur qui lui ressemblait. Il n'y avait qu'une seule photo de ses parents. Tout le reste de la décoration se résumait à quelques aquarelles de scènes champêtres, des fleurs, et des couleurs pastelles.
Elle déposa les clés sur la coupelle qui leur était destinée avant de le regarder déboutonner sa chemise et l'enlever sans cérémonie. Elle le regarda lui tendre sa chemise, torse nu au milieu de son salon. Elle marqua un temps en considérant l'homme qui se tenait face à elle d'un oeil neuf avant de se saisir du vêtement en baissant le nez, limite rougissante.

" Ca devrait aller. Le sang est frais... " Elle en regarda l'étiquette, le tissu, et disparut dans la salle de bain avant de revenir avec un tube d'aspirine. Elle sortit un grand bol, le remplit d'eau froide et y jeta deux cachets d'aspirine. Elle remua l'eau de la main. Lorsque les cachets furent bien dissous, elle imbiba généreusement et soigneusement chacune des taches de sang qu'elle avait occasionnée. Elle prenait son temps, car il lui fallait tout faire d'une main. Tout en travaillant, elle avait conscience du regard du barman, mais essayait de ne pas y penser. Mais ce n'était pas évident, quand on était une femme délaissée, d'ignorer qu'un homme la regardait. Elle se lanca donc dans la conversation.
" C'était la maison de mes parents, à l'origine. A dire vrai, cette maison est dans ma famille depuis 400 ans... Depuis la fondation du village en fait. Quand j'ai pris la tête de l'épicerie, mes parents ont acheté une maison à la sortie de Grayson, et je m'y suis installée. "
Finalement satisfaite de son travail, elle déposa la chemise sur son bras.

" Ca devrait aller. Il faut attendre que ca sèche maintenant, avant de la brosser. Je vais aller l'étendre dans la véranda. " Elle n'attendait pas de réponse et fila rapidement dans la pièce déposer la chemise de Calvin avant de revenir. Elle attrapa un torchon et s'essuya la main et l'avant-bras en revenant vers le salon.

" Tu veux peut être quelque chose en attendant ? Je dois avoir des vieux pulls de mon père quelque part. Et quelque chose à boire... " Elle le fixait dans les yeux, plus vaillante qu'à leur arrivée, prenant un soin particulier à ne pas se montrer indiscrète ou impolie. Et éviter de penser... à autre chose...

Un certain nombre de personnes cherchait à rendre service à la communauté de Grayson. Mais, ce que Calvin remarquait de plus en plus, c’est qu’il ne s’agissait que d’une façade. Un argument utilisé par certains pour couvrir des intentions un peu plus personnelles tel un jeu de pouvoir. Calvin fit mine d’acquiescer lorsque Elizabeth sous entendait que ses actions exprimaient que du dédain chez une bonne partie des habitants parce que ses méthodes ne plaisaient pas. Peut être allait il comprendre ce soir, après avoir enquillé des bières par pack, qu’il n’arriverait jamais à son but ? Qu’il n’obtiendrait jamais le soutien recherché ? Que pour vaincre les ‘tyrans’, il fallait devenir ‘tyran’ soi-même ? Le barman se mit à réfléchir et parut un instant dans ses pensées. Et si tout était vain dans ce village peuplé d’ignorants et de profiteurs bien placés ? Quoi qu’il en soit, le fait que ce soit une personne aussi fragile émotionnellement qu’Elizabeth, à l’origine de ce questionnement, était assez ironique en soi. Pourquoi ? Elle n’avait aucun intérêt à mentir. Mais, Calvin et son égo démesuré refusait obstinément d’être un simple figurant fantasque de ce village.

Rongé de l’intérieur, il écouta d’une oreille seulement l’historique de cette maison. Ca ne l’intéressait clairement pas sur le moment. Elizabeth disparut l’espace d’un instant afin d’étendre la chemise tâchée un peu plus tôt dans la soirée. Mais, cet intervalle de temps aussi bref fut il, parvint à faire disparaître la lueur d’espoir dans les yeux du barman. Si pour avoir sa place dans ce village, il fallait s’élever au dessus des intentions collectives, il en prenait tout droit le chemin…

«Hm, il fait déjà assez chaud comme ça…J’veux bien un p’tit scotch…enfin, si j’suis pas le seul à trinquer.. »

Elizabeth semblait un peu plus à l’aise que tout à l’heure. Calvin le remarquait en la regardant clairement dans les yeux d’un air intéressé. Pourquoi s’intéresserait il à ce qui devrait être bon pour elle ? En bon égoïste, sa vulnérabilité en faisait une personne accessible et son histoire avec Declan la rendait d’autant plus intéressante pour qu’elle serve ses propres intérêts en plus de l’amuser. L’intérêt du Graysonien moyen n’avait plus sa place dans son esprit. Quelques images se succédèrent tout à coup. Colleen qui lui avait tourné le dos dés sa première erreur. Dakota, Declan et Grifith qui ne l’avaient toujours pas considéré tel qu’il l’aurait voulu. La journée pacifique du pique nique prenait fin tandis que le lendemain s’annonçait avec une ambiance encore plus délétère que jamais.

Calvin revint de nouveau à l’instant présent et cette fois-ci pour de bon. Alors qu’Elizabeth semblait sur le point de se diriger probablement vers son bar ou son frigo, le tenant du drugstore eut la flemme d’attendre davantage le bon moment pour passer à l’offensive de façon traditionnelle. En plein milieu du salon, il venait d’attraper brusquement la boucle de la ceinture du jean de l’épicière. Puis, il osa la ramener contre elle de cette manière tel un animal tiré par la bride, maintenant sa prise tout en la regardant dans les yeux, lascif.

«…Mais, tu n’as pas envie de boire, huh ? »

Elle baissa le nez et rougit légèrement en comprenant qu'il avait l'intention de rester ainsi dévêtu dans son salon. Elle faisait partie des tenants de la bonne société de Grayson, et dans ce type de cercle, il était inconvenant de rester torse tenu en société. Mais à la réflexion, le style convenait fort bien à l'allure plus brute de Calvin.
Par contre, Elizabeth aurait pu parier sur le scotch. Un tenant de bar, un scotch... ca collait forcément. Elle ne se doutait pas des pensées qui agitaient son invité, encore trop concentrée sur les récents événements, et sur ceux à venir. Le lendemain marquerait le début d'un chapitre qui serait forcément houleux pour les habitants de Grayson. Certaines choses allaient changer, soit dans le sens de William, soit dans celui de Nathaniel. Mais Elizabeth avait désormais accepté que l'arrivée des Donnelly marquait le glas de la vie telle qu'ils l'avaient connue. Il leur fallait maintenant évoluer, ou disparaitre. La question de la nature de l'évolution était encore incertaine, mais ils ne pouvaient plus se contenter d'attendre.

Mais pour l'instant, sa journée en enfer se terminait sous des augures plus paisibles. La perspective d'un verre avec quelqu'un qui apparaissait finalement comme un ami secourable, une discussion badine avant de rejoindre Morphée, tout cela s'annoncait réconfortant. Une parenthèse de paix, dans le tourbillon confus des derniers jours.
Elle acquiesca donc en riant un peu avant de partir pour aller chercher la commande de Calvin.
Mais elle n'eut pas le temps de faire un pas qu'elle se sentit attrapée par son jean, et sans trop comprendre comment, elle se retrouva collée contre lui, les bras repliés contre elle tenant encore le torchon à fleurs avec lequel elle s'était essuyé les mains. Elle avait une expression de surprise totale, les yeux ecarquillés et la bouche entrouverte, cherchant quoi dire, quoi faire.

En temps normal et devant tant de désinvolture à son égard, Calvin aurait sans doute hérité d'une bonne gifle en guise de réponse. Seulement en cet instant, elle se rappelait que c'était dans ce même salon, mais avec beaucoup plus de decorum que son histoire avec Declan avait commencée, et une part d'elle même s'accrochait à ce passé. A l'opposé, la rebelle en elle - qui prenait d'ailleurs de plus en plus d'assurance - avait envie de tout envoyer balader, et appréciait la brutalité de la manoeuvre. Fi des égards ! La spontanéité, il n'y a que ca de vrai !

Prise donc dans ces altermoiements intérieurs, elle resta à bafouiller : " Calvin ! Je... heu... " tout en prenant conscience du contact de sa peau, de son odeur et que tout son corps réagissait positivement à cette proximité. Elle était à la fois terrorisée et ravie de ce qui pourrait arriver - et des conséquences.
Bref... elle était cuite...

L’envie de s’y prendre de cette manière lui était venue subitement. Lui, qui ne calculait pas plus ses mots que ses paroles. Calvin n’était pas vraiment du genre à calculer ce qu’il avait à perdre, d’autant plus au vu de la situation. Elizabeth était jusqu’alors considérée comme une connaissance totalement neutre et sans histoire. Cependant, elle représentait désormais la bonne pomme qui lui tombait sous la main. Il n’avait plus qu’à la cueillir. Comment Declan réagirait en sachant qu’il lui avait facilité le travail ? Non, il avait même fait davantage que ça. Il n’y avait pas autant de travail que ça au vu de l’état émotionnel de l’épicière, apparemment prête à céder face à un des types ayant la plus sale réputation de ce village.

Calvin la fixait, les sourcils haussés, avec une mine amusée au coin des lèvres. Allait-elle finir par réagir ? Par protester ? Il vit que non même si Elizabeth balbutiait quelques mots entre ses dents, confuse. Alors, il répondit d’un ton manifestement provocateur.

«Tu ? ..Hm, attends, j’essaye de deviner…C’est ça qui te gêne ? »

Le tenant du bar la secoua par la petite plaque servant de boucle à sa ceinture à quelques reprises. Tout cela l’amusait et contribuait à rappeler si ce n’est renforcer son emprise sur Elizabeth. Puis, au bout de quelques secondes, Calvin se décida à la faire reculer contre un pan du mur. Dans la foulée, sa main vint saisir le chiffon qu’elle détenait nerveusement entre ses mains pour l’envoyer voguer dans les airs de manière tout à fait aléatoire. Son torse nu vint établir contact contre la poitrine légèrement vêtue de l’épicière tandis qu’il la regardait toujours dans les yeux. Cet instant de flottement dura à peine quelques secondes avant que ses mains ôtent brusquement l’étreinte de sa ceinture, lacérant le silence ambiant par le cliquetis d’une petite boucle métallique. Celle-ci vint s’échouer par terre, plus pour la symbolique qu’autre chose. Calvin voulait la voir fondre entre ses mains. Le fait qu’elle fut inaccessible auparavant renforçait par ailleurs ce petit plaisir. Une de ses mains tenait désormais le bouton de son pantalon tandis que les doigts de son autre main se glissaient sournoisement sur son bas ventre, sous son tee shirt. Sa jambe se glissa entre les siennes brusquement tandis que ses doigts explorateurs finirent leur parcours pacifique en saisissant tout aussi rapidement la hanche de l’épicière. Le contact se révélait assez plaisant et il ne comptait en aucun cas se presser pour la finir.

«Ca ne va pas mieux comme ça ? »

Il est de notoriété publique que plus l'éducation est bonne, plus le risque d'être attirée par les bad boys était grand. Elizabeth ne s'était jamais penchée sur la question, mais maintenant qu'elle se trouvait confrontée à la situation, elle en comprenait les tenants : les mecs les moins recommandables avaient des manières pour le moins... intéressantes...
Oh bien sur, elle avait une alarme dans sa tête qui lui disait qu'il fallait impérativement qu'elle fasse cesser cette comédie, que sa place n'était pas là, dans les bras d'un homme que la communauté était prête à mettre à son ban. Mais elle se souvenait aussi qu'elle-même voyait sa côte de popularité décroitre à mesure que Suzanna se répandait sur son histoire à la limite floue de la légitimité avec le shérif bien-aimé de la ville - qui le serait sans doute de moins en moins s'il se remettait effectivement à boire, ce qu'Elizabeth avait de moins en moins envie de vérifier à mesure qu'il la délaissait. Alors que risquait-elle vraiment de perdre ? Declan l'avait finalement libérée de tout engagement, elle ne devait de compte à personne...

Bref, elle devait se montrer moins cérébrale, d'autant que Calvin entreprit de la plaquer contre le mur après lui avoir arraché le torchon des mains. Elle commenca par plaquer ses mains contre le mur frais, qui contrastait avec la chaleur qu'elle sentait monter en elle : si son rythme cardiaque avait grimpé d'un niveau lorsqu'il s'était saisi de sa boucle de ceinture, il était carrément en train de battre un record de vitesse alors que Calvin resserra le contact. Désormais prise entre le mur et lui, elle aurait sans doute pu percevoir le coeur du barman si elle-même n'avait pas été au bord du chavirement. D'autant qu'elle ne pouvait détacher son regard de celui, magnétique, de Calvin. Et alors qu'il entreprit de lui ôter sa ceinture, elle comprit qu'elle se trouvait face à un tournant. Soit elle reculait pour rester de son côté du mur, soit elle passait le pas et se jetait dans l'inconnu...

La réflexion fut vite faite lorsque les mains de Calvin partirent en exploration, désormais directement sur sa peau et déclenchant une vague de frissons qui remontèrent le long de sa colonne vertébrale. Dans le meme temps, elle sentit la jambe de Calvin s'insinuer entre les siennes, et sa main lui saisir la hanche.
Elle ne l'avait pas quitté des yeux, et si elle se posait encore la question pour la forme, elle savait très bien que sa décision était prise. De toute facon, son corps n'aurait pas suivi sa tête, donc... Pourquoi résister, hum ?

Son expression quitta donc son air apeuré pour une lueur plus sensuelle. Une de ses mains vint se poser sur son torse, l'autre sur sa nuque, avec une délicatesse qui tranchait avec la violence relative de Calvin. Basculant les hanches pour mieux se serrer contre lui, sa cuisse remontant contre la sienne comme pour y prendre appui, elle se redressa, prêt à l'embrasser, mais s'arrêta quelques mm avant de toucher au but : le désir se nourrit de l'anticipation... Quitte à faire quelque chose de fou, autant jouer la carte à fond.
Elle lui sourit doucement, volontairement timide et hésitante. Et alors elle lui répondit :

" Pas vraiment... pas encore... "

Cela ne lui suffisait pas de l’avoir prise au piège. Il prenait son pied à faire traîner les choses, à coincer une dame bien élevée contre un mur. Sans résistance, la tâche s’était révélée plutôt aisée. Et même s’il ne pouvait s’en vanter pour son égo, il se satisfaisait de son opportunisme. Une fois que celle-ci avait donné l’impression de céder, Calvin eut la surprise de découvrir une Elizabeth un peu moins coincée qu’il l’aurait imaginée à la base. Peut être était-ce elle qui ne savait pas véritablement à qui elle avait à faire ?

«Pas encore.. ? »

Cela ressemblait clairement à une invitation pour aller plus loin. Le désir commença à se faire réellement sentir chez le barman tandis qu’il scrutait cette mine sensuelle inédite pour Elizabeth. Si seulement elle se doutait un instant que la suite pouvait se dérouler de trente six manières différentes, toutes parfaitement inconnues jusqu’à présent pour l’épicière. Ses mains dénouèrent le bouton du pantalon de la brune qui vint s’échouer au sol aussitôt. Dans la foulée, l’attention de Calvin se reporta sur son tee shirt qu’il fit glisser le long de ses bras avec son manque de finesse habituel. Une fois celui-ci à un autre bout de la pièce, il pouvait se satisfaire du contact de sa peau douce contre la sienne.

Et elle n’avait pas voulu l’embrasser après avoir rapproché ses lèvres des siennes. Cela amusa le barman un moment qui préféra jouer son jeu plutôt que de rester dans ses habitudes. Sa main vint se glisser dans son dos, arrachant au passage le nœud indéfectible de son soutien gorge, avant de prendre place au travers de sa longue chevelure pour incliner sa tête en arrière en toute hâte. Et pendant ce temps, son autre main se permit des aventures un peu plus extrêmes au niveau de son entrejambe, passant de manière lancinante. Calvin voulait voir jusqu’à quel point elle pouvait brûler de la sorte. Jusqu’à quel point elle était capable de demeurer la sage petite Elizabeth innocente. Parce que, si elle entreprenait quoi que ce soit, le lendemain elle ne pourrait plus véritablement affirmer qu’il ne s’agissait que d’une méprise de sa part. Avec Colleen, il n’avait pas pris la peine de le vérifier car il connaissait ses capacités en la matière. Et puis, à quoi bon prendre le temps de déguster la postière ? Avec elle il ne fallait pas une opportunité mais une bouteille de tequila et une remise..Enfin, quand elle ne faisait plus la gueule ou serait de nouveau en chaleur.

Elizabeth savait qu'ils allaient passer un point de non retour. Un point au delà duquel les choses seraient irrémédiablement différentes. Elle ne pensait pas changer grand chose dans la vie de Calvin, mais elle savait fort bien que continuer revenait à enterrer sa relation déjà moribonde avec Declan, mais aussi s'attirer des inimités. Calvin n'appartenait pas à Grayson comme elle, il ne pouvait donc pas comprendre tout ce que le fait d'être née ici impliquait pour elle. Mais les autres risquaient de mal l'interpréter... Et ce serait du pain béni pour Nathaniel, à n'en pas douter. Mais cela devait-elle l'empêcher de vivre le moment ? Elle avait décidé que non. Elle avait vécu pour Grayson jusque là, et ça ne lui avait rien apporté de bon. Elle avait déjà décidé plus tôt dans la journée d'oeuvrer pour un autre avenir que celui qui lui était destiné. Franchir le point de non retour avec Calvin n'en serait qu'un pas de plus dans une rébellion qui couvait en elle depuis trop longtemps.

Et puis c'était grisant.

En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, elle se retrouva quasiment nue, entre le mur froid et le corps chaud de Calvin. Il lui avait ramené la tête en arrière pendant que ses caresses se faisaient plus insistantes, et plus brûlantes. Elle y répondit en se cambrant davantage encore, fermant les yeux dans un soupir sensuel, un gémissement au fond de la gorge. Elle prenait appui sur la main ferme derrière sa tête pour mieux s'abandonner. Mais très vite elle rouvrit les yeux, comme pour s'assurer qu'il était encore là, et lui prouver qu'elle n'avait pas l'intention de reculer. Elle entrouvrit les lèvres, regrettant sur le coup de ne pas l'avoir embrassé lorsqu'elle l'avait pu, alors qu'il la maintenait maintenant de telle sorte qu'elle ne pouvait qu'attendre son bon vouloir. Excitante frustration... Mais elle n'était pas sans ressource...
Elle laissa sa main bandée sur la nuque de Calvin et s'y accrochait malgré la douleur que lui causait la plaie - mais qui formait un contraste étonnamment excitant avec les ondes de plaisir que son partenaire provoquait en elle. Son autre main descendit, effleurant son torse au passage, et elle entreprit d'ouvrir le pantalon de son partenaire. Le point de non retour...
Elle savait l'image qu'elle donnait à la communauté. mais la majeure partie d'entre eux ignorait la part qu'elle prenait aux affaires de Grayson. Elle avait assez de squelettes dans son placard pour n'avoir rien à envier à Calvin, finalement. Simplement, les squelettes étaient bien cachés...

Il y avait quelque chose de plaisant là dedans pour Calvin sans que ce soit purement et simplement physique. Pourtant, il n’avait rien de très cérébral comme type. Ses frasques connues de presque tous le prouvaient plutôt bien. Cependant, il retirait quelque chose de plus de la situation actuelle. Son égo en ressortait grandi. Elizabeth qui fondait de désir ne pourrait nier cette attirance dans le futur. Et puis, il disposait d’une arme supplémentaire dans son arsenal apocalyptique pour atterrer n’importe quelle personne de Grayson. Se taper l’ex de Declan et la cousine de Dakota était à coup sur une idée stratégique en plus d’être une partie de plaisir.

Ses lèvres vinrent se rapprocher de celles d’Elizabeth pour l’embrasser un bref instant. Il ressentait déjà son souffle haletant contre sa joue alors qu’il n’était pas passé au plat de résistance. Par ailleurs, savait-elle que rares étaient les femmes qui étaient parvenues à caresser son torse avec autant de douceur avant qu’il n’accélère les choses ? Non, elle l’ignorait probablement. Calvin laissa son jean descendre au niveau de ses chevilles, un peu aidé par Elizabeth, et avec sa main oeuvrant en zone basse, il entreprit d’attraper celle de l’épicière pour qu’elle plonge avidement vers l’entrejambe du barman. Il voulait la faire plonger dans cet accès de lubricité qui dormait en elle…jusqu’à l’excitation l’emporte lui même ailleurs.

Calvin la prit dans ses bras brusquement pour la poser sur la table du salon, quelque soit son âge ou son histoire dans la famille Pryde. Ni une ni deux, il se libéra le chemin et entra enfin véritablement et inévitablement en action. Rageur, son bassin exerça des allers-retours frénétiques tandis que le bois grinçait sciemment et qu’un pied de cette table légèrement bancale semblait être légèrement plus court que les autres. Ses mains prirent place sur ses hanches après avoir pu tester sa poitrine relativement bien proportionnée. Elle était devenue le petit jouet vulnérable d’un homme frustré par ce village et les combats quotidiens qu’il y menait. Et pendant ce temps, il observait son corps onduler sous ses assauts. Il prit cependant un instant pour se pencher sur elle et s’aider de ses mains pour déporter celles d’Elizabeth au dessus de sa tête. Calvin désirait mettre le paquet sur ces ébats tandis que la sueur se mettait à perler de tous les pores de sa peau. Et le cas particulier que représentait Elizabeth suffisait à le motiver.

Comme s'il lisait dans ses pensées, Calvin se rapprocha pour l'embrasser, mais trop brièvement pour que cela suffise à la laisser analyser ce qu'elle ressentait en cet instant. Etait-ce un mal ou un bien, elle l'ignorait. Elle avait décidé de faire fi des conséquences pour s'en soucier quand le moment viendrait, et aussi, malgré tout, de faire confiance à Calvin de ne pas transformer cette douce - si l'on peut dire - parenthèse en cauchemar supplémentaire dans sa vie tourmentée et déjà trop chargée. Un type qui avait pris la peine de s'assurer qu'elle ne faisait pas de bêtise et qui avait soigné sa main même si ce n'était pas son boulot ne pouvait pas être un si mauvais bougre... Ou sinon... Elle se poserait la question le moment venu...

En attendant, elle savourait l'instant. Calvin termina d'enlever son pantalon, ce qui n'était pas un mal car elle ne voyait pas comment elle se serait débrouillée seule avec sa main qui peinait déjà à simplement se maintenir dans le dos de son partenaire. Il la guida ensuite de telle sorte qu'elle put constater que son désir était au moins aussi important que le sien. Puisque tel était son souhait, elle le caressa avec une dextérité qui trahissait quelques années de pratique, démontrant par là même qu'elle n'avait rien d'une chaste petite fille.

Lorsqu'il la souleva pour la porter sur la table du salon, elle en profita pour enserrer ses hanches de ses jambes et ne les desserra pas lorsqu'il la pénétra, lui arrachant un cri au passage. Bien au contraire, elles suivaient le rythme presque désespéré de Calvin, et la question fugitive de ce qui motivait cette rage lui traversa l'esprit. Mais elle n'avait pas le temps de s'y attarder : la violence des assauts de son amant l'empêchait de se concentrer sur autre chose que la vague qui montait en elle et menacait de la submerger, prenant encore plus d'ampleur lorsqu'il lui maintint les mains au dessus de la tête. Elle planta ses ongles dans le dos de la main de Calvin, serrant au rythme de leur étreinte. Il en garderait sans doute la trace plusieurs jours, mais elle n'en avait cure. Sa respiration déjà courte s'accéléra, ponctuée de gémissements se muant rapidement en cris, appelant une libération salvatrice.

Calvin put se rendre compte, au travers de quelques signes qui ne trompaient guère, qu’Elizabeth savait cacher son jeu, du moins en partie. Elle avait tout d’abord changé d’attitude en le regardant différemment, plus désireuse. Et puis, elle avait montré par ses initiatives discrètes une habileté qui dénotait d’une quelconque expérience. Cela ne changea pas le moins du monde ses propres intentions. Pris en tenaille entre les jambes de l’épicière, il n’eut guère besoin de temps pour enflammer leurs ébats. Certains réfléchissaient toujours à ce qu’ils pouvaient entreprendre d’autre pour prendre leur pied différemment. Mais, ce n’était pas le cas du barman. Dés le départ, il partait pied au plancher pour rendre cet interlude le plus intense possible telle une bête manquant un poil d’imagination et de technicité mais parfaitement intenable physiquement.

Son bas ventre bouillonnait de plaisir tandis que son rythme cardiaque faisait trembler son palpitant dans sa cage thoracique. Cependant, une gêne futile au premier abord finit par le déranger. La douleur aigue provoquée par les ongles d’Elizabeth sur le revers de sa main le faisait doucement mais sûrement, souffrir de plus en plus. Et si cela semblait supportable au tout début, cette sensation s’accentuait à en devenir à peine supportable. Surtout, cela diminuait la sensation de plaisir inondée dans son être.

Le barman dut finalement se redresser et se retirer un instant, les cheveux décoiffés avec quelques mèches collées contre son front en sueur. Le souffle saccadé, il contempla l’état de ses mains. Celles-ci étaient plus que marquées. Elizabeth avait réussi à le griffer quasiment jusqu’au sang au beau milieu de ces grandes zones rougeâtres. Ses yeux se relevèrent ensuite sur Elizabeth. Et sans réfléchir davantage, Calvin répondit instinctivement à ces hostilités. Ses mains vinrent saisir Elizabeth par les hanches pour la faire basculer sur le ventre sur la table toujours un peu branlante et dure. Aussitôt, il revint en elle avec l’envie de s’élancer dans un dernier sprint dévastateur. Ses mains saisirent ses épaules comme points d’appui tout en attrapant au passage sa chevelure brune. Ce n'était tout de même pas Elizabeth qui le mettrait au supplice en plein ébat. Les gémissements de son amante couplée à la vue de son corps ondulant nerveusement décuplaient indirectement son plaisir débordant. Cela finit irrémédiablement par avoir raison de lui. La délivrance vint enfin et le barman profita de l’instant jusqu’à la dernière seconde, plaqué contre Elizabeth.

C’est alors qu’il finit par relâcher son étreinte, de longues secondes plus tard. Le barman se retira tandis qu’il reprenait son souffle et réalisait avec un plaisir plus cérébral ce qui venait de se passer. C’était fait. Il avait baisé et fait gémir l’ex de Declan, l’épicière à l’apparence bien élevée et inaccessible pour un type comme lui, mais qui souffrait d’un mal du côté de sa vie intime. Et Calvin était désormais le démon qui s’en était échappé.

«Je suis pas contre un verre maintenant finalement… » finit il par dire le plus naturellement du monde.

De son côté, Elizabeth appréciait le voyage à sa juste valeur. Si l'étreinte de Calvin ne laissait guère de place à son confort, elle utilisait donc les armes qu'il lui restait. Alors quand il en vint à stopper net leurs ébats pour regarder l'état de ses mains, la petite satisfaction qu'elle éprouvait à l'avoir atteint compensa la frustration qu'il s'interrompe alors qu'elle allait bientôt succomber. Elle le gratifia d'un regard félin avant qu'il ne réponde d'une manière à laquelle elle ne s'attendait pas. En un geste, elle se retrouva à plat ventre sur la table et Calvin reprit leur chevauchée là où elle s'était interrompue. Peut être même à un niveau plus intense du fait de cette pause inopinée. Il la maintenait avec force, et aussi étonnant que cela lui paraisse, elle y prenait un plaisir inattendu. La vague recommencait à monter en elle, plus forte que jamais et atteint son paroxysme. Elle relacha la tension dans un cri de jouissance et resta elle aussi un instant haletante, cherchant à calmer les battements de son coeur, qui protestait contre le traitement qu'on venait de lui faire subir.
Lorsqu'elle s'en sentit capable, elle se retourna pour faire face à Calvin, tout aussi échevelé qu'elle. Elle se passa le dos de la main sur le nez pour essuyer une goutte de sueur qui perlait.
Elle prit une inspiration et sourit à Calvin lorsqu'il lui demanda un verre.

" Ca doit pouvoir se faire. " Elle tira sur la nappe pour s'en draper, peu désireuse de traverser sa cuisine nue, encore moins d'ouvrir le congélateur pour en sortir des glacons dans cette tenue. Ou absence de tenue. " Je vais chercher ca. Tu n'as qu'à t'installer en attendant... " elle désigna le salon d'un geste vague, qui pouvait aussi bien désigner le canapé que l'épais tapis devant la cheminée bienheureusement éteinte avec la chaleur ambiante, ou encore les chaises autours de la table qui avait été le témoin privilégié du changement de nature de leurs relations.
Elle se dirigea ensuite dans la cuisine ouvrir le congélateur et en sortir une poignée de glacons. Quelques minutes avant, il n'avait pas précisé s'il voulait son scotch sec ou non. Pour elle, ce serait avec glace, c'était certain... Le bol de glace à la main, elle le déposa sur la table avant d'ouvrir le meuble qui lui servait de bar, posa deux verres sur le comptoir, mit des glacons dans l'un d'eux et sortit une bouteille de scotch aux 3/4 pleine. Elle versa une dose généreuse dans chaque verre et les pris dans ses mains en grimacant, car sa main gauche protestait vigoureusement.
Elle alla rejoindre Calvin et lui tendit son verre avec un sourire un peu timide.

" Si tu veux des glacons, j'en ai sorti quelques uns. " Elle cherchait dans son regard un signe quelconque. De quoi ? Elle ne savait pas. Qu'il la déjugeait ? Qu'il était simplement content de lui ? Elle savait juste qu'il avait la réputation de coucher à tout va, sans s'attacher pour autant. Il y avait fort à parier qu'il allait partir sans autre cérémonie... Elle en ressentait une pointe de déception - quoiqu'elle n'avait pas besoin de plus de complications - , mais d'un autre côté, une chose était sure : elle allait bien dormir...

Petit à petit, le tenant du Drugstore retrouvait ses esprits. Un moment de flottement parsemé d’hésitations s’empara de lui. Que devait-il faire désormais ? Ses yeux parcoururent le salon si paisible et typique des gens de bonne famille qui venait d’assister à une scène pour le moins inhabituelle pour lui. Du moins, c’est ce qu’il pensait. A chaque fois que le barman se laissait aller toujours plus loin, Elizabeth suivait, comme si elle était différente à l’intérieur par rapport à sa réputation et la manière dont la plupart des gens la considérait. Calvin fit quelques pas et s’éloigna de la table, scrutant ses pieds qui foulaient le tapis.

Il était toujours surpris par la capacité de certaines personnes à dissimuler des choses à l’intérieur de leur tête. Cela paraissait parfaitement inconcevable, irréalisable pour un homme tel que lui. Il avait juste fallu allumer la mèche pour apercevoir autre chose qu’une épicière coincée. Même si il n’était pas adepte du jeu des comparaisons, cela le frappait. Plus prévisible qu’une Colleen, mais moins perturbée – quoique au vu de son quota de mésaventures sentimentales à elle aussi - , elle lui ressemblait et se différenciait d’elle à la fois. Colleen avait tendance à s’emporter tandis qu’Elizabeth demeurait placide et réaliste. Elle revint dans le salon quelques instants plus tard avec une bonne bouteille de scotch en main. Il tombait bien ce verre. Calvin le prit dans ses mains, dénotant l’ironie de la situation d’un air un peu sarcastique.

«Ca ira sans glaçon…C’est plutôt marrant de voir quelqu’un d’autre me servir…Je n’ai pas vraiment l’habitude. »

Calvin était plutôt du genre à prendre ce qu’il voulait. Et il pouvait s’apercevoir une fois de plus que même si il passait pas mal de temps derrière son comptoir à servir des boissons, l’inverse ne se produisait que très rarement lorsqu’il n’officiait pas à cette besogne. Cela retranscrivait les propos de Dakota lorsqu’il avait dû se farcir les deux cowboys et demi du village au commissariat. Puis, le barman plongea son regard dans celui de la brune de manière différente. Elle n’était plus la jeune femme qui pouvait être outrée par quoi que ce soit. Mais la demoiselle au regard sensuel qui cachait des envies bien plus obscènes et cela lui plaisait davantage incontestablement. Il porta son verre à ses lèvres pour ‘s’hydrater’ avant de reprendre la parole, se souvenant de la discussion de tout à l’heure.

«Tu sais, on m’accuse de mettre le foutoir dans ce village dés que je le peux. Mais, ce que je vois, c’est que d’autres comme Declan ou Nathaniel le font aussi différemment…Seulement je serai toujours celui qui aura tort. Tu n’es pas la seule à t’être trompée…Ils veulent quelqu’un qui foute réellement le bins ? ils vont l’avoir.. »

Et Calvin n’avait pas dit de quelle manière il comptait s’y prendre mais quoi qu’elle soit, il allait durcir sa position.

Calvin ne se trompait qu'à moitié sur Elizabeth. Quelques jours plus tôt, et même indépendamment de son histoire avec Declan, elle n'aurait sans doute pas répondu de la même manière. Peut être ne l'aurait-elle pas rejeté, mais du moins aurait-elle agit avec plus de retenue. Seulement ce soir, elle avait envoyé balader la bienséance avec une facilité qui l'étonnait elle-même. Peut être parce que le sort s'était acharné à faire tomber ses défenses les unes après les autres tout au long de la journée, et même de la semaine... Le gros craquage dont Calvin avait été témoin n'ayant été que la conclusion annoncée. Tout ce qu'elle avait retenu depuis ces deux bonnes semaines s'était déversé en une fois. Elle se sentait épuisée, mais aussi libérée d'un certain poids, et apte à faire front à ce qui s'annonçait, quelque soit ce quelque chose.

Bien sur, Calvin n'était pas étranger à son épuisement... Elle lui sourit à sa remarque.

" Comme quoi, les choses peuvent changer... " Elle eut un haussement de sourcil qui signifiait clairement qu'elle ne parlait pas que du simple verre qu'elle lui offrait. " Si tu permets, je vais m'assoir. On ne peut pas dire que tu donnes dans la mesure ! " Elle eut un petit rire avant de se poser sans plus de cérémonie sur le tapis devant la cheminée. Cette parenthèse d'insouciance lui convenait parfaitement, et elle aurait bien aimé la prolonger encore un peu. Seulement Calvin orienta la conversation sur un sujet par trop glissant. Le regard d'Elizabeth s'obscurcit, et elle perdit son sourire.
Il pourrait sans doute croire que c'était parce qu'il avait évoqué son ex-amant, et c'était en partie vrai. Mais cela tenait aussi au fait qu'il touchait à une part d'interdit, qui, s'il s'obstinait, pouvait lui couter très cher. Il y avait peu à craindre de William, et Declan serait peut être raisonnable, mais elle savait que si Nathaniel jugeait que le barman outrepassait les limites, il pourrait fort bien décider que Grayson pouvait se passer d'un débit de boissons... Et les autres suivraient celui qui aurait le dernier mot... Se doutait-il seulement qu'elle était une part de l'équation au même titre que Declan ou Nathaniel ?
Tout comme elle avait voulu protéger Charlie de la vindicte du garagiste, elle aurait voulu détourner Calvin de ses plans, car autant son employée était purement innocente - elle n'était pas tombée amoureuse de Samuel à dessein -, autant Calvin, s'il s'obstinait à semer le trouble, n'aurait rien pour être repêché. Mais elle ne voyait pas comment l'en dissuader. Il ferait toujours le contraire de ce qu'on lui demandait, elle en était certaine... D'autre part, elle ne pouvait pas tout lui dire alors que ce serait peut être ce qui le calmerait...
Son regard se perdit dans la contemplation de ses orteils alors qu'elle buvait une gorgée de scotch. Elle grimaca sous la brûlure de la boisson. Et elle attaqua d'une petite voix.

" Et tu comptes faire quoi exactement ? Pour quelle raison et dans quel but ? " Elle secoua la tête sans quitter ses orteils des yeux. " S'opposer à des natifs n'est jamais une solution, parce que la communauté sera toujours de leur côté. Parce qu'ils les connaissent depuis toujours. Et même comme cela, ils savent être partiales à outrance. Regarde moi ! Je suis née ici, et pourtant j'ai tort face au souvenir d'une morte... Une morte, Calvin ! Je ne sais pas ce que tu cherches à prouver... " Elle releva finalement le nez pour le regarder en face, ses yeux reflétant une part de son inquiétude. " ... Mais je ne crois pas que tu obtiendras ce que tu veux en te comportant en brute... "