Une fois de plus, Joshua était hors de chez lui. Eh oui, il en faisait des efforts, en ce moment, pour sortir un peu! A vrai dire, il se lassait quelque peu de son chez-lui. Sisi, c'était possible! Après des années et des années de léthargie, Joshua avait fini par se dire que se mêler au monde n'était peut-être pas une mauvaise chose, et même que la ferme familiale n'avait plus beaucoup d'attraits (surtout depuis que les hamsters avaient été interdits dans leur domicile), sa soeur n'était pas très présente, ces derniers temps, certainement préoccupée par ses exams (ou un truc du genre) ou juste embarquée dans la vie palpitante de tout étudiant moyen... Il en savait fichtrement rien. Ouais, trop concerné par sa jumelle, je sais... Bah n'empêche qu'elle lui manquait quand même un peu, elle était à peu près la seule personne à qui il adressait la parole, chez lui, et si même à elle, il ne pouvait plus parler, il allait finir par perdre l'usage de la parole. Mais l'absence de sa soeur n'était pas seule à l'origine de la décision de Josh de prendre un peu l'air, après tout, il avait toujours su s'occuper sans elle (la télé est son amie), c'était également la conversation qu'il avait eu avec Nathaniel qui avait quelque peu changé son comportement.

Bien sûr, il n'admettrait jamais qu'une personne autre que lui-même puisse avoir une telle influence sur lui, mais c'était tout de même le cas. Depuis sa rencontre avec Nathaniel à l'épicerie, l'impatience déjà présente qu'il avait su refouler quelque peu, avait refait surface, et ça l'obsédait, depuis. Il l'avait toujours su, qu'il devrait se passer quelque chose, qu'il devait lui arriver quelque chose... L'ennui, c'est que pour le moment, ces choses, si elles avaient l'air de se préciser, d'être plus accessibles depuis qu'il avait parlé à Nathaniel, n'en restaient pas moins quelque peu abstraites. Et en gros, Joshua devait pour le moment continuer à faire ce qu'il avait toujours fait jusqu'alors : attendre tranquillement et patiemment dans son coin. Mais comment pouvait-il être patient, à présent? Il tournait en rond dans son bocal; et il ne trouvait plus rien à faire. Mêmes les imbécilités dont il se goinfrait à la télé d'habitude ne l'intéressaient plus... De toute manière, il y avait que des rediffusions, en ce moment. Du coup, même à l'intérieur, son comportement avait déjà plus ou moins changé. Tenez, depuis hier, il n'avait même pas été tenté de se poser devant son poste de télévision. A la place, il avait préféré fouiner dans la chambre de sa soeur. Bon, d'accord, au début, c'était pour récupérer la précieuse paire de ciseaux de Casey. Au début. Puis finalement (et après avoir récupéré les ciseaux quand même), il avait, sans la moindre gêne, commencé à fouiller dans ses étagères. Comment ça, c'est mal? Mais non! Ils partageaient tout, voyons, c'est ce que font tous les frères jumeaux (sauf qu'elle était pas au courant). Il avait fait le tour de toute sa réserve de bouquins, et avait commencé à lire... ça faisait longtemps qu'il n'avait plus lu, il s'en était même pas rendu compte. Et pourtant, en fait, c'était pas désagréable de lire, une fois la flemme de chercher un bouquin abandonnée.

Joshua était donc dans sa période "lecture", en plus d'être dans sa période "poisson qui voudrait quitter son aquarium". Comment combiner les deux, alors? Facile, aller à la bibliothèque... Un moyen de le faire sortir sans qu'il ne sorte vraiment, en gros, il quittait un aquarium pour en rejoindre un autre. Mais comme il s'agissait de Joshua Ferguson, on pouvait considérer qu'il avait fait un effort considérable et qui peut être applaudit.
Il vivait là depuis longtemps, et pourtant, c'était la première fois qu'il mettait les pieds dans la bibliothèque de Grayson... pas très grande, pas très fourni... Une bibliothèque... graysonienne, quoi! Joshua salua vaguement la bibliothécaire dont il savait pas le nom et qu'il était pas sûr d'avoir vu un jour (mais vu son manque d'intérêt pour autrui, peut-être qu'il n'avait juste pas fait attention), puis fila entre les rayonnages (peu nombreux). Pas énormément de choix, mais Josh s'en contenterait (il avait pas fait tout ce chemin pour rien, hein!). Il attrapa un Edgar Allan Poe et commença à le feuilleter...

Joshua avait entendu la porte de la bibliothèque s’ouvrir, mais n’y avait pas pris garde dans un premier temps, il fallait dire que quelle que soit la personne qui pouvait entrer ici, Joshua s’en moquait bien, du moins c‘est ce qu‘il pensait. Ce ne fut que lorsque la personne en question fut trop proche de lui pour qu’il pu l’ignorer, qu’il détourna son regard du « chat » de Poe pour le laisser se poser sur le nouvel arrivant dans la bibliothèque qui auparavant était on ne peut plus déserte. Il s’agissait d’Aidan Donelly. Bah tiens! Quelle joie! (ironie profonde). Evidemment, il savait bien qu’il allait devoir le supporter bientôt un nombre incalculable de fois, mais il pensait qu’en attendant, il n’aurait pas à supporter sa présence. Eh bien il avait tort... Dommage. Il n’aurait pas été contre un peu de répit avant de devoir commencer à sympathiser avec le jeune Donnely. Mais il n’allait pas se plaindre pour autant de sa venue. Ces derniers temps, il tournait en rond, il ruminait... Encore plus que d’habitude. Parce qu’il voulait agir... Eh bien, l’occasion d’agir se présentait d’elle-même, à présent. Certes il avait pensé n’avoir à suivre les conseils de Nathaniel qu’une fois qu’Aidan viendrait à la ferme... Apparemment, l’occasion se présentait plus tôt, voilà tout.
A voir la tête d’Aidan, il n’avait pas l’air particulièrement heureux de le revoir. Pas vraiment surprenant.

« Salut... mm... Aidan? »

Eh oui, étant donné qu’ils ne s’étaient rencontré qu’une fois, au cours de cette mémorable séance de cinéma en plein air, il aurait très bien pu ne pas retenir son prénom, surtout que Josh, en règle générale, ne retenait le nom de personne, sauf les personnes potentiellement intéressantes et il fallait dire ce qui était, à ses yeux, il n’y avait que très très très peu de gens qui méritaient d’avoir leurs noms gardé dans la mémoire du jeune Ferguson. Donc il lui semblait plus approprié de faire semblant de ne pas être sûr du nom d’Aidan, il ne devait pas avoir l’air d’avoir gagné trop d’intérêt pour lui... Mais c’était devenu le cas, pourtant. Le petit chieur qui avait emmerdé sa soeur avait changé de statut récemment pour devenir le type dont il devait récupérer la confiance.

« Ça faisait un moment. »

Simple constat, sur un ton sympathique, le genre de ton sympathique que Joshua n’utiliserait jamais naturellement. Il accorda même un léger sourire à Aidan. Pas un grand sourire non plus, un sourire très léger, pour ne pas avoir l’air d’un coup excessivement sympathique. Il jeta un coup d’oeil au bras en écharpe de son interlocteur. Tiens, c’était nouveau, ça! En temps normal, Aidan aurait sans doute eu droit à un commentaire stupide relevant d’une méchanceté gratuite certaine. Mais là, il allait éviter. N’empêche, son paternel était définitivement tombé sur la tête : comment Aidan pourrait-il être utile dans l’état où il était? C’était un coup à se payer tout le boulot.

« Alors, il paraît qu’on va bosser ensemble, bientôt? »

Joyeuse perspective.... Lui qui n’avait jamais rien foutu, que ce soit pour la ferme ou pour son père. Son paternel allait être surpris de le voir soudainement aussi conciliant. Joshua avait même l’impression de lui accorder une victoire facile. Mais s’il devait passer par là... eh bien, il passerait par là.

Aidan avait l’air aussi enchanté que Joshua avait pu l’être à l’idée que tous deux travaillent de concert à la ferme. Joshua ne cherchait pas à savoir s’il disait ou non la vérité, en précisant qu’il préfèrerait glander chez lui en écoutant de la musique... De toute façon, ça pouvait pas être totalement faux, qui ne préfèrerait pas glander plutôt que de se tuer bêtement à la tâche?
...Et en plus, il avait jamais mis les pieds dans une ferme (il loupait rien, ça c’était sûr), mais comment pouvait-on être stupide au point de demander à un crétin handicapé du bras de travailler dans une ferme alors qu’il y avait jamais mis un seul de ses panards de citadin? Il voyait d’avance le tableau, lui, et sa mauvaise volonté légendaire travaillant main dans la main avec Donnely. Autant dire que le résultat risquait fort d’être en-dessous du pire résultat imaginable.

...Au passage, il appréciait pas franchement ce que semblait sous-entendre ce qu’Aidan venait de dire, à savoir que c’était un citadin, qui connaissait la ville, et donc le monde, et que lui était un bouseux qui avait passé toute sa vie enfermé dans Grayson... L’ennui, c’était qu’il n’avait pas tout à fait tord. Josh n’avait que très rarement quitté Grayson, et jamais pour aller très loin, la seule chose qui le reliait au monde (parce qu’ils avaient même pas internet, si c’est pas triste), c’était la télévision, et c’était pas forcément une référence. Oui, peut-être que Joshua était un bouseux, mais un bouseux avec une dignité, quand même. Y a des choses qui ne se disent pas. Mais ce n’était pas le moment de jouer au rat des villes et au rat des champs.

D’ailleurs, il avait quand même déjà mis les pieds dans une grande ville, depuis le début de sa (pour le moment) courte existence. Quelques visites ininteressantes de villes ininteressantes proposées par son abruti de paternel. Ils étaient allé à St Louis, plusieurs fois, et à Jefferson city, bref, dans quelques grandes villes, pour visiter et « trouver les choses qu’on ne pouvait pas trouver chez eux ». Mais en règle générale, la famille Ferguson ne quittait pas Grayson, parce qu’ils avaient toujours des choses à faire, il fallait s’occuper de la ferme, sans compter que le père de Joshua était le mère de Grayson, il ne pouvait pas s’absenter beaucoup. ça n’avait pas grande importance, pour Joshua, il n’aimait pas particulièrement la ville, ça ne lui manquait pas. Trop de gens, un pourcentage d’imbéciles supplémentaire. Il préférait rester à l’étroit chez lui. Rien à foutre de la ville! Donc oui, peut-être qu’il était un plouc, mais un plouc qui s’assumait... Et ce n’était pas un naze inculte. Pour Aidan, par contre... Mais il valait mieux qu’il ne s’exprime pas à ce sujet.
Bref, puisqu’il ne pouvait pas vraiment contredire le fait qu’il était un peu pecnot, autant en jouer.

« J’ai été à St Louis. Deux fois. Y a plus grand, comme ville, mais c’est déjà ça. »

En gros, «non je suis pas vraiment un naze inculte, mais on s’en approche », surtout que les deux fois où il avait vu St Louis, il avait moins de dix ans, autant dire qu’il ne s’en souvenait plus vraiment... En fait, nan, il s’en souvenait vraiment pas.

« Ca va, la ville te manque pas trop? »

Pour ce qu’il en avait à foutre...

Tu parles d’une longueur d’avance, avoir vu deux fois une ville minable et sans intérêt! M’enfin, intellectuellement parlant, des longueurs d’avance, Joshua était bien convaincu d’en avoir. Aidan continuait à blablater... Ce qu’il pouvait être bavard, celui-là! Pour Joshua, qui était un grand amateur de silence, et pas un type franchement loquace, sauf quand il se forçait, faire semblant de s’intéresser à tout ce blabla s’approchait de supplice. Mais il le faisait quand même, assez bien pour avoir l’air intéressé par tout ce que son interlocuteur pouvait lui répéter.

Joshua avait du mal à comprendre Aidan. Tout ce qui lui manquait, c’était les choses dont Josh n’avait rien à faire. Le bruit de la ville, c’était une gêne supplémentaire, Joshua préférait de loin le calme tranquille de leur petite ville paumée.L’odeur des pots d’échappements... Nan mais à qui ça pouvait manquer? ça pue, un pot d’échappement! Et les bars et les filles, ce genre de choses qui auraient logiquement dû l’intéresser à son âge, ça le laissait de marbre. Il ne buvait quasiment jamais, ou très modérément... Il aimait pas le goût de l’alcool, et il n’aimait pas l’idée qu’une boisson puisse le contrôler, cette idée de ne pas être à tout instant maître de lui-même. Quant aux filles... C’est pas comme s’il était vraiment possible de faire beaucoup de rencontres à Grayson, et ce n’était pas non plus comme si Joshua cherchait vraiment à faire des rencontres, quelles qu’elles soient. Ce qui déplaisait à Aidan au sujet de Grayson, c’était ce que Joshua appréciait. Les choses avaient l’odeur qu’elles devaient avoir, rien n’était artificiel. A quoi ça servait d’avoir des choses qui ne sentaient rien. Ou mauvais. Puis Aidan parla de son frère, et du temps pendant lequel ils resteraient encore ici. Trop longtemps.

Peut-être Aidan était-il juste trop bavard, mais Joshua appréciait le fait qu’il se confie autant à lui... Ils se connaissaient à peine, il lui déballait sa vie, et Joshua, grand acteur qu’il était, faisait semblant d’être intéressé, secouant par moment vaguement la tête pour assurer à son interlocuteur qu’il était toujours là, même si lui-même n’était pas certain d’avoir été là tout au long de son blabla, même s’il avait ressenti un léger regain d’intérêt lorsque le jeune Donelly avait parlé de son frère et de ses... prévisions quant à leur départ. Il ne commenta ni ne posa de questions sur ce que Donnely venait de dire, il ne voulait pas paraître trop curieux. Et à vrai dire, il ne l’était pas. La question qu’Aidan lui posa ensuite les ramenait au vieux schéma du citadin et du bouseux, mais à nouveau, Joshua préféra ne pas s’en formaliser.

Il préféra se pencher sur la question qu’Aidan lui posa ensuite. Où est-ce qu’il comptait passer sa vie? Il n’en savait rien, Joshua ne pensait jamais à l’avenir lointain, il ne s’imaginait pas adulte, marié, avec une tripotée d’enfants (en plus avec cette connerie de génétique, il risquerait encore d’avoir des jumeaux), dans une grande maison, à faire un quelconque boulot minable et terriblement chiant. Il ne s’imaginait pas grandir ou vieillir, à vrai dire. Jusqu’ici, l’objectif de sa vie, ça avait été de savoir ce qui se passait à Grayson, et de participer à ce qui se passait à Grayson, mais il n’était pas sûr que c’était un objectif de longue durée. Peu importe, il s’était toujours dit qu’il mourrait jeune. Ou qu’il parcourerait le monde armé d’objets contondants. En tous cas, sa vie, il ne la finirait peut-être pas à Grayson, malgré l’attachement qu’il avait pour cette ville (enfin, ou plutôt pour sa chambre).

« Je pense bien que je m’en irais un jour ou l’autre. Tu l’auras remarqué, il n’y a pas beaucoup de perspectives d’avenir à Grayson. »

Joshua esquissa un sourire peu convaincu. La ferme de son père. Lui? Reprendre la ferme de son père. Il n'y avait plus personne parmi les Ferguson pour espérer que cette éventualité arrive un jour. Oh, bien sûr, au début, son père avait encore quelques espoirs, et tant qu'il pensait encore que son petit Joshua ne lui faisait qu'une petite crise d'adolescence comme une autre (il aurait préféré), il avait pu pensé que Josh reprendrait un jour la ferme familiale. Mais aujourd'hui, il était évident que ça n'arriverait jamais, et si jamais, un jour, par on ne sait quel miracle, Joshua en venait à reprendre la ferme, les Ferguson auraient du soucis à se faire, car il n'avait jamais ne serait-ce que levé le petit doigt pour aider son père, il n'y connaissait absolument rien, et n'avait jamais cherché à y connaître quoi que ce soit. Donc lui, reprendre la ferme... Ce n'était même pas envisageable. Surtout pas.

« Si je devais reprendre la ferme un jour, elle serait la première à en souffrir. »

Enfin un peu de sincérité dans cette conversation qu'il aurait pu mener avec hypocrisie du début à la fin, étant donné que leur relation ne pouvait s'établir que sur les bases d'un mensonges flagrants, puisque Joshua n'appréciait pas du tout la personne qu'il avait en face de lui. Et pourtant, il était décidé à ne pas trop lui mentir à son propre sujet. Bien sûr, il n'irait pas lui dire que son passe-temps préféré était de décapiter des hamsters dans l'obscurité de sa chambre, ou qu'il ne sympathisait avec lui que dans la perspective future de lui en faire baver. Mais pour le reste... Il pouvait faire un effort, d'ailleurs, mieux valait miser sur la sincérité, pour ne pas être découvert trop rapidement. De toute manière, s'ils devaient se supporter régulièrement dans quelques temps, autant qu'il sache certaines choses. Que Joshua était un sédentaire pur et dur, et qu'il se préoccupait de la ferme autant que de l'an quarante (belle année).

« Je ne sais même pas qui est supposé aider l'autre, dans cette affaire. Je sens que la ferme est bien barrée avec nous. »

Il avait dit ça d'un ton amusé, un léger sourire sur le visage, même si cette perspective ne l'amusait pas du tout, en fait (euh ouais, la sincérité avait quand même ses limites), non seulement Joshua allait devoir abandonner le confort douillet de sa chambre pour se coltiner la présence de l'autre abruti, mais en plus, ils ne risquaient pas d'être particulièrement productifs... Et Joshua n'aimait pas faire des choses en vain. C'est pour ça qu'il ne faisait pas d'études, parce qu'il savait que ce n'était pas ça qui le mènerait à quelque chose. Il avait bien sûr utilisé le sourire approprié, histoire de faire en sorte qu'Aidan ne prenne pas mal son propos, qui aurait peut-être pu sembler vexant. Mais bon, après tout, c'était bien Aidan qui venait de lui dire qu'il avait jamais mis les pieds dans une ferme, sans compter qu'il avait un bras dans le plâtre. Josh aurait pu aller jusqu'à dire qu'ils allaient former une sacré équipe de bras cassés, mais là, la blague aurait vraiment été de très très mauvais goût.

C’était clair et net. Au moment où Aidan commençait, semblait-il, à apprécier quelque peu Joshua, ce dernier avait désormais l’évidente certitude qu’il détestait son interlocuteur. Il détestait sa façon de parler... de parler trop. De parler pour ne rien dire ou de parler pour dire des conneries. ça n’allait pas être toujours drôle, avec lui. Oh, Josh aimait toujours autant l’idée qu’était celle de manipuler ce pauvre petit Donnely sans défense, et il voyait bien la satisfaction que pouvait lui procurer le fait d’endormir sa confiance, jusqu’à avoir l’entier avantage sur lui. Et il appréciait de voir à quelle vitesse Aidan semblait prêt à lui accorder sa confiance, c’en était presque effrayant. Sur ce point (comme sur de nombreux autres), Aidan semblait être l’extrême opposé de Joshua. Joshua, lui, n’accordait jamais sa confiance à qui que ce soit. Il ne recherchait pas, d’ailleurs, ce rapport d’intimité, de confidence, avec autrui, il préférait de loin sa solitude tranquille, et son attitude hautaine et méprisante envers tous les êtres (ou presque) peuplant son existence.

A ce sujet, les choses devinrent plus délicates quand Aidan commença à parler de Casey... Sujet sensible, pour Joshua. Il y avait bien peu de choses et de personnes dont il se préoccupait en ce bas monde, mais sa sœur en faisait partie, elle devait d’ailleurs être à peu près le seul être humain auquel Josh avait accepté d’accorder de l’affection. La réaction qu’avait eu Casey à l’égard d’Aidan était, aux yeux de Josh, on ne peut plus normale et justifiée, et lui-même, s’il en avait eu le temps, au cours de cette soirée, aurait fait preuve d’une attitude plus antipathique encore... Mais il n’en avait pas eu le temps, fort heureusement, car sinon il aurait eu bien plus de mal à s’attirer la sympathie de Donnelly. En même temps, sa soeur n’avait pas réagit avec Aidan bien différemment qu’avec n’importe qui d’autre. Casey n’avait jamais été quelqu’un de très loquace, avec personne, elle n’était pas aussi asociale qu’il pouvait l’être, elle préférait juste tenir sa langue, ce qui, aux yeux de Josh, était une décision très sage. Il imaginait bien le fameux dialogue qui avait mis les nerfs de sa soeur à vifs, Aidan blablatant sans savoir s’arrêter, Casey s’agaçant à écoutant, ne répondant pas ou à peine. Il ne savait pas exactement comment les choses s’étaient passé, il était arrivé après les festivités... Et il n’avait pas reparlé à sa soeur de cette fameuse conversation. A vrai dire, quand ils étaient ensemble, ils revenaient rarement sur les choses qu’ils avaient pu vivre dernièrement, en fait, ils ne parlaient presque pas, pas besoin, ils se comprenaient sans avoir à trop se parler, un truc de jumeaux, il paraissait.

La suite frisait le comique... Particulièrement la partie concernant les fleufleurs... Il plaisantait. Pas vrai? Nan parce que si c’était pas le cas, c’était vraiment flippant, et en plus, ça lui plaisait d’autant moins que... Les fleurs, tout ça, c’est pas anodin... On offre pas de fleurs à la soeur sans se mettre le frère à dos. Mais non, ça devait être une blague - de mauvais goût mais une blague quand même- c’était pas possible autrement. C’était... trop.

En même temps, il avait pas tort, si Aidan venait bosser à la ferme (ce qui allait être le cas), il était évident qu’il allait croiser Casey de temps à autres, et il valait mieux pour Josh qu’elle ne se montre pas trop froide avec lui. Il devrait peut-être lui en toucher deux mots... Mais en même temps, il n’avait absolument pas l’intention de l’informer de ses plans, même si elle se douterait évidemment de quelque chose. Bon, au moins le blabla d’Aidan aurait servi à quelque chose, il fallait qu’il parle à Casey. Et qu’il trouve quoi lui dire. Ou comment le dire. Passée l’image cocasse d’une Casey brandissant sa fourche pour embrocher le pauvre Aidan, Josh se décida à répondre.

« Casey est pas du genre bavarde, mais elle est sympa en fait. Je pense que vous avez pas fait connaissance au bon moment, on a été trainés de force à cette soirée, du coup, elle devait pas être dans de très bonnes dispositions... Et moi non plus, d’ailleurs. »

Minie allusion à sa propre attitude au cours de cette fameuse soirée. Une façon de s’excuser, aussi, même s’il n’en pensait rien.
Enfin, il y avait un fond de vérité dans tout ça., cette soirée, ils y étaient vraiment pas allé de gaieté de coeur.

Et voilà qu’il recommençait, et il racontait sa vie, il racontait sa vie. Pour ce qu’elle avait l’air d’être intéressante en plus, cette vie... Qu’est-ce que ça pouvait lui foutre, toutes ces histoires avec ses frangins. Quand Aidan sortit sont « tu t’en fous probablement », Josh fut très tenté de lui répondre un « ouais et pas qu’un peu » qu’il retint heureusement. Il hésita également à répliquer par un « mais nooon » qui aurait sans doute fait un peu tâche, mais il évita de le faire, de toute manière, il n’en aurait pas eu le temps, le moulin à parole avait repris de plus belle, et tout en le regardant parler, n’écoutant par moments qu’un mots sur deux, Joshua se demandait vaguement où se trouvait le bouton qui permettait d’arrêter cette machine à blabla. Casey lui avait reproché de trop parler. Sans blague? La vérité sortait très souvent de la bouche de Casey. Toujours. Et du cerveau de Joshua, mais il ne l’exprimait pas toujours, et une fois de plus, il n’allait pas l’exprimer. En fait, depuis le début de sa conversation avec Aidan, il devait constamment réprimer ce qu’il aurait pu lui dire. Bref, bref, quand est-ce qu’il allait enfin fermer la bouche? Entre vannes à deux-balles et remarques sans intérêts, Joshua s’ennuyait presque, et il devait fournir des efforts considérables pour faire semblant d’être véritablement intéressé.

...Puis enfin, le sujet l’intéressa un peu plus... Un peu. Parce qu’on parlait de lui, et que Joshua est un grand égocentrique. Cela dit, il ne pensait pas pour autant que la conversation y gagnerait quelque chose. Mais au moins, ça tournerait autour de lui (Joshua le grand), donc ça ne pourrait qu’être mieux. Lève-tôt ou amateur de grasse-mat? Pas évident à dire, pour un type comme Joshua, qui vivait hors de toute réalité, et qui n’avait jamais adopté de rythmes de vie particuliers. Il dormait rarement d’une traite, il faisait une succession de siestes. Du coup, si l’une de ses siestes commençait à 4h du mat et qu’il se réveillait à 6h, on pouvait dire que c’était un lève-tôt, et bien sûr, s’il faisait sa sieste à 8h, et se levait à 11h, c’était un lève-tard. Oui... Il allait être mal barré, le jour hypothétique où il devrait rentrer dans la vie active, pour trouver un rythme correct, s’il rentrait dans la vie active un jour.... Et c’était bien parce qu’il était inactif, qu’il n’était pas du genre « nerveux avec une bêche », d’ailleurs il n’était pas certain d’avoir un jour pris une bêche entre ses mains, ou alors c’était encore à l’époque où il était trop petit et influençable pour faire comprendre à son paternel qu’il n’avait aucune envie de bosser. Mais est-ce qu’on laissait une fourche entre les mains d’un gosse? Surtout s’il avait des tendances psychotiques aussi prononcées que celles de Joshua?
Du genre à pas aimer les blonds qui posent trop de questions, ça, c’était définitif. Mais, il allait sans doute s’abstenir de répondre à cette question. Joshua aurait bien été tenté de dire à Aidan qu’en effet, il l’emmerdait carrément, et qu’il ferait mieux de se casser, mais évidemment, ce ne fut pas ce qu’il répondit. Il esquissa un léger sourire du genre « aha... meuh non voyons ».

« Pas du tout. »

Il leva légèrement la tête, l’air un peu songeur.

« Alors... moi... Le sujet est vaste. » C’était rien de le dire. « Plus lève-tard que lève-tôt (ça évite de prendre le petit dej en compagnie du paternel), je crois pas avoir tenu de bêche en mains de toute mon existence, et j’ai rien contre les blonds, surtout s’ils alimentent la conversation... Moi je suis pas vraiment bavard, j’aime bien que les gens fassent la conversation. Si on devait compter que sur moi, ce serait très silencieux. » Et il aimait quand c’était silencieux, mais bon. Il fallait savoir faire des sacrifices. « Sinon j’aime les céréales au chocolat, toutes les cochonneries sucrées et bien caloriques en général, les films d’horreur, glander devant la télé, et faire la sieste. »

Bon résumé de ce qui ponctuait ses journées. Bon, il avait juste fait l’impasse sur ce qui concerne les hamsters. Bon...

Sur ce point là, ils étaient d'accord (il fallait bien qu'il y ait au moins un point), le père de Joshua allait les détester... Enfin, détester, c'était vite dit, son père était trop gentille, trop faible, pour détester qui que ce soit. Si Joshua n'éprouvait aucun égard pour son géniteur, et le lui faisait bien comprendre, il savait qu'à l'inverse, Mr Ferguson continuait d'aimer son fils, au nom d'il ne savait quel instinct paternel qui le servait très mal, car Joshua n'était définitivement pas décidé à lui rendre ne serait-ce que le centième de l'affection que son père se montrait prêt à lui accorder. Donc en vrai, non, son père ne les détesterait pas, il était incapable de détester, faible qu'il était, il ne détesterait pas Joshua, parce que malgré tout ce qu'il avait pu faire (extermination de rongeurs en masse), il n'avait jamais réussi à détester son fils, et il ne détesterait pas Aidan, parce qu'Aidan serait à ses yeux le pauvre citadin paumé à qui on peut tout pardonner... Son père n'allait pas les détester. Il allait juste être agacé, exaspéré à la limite.... Parce qu'en effet, il allait définitivement avoir à faire avec une bande d'éclopés pas productifs le moins du monde. Bon, au moins Aidan n'aurait plus son plâtre. ça arrangeait Joshua, parce que le coup de la plainte, c'était bien marrant, mais Josh, lui, il en avait pas, de plâtres, et il n'avait absolument pas l'intention de se taper le boulot tout seul pendant que l'autre se trouverait mille prétexte pour fuir le boulot. Déjà que s'il n'y avait pas Aidan, et les souvenirs de sa conversation avec Nathaniel qui lui trottaient constamment en tête, il n'aurait même pas cherché à lever le petit doigt pour la ferme de son "papa chéri".

Josh chercha d'abord quoi répondre, mais pas de réponse vraiment utile ne lui venaient, et quand elles lui venaient, il était trop tard, Aidan avait déjà enchaîné. Joshua, pendant tout ce temps, s'était donc contenté d'acquiescer de temps à autres. Finalement, avec Aidan, le plus simple était de ne rien dire, de faire juste sembler d'écouter, et d'attendre le moment où il posait enfin une question qui invitait directement son interlocuteur à intervenir, comme maintenant... Question étrange, d'ailleurs, aucun rapport avec ce dont ils parlaient plus tôt, mais apparemment, Aidan n'avait pas peur de passer du coq à l'âne. La réponse était simple, il n'en avait pas. Joshua et les filles, c'était tout une histoire... Ou une absence d'histoires, peut-être. Les relations de couple, ça l'intéressait décidément pas. Oh il avait bien essayé, au lycée (ouais il a quand même été au lycée, respect, quoi), mais suite à ces expériences qu'il avait jugé profondément gavantes et désastreuses, il n'avait plus cherché de compagnie féminine à ses côtés. Avoir une copine, ça voulait dire se préoccuper de quelqu'un d'autre, et il aimait trop se préoccuper de lui-même, donc avoir une copine, c'était du temps perdu. Bon, il faudrait sans doute qu'il se marrie un jour, qu'il fonde une famille avec des gosses (beurk), mais il était loin de cette éventualité, pour le moment.

« Non, pas d'copine. » Il avait répondu ça comme si ce n'était qu'un état temporaire auquel il remédierait un jour ou l'autre, mais en vérité, il n'était pas sûr de le vouloir. « Et toi? »se sentit-il obligé d'ajouter?