04. Dragostea Din Teï [Colleen, Girfith, Kathleen & Logan]

Donc effraction constatée, lieux sans dessus dessous, pas de vol déclaré. Je n'ai pas trouvé d'empreintes concluantes.

L'un des frères blonds est arrivé, il a pété son câble, a évoqué l'empoisonnement et blablabla... Tu fignoleras comme tu sais le faire ?

Dis-moi Kathleen, ça te tente de manger au restaurant avec moi ce midi ? Plutôt que de t'envoyer ta petite salade maison ? Parce que de mon côté, j'ai besoin de m'aérer l'esprit et ta compagnie serait certainement un excellent moyen d'oublier tout ça.

Alors ? Tentée par une salade du chef ?

Kathleen essayait vainement de se raisonner et de ne pas se laisser aller à imaginer que ce qu'elle vivait était bien réel. Elle avait cru que son coeur allait bondir hors de sa poitrine quand Grifith lui avait glissé quelques temps plus tôt qu'ils devraient manger ensemble à l'occasion. Et puis une date s'était précisée et, finalement, il l'invitait là, tout de suite, à manger avec lui. Ca n'était pas la première fois que ça arrivait bien sûr. Après plusieurs années à travailler ensemble, il y avait eu quelques repas pris dans la même pièce, mais chacun était resté à son bureau... Ou alors Declan s'était joint à son adjoint pendant qu'elle était restée comme une idiote à son bureau en jurant que ça ne la dérangeait pas le moins du monde. Mais tous ces mauvais souvenirs venaient d'être balayés par le sourire rassurant du jeune homme face à elle.

Eh bien je... C'est à dire qu'en réalité j'avais prévu... Oui, c'est une excellente idée

Je veux dire,... te changer les idées et prendre l'air c'est une excellente... idée, oui... Parce que rester enfermé avec de mauvaises pensées et une salade alors que... Il fait vraiment chaud ici, c'est certain

Pourquoi n'était-elle pas capable de fermer sa trop grande bouche pleine d'énormes dents ? Pourquoi fallait-il toujours qu'elle veuille trop en dire et s'égard de la sorte en présence de Grifith? En présence de la quasi totalité des hommes finalement... Et des femmes aussi, à certaine occasion.
La raison de ce manque d'assurance était certainement du au fait que les occasions de s'entrainer et de mettre ce complexe d'infériorité qui lui gâchait la vie au placard étaient rares. Elle n'avait aucune amie avec qui bavarder, de qui obtenir quelques conseils de vie, pour la rassurer voire l'encourager à engager la conversation avec un homme du genre de Grifith Armstrong.

Se sentait rougir une fois encore, Kathleen finit par abandonner l'idée de faire fonctionner ses mâchoires pour autre chose que sourire ou avaler le plat qu'elle commanderai au Leo's Deli, seul restaurant de la ville.
Elle savait déjà ce qu'elle prendrait. Pas un sandwich. On avait toujours l'air stupide quand on ouvrait la bouche pour y enfourner un énorme sandwich. Pas de salade non plus puisqu'il avait parlé de la sienne d'un air un peu moqueur. Rien à base d'ail. Même si elle adorait le pain garni qui accompagnait chacun des plats de Gordon, Kathleen n'en consommerait pas aujourd'hui. Il lui restait donc les pâtes. Sans fromage pour ne pas risquer d'avoir l'air ridicule en ayant un fil lui pendre sur le menton face à Grifith.
Elle commanderait de l'eau (gazeuse pour la touche de folie), à moins que l'adjoint ne lui propose un pichet de vin. Il faudrait qu'elle se contrôle s'il le faisait. La standardiste n'avait pas une très grande résistance aux alcools et par cette chaleur, un seul verre devrait suffire à l'étourdir.

Le temps qu'elle réfléchisse à son menu, Grifith avait déjà été déposer le dossier en cours sur son bureau pour qu'elle s'en occupe dans l'après-midi. Elle lui emboita le pas, tirant nerveusement sur sa robe, tâchant d'être discrète. Son vêtement était-il trop court? Trop long ? Le tissu lui donnait l'impression d'être transparent depuis quelques instants... Voyait-il sa culotte fleuries ? Grand Dieu, elle espérait que non ! Etait-elle correctement épilée ? Elle aurait dû penser à prendre sa pince à épiler dans son sac pour pouvoir faire un petit tour du côté de la toilette et de s'assurer que ses jambes étaient impeccables. Elle était persuadée que non. Et elle était évidemment persuadée que Grifith allait noter tout ce qui n'allait pas chez elle... Comment aurai-il pu en être autrement ?

Et alors qu'elle s'apprêtait à annuler le repas pour fondre en larmes et retourner chez sa mère, Grif lui ouvrit la porte pour l'inciter à sortir et rejoindre la rue. La jeune femme saisit son sac à main prestement et ses mains se refermèrent avec force sur ses lanières tendit qu'elle s'exécutait dans un sourire crispé.

Quelle chaleur !

Cette robe te va divinement bien. Evite juste de la mettre si tu décides d'aller faire un tour en ville tard le soir, même à Grayson d'ailleurs, sait-on jamais.

Détends-toi, on va juste manger au resto du coin, pas la peine de prendre un air pincé : tu vas même pouvoir manger avec les doigts si ça te chante !

Un tour en ville le soir ? La jeune femme n'était assurément pas assez téméraire pour s'y risquer seule. La seule sortie qu'elle avait, c'était le bowling avec ses parents une fois par mois. Et encore, depuis près d'un an maintenant, son père étant cloué dans son fauteuil, ils y avaient renoncés. Cela dit, l'idée que le jeune homme s'imagine qu'elle avait une vie sociale lui plaisait beaucoup. Même si l'idée que c'était totalement faux et qu'elle était une vieille fille à l'âge de 24 ans la gênait beaucoup...
Il était plus que temps qu'elle remédie à ce problème et qu'elle se prenne en main.

Et qu'elle se détente comme le lui demandait Grifith, bien entendu. Mais comment pouvait-il décemment espérer une telle chose alors qu'ils étaient aussi proche et que leur peau était en contact ? Kathleen se sentait transpirer et son cœur qui pompaient trop fort dans sa poitrine lui donnait un peu le tournis. Mais pour rien au monde elle n'aurait renoncé au bras de l'adjoint. Quitte à ce qu'il sente qu'elle suait à grosse goutte.
Oh mon Dieu, faite qu'il en sente rien !

Elle laissé échapper une exclamation entre l'amusement et le désespoir qui était censé être un éclat de rire cristallin. Se détendre n'était pas une chose qu'elle savait faire aussi facilement que ça, surtout dans de telles conditions. Elle se sentait crasseuses, provocatrice dans sa robe à fleurs, idiote et complètement stressée. Il voulait qu'elle mange avec les mains... Comment allait-elle réaliser cet exploit ? Est-ce qu'il avait dit ça pour rire et la mettre à l'aise ou parce qu'il attendait d'elle qu'elle se lâche vraiment ? S'il l'avait dit pour qu'elle se détende en tout cas, c'était un échec aussi cuisant que la chaleur ambiante...

Désolée

C'est juste qu'avec tout ce qui se passe en ville... Enfin j'ai un peu de mal à me détendre ces temps-ci et à laisser le boulot au poste

Un peu de mal ? Ces temps-ci ? Tu parles, 'était un doux euphémisme ! Elle était constamment rongée par le stresse et ses angoisses la rendait folle. Elle était parvenue à se calmer un peu durant son séjour à NY, mais depuis qu'elle était revenue à Grayson, le poids qu'elle avait déposé derrière elle lui était retombé sur les épaules comme la misère sur le monde.

Je vais faire un effort

Mais j'aurai peut-être besoin d'un peu d'aide... Je peux compter sur toi ?

Son cœur allait exploser. Elle avait osé !
Mais alors que Grifith ouvrait la bouche pour répliquer, Kathleen s'immobilisa soudain malgré elle. A quelques mètres de là, elle venait d'apercevoir les silhouettes de Logan Redd et Colleen Jefferson qui venaient dans leur direction sans vraiment les voir.
Les lèvres fines de la jeune femme se pincèrent d'agacement et elle étreignit Grifith avec un peu plus de force. Pourquoi maintenant ? Pourquoi fallait-il que cette conne de postière vienne parader devant son EX fiancé juste au moment où elle osait le provoquer un peu ? Pourquoi fallait-il toujours que Colleen s'immisce entre elle et les hommes de sa vie ?

« T'as mangé déjà ? Je crois bien que j'ai faim, mais je suis pas sure. J'ai mal au ventre et je crois que c'est à cause de ça. Oui, on devrait manger, je t'invite quelque part si tu veux ! »

« Bordel, il a pas osé... »

« Il a tenté de me sauter hier matin et là il parade avec elle. Je crois que nous devons lancer l'opération sabotage pour qu'elle voit à quel point Grifith n'est qu'un gros con avec qui elle ne devrait pas traîner. »

Non, il n’avait absolument aucune envie que Colleen l’invite quelque part. De toute façon l’argent n’était pas un problème, il n’avait pas besoin de sa foutue charité. Et si elle voulait se faire pardonner elle s’y prenait comme un pied. Ca n’était pas en lui collant aux basques et en lui papotant des banalités à dormir qu’elle allait se racheter d’avoir joué les cafteuses. Il lui avait confié des trucs personnels et elle s’était empressée de les répéter à sa meilleure amie.

Dans le principe, ça n’était pas si grave que ça. Logan se faisait souvent prendre pour un con, alors une fois de plus ou de moins, peu importait. Le problème c’est que cette connasse de Charlie se faisait troncher par le plus grand des quatre Donnelly et qu’elle n’allait certainement pas s’empêcher d’ouvrir son immense bouche pour tout lui répéter. Elle allait en parler à Samuel, qui allait en parler à son frère, et d’ici quelques jours, il allait voir débarquer Aahron pour lui faire la peau.
Il avait expliqué tout cela à Colleen et évidemment elle n’en n’avait pas du tout tenu compte, maintenant il était dans la merde. Si c’était ça le prix à payer pour avoir une amie, alors c’était un peu trop couteux pour lui. Merci du soutien et du cadeau.

Depuis qu’ils avaient quittés le jardin de Charlie, le jeune homme avait à peine ouvert la bouche. Il était terriblement contrarié et un peu déçu, mais il n’était pas du genre à faire un scandale alors il préférait s’emmurer dans un mutisme qui lui était de toute façon coutumier. La postière ne devait pas beaucoup voir la différence avec d’habitude. Pourtant il lui avait clairement dit ce qu’il pensait de tout ça, mais avec sa légèreté habituelle, Colleen semblait croire que lui offrir un resto allait arranger les choses.
Lui, tout ce qu’il voulait maintenant, c’était rentrer chez lui, se faire des pâtes, et se caller confortablement devant un bon bouquin, un verre à la main et une clope aux lèvres. Passer sa journée de congé surprise avec Colleen ne lui aurait vraiment pas déplut dans le principe, mais après l’accrochage avec Charlie, il n’en n’avait plus envie. Il préférait rester seul. Sauf que se débarrasser de Colleen ça n’était pas aussi simple que ça…

Ce fut son amie elle-même qui le tira de ses réflexions contrariées. Le jeune homme releva la tête pour voir à quoi elle faisait référence et son regard morne rencontra enfin la source du problème.
Un grand vent glacé vint alors balayer ses précédentes contrariétés. Sur le même trottoir, juste en face d’eux, à une trentaine de mètres à peine, Kathleen se tenait aux côtés de Grifith, son bras passé dans le sien. Une sensation de froid sembla se rependre sur sa peau et il pâli sans pouvoir s’en empêcher. En face d’eux, Kathleen et Grifith les avaient vu eux aussi, et s’étaient immobilisés, exactement comme lui venait de le faire, son sac de course pendant toujours mollement au bout de son bras.
Logan avait l’impression de fondre, son cœur cognait dans sa poitrine brisée et douloureuse et il ne put soutenir du regard ce spectacle plus longtemps. Il arracha ses yeux sombres de la silhouette gracile et délicate de Kathleen pour les poser brièvement sur Colleen. Il n’arrivait même pas à formuler la moindre phrase pour lui répondre, tout ce qu’il avait envie de faire, c’était s’échapper le plus rapidement possible, ou disparaitre.

Pourtant malheureusement, le pire était à venir. Devant eux, Grifith et sa si jolie collègue s’étaient remis en mouvement et s’avançaient vers eux. Avec un peu de chance, ils passeraient à côté en les snobant. Sauf que vu le petit rictus goguenard qu’affichait l’adjoint, ça n’était pas gagné.

« Nan, j’veux pas » souffla-t-il, la bouche sèche et la voix éraillée « … viens Colleen… viens on s’en va… »

Merde...

Salut. Alors comme ça vous faites vos courses ? C'est... chouette.

Chouette n’était pas vraiment le terme que Kathleen aurait utilisé pour décrire la situation. En même temps, c’était un mot qu’elle utilisait très peu et que sa mère trouvait à la limite de la grossièreté.
Pour le moment, la scène était surtout extrêmement gênante et l’agaçait beaucoup. Elle n’appréciait ni la présence Colleen, ni l’effet qu’elle avait sur l’homme à son bras, et n’aimait que moyennement le regard que Logan posait sur sa personne depuis quelques instants.
Ou peut-être que ce qui la gênait vraiment là-dedans, c’était l’image que la standardiste avait d’elle-même à cet instant et que les trois autres semblaient lui renvoyer. Cette impression de dénoter, de ne pas faire partie du groupe au milieu duquel elle se trouvait, de ne pas être à sa place.

Colleen la dévisageait et avait eut un petit froncement de nez réprobateur en les voyant bras dessus, bras dessous. Kathleen avait eut envie d’hurler à cette instant, de se jeter sur elle pour lui arracher une touffe de ses cheveux toujours mal peignés qu’elle agitait en tout sens pour exciter les autres (du moins, c’était l’idée que se faisait la jeune femme). La postière se pensait supérieur à elle parce qu’elle avait réussi à mettre plus d’homme dans son lit et que parmi eux, il y avait eu Grifith.
Sauf qu’elle n’avait jamais su en garder aucun et Kath ne se sentait absolument pas menacée… Du moins tentait-elle de s’en convaincre.

Logan, lui, n’osait simplement plus la regarder. Son regard était devenu fuyant et la brune était prête à parier qu’il était en train de se demander si quelqu’un le remarquerait s’il se mettait subitement à détaler.
Kathleen ne pouvait s’empêcher de lui en vouloir, d’ainsi s’afficher au bras de la femme qu’elle méprisait le plus à Grayson. Non, ça n’était pas exactement ça, elle était plutôt vexée… peut-être un peu jalouse.
Et si elle se fiait à ce qu’elle avait perçu dans son regard, lui-même n’était pas ravi de la trouver pendue au bras de l’adjoint du shérif. Il l’avait fait sentir idiote l’espace d’un moment. Naïve et ridicule, comme si elle jurait avec lui, n’était pas à la hauteur et se donnait en spectacle comme une imbécile.

Et puis il y avait Grifith qui affichait un petit sourire sonnant terriblement faux et qui s’était rapproché d’elle. Kathleen aurait pu en être flatté si elle ne s’était pas soudain sentie utilisée et idiote par la faute de Logan.

Croiser Colleen et Logan alors qu’ils allaient faire leurs courses ou elle ne savait quoi n’avaient rien de chouette. Assurément…

Grifith et moi allions prendre un bon déjeuner au Leo's

Elle parvint à faire apparaitre un sourire poli sur son visage, ne pouvant s’empêcher de tourner ses grands yeux chocolat et défiant vers la Miss Jefferson.

« Non, on ne fait pas nos courses non. »

« Je dors pas à la maison ce soir si tout va bien mais on sait jamais. Tout ça pour te demander de m'envoyer un petit message ou de laisser un truc sur la porte d'entrée au cas ou tu la ramènes. J'aimerai pas vraiment me pointer et vous voir dans le salon. Évite notre lit aussi s'il te plait, j'ai pas changé les draps depuis hier, j'espérais tellement que tu finisses ce que tu as commencé... »

« Enfin bref, bon appétit. La salade du chef avec supplément bacon, c'est vraiment pas mal. Je te la conseille Kathleen... »

« A part ça, ça va bien vous deux ? »

Et ça serait même dans ton intérêt…

Tu sais ce qu’il te reste à faire !

Mais ouais, tu vois bien qu’ils vont très bien, allez viens Colleen

So many girls... Where do I begin ?

Ça va bien nous deux, comme le vois ton pote...

Venez manger avec nous.

Étaient-ils tous sourds ? Avait-elle vraiment entendu ce qu’elle pensait avoir entendu ou était-ce son imagination pourtant peu florissante qui lui jouait des tours ? Les garçons faisaient-ils exprès de nier l’évidence ? Kathleen ne savait pas exactement à quel jeu Logan et Grifith étaient en train de jouer mais une chose était certaine, elle ne voulait pas participer. La standardiste ne cautionnait pas de telles règles et se devait de réagir à leur place.
Personne avant aujourd’hui ne lui avait parlé comme Colleen venait de le faire. Personne ne l’avait humiliée de la sorte, publiquement en prime ! Et visiblement, la jeune femme était la seule à trouver les remarques de la postière insultante, déplacée, mesquines voire carrément odieuses.

Les mâchoires crispées, le souffle court et le cœur battant, elle écouta Logan et Grifith badiner, comme s’il ne s’était rien passé. Comme si Colleen ne venait pas de sous entendre que l’adjoint du shérif cherchait à la mettre dans son lit (lit qu’il avait visiblement partagé avec son ex-fiancée la veille) uniquement pour la rendre cette dernière jalouse et mieux la reconquérir.
Non, en réalité, le plus blessant était de constater que son collègue n’avait pas cherché à nier. Il n’avait pas pris sa défense…
Et Logan ne réagissait pas non plus.
Tous des dégonflés ! Des lâches !

Aveuglée par la colère qui sourdait en elle et lui donnait le tournis, la jeune femme ôta vivement son bras de celui de l’adjoint, brisant son plus beau rêve par la même occasion. Rectification : c’était Colleen qui avait tout saccagé une fois encore et Grifith l’avait laissé faire.

Il est hors de question qu’ils mangent avec nous !

Il est même hors de question que j’avale quoi que ce soit au côté d’un seul d’entre vous !

Elle se sentait idiote de faire un scandale au beau milieu de la rue, sous cette chaleur infernale qui n’arrangeait rien aux bouffés désagréables qui l’assaillaient depuis quelques instants.

Non ! Ça ne va pas ! Ça ne va pas du tout !

Je ne vais pas inviter quelqu’un qui m’insulte, me déteste et n'a aucun respect pour moi à ma table ! Si c’est avec elle que tu veux manger, Grifith, alors vas-y, ne te gêne pas pour moi, j’ai l’habitude de manger ma salade comme une idiote dans mon coin ! J’ai l’habitude de vous voir rire en me montrant du doigt et ricaner dans mon dos, je ne suis pas aussi naïve que vous pouvez le croire !

Ils avaient ouvert la boite de Pandore. Kathleen était à la fois horrifiée par son comportement et grisée par le sentiment de pouvoir qui l’envahissait à mesure que les mots jaillissaient de sa bouche avec froideur.
Elle aurait aimé que ses yeux lancent des éclairs pour donner encore plus d’impact à son discours, mais dû se contenter de les sentir s’humidifier lamentablement. C’était la première fois que la jeune femme s’énervait de la sorte, et c’était aussi libérateur que gênant…

Tu sais où tu peux te la mettre ta salade du chef avec supplément bacon, Colleen Jefferson ? Je pense que le passage est assez large pour ça ! …Pute !

« Logan n'a rien dit... Et une pute se fait payer quand on lui passe dessus, moi c'est complètement gratuit. »

Manger avec eux, mais bien sûr.
L’espace de quelques instants totalement ridicules, Logan s’était imaginé attablé avec Kathleen, Grifith et Colleen, au Leo’s. Il en aurait bien rit tellement c’était surréaliste. Ou pleuré. Au choix.
A quoi jouait ce pauvre type ? Et pourquoi est-ce que Colleen ne l’avait pas écouté ? Pourquoi avait-elle préféré resté plantée là au lieu de le suivre comme il le lui avait demandé ? Elle se plaignait sans cesse que son ex petit-ami lui menait une vie impossible, qu’il était insupportable et odieux, et lorsqu’elle avait l’occasion d’éviter les coups, elle faisait le pied de grue en attendant qu’on lui botte le cul. C’était du masochisme, ni plus ni moins.

D’ailleurs le bottage de cul ne tarda pas à arriver. Mais ce fut de la personne la moins susceptible de botter des culs…
Logan avait passé les trois quart de son existence à observer Kathleen de loin, à l’écouter sans en avoir l’air, à décortiquer son comportement, et jamais au grand jamais il ne l’avait entendu crier sur quelqu’un, s’énerver ou proférer la moindre insulte. Jamais. Pas une seule fois. Même lorsqu’ils étaient enfants.
Du coup, l’espace de quelques secondes, son cerveau avait fait un blocage. Il avait tourné son regard éberlué vers Colleen, puis vers Grifith, pour s’assurer qu’ils avaient entendu la même chose que lui. Vu la tronche qu’ils tiraient tous les deux, c’était effectivement le cas.
C’était comme entendre un chien miauler, ça n’avait pas de sens. Qu’est-ce qui lui prenait tout d’un coup ? Kathleen, sa douce, sa charmante, sa compréhensive et sensible Kathleen venait de traiter Colleen de pute !

Tu bande comme un cheval, avoue !

… et bien presque oui.
La claque de surprise passée, ne restait plus que de l’admiration pure et simple. Ses épaules s’étaient un peu affaissées et son regard sombre s’était allumé d’une lueur d’adoration qu’il eut bien du mal à dissimuler. Quelque part au fond de lui, il se sentait mal à l’aise vis-à-vis de Colleen qui venait de bravement prendre sa défense pour l’innocenter au maximum. Elle était la seule ici à savoir ce qu’il ressentait pour la réceptionniste et elle ne l’oubliait pas. Pourtant il lui était parfaitement impossible de lui rendre la pareille sur ce coup-là.
Logan s’était toujours identifié à Kathleen, du moins en quelque sorte, et uniquement parce qu’il la savait passive et bonne poire. Trop gentille bien souvent. Elle n’était en tout cas pas du genre à oser dire merde à qui que ce soit, même lorsqu’elle en mourrait d’envie. Pourtant il semblait que les choses venaient de changer de ce côté-là. Il aurait aimé avoir le courage d’en faire de même. Lorsque Nathaniel le traitait comme un chien, ou lorsque son père lui hurlait à la face qu’il était une petite merde, il rêvait bien souvent d’hurler en retour et de leur dire sa façon de penser le plus crument possible. Sauf qu’il n’avait pas ça dans le ventre et qu’il se dégonflait toujours.
Mais pas Kathleen.
Elle était décidément trop parfaite pour être réelle…
C’était presque aussi merveilleux que la fois où elle l’avait embrassé. Son cœur en battait la chamade.

Et vu la réponse de Colleen, son amie n’en menait plus aussi large qu’il y a quelques instants. Sa réplique était cinglante, mais en même temps, aux yeux de Logan, c’était plus une réplique pour ‘garder la face’. Il ne pouvait pas la blâmer, personne n’avait rien vu venir, et il était plutôt compliqué de reprendre la parole après une telle intervention. Tout le monde semblait un peu sous le choc… même Kathleen elle-même.

« T’es pas… » débuta Logan avant que sa voix ne se brise et qu’il ne se racle la gorge « T’es pas une pute Colleen… elle le pensait pas »

Intervention plate et creuse, totalement inutile, mais il fallait bien que quelqu’un reprenne la parole pour atténuer un peu la tension et le malaise qui régnait entre eux quatre à présent.

Kathleen, Colleen, peut-être devriez-vous tenter de vous calmer. Vous savez, l'énervement n'est pas bon pour la digestion et je tiens vraiment à manger en paix... Et Kathleen, je maintiens mon invitation.

Oh et puis merde, on a assez de problèmes dans cette ville, c'est pas le moment d'en rajouter, vous ne croyez pas ? Allez, on va manger à quatre. T'es de mon avis Redd ?

Et si vraiment ça tourne mal, on se mettra chacun d'un côté. Deal ? Kathleen, ta salade a du tourner, le frigo du bureau est en panne. Colleen, t'as envie d'un steack, je le sais et Logan... T'es pâle, c'est bientôt l'heure de l'hypo si tu veux mon avis.

L’attitude de Colleen avait sérieusement refroidie la standardiste qui tomba des nues en ne la voyant pas réagir avec plus de véhémence. C’était la première fois de toute sa courte vie sans grandes expériences transcendantes qu’elle osait se rebiffer et elle était presque prête à en venir aux mains. Elle s’était préparée psychologiquement à le faire mais la postière s’était montrée calme, déconcertante. Et du coup, elle-même passait pour une harpie complètement cinglée.
Avait-elle eu tort de réagir ? Avait-elle eu tort d’essayer de se défendre et de garder la tête haute ? Aurait-elle dû faire comme tout le monde et laisser Colleen sous entendre qu’elle n’était qu’une greluche avec qui son ex-fiancé toujours amoureux voulait coucher pour la rendre jalouse ?
Non, elle avait bien fait. C’était d’ailleurs la seule chose à faire ! C’était ce que Grifith aurait dû faire ! Lui ou Logan d’ailleurs qui continuait à faire l’autruche.

Elle avait toujours trouvé le comptable du garage touchant, le sentait fragile et avait établi avec lui une relation particulière… Mais sur le coup, elle avait simplement envie de le gifler. Elle voulait le prendre par les épaules et le secouer.
Il en avait déjà fait beaucoup pour elle et Kath avait du mal à concevoir qu’aujourd’hui, il n’ait pas simplement dit à sa nouvelle « copine » qu’elle dépassait un peu les bornes en parlant comme ça. C’était tout de même plus raisonnable que ‘accuser d’un délit qu’il n’avait pas commis pour la protéger !

Mais la raison de toute cette passivité était bien simple finalement. Logan et Grifith étaient des hommes et ils préféraient penser avec leur « chose ». Ils voulaient tout deux qu’elle fasse ce qu’elle savait faire de mieux : passer à la casserole.
Kathleen ne faisait pas ce genre de chose alors elle n’était pas la personne à défendre. Elle était celle à qui on demandait de se calmer ! Celle qui pétait les plombs et faisait des histoires parce qu’on sous entendait qu’elle était le lot de consolation sous son nez.

La jeune femme tourna son visage indigné en direction de Grifith qui tentait de tempérer la situation, ses reflexes d’adjoint du shérif reprenant le dessus. Une arrestation par jour pour trouble à l’ordre public devait lui suffire… Encore qu’il n’avait qu’à passer des menottes aux poignets puisque, come à chaque fois, c’était elle qui remplissait la paperasse.
La gentille, la brave, la stupide Kathleen ! Trop amoureuse pour dire non.
L’évidence la frappa et l’obligea à refermer la bouche une première fois. Il se servait d’elle. Grifith l’utilisait depuis des années, se servant de sa naïveté, jouant avec ses sentiments sans remord. Ce n’était pas à Colleen de subir sa colère, ni à Logan qui, comme l’avait soulignée la postière, n’avait rien dit. C’était à Grifith qu’elle en voulait.
C’était lui qui la blessait.

Qu’est-ce que tu n’as pas compris quand j’ai dis que je refusais de manger avec un seul d’entre vous ?

Mais sa voix tremblait lamentablement et le sang qui battait à ses tempes commençait à lui donner le tournis. Il ne manquerait plus qu’elle s’effondre au milieu de la rue pour parfaire son rôle de gourde.

De toute façon, je n’ai plus du tout d’appétit. Je vous laisse plaisanter de la situation entre vous, puisqu’apparemment, tout ça n’est qu’une vaste blague et que je prends les choses trop à cœur. De toute manière, puisque tu n’es pas capable de remplir les papiers concernant l’arrestation d’Isaac Donnelly, j’ai du travail qui m’attend ! Un jour il faudra que tu me dises si c’est écrire qui te pose problème ou si tu ne sais tout simplement pas lire, Grifith !

Et voilà qu’elle évoquait l’arrestation d’un suspect en pleine rue. Les rumeurs allaient se répandre en ville comme une trainée de poudre après ça et cette annonce avait surpris aussi bien Colleen que Logan. De mieux en mieux…
Si Kathleen n’avait pas craint de passer totalement pour une folle, elle se serait sans doute giflée. A la place, elle préféra tourner les talons, les larmes aux yeux, les joues rouges et le cœur battant.

On se voit ce soir, sauf si tu dors ailleurs. Préviens-moi, que je ne te frappe pas à coup de casserole si je te prends pour un voleur.

Je t'ai invitée, je reste avec toi Kathleen. Tu pourras m'engueuler pendant tout le repas si tu le souhaites, mais tu mangeras avec moi, ou tu me regarderas manger, au choix.

« Je suis désolée, j'ai fait ce que je pouvais suivant l'inspiration du moment aussi merdique cela soit-il. »

Kathleen luttait contre elle-même pour retenir les larmes de frustration qui tiraillaient ses yeux brûlants. Il ne fallait pas qu’elle se mette à pleurer avant d’être à l’abri des regards. Elle avait déjà l’air totalement ridicule et il n’était pas temps d’aggraver encore son cas !
Le mieux était qu’elle trouve refuge chez ses parents, comme à son habitude. Pleurer dans les jupons de sa vieille mère retraitée, c’était à peu près tout ce que la mignonne petite Kath savait faire…

Mais ses plans se trouvèrent bouleversée par l’apparition aussi soudaine qu’inattendue de Grifith à ses côtés. A quoi jouait-il ? Pourquoi la poursuivit-il alors qu’elle venait d’insulter son ex fiancée et de l’insulter lui aussi ? Certes, elle n’avait pas été aussi virulente mais tout de même ! La critique avait été faite et bien faite.
Et bien sûr, la jeune femme s’en voulait déjà terriblement pour son attitude et ses paroles… Elle n’avait absolument aucune volonté.

L’adjoint du shérif l’immobilisa et elle détourna le regard, honteuse mais encore sous le coup de la colère, son cœur battant follement dans sa poitrine. Le souffle court, elle l’écouta en gardant ses yeux humides obstinément dirigés vers le sol.
Il ne voulait pas la quitter, mais elle ne pouvait pas s’imaginer prendre un repas avec lui maintenant. Pas après tout ce qui venait de se passer. Pas dans ces conditions, alors qu’elle avait l’impression que d’une minute à l’autre, elle pouvait tourner de l’œil ou fondre en larmes. Peut-être les deux en même temps…

Je…je ne suis pas certaine de…d’en avoir envie

Pouvait-il la forcer ? Bien évidemment qu’il pouvait !
Elle visualisait la scène d’ici et elle ressemblait à s’y méprendre à une scène d’un film épique, du genre Sisi l’Impératrice… Elle fuyant, lui la rattrapant dans des gestes théâtraux absolument ridicule et dégoulinant de mièvrerie.
Kathleen chassa ces pensées de son esprit. C’était ridicule. Grifith se montrait gentleman maintenant que Colleen était loin. C’était trop facile. En sa présence, il avait joué les gros durs et ne l’avait pas défendue… Ou alors ne s’était pas défendu lui-même ?
Maintenant qu’elle y pensait, Kathleen ne savait plus vraiment si les sous-entendus de la postière était censé la blesser elle ou lui… En tout cas, ils l’avaient mise mal à l’aise, et l’adjoint n’avait rien fait pour la soulager. Ou peut-être son silence avait-il été une manière de ne pas entrer dans le eu de Colleen…
Tout s’embrouillait dans l’esprit échauffé de la standardiste.

Je préfère vraiment qu’on en reste là, Grifith. S’il te plait

Je suis désolée Kathleen. Désolé pour tout ça.

Si tu veux parler de quoi que ce soit plus tard, je suis là. Et je ne dis pas ça en l'air, crois-moi. Encore désolé.

to be continued (Kathleen)

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