Aidan est un garçon affectueux, toujours prêt à remonter le moral des troupes. Il est très sociable et est de toutes les fêtes. Si vos soirées manquent cruellement de peps, que vos invités s’en vont en vous jetant un regard dédaigneux : c’est à lui qu’il faut faire appel. Il est l’homme de la situation et ne refusera jamais une occasion de s’amuser et de bouger son corps d’Apollon. Survolté, il a hérité du côté intrépide – le terme insouciant est cela dit plus utilisé par son entourage - de ses frères qu’il copie, au grand dam de ses parents qui le voit commettre les mêmes erreurs que ses ainés. Souvent comparé à une pile électrique, l’adolescent est un vrai catalyseur pour les gens qui l’entour. L’adolescent sait pourtant faire preuve de sérieux et de calme lorsque les circonstances l’exigent et, en cas de coup dur, on peut toujours compter sur lui aussi bien sur le plan affectif que financier. Le jeune homme n’est en effet pas avare et sait se montrer très généreux envers ceux qui le méritent.
Etant le cadet d’une fratrie de quatre, il a très vite dû apprendre à se battre pour sauver ses bonbons préférés des estomacs de ses frères. Mais ces petites bagarres coutumières lui auront permis de s’affirmer, prendre confiance en lui et finalement de s’endurcir. Du moins était-ce que tout le monde pensait... depuis la disparition de ses parents, un net changement de comportement s’est opéré et Aidan s’est quelque peu refermé sur lui-même. Il est maintenant plus distrait, a toujours l’air soucieux, préoccupé. Même s’il rit encore de bon cœur de temps à autres, il retrouve plus rapidement son sérieux. Pour quelqu’un qui ne le connait pas, il l’air d’un garçon épanoui, heureux, mais ses proches, eux, ont noté la différence et commence même à s’inquiéter.
Mais sous ses airs d’angelot, Aidan peut se révéler être un vrai petit démon… Colérique et capricieux, il veut toujours ce qu’il n’a pas et fera tout pour l’obtenir, peu importe les risques encourus. Il se jette en effet dans les ennuis tête baissés et semble en redemander. L’adolescent en fait parfois un peu trop et son exubérance lui attire les foudres de son entourage. Ce qui ne semble pas le gêner outre mesure.

Aidan se redressa subitement sur son matelas, une fine couche de sueur collant son tee-shirt à sa peau livide. Son cœur cognait à tout rompre dans sa poitrine qui se soulevait rapidement tandis qu’il haletait, peinant à retrouver son souffle. Ses yeux exorbités balayèrent frénétiquement le décor sans qu’il parvienne réellement à le restituer. Il n’arrivait pas à croire qu’il en était sorti. Une partie de lui était encore là-bas, dans les ténèbres et l’adolescent pouvaient encore sentir l’abominable odeur de moisissure flotter dans l’air. Mais il n’était plus là-bas, il le savait. Et pourtant, Aidan n’arrivait pas à croire qu’il était encore en vie ; en un seul morceau. Paniqué, le jeune homme baissa son regard azuré vers son corps pour s’assurer qu’il était bel et bien en un seul morceau. Et c’était le cas, aussi invraisemblable que cela puisse lui paraitre. Pourtant il aurait juré…
Mais ses souvenirs se dissolvaient et il était de moins en moins capable d’expliquer son effroi. Il n’eut heureusement pas le loisir de chercher à se remémorer les détails de son rêve.
Une porte s’ouvrit à la volée, laissant apparaitre le visage familier et affolé de son ainé. Les deux frères s’observèrent un moment avant qu’Isaac ne détourne le regard pour chercher l’interrupteur de la pièce, déjà à demi-éclairée par les rayons lunaires. La lumière trop vive qui envahit la pièce termina de chasser les dernières bribes du cauchemar d’Aidan.

« Qu’est-ce qui s’passe ? » L’interrogea son frère d’une voix encore endormie où agacement et inquiétude se mêlaient
« J’ai… rien… j’ai fait une sorte… de cauchemar » bredouilla le cadet en passant une main tremblante sur son visage livide

Les sourcils d’Isaac se froncèrent tandis qu’il s’approchait du lit qu’occuperait son frère durant toute la durée de sa pension dans son petit appartement. Aidan frissonna et remonta les couvertures sur son corps glacé tandis qu’il essayait de réguler sa respiration et de calmer les battements de son cœur. Son frère se laissa tomber au bout de son lit, soupirant d’un air las. Il laissa le silence s’étirer quelques instants avant de lever ses yeux clairs et gonflés de sommeil vers lui.

« C’est encore ton rêve avec papa et maman ? »

Aidan se contenta d’acquiescer, sentant sa bouche s’assécher subitement et sa gorge se nouer. Il ne voulait pas repenser à tout ça. Et même s’il l’avait voulu, le jeune homme s’en serait trouvé incapable. Comme d’habitude, les images le fuyaient, s’évanouissant chaque fois qu’il tentait de se souvenir. Et pourtant, l’angoisse restait. Une angoisse sur laquelle il ne pouvait mettre de mots et lui faisait perdre le sommeil.
Tout ce qu’il savait, c’était que son cauchemar concernait ses parents, partis depuis quelques jours célébrer leurs trente-cinq ans de mariage. Margaret, sa mère, avait toujours rêvé de parcourir les États-Unis avec son époux et ils avaient enfin une occasion, le temps et les moyens de réaliser ce rêve. Ils n’avaient donc pas hésité bien longtemps et avaient mis les voiles, confiant la garde de leur petit dernier déjà grand à leur second fils.

« Tu veux en parler ? »
« Nan, c’est rien »
« Tu hurlais comme si on t’égorgeait, Dan » le réprimanda Isaac sans grande conviction pourtant
« Si on m’égorgeait, je ne pourrais pas hurler j’te ferai dire »

Son frère tiqua mais ne chercha pas vraiment à relancer le débat. Il s’attarda quelques instants encore dans la chambre de son cadet puis, après avoir tenté de le rassurer et lui avoir proposé d’appeler leurs parents à la première heure, était retourné se coucher.
Aidan, lui, n’avait pas osé se rendormir…

Aidan observa la fiancée de son frère repasser derrière Isaac pour remettre de l’ordre dans sa valise. S’étant cassé le poignet une semaine plus tôt, il se trouvait dans l’incapacité de s’acquitter de cette tâche, ce qui l’arrangeait beaucoup. Son frère passa une nouvelle fois devant lui, en coup de vent, un pli soucieux barrant son front. L’adolescent le suivit du regard, un sourire dansant sur son visage juvénile, puis il échangea un sourire complice avec Allie. Ils entendirent le bruit significatif de placards que l’on ouvre puis referme, de tiroirs que l’on claque avec agacement et pour finir, un juron. La brune roula des yeux et se tourna vers le couloir par lequel son fiancé avait disparu.

« Qu’est-ce que tu cherches, Isaac ? »
« Son tutu » minauda Aidan, s’attirant le regard réprobateur d’Allie

Samuel aurait sûrement beaucoup rit mais tout le monde n’avait pas son humour bon enfant. Il haussa les épaules pendant que la voix de son autre frère s’élevait depuis la pièce adjacente. Poussant un soupir, sa fiancée finit par capituler et lui emboiter le pas, abandonnant le jeune homme dans la chambre qu’il occupait depuis près de trois mois maintenant. Il se décolla alors du mur auquel il était appuyé pour s’approcher de son lit et observer l’œuvre de ses colocataires. Très vite, son regard clair vagabonda dans la pièce pour s’assurer que tout ce qu’il voulait emporter se trouvait bien là. Il ne manquait qu’une chose. Une chose qu’il n’avait pas oubliée mais qu’il n’avait pas voulu qu’Isaac le voit prendre. Après avoir jeté un petit coup d’œil en direction de la porte pour s’assurer qu’il était tranquille, il s’approcha de sa table de chevet et ouvrit le tiroir de son bras valide puis attrapa le cadre retourné qui se trouvait à l’intérieur.
Un nœud se forma au creux de son estomac. De la colère, de la frustration. Des sentiments devenus aussi familier que cette peur qui ne le quittait plus. Prenant une inspiration, comme pour se donner du courage, il retourna la photo pour observer les visages souriants de ses deux parents. Aidan avait toujours l’impression que la photo serait différente quand il s’autorisait à la regarder. Il s’attendait toujours à voir deux visages affreusement déformés, grimaçants, terrifiants. Des visages lacérés, deux orbites vides à la place de leurs yeux clairs et doux. Comme dans ses rêves. Le sentiment d’appréhension qui l’avait assailli s’évanouit, laissant place au chagrin. Trois semaines plus tôt, on leur avait annoncé leur disparition. Un accident de voiture d’après les autorités compétentes. La vieille voiture de leur père avait été retrouvée au fond de l’eau, vide. Les chances de retrouver les corps étaient minces et après 3 jours, les recherches avaient été abandonnées. Margaret et Sean Donnelly avaient été déclarés morts. Pour Aidan, cette annonce n’avait pas été un scoop. Depuis leur départ en février dernier, il les avaient vus mourir chaque nuit.
Mais le jeune homme n’avait jamais vu d’accident de voiture. Il avait vu autre chose. Quelque chose de tellement affreux qu’au réveil, son cerveau s’autocensurait et l’empêchait de se souvenir de ce qu’il avait vu. Mais une part de lui savait. Il n’y avait jamais eu d’accident, son père n’avait pas perdu le contrôle de sa vieille auto. Les corps n’avaient pas été emportés par le courant. Mais on ne les retrouverait jamais, ça Aidan le leur concédait. La chose n’en avait pas laissée une miette…

La voix d’Isaac le ramena brusquement à la réalité et, le cœur battant, il s’empressa de fourrer le cadre et sa photo dans la valise pour la refermer. Il se retourna vers le couple qui pénétraient dans la chambre, le cœur battant, come s’il venait de commettre un vol. Son frère l’observa un instant puis finit par se détourner, conscient que quelque chose clochait mais ne souhaitant pas le mettre mal à l’aise devant Allie.

« Samuel ne devrait pas tarder » lâcha Isaac en s’approchant pour refermer la valise puis la soulever du lit « T’as tout ce qu’il te faut ? »
« Manque plus qu’ma cross »
« Ta cross ? »
« De hockey ! Sammy m’a dit qu’on pourrait se faire quelques partis »
« Mais tu… »
« Il plaisante mon cœur » intervint Allie en déposant un baiser au coin des lèvres de son fiancé
« Je plaisante mon cœur » confirma Aidan en s’approchant pour faire mine d’embrasser son frère

Celui-ci le repoussa et l’adolescent s’autorisa un petit rire moqueur pendant qu’il se dirigeait vers l’entrée de l’appartement où se trouvait déjà deux valises. Aahron n’allait pas tarder à arriver non plus, au volant de la Volvo qu’il avait louée pour la durée de leur voyage. Lui aussi n’avait pas été surpris d’apprendre qu’il était arrivé quelque chose à leur parents. C’était lui qui avait reçu le dernier coup de fil de Margaret un mois plus tôt, qui s’était inquiété, avait tout gérer de bout en bout et finalement lui qui avait organisé leur séjour jusqu’à Grayson.
Ils voulaient des réponses. Ils voulaient savoir ce qui était arrivé à leurs parents. Aidan, lui, savait déjà et voulait simplement que ses cauchemars cessent de le hanter. Et quelque chose lui disait que Grayson était la clé. Il l’avait vu. En rêve…