J’ai donc commencé à bosser sur des chantiers, en tant qu’ouvrier. C’était manuel, physique et intense. J’adorais ça. Je ne donnais que rarement des nouvelles à la famille, estimant qu’il était préférable de garder une certaine distance. Ils savaient que j’allais bien, que je travaillais et que j’étais « heureux », cela leur suffisait, me disaient-ils. Et ça me suffisait de savoir qu’eux aussi, ils allaient bien.

J’ai voyagé, me ballotant de chantiers en chantiers. J’ai pu voir toutes sorte de ville, de mœurs et de culture. C’était enrichissant et intéressant, mon aventure tant rêvée. Je gagnais bien ma vie, je n’avais pas d’attaches, et j’étais libre comme l’air. Il était facile de m’entendre avec les autres gars, on sortait souvent boire une bière, danser et faire la fête. Quant aux femmes, il n’y avait aucune contrainte, aucune promesse et c’était parfait ainsi. Etant souvent sur les routes, changeant de ville constamment il aurait été stupide de tomber amoureux.

Pendant six ans j’ai vécu ainsi. Ca me convenait parfaitement, du moins je le pensais. Jusqu’à ce que je débarque près de Cleveland. Jusqu’à Trisha. Nous avions 23 et 22 ans, et moi qui ne croyais pas au coup e foudre, je fus estomaqué. Belle, intelligente, drôle, passionnée … Je l’ai aimé immédiatement, moi qui ne souhaitais pas tomber amoureux, j’ai été pris de cours. Et je n’ai jamais regretté. Le comble du comble fut que je posais valises près de chez moi. Retrouvant donc ma famille avec un regard différent. Sean ne dit rien, mais n’en pensa pas moins que moi, j’en étais certain, cette séparation avait été nécessaire.

Trisha et moi, ça a été passionnel et inévitable. Le genre d’amour qu’on ne trouve qu’une fois dans sa vie. Pas une seconde je n’ai imaginé mon futur sans elle. Alors, quand elle tomba enceinte rapidement, il n’y a pas eu de questions à se poser ni de doutes. Juste le bonheur et une bonne crainte. J’allais être père. C’était un pas décisif, important et j’étais aussi effrayé qu’excité. Sean et Margaret étaient ravis, tout comme les frangins avec qui je tentais de renouer. Ce n’était pas si difficile, et avec le temps, je savais que tout redeviendrait comme avant.

A la naissance de Petey, ce fut un bouleversement total. Une fierté. Une joie. Un besoin de le prendre dans mes bras. Un besoin de le protéger contre tout. Alors je compris. Enfin je réalisais ce que mes parents avaient pu ressentir. Pourquoi ils avaient été si « inquiets », si « impliqués ». Des remords ont fait surface, mais je me suis promis que j’arrangerais les choses. Trisha était épanouie, dans sa vie professionnelle d’avocate et dans notre vie de famille. Toujours amoureux, toujours heureux pendant des années, à regarder notre fils grandir.

Puis un changement. Une surprise. Je n’ai rien compris, je n’ai pas eu le temps de comprendre. Je sentais que quelque chose avait changé chez Trisha, mais à sa demande de divorce, j’en restais sans voix et anéanti. Comment? Pourquoi? Je lui ai bien posé ces questions. J’ai bien tenté de la persuadé de changer d’avis, car ce que nous avions était beau et unique. Mais rien à faire, elle n’écoutait pas. Alors? Je l’ai laissé partir. Car quand on aime, on sacrifie tout pour cette personne, même nous-mêmes.

Ma famille m’a aidé à travers cette épreuve, et je profite de mon temps libre et de mes week ends avec Petey du mieux que je peux. Il est mon centre d’attention. J’ai appris à vivre sans elle. Elle a refait sa vie, et même si c’est dur, si je ne sais toujours pas pourquoi elle m’a quitté, je fais avec.

Ma relation avec mes frères évoluent, tout en restant la même. Toujours derrière Sam, à le couvrir ou à le sortir de ses histoires de dettes, j’ai tendance à lui faire la morale, ce qui l’agace et nous pousse à nous disputer. Souvent. Pour Aidan, c’est particulier, car je me retrouve en lui. Pas étonnant car il me voit comme un modèle. Je ne peux que le comprendre et en même temps, je suis aussi moralisateur avec lui qu’avec les autres, autant que l’étaient mes parents avec moi. Ironique, non? Mais malgré ça, on s’entend très bien. Isaac et moi, il y aura toujours compétition et accrochage. Parce qu’on est frères et parce qu’on s’adore. L’important, c’est qu’on se respecte tous.

Le destin a décidé de nous mener dans une ville appelé Grayson. Pourquoi? Un accident. Bizarre. Qu’on ne croit pas. Nos parents ont disparu, morts dans d’étranges circonstances, même si officiellement, ils ont atterri dans le lac. Je ne le sens pas, et je suis bien décidé à découvrir la vérité. Ne serait-ce que pour eux. Ne serait-ce que pour me racheter, me sentant coupable de leur disparition.

Un coup de fil. Innocent et banal. Je ne l’ai même pas eu au téléphone. Un message. Mais j’ai senti l’anxiété de ma mère. Et ça s’est confirmé le lendemain, quand on a appris leur disparition. Un doute s’insinuant en moi, j’ai décidé de chercher. De savoir la vérité. Retraçant leur itinéraire, m’acharnant à retrouver leur point de chute, je fus vite servi.
Grayson.
C’est simple. Je ne crois pas à leur accident. Je crois qu’il y a quelque chose derrière tout ça. Je crois qu’il faut y aller. Sur place. Et trouver les réponses. Je leur dois bien ça. Quitte à y aller seul. Mais les frangins ont tenu à me suivre, malgré leur scepticisme, pour certains. On se soude. On est solidaire et on apprend que des évènements étranges ont lieu dans cette petite ville du Missouri. Ca nous suffit pour nous convaincre. Prendre la voiture et rouler jusque là-bas, affrontant notre destin. Allie, la fiancée d’Isaac a décidé de nous suivre au dernier moment. Je la respecte énormément, même si on ne se parle pas beaucoup, et j’ignore si ce fut une bonne idée qu’elle nous accompagne.
J’ai ordonné à Trisha de rester ici avec Petey, sentant que cette ville regorgeait de bien trop de choses dangereuses. Mais je ne sais pas exactement quoi. C’est bien pour ça que je suis là.