Aahron n’avait pas vu grand chose de la prestation de son frère, ni même de celle de Charlie. En réalité, encore moins de celle de Charlie puisqu’i lavait attrapée la main de Trisha pour l’entrainer dans un coin plus tranquille pour parler. Sur le coup, allez se réfugier dans les toilettes avec elle lui avait paru comme une idée excellente ! Sauf que c’était bien entendu l’excellente idée d’un type complètement ivre et qu’elle ne l’était pas tant que ça. Mais comme son interlocutrice en était elle-même à un stade avance d’ébriété, elle ne s’en formalisa pas.
Ils s’étaient donc retrouvés dans les toilettes minuscules du Susan’s Coffee qui n’avaient absolument rien à voir avec celles qu’il avait l’habitude de fréquenter dans les bras de Cleveland. Pour commencer, il n’y avait qu’un toilette, juste en face de la porte qu’il venait de refermer derrière eux. Et il avait fallut que Trisha et lui se contorsionnent pour parvenir à la refermer…
Le petit lavabo fissuré et surmonté d’un miroir crasseux couverts de graffitis et post-it variés mangeait un quart de l’espace et le cabinet un autre quart, ce qui leur laissait peu de liberté d’action. Mais il s’en moquait, il n’en avait pas besoin.

Une fois la porte refermée, il se tourna vers son ex-femme avec tout le sérieux dont il était capable. Mais la blonde ruina tous ses efforts en commençant à pouffer derrière sa main, come une ado qui vient de manquer de réveiller ses parents après être rentrée à l’aube, encore imbibée d’alcool. Il la rejoignit un moment sans vraiment savoir pourquoi, avant de plaquer son index sur ses lèvres dans un « shhht » ridicule.
Il tenta de retrouver son sérieux et se racla plusieurs fois la gorge pendant qu’elle tentait de garder le sien, l’observant avec un petit sourire mutin, son regard azuré brillant de malice. Elle était vraiment belle. Un peu trop d’ailleurs. Elle le perturbait. Son parfum aussi le perturbait. Venir s’enfermer dans ce réduit avait été une idée lamentable décidemment !

« Faut que j’te parle, c’est très sérieux… » crut-il bon de préciser, au cas où elle n’aurait pas encore saisit pourquoi ils se trouvaient là « Laisse-moi parler s’il te plait »

Elle n’avait visiblement pas l’intention de s’exprimer mais il préférait être clair et précis sur ce qu’il attendait d’elle pour le moment. C’était lui l’homme après tout et donc à lui qu’incombait la lourde tâche de prendre les décisions. Et ce soir, il venait d’en prendre une de taille.
Une énorme décision qui pourrait bien bouleverser leurs vies et celle de Petey. Une fois encore… Mais cette fois, c’était différent. Il n’était pas question de déchirure comme à l’époque de leur séparation, il était question de retrouvailles. Du moins il l’espérait. Tout dépendait d’elle au fond.
Chiotte ! Il n’était pas le vrai preneur de décision en fin de compte !
Aahron ferma les yeux une seconde pour faire le tri dans ses pensées et ne pas se laisser distraire.

« J’ai bien réfléchi à tout ça et on ne peut pas continuer comme ça. On se fait du mal l’un à l’autre et on fait du mal à ceux qu’on aime. Tu as pensé à Petey avant de venir m’embrasser, hm ? » fit-il mine de l’accuser

Elle voulu rétorquer mais il l’en dissuada d’un regard appuyé, avant de reprendre avec conviction.

« Et Aidan, tu as bien vu comment il réagit ! C’est pas un mauvais garçon, tu sais bien et au fond, il t’aime bien. Il est juste un peu… Enfin tu sais, c’est un ado révolté et tout ça. Et en plus i la plus d’parents alors tu vois, ça arrange rien » marmonna Aahron, chagriné par ce constat, avant de se ressaisir « Enfin tout ça pour dire qu’il faut mettre les choses aux claires une bonne fois pour toutes ! Je veux bien me battre pour toi, je veux bien… convaincre Aidan d’arrêter ses remarques, expliquer à tes parents pourquoi tu quittes un type brillant pour revenir t’encanailler avec un raté comme moi et… Non ! C’est pas la peine de nier, je sais très bien c’que j’vaux ! Je sais qu’il touche plus de fric que moi et il doit mieux comprendre c’que tu fais vu qu’il fait pareil… Et il est gentil et toujours bien habillé et parfait ! » s’agaça l’ouvrier dans une grimace dédaigneuse « J’suis prêt à lui casser la gueule si il faut, tu le sais bien »

Elle lui adressa un petit sourire encourageant et un silence s’installa quelques secondes avant qu’Aahron ne se décide à le rompre à nouveau.

« C’que j’veux dire… C’est que j’suis prêt à faire des efforts. J’ai pas vraiment envie d’attendre que tu prennes une décision en fait… Même si ce serait plus correct de te laisser prendre ton temps et tout ça, j’ai pas envie de laisser passer ma chance. J’ai pas envie que tu crois que j’m’en fou ou… »

Mais Trisha ne le laissa pas continuer son beau discours. Elle ne le fit pas taire en levant son index devant ses lèvres comme lui-même l’avait fait plus tôt, mais en les capturant dans un baiser fougueux. Et Aahron ne se laissa pas aller longtemps à jouer les surpris. Il posa rapidement ses mains sur le postérieur ferme de son ex-femme qui s’entretenait toujours autant et les fit glisser pour pouvoir la soulever. Une main passée autour de son cou, l’autre appuyée au mur dans le dos de son amant, elle enroula ses jambes autour de lui et se laissa faire, lui mordillant la lèvre entre deux baisers.
Mais ils n’eurent pas le temps de jouer les prolongations.

Alors que Trisha venait d’amorcer une tentative pour défaire sa boucle de ceinturons, la porte s’ouvrit soudain, venant cogner Trisha qui poussa un cri strident et manqua de faire perdre l’équilibre à Aahron (et accessoirement de tomber dans la cuvette près d’eux). La blonde se laissa vaguement glisser contre son corps alors que leurs visages se tournaient tous deux vers la porte à moitié ouverte qui leur permit d’apercevoir le visage d’Aidan. Evidemment…

« Qu’est-ce que vous foutez ? » demanda-t-il, les yeux écarquillés
« Bah… rien… Et toi ? »
« Faut que j’pisse ! » s’exclama son jeune frère sur le ton de l’évidence, avant de plisser ses sourcils clairs pour les observer d’un air sournois « Vous étiez en train d’vous peloter, c’est ça ? J’vous DERANGE pt’être ! »
« Non, pas du tout… J’aidais…Trisha à vomir »

La jeune femme lui lança un regard noir avant de lui asséner un coup sur la poitrine et de s’écarter de lui. Il n’avait pas dit qu’il était prêt à se battre pour elle CE SOIR ! …Si ?

« Mouais… En attendant moi j’dois vraiment pisser ! C’est urgentissimo ! »
« …Tu viens d’l’inventer ce mot, non ? »
« On s’en fou ! J’vais t’pisser dessus mec, putain ! »
« Oui, oui ! Ca va hein ! » grogna Aahron en ouvrant la porte précautionneusement pour permettre à Trisha de sortir et s’extirper lui-même du réduit pendant qu’Aidan dansait la gigue dans le petit couloir permettant d’accéder aux WC et aux cuisines « Voilà tu p… »

Mais la porte se refermait déjà sur la silhouette de son frère.
Aahron continua de fixer la porte un moment, n’osant pas encore vraiment croiser le regard de Trisha. L’arrivée impromptue d’Aidan lui avait permis de dessaouler vitesse grand V ou du moins, de réaliser ce qu’il venait de faire. Il n’était pas seul responsable mais tout de même. C’était du grand n’importe quoi… C’était le résultat de $300 d’alcool…
C’était donc la faute de Trisha au final.

Aahron observa Samuel et Charlie s’éloigner pour rejoindre le domicile de la jeune femme. Cette dernière, en tête, tirait sur la manche du blouson de son cadet en riant doucement. Le trentenaire se laissa aller à sourire, attendri par cette vision qui le ramenait quelques années en arrière, à l’époque où lui et Trisha étaient jeunes mariés…
L’ouvrier se tourna justement vers son ex-femme qui frictionnait ses épaules pour les réchauffer un peu. Tout comme lui, elle avait dessoûlé au moment où Aidan était entré dans les toilettes alors qu’ils étaient en train de s’embrasser. A présent, ils étaient simplement exténués tous les deux, et un peu honteux. Dans son cas en réalité, plus qu’un peu honteux seulement.
Il était même carrément mortifié par ce qu’il avait laissé Trisha lui faire. Après des semaines de retenus, de doutes, il craquait bêtement pour un peu d’alcool. Enfin bien sûr, il avait déjà craqué et ce n’était pas la première fois qu’ils s’embrassaient… Mais il venait de se promettre de ne plus céder. Il avait tenu environ 12h… lamentable.

Une main se posa soudain sur son épaule, le faisant sursauté. Il s’arracha à ses contemplations et observa Isaac qui, gardant sa main sur lui et désignant le coffre de la voiture de son autre pouce.
Aahron laissa échapper une exclamation. Il en avait presque oublié que son plus jeune frère était toujours assoupi à l’arrière.

« J’m’en occupe » acquiesça-t-il

Isaac le remercia puis rejoignit Allie qui baillait à s’en décrocher la mâchoires sur le perron de leur maison de location. Ils pénétrèrent à l’intérieur et, une fois encore, le regard azuré et dur d’Aahron se posa sur la silhouette frêle et légèrement tremblante de Trisha. La grande blonde le regardait elle aussi.
Et il était certain que leurs yeux reflétaient les mêmes choses. Le doute, la culpabilité, mais également l’excitation, le désir. Ils savaient qu’ils avaient fait une erreur, mais également qu’ils en feraient sûrement d’autres… et ils n’en avaient rien à foutre. L’un comme l’autre étaient même pressés de remettre ça.

« Rentre, tu vas attraper froid » lui sourit-il « J’vais installer sa majesté dans l’canapé avec une bonne bassine et on va dormir dans la chambre des garçons »

Trisha acquiesça, un sourire flottant également sur le bas de son visage.
Il ne détourna le regard qu’après l’avoir vu monter les escaliers en face de la porte du hall et poussa un soupir pour se donner un peu de courage. Il ouvrit ensuite le coffre et observa d’un air critique son frère dormir, bouche ouverte à l’arrière de sa voiture, en train de ronfler comme un bien heureux.
Après deux tentatives, Aahron abandonna l’idée de le réveiller et de le faire marcher jusqu’à la maison. Il le hissa négligemment sur son épaule, referma le coffre et pénétra à son tour dans la maison qu’ils occupait depuis ce qui lui paraissait être une éternité.
Il laissa tomber son paquet sur le sofa, ne prêtant pas attention aux protestations étouffées de son jeune frère qui se rendormit presque aussitôt. L’ainé alla ensuite chercher une couverture qu’il étendit négligemment sur lui, avant d’aller lui chercher une bassine dans la cuisine qu’il déposa près du sofa.
L’ouvrier éteignit ensuite les lumières et pressa le pas pour rejoindre l’étage.
Pour rejoindre Trisha, en réalité.


Il était en train de rapprocher le lit d’Aidan de celui de Samuel pour que son ex-femme puisse dormir dans ses bras cette nuit, quand les yeux d’Aidan se rouvrirent subitement dans l’obscurité. Ils n’avaient plus leur teinte bleutée habituelle. Ses pupilles étaient à présent complètement dilatées et donnait l’impression que ses orbites étaient vides. Ses deux biles noires et brillantes se posèrent sur le plafond repeint de la maison.
Sa maison.
Lentement, Francis Mercer se redressa, laissant la couverture qui recouvrait le corps de son hôte tomber sur le sol en un tas informe. Lentement, d’une démarche mécanique et inquiétante, il s’approcha de la baise vitrée et s’y posta, la mine sombre.
Ses yeux d’encre étaient braqués sur l’extérieur dépourvu d’éclairage. Mais il n’avait pas besoin de voir pour savoir qu’elle se trouvait là.
Sa hache.
Il fallait qu’il la récupère et qu’il donne une bonne leçon à cette négresse et aux baiseurs de cons qui forniquaient à l’étage. Il allait la récupérer et alors il pourrait jouer un peu.
Ship shop…ship, shop…

to be continued