Je n’avais pas dormi de la nuit. C’était aussi simple que ça. J’en avais été incapable. Et dans un sens, c’était mieux ainsi. Mais ça jouerait certainement sur mon humeur du jour. Tant pis, il feront avec. Les choses commençaient à se dégrader, lentement mais sûrement. Je le sentais depuis quelques temps, mais hier soir j’en avais eu la certitude. Ça ne devrait pas être étonnant, pourtant. Depuis la disparition de Sean et Margaret, il n’y avait que de la tension et des reproches entre nous tous. Le fait de se poser des questions, de douter, de vouloir connaitre la vérité, d’avoir peur aussi de la connaitre … ou encore un passé pas encore effacé. Ça n’aidait pas. Mais la réaction d’Aidan la veille m’avait fait flippé. C’était le mot, y en avait pas d’autres. Il était le dernier de la bande, celui qui comptait sur ses grands frères, celui qu’on devait protéger. Et j’étais passé, nous étions passés, à côté de ses problèmes. Car d toute évidence, il y en avait un. Seulement, je savais d’avance que nous n’en parlerions pas. Trop gênés, trop à l’opposé de ce que nous sommes. Se confier? Discuter du fait qu’il avait éclaté en sanglots dans mes bras, succombant à la pression des derniers jours? Non. Ça serait aussi perturbant pour lui que pour moi. Mais il fallait penser à régler ce souci.

J’étais descendu de bonne heure, il ne devait pas être encore 6h30, pensant être le premier debout. Restant immobile dans l’encadrement de la porte de la cuisine, j’avais eu un léger doute. Se retrouver si tôt ensemble, après notre petite scène, ce n’était peut-être pas une bonne idée pour débuter une journée. Mais je n’avais pas tellement eu le choix, car il m’avait déjà aperçu. Un signe de tête. Mal à l’aise et ne sachant pas quoi ajouter d’autre. Il avait fait des pancakes en forme de dinosaures, ce qui me fit sourire intérieurement. Je n’étais pas prêt à sourire pour de vrai. La situation nous dépassait tous, et on devait absolument se souder, se reprendre en mains. Je m’étais servi une tasse de café noir, pour bien me secouer. M’adossant contre le mur de la cuisine, je m’étais contenté de l’observer s’atteler aux fourneaux pendant que je buvais silencieusement. Il y avait de quoi se prendre la tête. Aidan et moi, on n’avait jamais vraiment tisser de liens. Étant parti lorsqu’il était gosse, je ne pouvais pas prétendre le connaitre. Encore moins d’avoir le « droit » de lui faire la morale, et je le savais. Mais c’était tout de même mon frangin, et mon instinct protecteur ressortait inévitablement. J’aurais pu lui parler, là. J’aurais pu lui demander des explications. Comprendre ce qui se passait dans sa petite tête. Mais ça n’aurait pas été naturel. Forcé et légèrement comique. Tout comme le fait qu’il cuisine. Il me jetait des coups d’œils de temps en temps. Mais ne prononça pas un mot. Quant à moi, sans le vouloir, je le regardais les yeux froncés et le regard concerné. L’air de dire « est-ce que ça va, vieux? C’est passé? Ou vas-tu me refaire une crise d’angoisse? » Inutile de dire que je préférais pas.

Les autres nous avaient rejoints petit à petit. Allie semblait crevée, comme nous tous, mais elle devait se ménager un peu. Je me demandais même si elle ne devrait pas plutôt rester ici. Mais je chassais cette idée aussi vite qu’elle était venue. Ça n’aurait servi qu’à faire monter le ton. Elle était aussi concernée que nous maintenant. Le petit déjeuner s’était déroulé en silence. Tendu. Des non-dits. Des paroles qu’on pense tout bas, qu’on ne dit pas tout haut. Ça viendrait sûrement plus tard. Pour le moment, mieux ne valait pas enfoncer le clou. Il nous fallait penser à cette journée. En espérant y trouver des réponses qui ne venaient pas. Pourtant, j’en étais persuadé. Encore plus depuis que la maison avait été mise à sac. Quelque chose de bizarre avait lieu dans cette ville. Quelque chose qui était en rapport avec la disparition de nos parents. Et il était hors de question qu’on passe côté sans apprendre la vérité.

Trisha était arrivée un peu après, ayant laissé Petey chez Charlie qui avait bien accepté de s’occuper de lui quelques heures. Je refusais de le mêler à tout ça, comme tout l monde d’ailleurs. Il en avait bien trop entendu déjà. Je sentais qu’il était un peu déboussolé et perdu à cause de tous ces évènements qu’il n’arrivait pas à comprendre, et ça me flinguait de ne pas le savoir loin de cette ville, loin de tous ces problèmes qui semblaient, malheureusement, s’accumuler. Je me promettais chaque jour, que tout serait fini bientôt et qu’on retrouverait notre vie d’avant. Tout en sachant, qu’en regardant Trisha, rien ne serait jamais plu comme avant. Nous avions décidé, à son arrivée, qu’on prendrait les deux voitures. Sam se mit au volant de la voiture de Trisha, décidant qu’il serait plus apte à les emmener rapidement sur les lieux. Levant les yeux au ciel, je m’étais dirigé vers la volvo, lançant un regard qui en disait long à Isaac. C’est moi qui la conduirait, personne d’autre. Il grimpa côté passager en me rendant le même regard, et soupirant, le mien rencontra celui d’Aidan. Il montait avec Sam et Trisha. Une part de moi fut soulagé, car je ne jurais pas sur le comportement que j’aurais eu si on avait été dans la même bagnole.

Nous roulions en direction du pont, dans un silence pesant. Je n’étais pas du genre à causer, ni à être celui qui le rompait. Pourtant, il faudra bien à un moment que quelqu’un le fasse. Il fallait s’organiser. Savoir quoi faire exactement quand on y serait. Que fallait-il chercher? Où regarder? Être attentif et se montrer patient. Chose assez difficile pour nous. C’était un job de professionnel, et nous n’étions que des débutants. J’espérais ardemment qu’on trouve quelque chose. Quelque chose qui puisse nous servir. Quelque chose qui nous amène chez Nathaniel et que je lui rabaisse son clapet. Malgré moi, mon cœur fit un soubresaut quand on arriva enfin. Stoppant le moteur, détachant les ceintures, nous descendîmes en claquant les portières. Tous côtes à côtes à contempler cet endroit. L’endroit où tout avait commencé.

Bien, dis-je en me tournant vers eux. Au boulot.

Peu loquace. Pourquoi? Parce que je me trouvais ici. Là où ils avaient disparu. Là où mes remords se répandaient comme des lianes autour de moi. Et je me sentais mal. Très mal.

Aidan n’osa pas lever les yeux vers son frère une fois qu’ils furent tous descendus des deux véhicules. Il s’obstina à fixer le bout de ses vieilles All Star colorées, reniflant discrètement en essayant de paraitre très occupé.
Depuis la veille, le jeune homme s’interrogeait sur les raisons qui l’avaient poussé à demander à ses frères de se rendre sur le lieu du supposé accident de ses parents. Cette histoire l’avait tracassé un moment avant qu’il (pète un plomb) aille se coucher, et à son réveille, les choses ne s’étaient pas arrangée, au contraire. Le jeune homme n’avait aucune idée de ce qu’il faisait là et ne souhaitait plus qu’une chose : qu’ils repartent d’où ils venaient. Mais évidemment, il savait qu’il aurait du mal à faire entendre raison à ses ainés… d’autant plus qu’encore une fois, ça avait été son idée au départ.
Il aurait aimé pouvoir prendre la parole, leur dire qu’ils ne trouveraient rien ici parce qu’il ne s’était strictement rien passé ici. Ses parents étaient mort avant d’avoir franchit le panonceau de sortie du petit village.
Aidan le savait ; il l’avait vu.
Mais personne ne le croirait, il n’en était même pas certain lui-même alors…

Le petit blond continua donc à fixer ses chaussures inlassablement. Autour de lui, ses frères et Trisha commencèrent à s’agiter mollement, rechignant à se lancer dans leur pseudo-enquête. Soit parce qu’ils ne savaient pas par quel bout débuter l’investigation du « lieu de l’accident », soi parce que, tout comme lui, ils ne savaient pas ce qu’ils fichaient là. C’était très certainement le cas de Samuel qui, comme à son habitude, suivait simplement le mouvement avec une bonne volonté insoupçonnée de tous.
Seule Allie resta immobile non loin de lui, elle aussi appuyée à la voiture. Intrigué, Aidan finit par tourner ses yeux clairs dans sa direction pour constater qu’elle l’observait de biais. Lorsqu’elle capta son regard, elle ne se détourna pas et se mit carrément à le fixer, jusqu’à ce qu’il se détourne.

Il leva alors son regard vers Sam puis Isaac, et finit par prendre la parole d’un ton qu’il aurait voulu un peu plus assuré.


« J’vais rester là. A la voiture j’veux dire. Vous avez qu’à descendre ou… faire c’que vous voulez. Enfin juste pour l’instant, après j’vous aide »

Aidan tenta de soutenir les regards tantôt intrigués tantôt surpris de ses ainés. Ils étaient tous sur les nerfs évidemment - en grande partie par sa faute et à cause des propos qu’il avait tenus hier soir - et le jeune homme craignait que le ton hausse. Il aurait été présentement incapable d’expliquer les raisons de son absence de motivation à participer aux recherches et à fouiner dans les environs à la recherche d’hypothétiques preuves.
Le plus jeune des Donnelly ne savait en effet pas s’il avait peur de ne rien trouver qui les fasse avancer… ou s’il était au contraire terrorisé à l’idée de trouver quelque chose d’incriminant. Il savait que rien de tout cela n’avait de sens, que ses réactions étaient pour le moins irrationnelles, et en même temps, qu’est-ce qu’il pouvait y faire ?
Ce n’était pas comme s’il pouvait contrôler quoi que ce soit, comme s’il avait le choix. Si ça avait été le cas, il serait en mesure de dormir la nuit et l’incident d’hier aurait été évité. Aidan préférait donc prévenir plutôt qu’avoir à assumer une fois encore les retombés de ses actions douteuses ô combien nombreuses ces temps-ci.

Cela faisait déjà plusieurs minutes qu'ils avaient tous débarqué et Allie se sentait plus que mal à l'aise. Et s'ils découvraient quelque chose d'affreux ou s'ils ne trouvaient rien du tout ? Comment allaient-ils tous réagir ? Aidan allait-il encore péter un plomb devant eux tous ? Ou lui sauter à la gorge pour une raison inconnue ?

Cela faisait déjà plusieurs minutes qu'ils s'étaient tous éloigné du véhicule pour commencer les recherches, excepté elle et Aidan, qui les suivait des yeux.

Allie porta son doigt à la bouche pour ronger un ongle déjà disparu tout en fixant du coin de l'oeil le cadet de la famille qui ne bougeait pas de la voiture. Elle aurait cru qu'il allait de jeter à corps et à cris dans cette recherche folle d'indices autour du pont mais que nenni, il restait sur place.

Bon dieu, elle avait vraiment envie de lui parler à celui-la, qu'ils mettent les points sur les "i", qu'elle comprenne son agressivité envers elle et les autres. Pourquoi était-il devenu si cinglé hier hein ?

Elle fixa alors Isaac au loin, se penchant en avant pour ramasser une bouteille d'eau en plastique qu'il rejeta immédiatement. Quel crétin des fois celui-la. Son regard se porta alors sur Aidan, qui se tourna et la fixa, elle fit de même. L'heure était venue, ils devaient parlé.


"Tu comptes péter un plomb comme hier ? Parce que si c'est le cas dis moi et je m'écarte."


La métisse attendit une réponse qui ne vint pas, il se contentait de la regarder, les yeux dénués d'expression si ce n'était cette fatigue maintenant connue de tous. Peut-être qu'un somnifère serait en fait le bienvenu, si elle prenait l'initiative, au moins personne ne se sentirait coupable. Elle allait leur en toucher deux mots.


"Aidan, je peux savoir pourquoi tu n'es pas à aider les autres alors que tu as réclamé de venir ici ? Et ne pense pas que je suis agressive, je veux juste de simples renseignements. Stay cool petit blond !"


Nouveau mordillage d'ongles avant de s'asseoir sur le capot encore tiède du véhicule.


"Tu m'en veux de quelque chose ?"

Aidan leva son regard délavé et usé en direction d’Allie. Elle semblait remontée et il l’avait rarement vu dans un tel état. Pourtant, il savait que sa belle-sœur n’était pas exactement en colère, juste déçue, frustrée et inquiète. Il comprenait tout à fait ses réactions mais ça ne l’empêchait pas d’en être attristé… Il avait toujours eu beaucoup d’affection pour la fiancée de son frère et si elle n’avait pas été là pour eux tous, il ne savait pas ce qu’ils seraient devenus. La veille, ce n’était pas réellement après elle qu’il en avait, même si visiblement, son attitude et ses propos avaient été interprétés dans ce sens et l’avait heurtée de plein fouet.
Il avait hésité à s’excuser ce matin, une bonne trentaine de fois, mais n’en avait rien fait. Le garçon avait espéré que tout le monde agisse comme s’il ne s’était rien passé, qu’ils se contentent de se concentrer sur leur tâche… Mais penser qu’Allie allait en rester là, c’était mal la connaitre.
Elle pouvait se montrer terriblement butée quand elle le voulait. C’était important lorsqu’on voulait s’associer à un Donnelly d’une manière ou d’une autre ; si on n’en était pas capable, on se faisait bouffer en moins de deux !
Elle n’avait pas voulue être agressive sans ces propos et pourtant, sa voix avait claquée sèchement. C’était comme si elle l’avait giflé.

Aidan resta silencieux un moment, la fixant d’un air de dire : pourquoi t’as pas laissé couler ?
Il comprenait qu’elle veuille parler, crever l’abcès et remettre les points sur les i, mais il ne s’en sentait pas prêt. Pas encore. Bien sûr, il savait que le monde ne tournait pas autour de lui et qu’il n’y avait que sa mère pour lui laisser le temps de venir à elle parler de ses problèmes ou venir s’excuser d’une remarque ou d’une autre qu’il avait faite. Aidan finissait toujours par le faire, mais c’était selon son bon vouloir… Peut-être qu’il était temps que les choses changent. Qu’IL change.

C’est pour cette raison qu’il ne lui demanda pas de lui laisser un peu de temps et ne chercha pas à éviter ses questions. De toute façon, au point où il en était, il ne pouvait décemment pas faire pire. Sa relation était des plus tendus avec la jeune métisse et il détestait ça. S’il avait une chance d’arranger la chose, alors il fallait qu’il la saisisse au vol.


« J’t’en veux pas. J’suis pas fâché après toi » soupira-t-il, le regard fuyant, triturant nerveusement ses doigts « J’suis juste… enfin tu sais bien. J’ai du mal à gérer tout ça et j’arrive pas à sortir les choses alors… enfin ça déborde et j’contrôle pas c’qui s’échappe. Je sais qu’j’ai foiré hier. J’aurai jamais dû dire ça alors que Petey était là. Enfin j’aurai pas dû l’dire tout court »

N’empêche qu’il le pensait toujours. Aidan voulait que les responsables paient pour la mort de ses parents. Il volait que ce soit sanglant. Mais Aahron avait raison, ils avaient tous une vie et ne méritaient pas d’être mêlés à ça. Lui c’était différent. Lui il n’avait pas de fiancé, pas d’enfants à charge comme ses deux ainés et il voulait être là, c’était son choix contrairement à Sam qui suivait juste le mouvement.
Mais à l’avenir, il garderait ce genre de pensées pour lui-même.


« J’ai juste besoin d’un peu d’temps… D’me retrouver là… enfin c’est bizarre, tu m’suis. J’ai peur de voir quelque chose » dit-il, espérant qu’elle comprenne ça au sens littéral

S’il commençait à lui parler de visions, d’hallucinations ou ce genre de conneries, c’était certain, elle le ferait interner… famille ou pas famille. Ses frères en feraient autant. Mieux valait qu’elle pense à un simple indice, une trace prouvant que leurs parents étaient bien morts ici.
C’était mieux comme ça, pour tout le monde.

Peur de voir quelque chose. Normal quand on est censé être sur la scène de mort de ses parents. Avant qu'il lui dise ça, Allie n'avait pas vraiment réalisé l'endroit où ils se trouvaient tous... Sean et Margaret étaient sûrement décédés à l'endroit même où ils étaient. Elle retint un frisson et posa sa main sur l'épaule du petit blond à côté d'elle.


"Tu veux que je reste avec toi et quand tu te sens prêt on y va ensemble ?"


Elle tenta un sourire dans sa direction et baissa ses yeux sur le sol, comme si elle tentait de faire un trou au milieu de la végétation. Et dire que c'était lui qui avait fait la demande de venir ici pour creuser un peu plus leurs recherches... quelle mauvaise idée, elle aurait dû s'en douter qu'il n'allait pas bouger un doigt. Quel horrible endroit. Tentant de se mettre dans la peau du cadet, Allie réalisa que si c'était elle à sa place, elle ne serait jamais venue sur ce maudit pont. Elle ne désirait désormais plus qu'une chose, qu'ils finissent leur investigation rapidos et qu'ils rentrent tous à Grayson. Cette endroit lui fichait les chocottes et elle commençait à se sentir nauséeuse... les bonheurs de la grossesse.


"Je suis vraiment désolée pour tout tu sais..."


La métisse remit une mèche de ses cheveux derrière son oreille et soupira fortement.


"Bon, ils trouvent quelque chose ?"


Comme s'il l'avait entendu, Isaac tourna alors le regard vers eux deux, elle se détourna vivement de son inquisition, elle était toujours extrêmement en colère contre lui et ça n'allait pas se calmer de si tot. Qu'il ne tente même pas de venir la voir ou ça allait encore chauffer, frères ou pas frères autour.


"Tu veux qu'on marche un peu ou qu'on rentre dans la voiture mon chamallow ?"


Allie passa sa main dans les cheveux d'Aidan pour y mettre du désordre et attendit une réponse.

Sans un mot, nous nous étions dispersés sur le pont. Je gardais les sourcils froncés et tentais d’éloigner les pensées noires qui me taraudaient. Nous étions ici pour enquêter. Je pourrai me ronger de culpabilité plus tard. Seul. Pour le moment, on comptait tous les uns sur les autres pour trouver cet infime espoir. Cette preuve dont nous avions besoin. Avant de se mettre à farfouiller, Aidan avait hésité et nous avait dit de commencer sans lui. Je l’avais fixé pendant quelques secondes. Je n’avais pas pensé que pour lui aussi, ça serait inévitablement dur. Peut-être même plus, étant le plus jeune. Je m’étais naturellement dit qu’il serait capable d’assumer, de supporter ce passage car c’était son idée à lui. Mais il était tellement perdu et déboussolé depuis quelques temps que j’aurais, encore une fois, dû m’en rendre compte. Il aurait sûrement été mieux et plus sage de le laisser à la maison. Maintenant, c’était trop tard. On était là. Soudés et déterminés à découvrir la vérité, quelle qu’elle soit.

Je me décidais donc de me mettre au travail. Je tentais de me concentré, de regarder absolument de partout pour que rien ne m’échappe. Jusque là, la route, les feuillages et tous les alentours étaient nickel. Rien n’indiquait qu’il y ai pu avoir un quelconque accident quelque mois à peine plus tôt. Pourtant, on avait bien récupérer la voiture dans un sale état? Sans les corps, certes. Mais il devait bien y avoir eu un impact, quelque chose de laisser derrière qui laisserait une trace d’un véhicule, des pas … enfin quelque chose. Sinon je ne l’expliquais pas. Et si il n'y avait jamais eu d’accident? Je me retournais vers les autres, apercevant au loin Allie et Aidan qui discutaient. Sam, Isaac et Trisha qui semblaient aussi perdus et sceptiques que moi.

Isaac! L’appelais-je. Un signe de tête, comme pour lui demander s’il voyait quelque chose de son côté. Mais à son expression irritée et impatiente, je compris que non. Sans un mot je me tournais vers Samuel, mais il me répondit négativement également. A quoi m’attendais-je? Nous n’étions pas des experts et on ne savait même pas quoi chercher, par où commencer … ce n’était pas aussi simple que dans les films. Nous étions tellement sur les nerfs la veille que nous avion pris cette décision à la va-vite sans savoir à quoi exactement nous attendre. Je passais une main sur mon visage, las et n’ayant qu’une envie, partir de cet endroit.

Et si il n’y avait pas eu d’accident? Si tout ça c'était juste…un bon gros mensonge ? demandais-je à l’aveuglette tout en m’adressant à tout le monde.

La matinée avait été des plus silencieuses. Il fallait dire que pour une fois, ça ne m'avait pas dérangé le moins du monde. J'avais mal dormi, très mal dormi. Je n'avais pratiquement pas fermé l'œil en fait, même si j'avais feint le sommeil lourd pour que Allie me fiche la paix. Je pétais les plombs, ça devenait inquiétant. Je me m'étais à engueuler ma fiancée, qui portait mon bébé, alors qu'elle n'avait vraiment pas besoin qu'on lui en rajoute. Je m'en voulais. Un peu. Je pensais toujours ce que je lui avais dit hier soir, mais je culpabilisais de l'avoir mise dans un tel état. Dès lors qu'elle était entrée dans la cuisine ce matin, j'avais senti qu'elle était sur les nerfs. Personne n'avait prononcé un mot, rien pour faire la causette en tout cas. De simples formalités en vue de ce qu'on avait prévu : se rendre sur les lieux de l'accident.

Et on y était. Végétation luxuriante, un lac à l'allure calme, des débris de bouteilles de verre et autres déchets. Ce devait être un lieu très fréquenté les nuits dont la principale clientèle devait être de jeunes adolescents qui picolaient en se cachant de leurs parents. On l'avait tous fait.
Je sortis de la voiture et Aahron donna la signal. Aidan préféra rester près de la voiture un moment. Je le fixai avec surprise un instant avant de lever les yeux au ciel, déjà retourné pour qu'il ne me voit pas, puis m'avançai en contrebas vers le lac. Il n'avait faire ce qu'il voulait, ça m'était égal. Depuis quand j'étais devenu aussi égoïste ? Je n'en connaissais même pas la raison moi-même.

Je m'accroupis pour ramasser une bouteille en plastique dans un piteux état, et la balançai immédiatement à quelques mètres. Mes yeux balayèrent les environs, mais rien n'indiquait qu'il se soit passé quoi que ce soit ici. Je commençai à me dire que c'était une perte de temps. Je n'avais même pas vraiment envie d'être ici. Enfin si, je devais bien ça à mes parents, mais...Grayson me montait vraiment à la tête, je ne pensais plus qu'à une chose ces derniers temps, et c'était rentrer chez nous. Seulement, les laisser seuls ici, je ne me le pardonnerai jamais.
Je fis quelques pas pour examiner les arbres et buissons. Selon les dimensions de la voiture de papa, elle aurait dû au moins laisser quelques marques, que ce soit sur la végétation ou la terre boueuse près du bord de l'eau. Mon regard se tourna vers Allie et Aidan qui discutait. Elle détourna immédiatement les yeux, elle était encore en colère. Je ne pouvais pas lui en vouloir pour ça. Je n'avais moi-même rien à lui dire pour l'instant. Le pire c'est que ce n'était même pas sa faute...

Aahron m'interpella, et ma tête pivota dans sa direction. Je fis un "non" du menton, et commençai à remonter vers la route. Sur celle-ci, pas de traces non plus. L'accident avait pourtant été décrit comme assez violent, et aucune trace ? C'était tout simplement impossible. Aahron me suivit et exposa l'hypothèse que l'accident n'avait jamais eu lieu.

« Ce que j'en dis moi, c'est que c'est trop propre. Alors, à mon avis, ouais, c'est des conneries cet accident. Et en plus c'est pas comme si on le soupçonnait pas tous depuis le début, puisqu'on est ici. »

Les mains dans mes poches se serrèrent un peu, geste inconscient de la colère contenue qui commençait peut-être à pourrir mes relations avec tout le monde. J'expirai, espérant me calmer pour ne pas que la scène de hier soir ne se reproduise. J'adoucis mon regard aussi, passant furtivement d'Allie et à Aidan avant de revenir sur Aahron.

« Sachant ça, on fait quoi ? » demandai-je en haussant les épaules.

Il avait pris la voiture ce matin, il avait conduit tout ce petit monde ici. Peut-être qu'on avait encore quelques rivalités de chef de meute, mais pour le moment, je lui laissais les rennes. C'était mieux pour tout le monde, Aahron était probablement celui qui avait gardé la tête sur les épaules. Quoique Sam' le rivalisait pas mal sur ce point dernièrement. A croire que j'avais perdu tous mes moyens.

Aidan s’arrêta en pleine phrase, détournant son visage de celui d’Allie pour observer ses frères tour à tour. Ces derniers s’étaient rapprochés des voitures, s’éloignant du pont sur lequel ils se baladaient sans but depuis quelques petites minutes. Le jeune homme n’avait pas réellement suivie l’avancée de leur investigation, trop occupé qu’il était à discuter de tout et surtout de rien avec sa belle-sœur. La discussion n’avait pas volé très haut et une gêne persistante les avait enveloppés tout du long, mais au moins : ils parlaient.
Le plus jeune des quatre frères se décolla un peu de l’auto pour former un cercle avec ses ainés, ses mains glissées dans les poches de son pantalon. Il écouta Isaac s’exprimer sur la situation et se mordit l’intérieur de la bouche pour ne pas répliquer.

Évidemment qu’ils ne trouveraient rien ici puisqu’il ne s’était rien passé.
Jusque là, Aidan n’ne avait pas été certain et il avait craint s’être trompé, mais à présent, tout semblait indiqué que ses cauchemars disaient vrais. Quant à savoir s’il devait être soulagé ou au contraire terrifié par cette idée… il y avait un monde. Pour le moment, tout ça ne l’atteignait qu’à très petite échelle. Il était juste un peu frustré de revenir bredouille, même s’il ignorait ce qu’il cherchait au fond. Ils l’ignoraient tous d’ailleurs.


« J’suppose qu’on a plus rien à faire ici » répondit-il, même si la question ne semblait pas lui être destinée

Isaac lui redonna son attention alors qu’Aahron continuait d’observer le décor avec une frustration évidente, mêlée de doute. Aidan savait parfaitement ce qu’il pouvait ressentir, ce qu’ils ressentaient tous en ce moment même. Même si aucun de ses frères ne l’avait formulé à voix haute et malgré la remarque d’Isaac, le jeune homme savait qu’ils s’étaient tous attendu à un miracle.
Ils avaient tous espéré trouver quelque chose et avancer un peu. Mais les choses n’étaient pas aussi simples et comme leur ainé l’avait dit la veille encore, ils étaient des novices. Aucun d’eux ne savait vraiment ce qu’ils faisaient, par où commencer, quels étapes suivre, quelles questions poser.
Tout ce qu’ils avaient, c’était une volonté de découvrir la vérité qui n’était pas inébranlable et qui venait encore d’être malmenée par cette absence évidente de preuve à agiter sous le nez de leurs trop nombreux suspects.
Aidan mordilla nerveusement sa lèvre inférieure avant de reprendre la parole, la tête basse.


« Au moins on aura essayé. Pt’être que Trisha trouvera quelque chose dans l’dossier ou un truc du genre… On peut pas gagner à tous les coups, ça aurait été trop simple » continua-t-il, son apparente sagesse le surprenant lui-même

Il essaya alors de capter le regard de son ex-belle sœur pour avoir son approbation, mais ne la vit nulle part. Ses sourcils clairs se crispèrent tandis qu’il observait les alentours avec curiosité, à la recherche de l’avocate, en vain.


« Elle est passé où ? » demanda-t-il, dirigeant immédiatement son regard vers Aahron

On se retrouvait vite tous réunis de nouveau. Plus incertains, dépités et peut-être convaincus que jamais. Je ne regrettais pas d’être venu ici, il le fallait. On se serait demandé continuellement ce qu’on aurait pu trouver sinon. Il ne fallait rien laisser au hasard, et notre détermination à découvrir le fin mot de l’histoire était bien trop forte pour nous décourager comme ça. En tout cas, en ce qui me concerne. Je restais concentré sur les lieux, sourcils froncés et légèrement irrité tout de même. Isaac s’adressa alors à moi, afin de répondre à mon interrogation. J’acquiesçais. Il avait raison, sur ce point on était d’accord.

Je pense qu’on avait besoin d’y voir de nos propres yeux. Être certains. Cela dit, ça fait des mois maintenant que c’est arrivé … dis-je laissant le doute s’insinuer encore un petit peu. Je me retournais alors en soupirant, faisant face à toute ma famille. Isaac me demanda alors ce qu’on allait faire. Une des rares fois où il me laissait décider sans rechigner. Il devait être crever lui aussi. Je regardais un instant Aidan, et plaçais mes mains dans mes poches arrières du jean. Je pense qu’on ne trouvera rien, pas aujourd’hui en tout cas. Je pense qu’on devrait obtenir le dossier, d’une quelconque manière, je m’en contre fiche comment … mais il faut qu’on arrive à voir les photos, les témoignages … tout le dossier.

J’ignorais si ça nous ferait plus avancer, mais il était hors de question de ne rien faire. Et questionner les habitants? Avec ce qui se passait, c’était le plus sûr moyen de chercher les ennuis. On y était déjà bien ancrés dedans. Inutile d’en rajouter une couche. Du moins, pour eux. Moi, je pourrais tenter de me mouiller. Ces tarés ne me faisaient pas peur. Quoi qu’ils aient pu faire, si ils ont un quelconque lien avec la disparition de nos parents … ils le paieraient. Je m’en étais fait la promesse. Et j’avais pour habitude de tenir mes promesses. Aidan osa prendre la parole alors. Surpris, je relevais la tête, toujours le regard concerné et frustré de n’avoir rien trouver. Ouais, Trisha était notre prochain espoir. Avec ses relations et son savoir-faire, elle arriverait à nous obtenir ce dossier, j’en étais persuadé. Mais de voir Aidan abandonné si facilement notre objectif de la journée me fis bizarre. J’avais envie de lui dire que ça avait été son idée, mais que même pas il avait tenté quoi que ce soit. Il s’était contenté de papoté avec Allie. Je lui lançais un regard lourd de reproche mais préférais ne pas prononcer un mot. C’était encore trop tôt depuis notre petit « scène » de la veille. J’allais donc proposé de retourner à la maison, pour mettre en place le prochain plan, à savoir Trisha obtenant le dossier tant désiré.

Aidan - Elle est passée où?

Trisha. Je me retournais et ne la voyais nulle part. Tellement déçu et énervé, je n’avais pas remarqué qu’elle n’était pas venue nous rejoindre. Elle ne devait pas être bien loin, mais je pouvais empêcher ce petit pincement au cœur qu’on appelait « peur ». Trisha! Je m’avançais plus avant sur le pont, tentant de ne pas paniquer. Avec tous ces évènements récents, on pouvait s’imaginer le pire. Je criais de nouveau son prénom pendant quelques secondes qui me parurent duré une éternité. Enfin je l’aperçus. Au bas de la rivière, faisant toujours des recherches. Peut-être aurait-elle trouvé quelque chose. Elle se retourna et me fis un signe. Soulagé mais en colère de m’avoir effrayé comme ça, je descendis la rejoindre, suivi des autres. Bon sang, mais qu’est-ce que tu fou, bordel? Tu ne peux pas disparaitre comme ça! C’était la peur qui parlait. Je sentais comme un regard sur nous depuis quelques minutes, et ça me foutais des frissons d’angoisse. Il valait mieux dégager de cet endroit au plus vite.

Trisha ? Mais que faisait-elle sous ce pont hein ? Ils s'étaient dit avant de partir de ne pas se séparer, toujours être au moins deux ou savoir où l'autre allait. Un vent de panique les traversa tous quand Aidan se rendit compte qu'elle n'était plus là, vent de panique qui disparut quand son ex mari la trouva quelques mètres plus loin, au bord de la rivière.

Tout le monde se détendit alors, même si l'aîné était devenu beaucoup plus rouge que quelques secondes auparavant. Allie soupira quand elle vit Isaac se rapprocher d'elle. Ne voulant pas lui parler pour le moment (et les dix ans à venir), elle se décida de s'éloigner de son poste de gardienne de voiture et mit un pied sur le pont. Un sentiment bizarre l'envahit alors, c'était comme si les animaux avaient cessé de bouger, comme si le vent avait disparu. Elle posa sa main sur son front, essayant de sentir si une poussée de fièvre ne l'attaquait pas. Rien, elle était tout à fait normale, Allie se retourna alors pour retrouver le reste de la famille puisque Trisha remontait tout doucement vers eux tous. Elle posa sa main sur la rambarde en bois et tout stoppa net. La jeune métisse ne sentit même pas ses jambes se dérober sous son poids, plus rien n'avait d'importance, elle était assaillit par des tas d'images qui lui retournaient le cerveau. Du sang, des visages hurlants de terreur, de la peur, des faciès pleine de haine, plus de sang, le pont, des voitures s'écrasant dans la rivière, des hurlements, toujours plus de sang. Ils avaient mal, ils n'avaient rien fait mais ils mourraient tous, ils devaient mourir pour lui parce qu'IL avait choisi.

Miss Newton aurait voulu hurler et sortir de ses visions d'horreur mais elle ne pouvait plus bouger, était incapable de hurler, elle était horriblement seule, sa tête et son ventre la faisait souffrir le martyr, elle allait mourir, il fallait qu'elle meure. Soudain ses yeux virent de nouveau, les visions s'évanouirent, elle était pliée en deux sur le sol. Elle se mit alors à hurler à plein poumons jusqu'à ce que sa gorge lui fasse si mal qu'elle stoppe. Les yeux toujours dans le vague, elle fixa Aidan, tétanisé comme les autres, ils étaient tous réunis autour d'elle.



"Ils n'étaient pas dans la voiture..."


Allie voulait continuer mais elle déversa le contenu de son estomac à côté d'elle avant de se prostrer à nouveau sur elle-même, tétanisée par la douleur.

Accoudé contre le tronc d’un grand chêne, le benjamin de la famille avait préféré s’éloigner des autres pour mener sa propre investigation. Enfin, c’était un bien grand mot. Planqué derrière cet arbre dans les feuilles mortes à tirer sur sa cigarette, il ne cherchait pas grand-chose. Sans doute parce qu’en son fort intérieur, ce dernier savait qu’il ne trouverait rien. Mais si ses pieds prenaient racines, sa cervelle, elle, carburait à cent à l’heure depuis hier soir où les choses avaient dégénérées. Il ne comprenait pas comment sa famille pouvait se désagréger à ce point, ni pour quelle obscure raison chacun semblait changer en mal, comme si cet endroit faisait ressortir le mauvais en chacun d’eux, les poussant à la faute. C’était se contredire lui-même que d’avoir ce genre de pensées, mais Samuel s’était rendu compte depuis quelques jours maintenant que si les choses ne tournaient plus rond, ce n’était plus seulement à cause du décès de leurs parents qui leur portaient sur le cœur. Il y avait autre chose, quelque chose d’inexpliqué, de plus fort aussi.

Aarhon devait jouer son rôle d’aîné mais il avait Trsiha et son fils à s’occuper. Bien qu’il ne dise rien, ce dernier devait être épuisé. Venait ensuite Isaac, avec Allie et le futur bébé, un schéma un peu répétitif. Puis Aidan, que Sam ne comprenait plus non plus ces derniers temps. Sa première tentative pour avoir une vraie discussion s’était soldée par un échec et maintenant, il ne savait trop, le jeune homme avait l’impression que son cadet lui en voulait pour quelque chose, il percevait son ressentiment et n’osait pas aller vers lui. Tout partait en vrille, et la seule chose dont il était certain était qu’il se prenne enfin en main. Qu’il arrête toutes ces conneries, l’alcool, le jeu, les filles, son immaturité. Il se souvenait d’une phrase de son oncle Joey un jour « Tu n’es pas un méchant garçon, il faut juste que tu trouves ta place ». Et bien sa place était toute trouvée et ce dernier comptait bien montrer à sa famille que dorénavant, ils pourraient compter sur lui en toute circonstance. Cela n’empêchant pas quelques écarts et Samuel resterait toujours Samuel, mais les conneries avaient trop durées. Il était temps pour lui de devenir celui qu’il voulait devenir, et non pas ce faux semblant de sous merde.

Remontant sur le pont, il traîna les pieds avec ses chaussures, les laissant couiner sur le bitume, avant de se stopper dans son élan, les sourcils froncés. Les mains dans les poches de son jean, il se retourna vers l’endroit d’où était censé être arrivé la voiture de ses parents. La pluie avait pu effacer les traces de pneus dans la boue et l’herbe, en cette période estivale, repousser rapidement. Mais son père avait bien du freiner à un moment donné. Même si il était en train de faire une crise cardiaque, que son cœur était en train de lâcher, il aurait eu le réflexe d’appuyer sur la pédale de frein. Et il n’y avait rien.
Levant le pied sur la route, Samuel fit déraper se semelle, qui laissa de la gomme sur le bitume, bien visible. Et ce n’était qu’une chaussure. La pluie n’aurait pas pu effacer cela, preuve en était les traces des pneus de vélos qui restaient encore dans l’allée de leur maison à Cleveland. Cette route était bien trop…immaculée.

Retournant auprès de sa famille, il écouta le résumé de ses aînés, hochant la tête pour affirmer leurs dires, toujours plonger dans ses pensées.

« Y’a pas eu d’accident ici » finit-il par lâcher le plus sérieusement du monde.

Mais alors qu’on allait probablement lui demander des explications, il vit dans son champ de vision les jambes de Allie se dérober sous elle et ce dernier eu juste le temps de la rattraper avant que sa tête ne heurte le sol, la tenant par le haut du corps, les jambes allongées sur la route. Il n’avait rien vu venir et le hurlement qui passa ses poumons le glaça d’effroi, si bien qu’il raffermit sa prise sur elle. Jetant un regard circulaire à l’assemblée, il tenta de la rassurer comme il le put lui caressant les cheveux jusqu’à ce qu’elle redevienne calme et que la phrase qui la titillait enfin ne sorte, laissant tout le monde circonspects. Tout le monde sauf un visiblement, et Samuel ne manqua pas de lancer un long regard lourd de sens à Aidan qui signifiait clairement « toi tu sais ».

Laissant Allie vider le contenu de son estomac, et en temps que barman il en avait vu d’autre, Samuel la souleva délicatement et le porte jusqu’à la première voiture tandis qu’un de ses frères ouvrait la portière arrière pour qu’elle puisse s’allonger ou même s’asseoir. Prenant une bouteille d’eau qui traînait par ici, il lui tendit et laissa la place à Isaac qui devait certainement s’inquiéter encore plus qu’eux tous. Ce qui n’empêcha pas Samuel, en attendant que sa belle sœur reprenne ses esprits et ne leur explique son malaise, de couler de nouveau un long regard vers Aidan.

Aidan déglutit péniblement, son regard plongé dans celui d’Allie. Son cœur cognait encore furieusement dans sa poitrine, comme s’il essayait de s’en extraire. Il n’arrivait pas encore à savoir si c’était la peur qui le faisait battre avec tant d’ardeur ou autre chose, il ne préférait pas y penser. Parce que cette autre chose était de l’excitation, pure et simple.
Une foule de questions se bousculait dans son crâne et le trop plein d’informations, suppositions qui s’y entassait lui collait la migraine. Il voulait parler, les mots étaient au bord de ses lèvres tremblantes et pâles et pourtant, aucun son ne daignait passer la barrière qu’elles formaient.
« Qu’est-ce que tu as vu, Allie ? Qu’est-ce que tu as vu ? »
Les mots tournaient encore et encore dans son esprit sans qu’il ne trouve la force de les prononcer. Il n’était pas capable de définir avec exactitude les raisons de son silence. Était-ce la peur d’obtenir une réponse ? Celle de se tromper complètement ? Ou la présence de ses frères juste à côté qui l’en dissuadait inconsciemment ?
Le jeune homme penchait plutôt pour cette dernière hypothèse.

Depuis quelques instants maintenant, il pouvait sentir le regard des autres peser sur lui. Lourdement. Aidan ne se donna pas la peine de tenter de les soutenir et de toute façon, Allie ne l’aurait pas laissé faire, il le sentait. Ils étaient comme connectés et elle serrait maintenant sa main avec une force qu’il n’aurait jamais soupçonnée. Elle se cramponnait à lui, refusant d’entrer en contact avec qui que ce soit d’autre. Même avec Isaac qui était paniqué et ne cessait de poser des questions qui ne trouvaient aucune réponse.
Samuel se décida finalement à intervenir, essayant de porter Allie pour l’installer dans un endroit plus confortable. Aidan la sentit se débattre mais il parvint à la calmer d’un simple regard.
C’était étrange. Il n’avait jamais ressenti ça avant aujourd’hui, ce sentiment d’être lié à quelqu’un de cette manière, d’être en total symbiose avec un autre, de lui accorder toute sa confiance en un instant et de savoir que l’autre en faisait autant. Il s’était passé quelque chose, il l’avait sentit au plus profond de lui. Quelque chose s’était éveillé. Une sorte de flamme qui s’était soudainement allumée à l’intérieur, juste avant qu’Allie ne s’effondre. Et il savait qu’elle l’avait ressentie aussi… Il ignorait comment mais il le savait.

Aidan emboita le pas à Samuel, comme le reste de leur petite bande. Isaac ouvrit la portière de la Volvo pour permettre à son cadet de déposer sa fiancée à l’arrière. Une fois installée, Samuel s’écarta et Isaac prit évidemment le relai.
Se mordillant la lèvre avec inquiétude (impatience), le plus jeune des Donnelly croisa furtivement le regard de Sam qui le fixait d’un air étrange. Aidan le soutint un moment avec défi puis se détourna, les mâchoires maintenant crispées. Il pouvait entendre sa belle-sœur repousser son frère, lui demandant de ne pas le toucher. Isaac paraissait complètement déboussolé, un peu en colère aussi ; de là où il était le jeune homme n’était pas certain de pouvoir identifier avec certitude ce que son ainé ressentait. Cette situation l’embarrassait un peu et il était contrarié pour lui, mais quelque chose le travaillait encore plus.


« Attends » fini-il par lâcher en venant poser sa main sur l’épaule du médecin. Ce dernier se redressa et posa son regard clair sur lui tandis qu’il enchainait « Fais-moi confiance… »

Il appuya son regard et, avec toute la mauvaise volonté dont il était capable, Isaac consentit à lui laisser sa place un instant. Aidan le gratifia d’une tape dans le dos avant de se pencher à l’intérieur du véhicule, croisant le regard écarquillé d’Allie. Elle avait l’air paniquée, sous le choc. Il la comprenait bien… Cette même expression apparaissait sur son propre visage chaque fois qu’il avait le malheur de s’endormir.
Conscient du regard de ses ainés pesant sur ses épaules, il prit la parole à voix basse.


« Je sais qu’ils y étaient pas. Je l’sais depuis l’début. Ça va aller. Je sais qu’tu penses que ça n’ira pas, mais ça ira, d’accord ? Tu m’fais confiance ? » demanda-t-il en tendant sa main pour qu’elle s’en saisisse « Tu dois pas parler de ça aux autres pour le moment. Pas même à Isaac. Il comprendrait pas,… tu comprends ? Aucun d’eux peux comprendre… mais moi j’peux Allie, ok ? Laisse-moi un peu d'temps pour comprendre... comment c'est arrivé. T’es pas toute seule, j'te laisse pas tomber. Mais garde ça pour toi, s’il te plait » la supplia-t-il en chuchotant toujours, effectuant une pression sur sa main

"Ne me touche pas !"

Allie tentait tant bien que mal de reculer le plus possible contre la portière du véhicule. Elle avait peur, elle avait mal, elle était paumée, elle ne comprenait rien. Pourquoi diable ce crétin de Sam l'avait porté hein ? Ils ne devaient pas la toucher, c'est quand elle avait poser sa main sur le pont que tout avait commencé et si tout ce qu'elle touchait lui envoyait les même images d'horreur ? Pour le moment, la voiture n'envoyait rien mais elle ne voulait plus bouger, elle ne voulait pas qu'on la touche de peur que ca recommence. Isaac la fixait avec inquiétude, elle lisait clair en lui, le médecin était terrifié et tentait de l'attraper de nouveau. A quoi bon ? Pour voir si elle respirait toujours ?


"Ne me touche pas Isaac !"

Elle ne voyait toujours pas clair, les images semblaient superposées, et les cris résonnaient encore dans son crâne, pitié, il fallait que ça s'arrête !
Et soudainement, la vision de son fiancé disparut, laissant place à Aidan. Allie se calma aussitôt et le fixa intensément, il devait rester avec elle, lui il la comprenait. Il comprenait quoi au juste ? C'était officiel, elle perdait complètement la tête.
Le jeune homme lui expliqua qu'il savait tout et qu'elle ne devait rien dire aux autre, elle acquiesça, ne sachant que faire d'autre. Elle recommença alors à pleurer en serrant ses genoux contre elle.


"J'ai perdu mon bébé..."

La jeune femme avait eu trop mal, si se prendre une lame de couteau dans le ventre créait une grande douleur alors elle avait eu bien pire. Allie se sentait déchirée de l'intérieur, tout foutait le camp et cette douleur qui ne s'estompait pas... sa gorge la piquait alors qu'elle posait ses yeux de nouveau sur le plus jeune d'entre eux.


"Je vais mourir ?"

Aidan ouvrit la bouche pour répondre, mais une fois encore, rien ne vint. L’expression de son regard avait changé et il exprimait maintenant le désarroi le plus total. Est-ce qu’il s’était trompé ? Avait-il mal interprété ce qu’il avait éprouva au moment où Allie était tombée ?
Il avait pensé qu’elle avait vu quelque chose, il en avait été persuadé. Jusqu’à maintenant. Jusqu’à ce qu’elle évoque son bébé.

Toute cette histoire l’obsédait et lorsqu’il avait vue chuter sa belle-sœur, lorsqu’il avait senti cette onde de choc le traverser, le brûler, le jeune homme s’était figuré que quelque chose venait de se passer. Qu’un genre de connexion s’était établie entre lui et la future maman. Ça avait été intense, lui était tombé dessus d’un coup. La chose lui avait alors apparue comme évidente : elle avait vu quelque chose.
Tout laissait à penser que c’était le cas, à commencer par l’expression de son visage.
Et puis elle avait prononcée cette phrase quand ils s’étaient tous approchés. Mais c’était à lui et à lui seul qu’elle s’était adressée, comme si elle savait aussi pour lui.

Mai peut-être que ça n’avait rien à voir. Peut-être qu’il avait projeté ses propres peurs, ses doutes, ses frustrations sur elle. Peut-être qu’elle n’avait même jamais parlé de ses parents, qu’il avait imaginé tout ça. Après tout, c’était lui qui avait peur d’effectivement voir quelque chose en venant ici. Il en avait parlé à la jeune femme et… et peut-être que son surmenage, sa fatigue l’avait trompé.

Et maintenant, Aidan faisait face à cette future mère apeurée, persuadée d’avoir perdue son bébé, et il était complètement désemparé. Il lui avait sortit tout un discours complètement à côté de la plaque, alors que tout ce qui la préoccupait, c’était de savoir si elle allait mourir, si la vie qui était en elle s’était éteinte ou non.
Bon Dieu à quoi pensait-il !? Qu’est-ce qui n’tournait pas rond chez lui !??
Aidan relâcha la main d’Allie, paniqué, et il se tourna vers Isaac, le visage plus pâle que jamais.


« Faut l’emmener à l’hôpital, Isaac,... elle dit qu’elle a perdu l’bébé »

Il avait voulu crier mais sa voix n’avait pas porté plus haut qu’un murmure. Sa gorge était nouée, sa bouche sèche. Le souffle lui manquait et son cœur battait à tout rompre.
C’était sa faute. Tout était sa faute. Il ne savait pas pourquoi mais c’était un fait : si quelque chose était arrivé au bébé, si quelque chose arrivait à Allie, ce serait irrémédiablement de sa seule et unique faute…

Les arbres filaient par la fenêtre de la voiture. Trisha aurait tant souhaité que tout cela signifiait qu'ils rentraient tous à Cleveland, que Petey retrouverait son père, et qu'ils continueraient tous leur petite vie bien tranquille. Elle ne savait vraiment à quoi s'attendre en débarquant ainsi sur les lieux du crime, mais elle sentait très bien la tension qui submergeait tous les occupants de la voiture. Elle n'osait même pas imaginer ce qu'Aahron ressentait à cette minute. Petey était resté avec Charlie, une amie à Sam. En tant que mère, et surtout au courant des aventures de sa famille à Grayson, elle n'était pas très confiante. Mais si Aahron l'avait laissé s'occuper de son fils, elle était probablement digne de confiance. De toutes façons, ils ne s'éterniseraient pas ici.

Les portières claquèrent et les corps se dirigèrent vers le pont. Trisha lança un regard autour d'elle et soupira. Ce n'était pas vraiment ce à quoi elle s'attendait. Peut-être qu'elle s'imaginait quelque chose de plus sinistre, quelque chose qui aurait encore porté des cicatrices bien visibles de l'accident. Mais à première vue, la végétation avait repris ses droits et la pluie avait effacé le reste. Les garçons se dirigeaient tous vers le lac, mais elle préféra contourner le pont et descendre près de la rivière.
Dévalant une petite pente rocailleuse, elle arriva en bas. Le sol était un peu boueux, tant pis pour ses chaussures. Son regard se releva vers le pont, et les images de l'accident se construisirent peu à peu dans son esprit. Les hommes n'y avaient pas pensé, mais un autre point de vue de la scène était souvent bénéfique. On trouvait parfois des indices que l'on aurait manqué à regarder de trop près. Ici, elle avait une vision d'ensemble.

Ils ne tardèrent pas à se regrouper, mais elle resta là. Venir en ses lieux, lui rappelait la peine qu'elle avait ressenti en apprenant la nouvelle de la disparition de Sean et Margaret. Ce n'était que sa belle-famille et pourtant elle les avait toujours affectionné. Il s'agissait des grands-parents de Petey, des parents d'Aahron. Bien sûr elle avait eu plus de facilités à mettre de côté ses sentiments que les quatre Donnelly, mais l'avocate n'avait pu les laisser tomber lorsqu'ils avaient décidé de mener l'enquête eux-mêmes.

Son prénom retentit et se répercuta en écho dans ses oreilles. Elle se releva d'un bond pour voir Aahron dévaler la pente qu'elle avait emprunté précédemment, visiblement inquiet.

« Tout va bien, Aahron. » dis-je en remontant vers lui et posant une main apaisante sur son bras. « Je voulais juste avoir un autre point de vue. »

Il avait été cinglant mais Trisha savait parfaitement que ce n'était pas de vrais reproches. Il l'avait perdu de vue et s'était imaginé le pire. Il fallait croire que c'est ce qu'on faisait ici à Grayson, lorsqu'on était pas vraiment les bienvenus.
Ils remontèrent ensemble sur le pont, près des voitures et des autres. Mais sans attendre à voir Allie s'écrouler à terre. Samuel réussit à amortir sa chute en la rattrapant, mais la métisse n'allait visiblement pas bien. Elle régurgita son petit-déjeuner et prononça des paroles déconcertantes. Que lui était-il arrivé ?
L'avocate s'approcha doucement, prenant soin de rester hors du passage de Sam qui portait la future maman dans ses bras en direction de la Volvo. Elle était abasourdie, ne sachant comment expliquer cet événement inattendu. Lançant un regard inquiet en direction d'Aahron, elle constata qu'il n'en savait pas plus qu'elle. Elle resta à l'écart, jusqu'à ce que Aidan annonce à Isaac ce qui tracassait sa fiancée. Elle pensait avoir perdu son bébé. Trisha se figea sur place et devint livide, ayant un geste inconscient de recul. Son inquiétude se transforma en réelle terreur qu'elle seule pouvait expliquer. Les autres ne comprendraient probablement pas sa réaction, et elle tentait tant bien que mal de la cacher, mais c'était plus fort qu'elle, ses mains tremblaient.

« Prenez la voiture, on se débrouillera avec la mienne. Il y a un hôpital à Trimble au Sud, c'est à quelques kilomètres. » parvint-elle tout de même à dire, la voix peu assurée.

Isaac la remercia d'un regard et n'attendit qu'une fraction de seconde l'approbation d'Aahron pour prendre la place du conducteur et démarrer. Trisha se défigea peu à peu alors que la voiture s'éloignait, avec ses trois passagers, mais son trouble ne disparut pas pour autant. Elle gagna l'autre voiture, gardant une distance raisonnable avec son ex-mari et évitant soigneusement son regard. Il allait finir par s'en rendre compte, mais pour l'instant, c'était trop difficile pour elle. Ce qui était arrivé à Allie lui rappelait de trop mauvais souvenirs pour espérer réagir normalement à une nouvelle pareille.

Tout le monde semblait d'accord sur une chose : pas d'accident ici. Samuel prenait véritablement part aux discussions et à l'enquête en général. Je l'avais déjà constaté par son initiative de repeindre le mur souillé, mais cela me faisait vraiment plaisir de le voir aussi investi. J'avais l'impression d'être moins seul dans mon malheur. Je savais que même si on ne parlait pas, je pourrais compter sur lui. J'étais encore de mauvaise humeur, mais le voir ainsi avait tendance à m'apporter un peu de paix.
Enfin ce n'était visiblement pas pour longtemps puisque Allie s'écroula littéralement au sol. Sam la rattrapa de justesse. Un sursaut de terreur s'empara de moi et je me précipitai sans plus attendre vers ma fiancée. Elle avait l'air sonnée, disait qu'il n'y avait pas eu d'accident ici. Ce n'était pas vraiment le moment de réfléchir à ça...Elle vomit sur le côté, et je lui laissais un peu d'espace même si je n'avais qu'une seule envie, la serrer dans mes bras et l'examiner.
Je voulais savoir ce qu'elle avait, et surtout qu'elle aille mieux. Ce n'était pas normal comme réaction, enceinte ou non, on ne s'écroulait pas comme ça, s'il n'y avait aucun problème apparent. Elle mangeait bien, dormait à peu près bien aussi...Ma tête fourmillait de pseudo diagnostics mais aucun ne semblait coller avec les données.

Sam la transporta dans la voiture et je pris un peu d'avance pour lui ouvrir la portière arrière. Je m'engouffrai ensuite à mon tour dans la Volvo et tentai de la toucher pour vérifier la température de son corps. Mais elle ne me laissait pas faire, hurlant de ne pas la toucher. Je perdais patience, c'était l'inquiétude qui me faisait faire des choses insensées. Lui parlant d'abord doucement pour la rassurer, je finis par hausser le ton.

« Mais Allie, il faut que je sache ce que tu as, si tu veux aller mieux ! S'il-te-plaît, laisse moi faire ! » la suppliai-je.

Mais mon emportement n'arrangeait en rien son agitation. Elle était encore en colère contre moi et totalement paniquée par ce qui lui arrivait. Je ne parviendrai pas à lui faire entendre raison. Aidan se pencha vers nous, et me pria de lui céder la place, de lui faire confiance. Je soupirai sèchement, n'ayant aucune envie d'accéder à sa demande, mais n'ayant pas vraiment le choix non plus. Je sortis de la voiture et me tins à la place qu'il occupait précédemment, gardant un oeil sur eux.
Mais ces deux-là parlaient bien trop bas pour que quiconque n'entende quoique ce soit. Je ne savais pas quel type de cachoteries ils nous faisaient, mais je n'aimais pas ça, pas du tout. Je ne fis cependant aucune remarque, me contentant de lever les yeux au ciel avant qu'Aidan ne se retourne à nouveau vers moi, m'annonçant qu'Allie pensait avoir perdu le bébé.

« Quoi ? » demandai-je sans comprendre.

Toute trace de reproches avait disparu dans la seconde sur mon visage pour laisser place à de l'inquiétude de nouveau. Trisha prit la parole, mal à l'aise pour aucune raison apparente, mais me confia la Volvo. Je lançai un rapide regard à Aahron pour avoir confirmation et referma la portière sur mon frère et ma fiancée avant de m'installer au volant. Trimble, quel nom. Je démarrai en vitesse et m'éloignais en tentant de freiner mes envies de faire péter le compteur de vitesse pour arriver le plus vite possible.

« Ca va ma puce ? » m'assurai-je en lançant un coup d'oeil dans le rétroviseur.

Toute cette agitation autour d'elle lui donnait encore plus le tournis. Elle restait prostrée dans son coin, sa main agrippant toujours celle d'Aidan ne comprenant pas vraiment ce qu'il se passait. Et ce ventre... cette douleur qui ne passait pas, elle voulait être loin d'ici, avec sa famille, tranquillement à bouquiner dans son jardin. Au lieu de ça elle était à l'arrière du véhicule de sa belle sœur, sonnée et sous le choc.

Pourquoi était-elle venue là ? Pour trouver des réponses sur un accident qui avait tué ses beaux parents ou pour permettre aux garçons de faire leur deuil ou pour autre chose ? A vrai dire, elle ne savait plus, elle ne comprenait plus rien mis à part une chose qu'elle savait et dont elle était certaine sans savoir vraiment pourquoi. Ses beaux-parents n'étaient pas dans leur voiture. Il n'y avait pas eu d'accident, du moins pas sur ce pont.

Allie tourna ses yeux noisette vers le petit blond à ses côtés qui la fixait toujours avec une inquiétude non feinte. Elle renforça son emprise sur sa main et grimaça de nouveau de douleur, un autre spasme dans son ventre, il fallait que cela cesse.

Puis elle entendit la voix si familière de son fiancé, elle la reconnaîtrai entre mille, c'était certain et il lui demandait si elle allait bien. Question idiote, elle s'était rarement sentie aussi mal. Sortant de ses songes elle fixa son regard dans le rétroviseur et fit un gros effort pour surpasser son mal être.


“Je ne saigne pas...”


Ça au moins, c'était une bonne nouvelle, mais elle avait eu si mal, elle n'aurait jamais cru (et voulu) subir quelque chose pareil. Et pourtant ça lui arrivait, ça lui tombait en plein dessus.

Allie commençait tout juste à reprendre ses esprits et tenta de se calmer. Lâchant la main d'Aidan, elle boucla sa ceinture tout en murmurant.


“Il me faut une échographie et une prise de sang...”

La métisse se mit alors à pleurer, tripotant le siège se trouvant devant elle, toujours à moitié dans les vapes.


“Si y'a des complications, ils vont devoir m'opérer, j'ai peut-être une hémorragie interne pour que rien ne saigne... à l'extérieur.”


Bordel, elle souhaitait ne jamais avoir mis les pieds dans cette foutue ville.

Peinant à réguler son souffle, Aidan laissait Allie serrer sa main avec force. Elle lui faisait mal mais c’ était le cadet de ses soucis pour le moment. Il était trop inquiet pour elle et pour le bébé pour réellement s’en soucier.
Le benjamin de la famille aurait voulu être capable de prendre sa douleur et de faire beaucoup plus pour elle, mais tout ce qu’il pouvait faire pour le moment, c’était tenté de la rassurer. Et il se savait très peu adroit dans cet exercice… et c’était un doux euphémisme. Il sentait ses mains trembler, entendait un bourdonnement désagréable s’élever dans ses oreilles brûlantes et tout ce qu’il était capable de faire, c’était répété inlassablement : ça va aller.
Sauf qu’il n’y croyait pas vraiment. Allie avait peut-être perdu son bébé, comment les choses pourraient-elles aller ? Rien de ce qu’il pourrait dire ne serait crédible.
La remarque de sa belle-sœur sur l’absence de sang ne parvint pas à le rassurer non plus… surtout lorsqu’elle enchaina en lui parlant d’une éventuelle hémorragie interne.

Le jeune homme finit par détourner son regard clair et anxieux en direction de son frère, au volant de la Volvo qu’ils avaient louée à Cleveland. Comment faisait-il pour paraitre aussi calme ? Intérieurement, il savait que c’était le chaos dans la tête de son frère, qu’il était au moins aussi inquiet Allie et l’était deux fois plus que lui. Après tout, la vie de sa femme et de son futur enfant était peut-être en vie actuellement. Il pouvait tout perdre en une fraction de seconde. Pourtant, Isaac demeurait maitre de lui-même et, même s’il conduisait légèrement au-dessus des limitations de vitesse, il restait calme et concentré.


« Ça va aller » répéta Aidan en se tournant vers Allie une fois encore « Ils vont s’occuper de toi là-bas et…et ça va aller ! J’suis sûr qu’ils sont très compétents et que tout va rentrer dans l’ordre »

Petit menteur perfide. Qu’est-ce qu’il pouvait en savoir ? Si ça n’avait tenu qu’à lui, il aurait insisté pour que son frère continue de conduire jusqu’à Cleveland. Il n’avait aucune confiance dans les médecins habitants aux alentours de Grayson. Après tout, ses parents y étaient morts et personne n’avait rien fait pour empêcher ça ; comment pourrait-il leur confier Allie avec l’esprit tranquille ? La seule chose qui les rassurait était que la métisse était infirmière, son frère médecin, et qu’ils ne les laisseraient assurément rien faire de tordu.


« Ils auront pas à t’opérer, j’suis sûr que tout ira bien, que c’est juste…juste… ça va aller »

Encore et toujours. Il s’était transformé en un vieux disque rayé agaçant et bon à jeter aux ordures. Aidan détestait se sentir impuissant de la sorte. Il voulait trouver les mots mais son esprit était vide. Il voulait agir mais il était tétanisé par ses angoisses.
Et les choses n’iraient pas en s’arrangeant… i lavait toujours eu les hôpitaux en horreur et perdrait tous ses moyens lorsqu’il se trouvait à l’intérieur de l’un d’eux. Malgré ça, il allait devoir se montrer rassurant. C’n’était pas gagné… Loin de là…
Il aurait souhaité que Sam soit avec eux pour dédramatiser la situation, mais il craignait que même lui ne parvienne pas à trouver les bon mots pour détendre l'atmosphère à couper au couteau dans laquelle ils baignaient.