Et bien ! Voilà un dénouement inattendu. Charlie n’avait pas vu venir le coup de l’avocate qui mise une somme de dingue sur son ex. Et encore moins le tour que venait de lui jouer Aidan.
Dis donc, si ce gamin s’était adressé à elle en public de cette manière, Charlie n’aurait même pas eut besoin d’avoir un verre dans le nez pour se lever et essayer de l’étrangler avec le fil électrique du micro. C’était un peu humiliant comme manière d’agir. Ils étaient en public après tout, et par empathie envers l’avocate, Charlie avait presque rougit à sa place, percevant le malaise qui flottait dans l’air comme un poison pour l’esprit.
Il ne fallait pas se méprendre, Charlie était quelqu’un de compréhensif et elle adorait Aidan. Seulement elle savait aussi qu’il pouvait être le sale gosse qu’il venait d’être à l’instant. Impulsif et irréfléchi. Deux traits qui semblaient prépondérants dans cette famille, décidemment.
Le plus gênant c’était que l’ambiance était retombée comme un vieux soufflé au fromage raté. C’était vraiment dommage car même Aahron avait semblé se détendre et rentrer dans la danse. Aidan venait purement et simplement de s’auto-saboter. Et de la saboter elle par la même occasion car, depuis le début de la soirée, tout le monde semblait croire qu’elle y était pour quelque chose dans l’organisation. Bon, elle avait participé, c’était vrai, mais Aidan menait son petit monde, qu’elle le veuille ou non, tout ce qu’elle faisait, c’était le soutenir. Elle ne voulait certainement pas être associée à ce genre d’histoire interne.
Car c’était gros comme le nez au milieu de la figure. Il y avait quelque chose de pourri au royaume des Donnelly. Et si ça n’avait été que le mariage raté du plus vieux ça leur aurait fait des vacances, mais bref.

Charlie lança un dernier regard en direction d’Aahron qui venait de reboutonner sa chemise avant de descendre de la scène pour les rejoindre, laissant son cadet seul pour se prendre le vent qu’il avait provoqué lui-même. Qui est prit qui croyait prendre, en quelque sorte. Car peu importe ce qu’avait tenté de faire Aidan, ça avait loupé, il n’avait la sympathie de personne. Trisha paraissait mécontente, bien entendu, mais elle n’était pas la seule. Apparemment, Allie et Isaac n’avaient pas exactement l’air d’approuver non plus. Même les autres occupants du bar avaient cessés de rire.
La caissière reporta son attention sur son petit ami sur les jambes de qui elle était toujours assise.

« Moi j’ai raté un épisode en tout cas » lui murmura-t-elle discrètement en prenant garde qu’aucun autre Donnelly ne puisse l’entendre mis à part Sam.

« C’est quoi l’histoire ? Ils sont séparés ou pas ? »

Tout ça lui mettait le doute ! Peut-être qu’elle avait mal comprit après tout. Surtout que l’alcool commençait doucement à lui monter à la tête. Elle pouvait le sentir à chaque fois qu’elle tournait ses grands yeux chocolat dans une direction différente. Le décor défilait trop vite et ses mouvements devenaient légèrement maladroits.

De son côté, Aidan venait d’avoir la bonne idée d’enchainer sur une chanson. C’était tant mieux.
Dans un souci de bonne entente, Charlie se dit que déconnecter cette mauvaise impression était la bonne marche à suivre. Elle reporta donc son attention sur l’avocate et s’adressa à elle d’une voix un peu plus forte pour couvrir celle d’Aidan qui s’élevait dans le micro.

« Est-ce que vous comptez vraiment nous payer pour 317 dollars et 45 cent d’alcool ? Parce que si c’est le cas, je pense qu’il faudrait songer à vous faire canoniser ou quelque chose comme ça ! »

D’ailleurs, ça méritait bien un verre, histoire d’avoir quelque chose à déguster pendant la chanson qui débuterait d’ici quelques instants. La brunette leva une main, attirant à eux l’une des deux serveuses afin que celle-ci ne les réapprovisionne en alcool. L’alcool était le meilleur remède aux gaffes et aux malaises, et propice a la réconciliation, elle et Colleen se l’étaient prouvée ce matin même.

C’était peut-être un peu limite à dire, et il fallait l’interpréter judicieusement, n’empêche que ça n’était plus à prouver : la vie était réellement plus simple et plus belle lorsqu’on était saoul.
Le tout, c’était de ne pas se saouler n’importe comment. C’était tout un art d’obtenir les meilleurs effets de l’alcool sans subir les mauvais côtés, telles que les sautes d’humeurs, les crises de larmes subites et inexplicable, les longues crises d’angoisses, ou pire encore, les nausées et, désolé du peu, la chiasse. Autant être honnête puisque l’honnêteté était l’une de ces très belles choses qui se retrouvait exacerbé par l’alcool. Certains appelaient ça un manque d’inhibition. Seulement ce mot en lui-même inspirait un sentiment négatif à la jeune caissière, qui allait bien vite s’arrêter là dans son raisonnement puisqu’elle avait déjà perdu le fil.

Ca aussi, c’était un effet lié à l’alcool. D’ailleurs il semblait que depuis une bonne heure maintenant, toutes ses réactions et actions étaient déterminées et délimitées par la dose d’alcool qu’elle avait ingurgité (avec art, rappelons-le, pour ne pas tomber malade).
Lorsque Charlie était saoul, il était par exemple difficile de trouver meilleur public. Elle riait à absolument toutes les blagues qu’elle entendait, et riait même lorsque ce qu’elle entendait n’avait pas pour but de faire rire. Le reste du temps, lorsque personne ne parlait, elle se contentait de sourire de toutes ses dents en attendant que quelqu’un soit drôle (ou pas).
Puis de temps en temps, elle décrochait complètement lorsqu’arrivait une chanson qu’elle aimait particulièrement. Quand c’était le cas, elle délaissait ses interlocuteurs et son Sam pour se mettre à chanter et battre les rythmes sur la table ou ses genoux. Si on lui parlait à ce moment-là, généralement, elle ne répondait pas (sauf quand la question était ‘qu’est-ce que tu veux boire ?’).

Bref, les moments tendus et anxieux du début de soirée lui paraissaient à des années lumières de là. C’était tant mieux d’ailleurs. Ca lui avait permis de faire un peu mieux connaissance avec la famille de Sam, maintenant, elle avait trop l’impression de faire partie du gang, et chaque fois qu’elle y pensait, des papillons sauvages et multicolores venaient danser la nouba dans son ventre. D’ailleurs, les tendances de Charlie à avoir l’alcool très joyeux, voir extatique, lui procuraient un sentiment encore plus délectable que les éclats de rire ou les chansons cultes et jouissives chantées à tue-tête. En effet, Charlie n’était jamais aussi amoureux que lorsqu’elle était ivre.
Les blagues de Sam étaient toujours celles qui la faisaient rire le plus fort, mais ça n’était pas parce qu’il se montrait drôle en réalité. Il aurait put sortir un pathétique « caca prout » que Charlie aurait rit quand même parce que tout ce qu’il disait sonnait terriblement bien à ses oreilles.
Tous les moments qu’elle avait passés silencieuse, elle les avait employés à l’observer un peu fixement. Et bien entendu, elle avait bien remarqué qu’elle n’était pas la seule dans ce cas. Les deux serveuses du Susan’s la connaissait bien, du coup forcément, elle les connaissait bien aussi. Elle avait sut dès le départ que cette quiche de Deborah (qu’elle appréciait en réalité, sauf ce soir) tenterait de se faire l’un des quatre blondinets du clan Donnelly, où tout du moins qu’elle baverait sur l’un d’entre eux sans retenue. Cette fille frôlait la nymphomanie, c’était pas compliqué, alors quatre spécimen de qualité, de la marchandise exotiques en plus, c’était couru d’avance.
Seulement c’était le sien qu’elle avait choisi de passer tout son temps à mater. Et en faisant ça, elle transgressait toutes les règles implicites à ce genre de situation. Si elle avait cherché à séduire Isaac, Charlie n’en n’aurait pas vraiment été choqué. Deborah ne connaissait pas Allie, alors pourquoi s’en soucier ? Là, c’était différent, aucune solidarité entre filles du coin, c’était inadmissible !
Seulement, Charlie n’en n’avait pas fait une jaunisse puisque Sam n’avait répondu à aucuns de ses regards insistants et l’avait royalement nié depuis le début. Brave garçon.

« Figure-toi que si j’veux danser, beau gosse, j’ai pas besoin de toi pour le faire » avait-elle répliqué après le fou rire que lui avait provoqué les étranges réactions d’Aidan.

Puis elle avait de nouveau éclaté d’un grand rire franc avant de pousser ensuite un long soupir, se crispant lorsque les lèvres de son petit ami virent effleurer sa nuque. Charlie venait de subir une nouvelle attaque des papillons sauvages multicolores qui semblaient plutôt favorable à l’idée de s’éclipser un moment. La jeune caissière déposa donc un bref baisé sur les lèvres de Sam avant de se relever pour la première fois depuis une éternité. Son dos était raide et ses jambes un peu gauches, mais après s’être étiré de tout son long dans un grognement félin, l’équilibre lui revint sans essayer de lui jouer de tour.

« T’as que des idées excellentes » assura-t-elle avec grande conviction à Sam avant d’enchainer « j’vais nous chercher à boire ! »

Elle lui envoya un baiser de loin et se détourna pour se diriger vers le bar. Elle se posta non loin d’Aidan et Déborah, et frappa du plat de sa main sur le comptoir à plusieurs reprises.

« Y’a moyen d’avoir à boire dans cet endroit ? » lança-t-elle d’une voix forte pour couvrir la musique.

Deb’ lui adressa un regard un peu terne et vint à sa rencontre, délaissant Aidan pour quelques instants. Elle lui resservit deux grands verres de vodka orange accompagnés de pailles d’un violet hypnotisant et les ajoutas sur l’ardoise.
Une fois les deux verres devant elle, Charlie fit signe à la serveuse de s’approcher comme si elle avait l’intention de lui faire part d’une confidence.

« Tu sais c’que j’vais faire maintenant ? » débuta Charlie en se penchant elle-même au dessus du bar « je vais prendre les deux verres que tu viens de me servir, aller dehors avec mon mec, et une fois dehors, on va baiser comme des bêtes. J’voulais juste que tu le sache, ok ? »

Elle acquiesça, lui adressa un grand sourire et n’attendit pas de réponse. Agrippant sa consommation, elle lui tourna le dos sans dépeindre de son expression joyeuse. Une fois de retour de retour au près de Sam, elle l’incita à se relever, et l’entraina jusqu’à la sortie du bar.
La différence intérieur/extérieur lui mit une sacrée claque qui provoqua une nouvelle hilarité. Lorsqu’ils étaient arrivés, la chaleur étouffante de la journée planait encore sur le début de soirée. Maintenant la nuit était complètement tombée, dévoilant un ciel merveilleux. La température était parfaite, l’air était pure et lui donnait envie d’inspirer à plein poumon.

Se tournant vers Samuel, elle continua de l’inciter à la suivre, et ils terminèrent planté au milieu de la route. La musique résonnait en sourdine depuis l’intérieur du Susan’s, mais mis à part ça, c’était le calme complet tout autour d’eux.
La brunette passa un bras autour du cou de Sam et avala plusieurs longues gorgées de son verre avant de venir l’embrasser. Un baiser à la vodka, ça n’avait pas de prix.

« Tu sens bon » lui confia-t-elle avec attendrissement « Aidan à dans l’intention de tremper son biscuit avec Deborah. Il a intérêt à sortir couvert parce que c’est un temps à attraper des maladie si tu vois c’que j’veux diiiire » gloussa-t-elle avec appuis pour être certaine de se faire comprendre.

Jalouse ?! Bien sûr qu’elle était jalouse, quelle question ! Seulement il fallait avouer que Deborah l’avait bien cherché. Charlie l’aimait bien, mais il y avait certains sujets avec les quels on ne rigolait pas. De toute façon ça n’était pas honteux d’être jalouse, c’était normal ! Et si Sam lui faisait cette remarque, c’est parce que ça devait sans doute lui plaire au fond que Charlie tende à marquer son territoire. Il ne le dirait sans doute jamais de cette manière, mais la jeune femme en restait persuadée.
Elle ne chercha donc même-pas réellement à nier la chose, et comme le reste du temps, elle se contenta de glousser puis de dissimuler son sourire dans quelques gorgées de vodka, ses grands yeux bruns plantés avec malice dans le regard de son partenaire.

La proposition de Sam et le baiser qui s’en suivit ne l’empêchèrent pas de continuer à sourire.
Bien entendu qu’il voulait jouer, et Charlie le voyait venir à des kilomètres. Pas besoin d’être maline pour deviner à quel genre de jeu voulait s’amuser le grand blond.
L’éternel ado –bourrée en l’occurrence- qui vivait quelque part dans la tête de la petite caissière avait très envie de jouer elle aussi. Elle se demandait même pourquoi ils n’avaient pas encore commencé la partie.
Cela dit, chaque facette avait son pendant, et le pendant de l’éternel ado bourrée, la petite demoiselle sobre et raisonnable, la grondait intérieurement d’avoir de telle pensée.
Avec la guigne qu’elle s’était trimballée toute sa vie, une fois qu’elle allait faire tomber la petite culotte, ils se feraient surprendre par Martin, justement sortit pisser à ce moment là, et le lendemain tout le monde serait au courant. Une perspective naze qui venait gâcher ses envies d’insouciances.

D’un autre côté, qui était-elle pour aller à l’encontre des envies d’un jeune homme dont c’était la fête d’anniversaire ce soir ? Ca aurait été bien cruelle de lui servir un ‘non’ définitif sans même essayer d’être la petite amie conciliante et généreuse qu’elle avait envie d’être.

Une fois leur baiser terminé, la jeune femme bu une nouvelle gorgée ponctuée d’un soupir faussement méditatif. Elle avait bien envie de jouer. Pourquoi pas avec ses pieds pour commencer ? C’était son privilège de fille de faire ça, ne pas en profiter aurait été une belle preuve d’anti féminisme. Elle se devait de le faire mariner avant de passer dans la moindre casserole. Mais bref.

« Pourquoi j’ai l’impression que ton truc c’est plutôt l’action et pas la vérité ? » sourit Charlie d’un air coquin, mordillant sa lèvre inférieur tout en faisant courir sa main libre sur la nuque de Samuel « Y’a certaines vérités qui ne sont pas bonnes à dire, et d’autres qu’on devrait dire mais qu’on ne dit pas. Sauf qu’une fois qu’on commence, on est obligé de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, c’est les règles du jeu » articula-t-elle tout près des lèvres du jeune homme.

Elle fit mine de vouloir l’embrasser, mais changea subitement d’avis et se détourna vivement pour échapper à son emprise.

« Moi j’veux bien jouer mais après il va falloir assumer, cow boy… alors action ou vérité ? » questionna Charlie en papillotant du regard.

Magnifique, le gros chat sauvage était effectivement un rien trop saoul pour essayer de se sauver. En fait, on pouvait même dire qu’il se laissait apprivoiser finalement.
Alors elle allait devoir en profiter le temps que ça allait durer. Elle n’avait certainement pas toute la nuit pour poser ses questions, c’était maintenant qu’il lui laissait une petite ouverture et elle devait impérativement la saisir. C’était le moment où jamais pour faire avancer un peu le schmilblick, pour essayer de s’assurer un ticket de sortie.
Ca avait l’air un peu vénal dit comme ça, pourtant Charlie ne pouvait pas vraiment mettre d’autres mots sur ce sentiment, du moins pas si elle voulait rester honnête avec elle-même. Ca ne changeait rien au fait que son prince charmant en blouson de cuire était là et qu’elle y croyait très fort, c’était forcément le bon. Elle espérait juste que le prince charmant ne soit pas qu’une passade. Les princes avaient des chevaux et elle voulait monter dessus à tout prix. Alors il fallait qu’elle y mette du sien et qu’elle soit un peu courageuse. Pas que ça la dérange de poser des questions intimes, plutôt qu’elle avait peur d’entendre les réponses.

Seulement pour entendre les réponses il fallait déjà poser les questions. Charlie en avait tellement, et toutes lui semblaient importantes, primordiales. Il y avait tellement de choses qu’elle ignorait à son propos, tellement de points d’interrogation autour de toute cette famille. Elle avait une toute petite chance d’éclaircir certain sujets, et certains sentiments, elle en avait presque le trac.
La quelle était LA plus importantes ? Quelles questions poser pour être certaine d’en savoir un maximum ?
‘Est-ce que tu m’aime ?’, ‘est-ce que tu vas m’emmener avec toi quand tu partiras de Grayson ?’, ‘est-ce que vos parents ont été assassinés ?’, ‘est-ce que leurs fantômes hantent mon village ?’, elle en avait trois millions d’autres des comme ça…

« Rah je sais pas » grogna-t-elle dans un éclat de rire qu’elle étouffa sur l’épaule de Sam.

Puis après un grand soupir, elle termina son verre pour attiser un peu son imagination. Elle se baissa pour déposer son verre, là en plein milieu de la route, puis eu enfin les mains libres pour les passer autour du cou de ce grand blond qui lui faisait de l’œil.

« Tu sais quoi ? Fuck ton jeu » reprit-elle, la douceur de son ton contrastant avec la dureté de ses propos « en vérité, j’veux tout savoir » elle déposa brièvement ses lèvres sur les siennes et lui sourit d’un air un peu absent « J’veux savoir c’que tu fais de tes journées quand t’es à Cleveland, j’veux que tu me parle de ton oncle, et de ton job, et j’veux savoir à quelle heure tu te lève, et c’que tu prend au petit dèj’. J’veux savoir le nom de tous tes amis, et celui de ton chien quand tu étais petit, ta marque de dentifrice et avec quoi tu prends ton café. J’veux connaître ton meilleur souvenir, et de quelle couleur est ton canapé et… ta plus grosse honte en public » gloussa-t-elle en passant une main dans la nuque du garçon « Et bien entendu, j’veux savoir tous les trucs de fille, j’veux savoir comment s’appelait ta première, quel âge t’avais, et combien de temps à duré ta plus longue relation, et dans quel position et si tu étais amoureux...J'veux tout savoir » termina la jeune femme.

Oui, c’était bien ça le problème. Elle voulait tout savoir, le moindre détail, même le plus insignifiant. Elle voulait le connaître par cœur et pour de bon, sauf que ce qu’elle voulait vraiment ne tenait pas en une seule question. Alors tant pis.

Bon… ça n’était pas la réponse super romantique qu’elle avait imaginé en retour, mais heureusement ça ne voulait pas dire que Sam avait tord. Ca voulait juste dire qu’il était un peu à côté de la plaque et comme ils avaient bu, ça n’était pas vraiment sa faute (sachant que sobre il était fort probable qu’il ait répondu pire encore…). Ce qu’elle avait voulu dire avec toutes ses questions successives, c’était justement qu’elle voulait que ça dur entre eux. C’était une manière de lui dire qu’elle voulait partager avec lui le quotidien et les petites choses de la vie. En posant toutes ces questions elle ne s’était bien entendu pas imaginer qu’il réponde à chacune d’entre elles et lui précise à quel heure il se levait en semaine et jusque quand il s’accordait une grasse mat’ le week end. Charlie avait simplement voulu exprimer la question qui la démangeait le plus, mais de manière un peu subtile. Elle voulait savoir si oui ou non, ils étaient ensemble pour durer. Elle voulait savoir si elle allait avoir droit à un ‘après Grayson’ avec lui où s’il était entrain de se la jouer ‘amour d’été’ comme l’adolescent qu’il n’était plus. Apparemment le message n’était pas passé exactement comme elle l’avait voulu, cela dit, ce qu’il lui avait répliqué était mignon. Ou du moins elle se forçait à trouver ça mignon car c’était son anniversaire et qu’elle ne pouvait guère faire autrement.

Evidemment, les questions qu’elle avait posées et qui concernaient les filles, il avait prit la peine de s’y attarder un peu plus. Pas étonnant. Il avait zappé les sous entendus subtiles, mais les grosses allusions bien salaces n’échappaient pas à Samuel Donnelly.
Que pouvait-elle y faire ? C’était aussi pour ce genre de choses qu’elle était dingue de lui…
Surtout qu’elle venait d’apprendre qu’en fait elle avait déjà battu tous les records de longévité. Franchement, même si elle n’avait pas la réponse qu’elle voulait, ce détail lui donnait une indication pourtant vachement encourageante pour la suite. La petite voix de vieille célibataire déprimée et mal baisée qui vivait quelque part dans un recoin poussiéreux de son égo lui criait qu’ils étaient encore ensemble simplement parce que Sam était encore à Grayson et qu’il fallait bien passer le temps. Mais elle choisissait plutôt d’écouter son alcool joyeux qui avait envie de se réjouir de cette nouvelle.

Du coup, elle ne se laissa pas emporté par la petite pointe frustrée qu’elle ressentait au creux de son estomac. Elle se contenta de rire et de lever les yeux au ciel pour exprimer le fatalisme.
Evidemment qu’il voulait de l’action. Depuis qu’ils étaient sortit, tout ne tournait plus qu’aux alentours de la ceinture.

« Tu pourrais au moins faire semblant pendant cinq minutes que t’es pas sortit de ce bar uniquement pour me sauter ? » lança-t-elle, joueuse « Tu sais que si t’avais un peu mieux répondu à ma question, j’aurai certainement déjà viré ma petite culotte à l’heure qu’il est ? Parce que j’t’aurais trouvé irrésistible et que t’aurais eu aucun effort à faire ! D’ailleurs tu mérite pas que j’te facilite la tâche. Vérité ! » choisi Charlie avant d’éclater d’un grand rire triomphant.

Elle saisit le visage de son petit ami entre ses deux mains pour le secouer un peu avant de déposer un baiser bruyant sur ses lèvres.

Qu’il était fourbe ! Et finalement pas si pataud que ça. Il avait bien capté qu’elle n’avait pas eu ce qu’elle voulait et essayait de se rattraper en jouant au lover. Il se serrait contre elle et enchainait les baiser et les regards braisés et séducteurs parce qu’il savait très bien qu’elle n’arrivait jamais à résister très longtemps à ce genre de traitement. Charlie ne pouvait pas s’empêcher de fondre. S’il lui avait demandé, elle lui aurait certainement filé les clés de sa maison sans broncher.
Cela dit il n’y avait rien de mal là-dedans, c’était même plutôt bon signe qu’il insiste finalement. Il aurait pu éluder les sujets délicats, mais au lieu de cela, il revenait sur ce qu’elle avait dit et lui demandait des explications, même au risque de tomber sur une question qui ne lui plairait peut-être pas.

D’ailleurs, elle était en proie aux mêmes doutes que d’habitude à ce propos. Elle se plaignait sans arrêt de ne pas obtenir l’attention qu’elle désirait, et lorsqu’elle l’avait, Charlie avait tellement peur d’être déçue qu’elle préférait se rétracter. De nouveau c’était le cas.
Elle avait voulu lui poser une question sérieuse, il était un peu passé à côté, et maintenant qu’il faisait l’effort d’être communicatif, elle se mettait à flipper de ne pas obtenir la vérité qu’elle avait envie d’entendre. C’était le genre de contradictions qui la décrivait parfaitement et qui était à l’origine de toutes ses pires guignes dans la vie.
Seulement d’ici quelques années, elle aurait 30 ans, et cette constatation l’emplissait d’une terreur encore plus grande que sa crainte d’être déçue. De toute manière il fallait qu’elle sache, où elle allait ruminer ses interrogations à l’infini, et regretter amèrement d’avoir rater le coche.

« Et bien… » débuta la jeune caissière dans un soupir qui fit s’évaporer son sourire « T’as donné la réponse toi-même : Pour se connaître… il faut du temps » articula-t-elle dans un regard appuyé.

Elle n’avait pas été explicite, pourtant son expression rendait le message relativement clair. Samuel l’avait dit lui-même, pour se connaître et s’apprivoiser, il fallait du temps. Avec un peu de chance, c’était le même le travail de toute une vie à deux. Maintenant, le tout était de savoir s’il allait lui accorder du temps, ou pas. Et comme il ne comptait bien entendu pas passer toute sa vie à Grayson, il était temps de penser à ce qu’ils allaient devenir une fois reparti.

Dans l’idéale, Charlie voulait qu’il lui dise qu’elle allait l’accompagner et venir vivre avec lui en ville. Mais ça, c’était juste l’idéale. Ils n’étaient pas obligés de vivre ensemble, ils pouvaient avoir leur appartement chacun. Elle n’était même pas obligée de le suivre tout de suite, elle pouvait aussi le rejoindre plus tard. Elle aurait même préféré faire les trajets tous les week end plutôt que d’entendre qu’il n’allait lui accorder que son été et rien de plus.
Merde, elle aurait même été prête à faire semblant de rien s’il revenait en empestant le parfum pour femme et le rouge à lèvre bon marché. Même si c’était vraiment pitoyable et avilissant de penser une chose pareil.
D’ailleurs elle le pensait, mais elle n’allait certainement pas le dire… sauf si elle était obligée de supplier évidemment… mais ils n’en était pas encore là, elle allait d’abord le laisser répondre avant de se mettre à genoux et de pleurer, en névrosée imbibée de vodka qu’elle était.

La traversée avait été mouvementée, mais l’appontage était glorieux.
L’estomac de Charlie s’était tordu dans tous les sens tel un ver grouillant tandis que Samuel répondait enfin clairement à sa question. Sa respiration s’était faite trop courte et sa température avait semblée jouer au yoyo entre les bouffées de chaleur dues au stress et les sueurs froides paniquées. Le monologue de Sam n’avait pas été si long que ça, pourtant elle avait certainement hésité à fondre en larme une bonne dizaine de fois, sous le coup de différentes émotions décuplées par l’alcool et ses angoisses de vieilles filles de campagne. Le pire moment avait sans doute été lorsque le jeune homme avait ôté ses bras de sa taille pour fourrer ses mains dans ses propres poches. Elle s’était soudainement sentie toute bête, plantée là, devant lui, et elle n’avait pas eu d’autre choix que de croiser les bras, faute de savoir quoi faire de ses mains.

Fondamentalement, ce que lui répondait Sam n’était pas très positif. En gros, il évoquait de gros ennuis à venir, et Charlie voyait plus ou moins bien à quoi le garçon faisait allusion. Ils en avaient eu un avant goût terriblement cuisant la veille. Du terrorisme, voilà ce qui s’était passé. Et apparemment ça ne faisait que commencer. Seulement là, pour être honnête, Sam n’apprenait rien de nouveau à Charlie, elle en était venue à cette même conclusion toute seule. Seulement se l’entendre dire lui enlevait un poids certain des épaules. Sam était conscient de la difficulté de sa position et n’avait pas l’intention de la laisser moisir là après avoir ruiné sa réputation une bonne fois pour toute.
Cela dit, franchement ? Toute la partie de la réponse qui concernait Grayson ne fit que rentrer par une oreille pour ressortir par l’autre. Choisir entre ce petit bled pourri et lui ? C’était tout choisi ! Rien à foutre de Grayson ! D’ailleurs maintenant que c’était dit, il semblait à la jeune femme que c’était ce qu’elle avait espérer entendre toute sa vie. C’était comme dans les films, c’était parfait, tout y était. Le ciel étoilé, le beau blond, l’alcool, la promesse d’un ailleurs plus intéressant qu’ici. Au diable ce village insignifiant, elle n’avait même pas besoin de réfléchir une unique seconde.

D’ailleurs c’est ce qu’elle ne fit pas : réfléchir.
Avec le regard qu’il lui jetait maintenant, il n’y avait qu’une seule et unique réaction logique à avoir.
Avec brusquerie, la petite caissière se jeta en avant, les bras autour de la nuque du jeune homme, les jambes autour de sa taille. Elle se colla à lui et entendit un bruit de verre brisé sur le sol. Elle s’en fichait et n’y accorda même pas un regard, trop occupée qu’elle était à couvrir son petit ami de baisés fiévreux et alcoolisés. Quelques secondes plus tard elle essayait déjà de virer le tee-shirt du garçon d’une main, l’autre refermée sur une poignée de cheveux blonds pour être certaine qu’il n’échappe à aucuns de ses baisers.

S’il ne pigeait pas sa réponse avec ça, alors il était temps qu’il arrête de boire.