Declan adressa un bref signe de tête à sa standardiste, avant de filer en direction de son bureau, la tête basse. Il entendit la chaise de Kathleen racler douloureusement le sol tandis qu’elle se levait d’un bond pour continuer à lui piailler les dernières nouvelles. Des chats coincés dans des arbres, des vieux qui souffraient de la chaleur et pensaient qu’il était un dieu vivant capable de soigner leurs maux, des appels passé par de vieux cons détestables qui ne supportaient pas les cris des enfants… sa routine depuis des années. Il n’avait pas besoin d’entendre ça, ni besoin que Miss Wood parle aussi fort.

« …aimerait que vous passiez au plus vite pour vous assurer que… »
« C’est bon ! J’m’occuperai de ces conneries plus tard ! » craqua-t-il, la fusillant de ses yeux injectés de sang avant de lui claquer la porte de son bureau au visage.

Le silence reprit enfin ses droits sur le petit bureau du shérif fatigué de Grayson.
Declan poussa un lourd soupir puis alla se laisser tomber sur son confortable fauteuil. Ses coudes appuyés au meuble, il massa ses tempes, les paupières closent, laissant de temps à autre échapper quelques grognements grognons. Son crâne lui faisait un mal de chien et la chaleur lui paraissait plus insupportable qu’à l’accoutumée.
En fait, tout lui paraissait plus pénible que d’habitude. Se lever, manger ce qu’il était contraint de se préparer, faire sa toilette, rentrer seul dans sa maison trop grande et vide, faire ses courses… Declan avait d’ailleurs renoncé à faire la plupart de ses choses. Il avait conduit jusqu’à Gower pour s’acheter quelques bouteilles et des crackers, était rentré se vautrer dans son sofa pour grignoter et boire jusqu’à s’endormir. Il s’était contenté de s’asperger le visage d’eau et de simplement se parfumer ce matin pour couvrir l’odeur rance de sa transpiration et celle de l’alcool. Son ventre se lamentait d’être aussi vide que sa maison mais il s’en moquait pour le moment. Son plus gros souci, c’était son crâne…

Si Elizabeth le voyait, il savait bien ce qu’elle dirait et cette pensée l’agaçait au moins autant qu’elle l’attristait. Ou peut-être qu’elle n’ouvrirait même pas la bouche, se contentant de poser sur lui un regard plein d’incompréhension, de reproches, de déceptions… un regard semblable à celui que sa fille avait posé sur lui en le surprenant avec l’épicière.
Il était aussi peu capable d’affronter l’une que l’autre pour le moment. Ni elles, ni sa sœur, et encore moins cette pleurnicharde de Kathleen avec sa voix trop haut perchée.

Poussant un lourd soupir, Declan se leva pour aller se servir un café et avaler quelques uns des biscuits que la standardiste laissait toujours à son attention. Il était en train de vérifier le filtre de la cafetière lorsqu’il entendit la voix de Grifith de l’autre côté de sa porte. Il capta une conversation entre lui et leur collègue et, alors que le bourdonnement de la vieille cafetière commençait à s’élever désagréablement, quelques coups furent frappés à la porte.
Ses responsabilités le rattrapaient toujours…

« Entre » grogna-t-il en prenant soin de ne pas trop élever la voix pour ne pas augmenter son mal de crâne lancinant.

La confrontation avec les Redd l'avait laissé les nerfs en pelote. C'est vrai quoi, ils étaient déja assez inquiétants de loin, alors de prêt... Même quand cela faisait partie de son boulot, il n'aimait pas leur parler ou avoir affaire à eux. Ils dégageaient quelque chose de malsain qu'il n'arrivait pas à définir, mais qui était définitivement flippant. L'idée de se confronter à Declan dans la foulée le rendait d'autant plus nerveux. Et le sourire qui l'accueillit dans le bureau du sherif faillit lui faire faire demi-tour aussi sec.

Il avait oublié Kathleen. Kathleen qui le regardait avec un sourire plein d'espoir contenu et qu'il allait devoir gérer, parce que merde, il avait déconné avec elle. Elle espérait sans doute de lui quelque chose qu'il ne pourrait pas lui donner, en tout cas pas tant qu'ils n'auraient pas réglé leurs problèmes Colleen et lui. Qu'est-ce qu'il pouvait être con n'empêche... Kathleen était une gentille fille, qu'est-ce qu'il lui avait pris de l'utiliser pour faire raler Colleen ? Son ex au moins avait eu la décence de passer par une loque qui avait du vite comprendre qu'il n'y avait rien de sérieux entre eux. Mais Kathleen était visiblement prête pour le mariage. Et hier si possible.
Il répondit donc à son babillage par un sourire géné, et désigna la porte de Declan en marmonnant une excuse et une affaire importante. Aucun mensonge en prime, l'affaire ne concernait peut être plus l'homme que le sherif, mais elle était néanmoins importante.

" Salut... "

Passant la porte, Griffith jeta un coup d'oeil à son ami avant d'aller s'installer avec désinvolture sur la chaise face au bureau. Ce simple coup d'oeil avait suffit à lui dire au moins une chose : Declan n'était pas en forme du tout. Avec la nuit qu'il avait du passé, c'était compréhensible. Mais quel était la part de responsabilité de l'alcool dans son air hagard ? Griffith croisait les doigts pour qu'elle soit nulle. Un ange passa avant qu'il n'entame les hostilités.

" Je viens de chez ta soeur. " Nouveau silence. " Dure soirée, hein ? "

Evidemment, Grifith était passé par chez Lucinda…
Le premier reflexe du shérif fut de questionner son adjoint au sujet de son adolescente de fille, mais il s’en abstint pourtant. Pas uniquement parce que sa fierté mal placée l’empêchait d’avoir l’air désespéré devant son ami et employé, mais également parce qu’il ne pouvait s’empêcher d’être agacé et de trouver toute cette situation injuste.
Grifith était dans les petites papiers de sa sœur et très certainement dans ceux de Suzie qui l’avait toujours eu à la bonne. Declan comprenait pourquoi, le jeune homme s’était toujours montré charmant avec sa fille, avait de l’humour et ne l’avait pas trahi surtout…
Mais pourquoi Armstrong pouvait voir sa fille et avoir de ses nouvelles pratiquement à la source alors que lui-même était persona non grata dans son périmètre ?

La remarque suivante l’avait peut-être également agacé, il devait bien l’avouer. C’est pour cette raison que, lorsqu’il reprit la parole, sa réplique ressembla plus à n grognement qu’autre chose.

« Ouais » fit-il sobrement, avant de se détourner pour s’occuper de son café « Qu’est-ce que tu veux ? »

Grififth n'était pas assez prêt pour pouvoir capter d'éventuels relents alcoolisés dans l'haleine de son chef et ami. Qu'il ne sente rien n'était pas une preuve non plus. Ni dans un sens ni dans l'autre d'ailleurs. Oh qu'est-ce qu'il détestait cette suspicion forcée, initiée en prime par l'être le plus détestable qu'il connaissait et sa grenouille de bénitier d'épouse... Si Griffith avait pu, ils les auraient mis tous les deux dans le premier train en partance pour Tombuctu. Même s'il ne savait pas où c'était exactement, il était au moins sur que c'était très très loin. Assez éloigné de Grayson pour leur foutre la paix une bonne fois pour toute et arrêter de toiser tout le monde avec des airs de réprobation permanente.

Pas étonnant que Declan ait du mal à se remettre, ait caché sa liaison avec... celle avec qui il était... Si c'était pour se voir réprouvé comme un pestiféré, autant rester caché. Mais la résultante était que Suzanna se sentait blessée...

En se faisant ces réflexions, Griffith fit le tour d'une chaise face à son ami et s'installa avec sa familiarité habituelle, et haussa les épaules à la question de Declan.

" Discuter. Savoir comment tu te sens. Savoir s'il n'y a pas des choses que tu aimerais... Enfin tu vois... " Il fit une grimace. " Chuis d'ton coté, tu le sais non ? "