Il s’agissait d’une matinée comme une autre pour Calvin. Bien sur, à ce moment de la journée, le bar du drugstore était encore fermé. Au volant de son pick-up noir, il était parti en direction de Gower alors que le soleil se levait timidement dans le Missouri et que la pluie continuait de tomber inlassablement depuis la veille. Il avait rendez-vous avec son ‘fournisseur’ originaire d’Oklahoma afin de refaire le plein de carburant pour tous les alcooliques de Grayson. Autant dire qu’il devait faire ça assez souvent, peut être deux fois par mois.

Pas très loin du bowling de Gower, Calvin chargea soigneusement sa marchandise sur la plateforme arrière avant de la fixer à l’aide de sangles. Il couvrit le tout d’une bâche bleu marine. Le tenant du bar du drugstore régla la note ensuite et monta dans l’habitacle de son véhicule pour rejoindre Grayson. Un chapeau style far west, un paquet de cacahuètes et une bière trônaient au beau milieu du tableau de bord. Confortablement installé, il vivait cette routine plutôt bien à vrai dire, malgré la météo capricieuse.

Sur la route, la pluie redoubla d’intensité. Un bon temps de chien en pleine saison estivale. Sans être particulièrement inquiet, Calvin se montra un peu plus prudent, ralentissant sa vitesse de croisière. Il venait de quitter les grands axes pour la petite route 169. En plus de ça, il savait que cette vieille route, assez sinueuse, traversant la forêt de part en part, était plutôt dangereuse. Le moindre écart pouvait effectivement être fatal. Ce n’était pas étonnant au final d’avoir un garage à Grayson…

Il devait être onze heures moins vingt lorsqu’il vit une berline arrêtée sur le bas côté. Une femme brune se tenait non loin du véhicule. Calvin se demandait si elle était en train de faire le tour de la voiture. Quoiqu’il en soit, le barman entreprit de s’arrêter dans un élan de bonté, ce qui arrivait assez rarement en fait. Mais, son style de conduite plutôt agressif allait le desservir. En s’approchant de la petite aire de stationnement, il plaça ses deux roues du flanc droit dans la terre, hors de la chaussée. Là où se trouvait un trou assez important dissimulé par une belle flaque d’eau brunâtre. Résultat, l’eau jaillit de la chaussée et trempa la moitié du véhicule et la conductrice.

Il eut à peine le temps de voir sa connerie à travers la vitre côté passager, qu’il se rendit compte qu’il s’agissait de l’inspectrice de Grayson qui était venue prendre un verre dans son bar. Ni une ni deux, Calvin redémarra aussitôt pour se tirer d’ici fissa. Ca ne faisait pas partie de son code de conduite d’aider des membres des forces de l’ordre. Cependant, il freina brutalement pour s’arrêter quinze mètres plus loin. Calvin expira profondément, posant sa tête contre le volant et tentant d’oublier cette petite once de remord. Peu de personnes passaient par là, le portable n’avait peut être pas de réseau dans ce trou boisé et c’était vraiment un temps de merde…

Le véhicule resta sur place quelques secondes avant qu’il ne décide de faire marche arrière. Le pick-up s’immobilisa brutalement, un peu plus loin que tout à l’heure et un peu trop près de la voiture. En effet, la plateforme arrière emporta au passage un rétroviseur de la berline. La cassure se fit à peine entendre depuis l’habitacle mais Calvin ne l’avait pas entendue. Ou peut être qu’il ne voulait pas l’avoir entendue. Il baissa la vitre côté passager et prit la parole, d’un air tout à fait naturel malgré le fait qu’il l’avait aspergé de flotte, qu’il avait voulu se barrer ensuite avant de lui briser un rétroviseur. Cela en l’espace d’une vingtaine de secondes tout au plus.

«Vous avez un souci ? Vous allez à Grayson ?...Vous pouvez monter si vous voulez….Tant que vous ne dégueulassez pas le siège…»

Il secoua la tête de gauche à droite, se retenant remarquablement de sourire avec un certain aplomb tel un parfait connard.

«Je plaisante…Alors vous montez ?»

Ces quelques secondes venaient d’égayer sa journée malgré la météo déplorable. Calvin se serait probablement fendu la gueule à s’en décrocher la mâchoire si elle n’était pas montée à bord du pick-up. Le barman prit le temps de s’allumer une clope pendant que l’inspectrice s’installait à bord. Après quelques taffes appréciables, il reposa son pied sur l’accélérateur et plaça son véhicule sur la route.

«Vous voulez que je fasse un commentaire sur quoi ? Vos cheveux dépeignés? Votre look de miss tee-shirt mouillé ? Vos fringues de petite bourgeoise de Gower ou de je ne sais où ? la météo ? Non…c’était déjà fait avant même que vous ne montiez à bord, croyez-moi.»

Il prit un air dépité, exagérant avec une certaine malice le temps de plissement de ses paupières. A son aise, comme toujours à vrai dire dés lors qu’il y a un conflit naissant ou en place, Calvin ne savait certainement pas retenir sa langue. C’était en quelques sortes son arme la plus dévastatrice. En regardant dans le rétroviseur intérieur, il vit au loin derrière la berline de l’inspectrice. Le barman continua quelques instants plus tard son monologue. Bien entendu, il allait la torpiller elle aussi…

«Voiture japonaise, huh ? Ca ne m’étonne pas. C’est des voitures de frimeurs. Bientôt, ils vont se mettre à produire de la bière et sous prétexte que ce soit moins cher, cette merde va se répandre…Leur taudis à roulettes ça peut passer, mais jamais je ne vendrai du jus de sushi dans mon bar. Pas touche à la bière locale.»

Quelques instants plus tard, il tournait la tête vers l’inspectrice qui semblait bien plus préoccupée par l’état dans lequel elle se trouvait. Calvin inspira silencieusement et ajouta quelques mots avec un brin de compassion venu de nulle part. Le ton de sa voix semblait bien moins sec. Oui, il pouvait manifester ce genre d’émotion…

«Je dois avoir des mouchoirs ou une serviette dans la boite à gants. Ca ne vaut pas mieux que des vêtements propres et secs mais c’est toujours ça de se sentir moins mouillé…»

Tranquillement, le barman continuait de rouler impassible et surtout impatient de voir ce qui allait se passer. Il attendit le moment critique pour reprendre la parole d’un air tout à fait sérieux ce qui se traduisait souvent à de l’espièglerie chez lui. Dans tout son bric à brac, il n'y avait strictement rien qui ressemblait aux items cités...

«Hm, ah merde je me suis trompé...Autant pour moi.»

Ah oui…s’il avait disposé d’un appareil photo sous la main, il aurait capturé une merveilleuse prise. Le sourire se dessina finalement sur ses lèvres avant qu’il n’éclate de rire magistralement en revoyant la scène dans son esprit. Il en avait presque des larmes aux yeux sur ce coup là. Tellement distrait, Calvin avait placé un violent coup de volant vers l’extérieur de la chaussée pour éviter une voiture qui arrivait en face. Il prit ensuite un air beaucoup plus sérieux répliquant de manière acerbe.

«Désolé, j’aurais peut être dis la vérité si vous n’étiez pas de mèche avec le grand blond, vous savez son nom commence par un D et finit par un Y. »

Bien sur, il avait la rancune tenace. Il se souvenait de la discussion qu’il avait eue avec Logan dans son bar et de la prise de tête qui s’en suivit.

Miss l’inspectrice avait tout d’un coup envie de discuter de tout et de rien. Certes, Calvin l’avait peut être suffisamment provoquée pour qu’elle veuille lui répondre. Comme d’habitude, cela ne présageait rien de bon. Ses attaques gratuites étaient si pathétiques qu’il se mit à secouer la tête en affichant une fausse expression de déception sur le visage. Cependant, les traits de son visage redevinrent agressifs en un rien de temps.

«Vous vous y connaissez en voiture ? ah ouais ? c’est cool…Je parie que tout ce qui vous intéressait quand vous avez eu votre permis, c’était de pouvoir bouger vos petites fesses sucrées d’un point A à un point B. Vous savez comment je peux savoir ça ? Vous avez eu la flemme de regarder sous votre capot pour constater le type de panne. Vous êtes donc juste bonne à placer vos miches dedans et c’est parti andale ! Mais, vous allez me dire que c’est normal, j’y peux rien, c’est pas de ma faute. Les voitures de service de Gower sont à chier, faut que ce soit un garagiste qui mette son nez dedans…parce que chez nous, maintenant, les nouveaux véhicules sont blindés d’électronique avec des boîtes automatiques souvent, à cause des pseudos conducteurs comme vous. La panne peut venir de n’importe où. C’est encore pire qu’avant. Alors, pourquoi s'emmerder à savoir d’où ça vient dans ce cas ? C’est comme ça qu’on résonne en ville, bonita ? Bref, je vais pas expliquer maintenant l’utilité d’un quatre roues motrices dans la région. Vous n’en valez pas la peine….Et ma bière sent la pisse ?! Votre décolleté, il sent pas le pinard ou le spiritueux hors de prix, vous l’emblème de l’avenue des petites catins brushées de Gower ?! »

Il se racla la gorge ensuite, la voyant du coin de l’œil se servir dans son paquet de clopes. Un sourire perfide à peine perceptible prit place sur son visage. En un rien de temps, la poupée était déjà sur les nerfs. Cependant, le barman n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Son venin s’apprêtait de nouveau à ressurgir de ses entrailles tellement il prononçait ses mots avec insistance et spontanéité.

«Vous faîtes le ménage ? Si ça suffit pas, j’en ai encore une à siffler pour pas un rond. Apparemment, vous n’avez pas trop de mal pour ça…»

Grr…qu’est ce qu’il n’aimait pas cet air hautain. Elle voulait davantage de précision ? Décidément, elle allait parfaitement avec l’autre pébron de blondinet. Mais, il savait pertinemment qu’elle se foutait de sa gueule et qu’elle avait très bien saisi le message. Le barman tira de nouveau nerveusement sur sa clope comme si il avait besoin de relâcher un peu la pression. Cela ne l’empêcha pas d’être toujours aussi graveleux et impitoyable.

« La bibiche est dans le flou ? La pluie a décimé les trois neurones qui se battaient en duel dans sa caboche? Vous confirmez ce que je pensais. Ouvrez bien les trous qui vous servent d’oreilles si vous ne voulez pas que je vous explique ça par mon langage des signes. Le plus âgé de ces playboys, cet irlandais de mes deux, aussi blond et mou qu’une frite périmée, a osé se la jouer Calvin Douglas wanabee, chez moi, dans mon bar, quand il est venu chercher son petit frère alors qu’il avait tabassé un client bourré à la sortie de mon bar quelques jours plus tôt. Alors vous voyez chérie ? ou vous jouez toujours la petite hypocrite ? J’ai vraiment besoin de vous donner le prénom de ce lâche? Quoi qu’il en soit, je ne suis pas de ceux qu’on fait chier impunément. Vos deux trous du cul ne font pas le poids tout comme vos seins de bimbo, face à un putain de classique du village, au tout-puissant emmerdeur que je suis. Ma façon de procéder est simple. Je fous le bordel à un moment inattendu et quand le calme revient, vous chialez.»

Les commentaires grivois et les comparaisons salaces étaient au menu dans lé véhicule du gérant mais en tant que femme flic, ce genre de piques lui passaient au dessus. L’inconvénient majeur à travailler dans un univers masculin s’avérait un avantage certain en compagnie de l’ours qui lui servait de chauffeur, chose qu’elle avait cru longtemps impossible, comme quoi la tendance s’inversait en sa compagnie. Et c’était sans doute la seule chose positive que la jeune femme retirerait de tout ça, si c’était réellement un argument positif, ce dont elle n’était pas certaine.
Elle était restée bloquée sur ses petites fesses sucrées, ayant peine à croire que le bougre ait réellement formulé ça de cette façon. Ses petites fesses sucrées…non elle allait très certainement retenir cette phrase choc pour une prochaine fois. De toute façon quand ce n’était pas son derrière, c’était ses seins qui étaient mis en avant, de manière beaucoup moins poétique soit dit en passant. Elle le laissa donc continuer son monologue sur les voitures, se retenant de bailler tellement le sujet lui parlait peu. L’inspectrice lui accordait volontiers ne rien y connaître en mécanique, c’est pourquoi elle ne comptait pas infirmer ce qu’il disait. Cette dernière aurait probablement du répliquer après son insulte, ou le gifler, mais il conduisait, elle s’en fichait, et il lui aurait rendu. Le silence s’avérait de ce fait la meilleure solution envisageable. Elle se contenta donc de le regarder et de tirer plus longuement sur sa cigarette, expirant la fumée vers le haut pour se délecter de ce tube de nicotine volé.

Mais c’était déjà reparti pour un tour, et elle pensa qu’il devait réellement s’ennuyer dans sa vie pour avoir autant de conneries à débiter, et surtout à parler autant pour au final ne rien dire. Oh il avait le sens de la formule, elle ne pouvait pas lui retirer ça, et il en deviendrait même distrayant par quelques aspects, s’il n’avait pas été aussi grossier, mal léché, rustre, et un con fini. Et si sa carrure avait été moins imposante, elle aurait pu facilement le comparer à un petit roquet. Dakota avait toujours pensé que ces chiens avaient un problème de perception. Ils se prenaient pour des Doberman, montraient les dents, et au final ne faisaient peur à personne. Elle se souvenait du jour où, ado rebelle, elle avait parié avec un ami qu’en mettant un coup de pied au cul d’un de ses chiens, elle parviendrait à s’en faire une pantoufle. Bien évidemment, les Doc Martens qu’elle portait n’avait pas eu cet effet et le roquet avait juste appris à voler sur plusieurs mètres. Jetant un coup d’œil au brun bourru assis à ses côtés, elle laissa échapper un petit rire dont il ignorerait la cause, mais qu’importe.

La trentenaire ne comptait pas s’attarder sur le sujet Donnelly qui plus est. Elle n’allait pas lui avouer qu’elle savait parfaitement que Aahron avait démoli Logan mais qu’elle ne prendrait pas part au débat, et que pour le coup, elle laissait la main au sheriff si besoin était. Quant au reste, que son bar ait été investit pas un ou plusieurs frères lui était égal, puisqu’elle n’avait pas eu écho d’une autre bagarre, et encore une fois, ça ne la concernait pas d’un point de vue juridique, ni elle, ni son trou du cul et ses seins de bimbo, comme il venait de le lui faire remarquer.

• « Une allusion grivoise, ça passe, mais cinq ou six en à peine trois minutes, je vais vous prendre pour un obsessionnel Douglas » répondit-elle, éludant plus que volontaire le sujet sur les grands blonds. « Je suis sûre que vous ne l’avez jamais fait sous la pluie, sur un capot encore chaud » lança la jeune femme en se penchant vers lui, la mine aguicheuse. « Vous savez ce qu’on dit sur les peau de vache et leur frustration, je mettrais ma main à couper que la théorie s’applique aux grands classiques du village, aux touts puissants emmerdeurs. Vous devriez relâcher la pression Douglas. Et vous pourrez dire à tout le monde que vous avez décoincé la catin de Gower. Et si vous avez peur pour votre réputation, vous pourrez toujours crier au viol. À défaut de quatre roues motrices, je veux bien tester les suspensions. De toute façon je suis déjà toute mouillée » déclara cette dernière en arquant un sourcil de façon suggestive. S’il la rembarrait, il continuerait à jouer au roquet, et s’il se mettait à baver, il passerait pour un bouledogue, ce qui était déjà une énorme ascension sociale dans le règne canin. Sur ce, elle laissa échapper une exclamation moqueuse avant de se reculer pour se rasseoir correctement sur son siège. S’il la prenait pour une fille aux moeurs légères, autant s’amuser un peu sur le thème. Et s'il la coinçait dans sa fausse proposition en se garant sur le bas côté, elle aurait une excellente excuse pour sortir son flingue.

La réaction de l’inspectrice surprit le barman. Après ce déversement de sarcasmes et de vulgarité, Calvin n’aurait pas parié sur un tel numéro de la part de la brune. Comme d’habitude, il pensait se faire insulter encore et encore avant de recevoir diverses menaces. Mais, tout d’abord, il dénota à peine le petit rire que Dakota émit sans raison apparente. Il aurait déduit que celle-ci riait jaune si elle s’était forcée à glousser. Mais, cela ne semblait pas être le cas. Quoi qu’il en soit, elle avait beau disposer ou faire semblant d’avoir autant de self-control, de sang froid que le dalaï-lama grâce à sa formation d’inspectrice, il s’en foutait royalement.

Bref, il n’eut pas vraiment le temps et l’envie d’y réfléchir plus consciencieusement. Le barman la vit arriver plus près de lui tout à coup. Troublé, il fronça des sourcils et se méfia de ce qu’elle pouvait préparer. Cette nouvelle proximité était d’autant plus dérangeante au vu de la situation puisque Calvin conduisait sur une route en piteux état et détrempée, les gouttes d’eau ruisselant difficilement sur le pare-brise. Il resta ainsi déconcerté, l’espace de quelques instants pendant qu’elle lui murmurait une proposition aussi indécente qu’inattendue mais aussi…irréalisable. Malgré une vague naissante de désir le long de son échine, le natif de Columbia garda tout ce qui venait de se passer à l’esprit lorsqu’il répondit sur un ton étonnamment calme et posé.

«Je sais ce que vous faîtes…vous voulez jouer avec moi…»

Le barman déglutit difficilement et se mordilla la lèvre inférieure quelques instants tandis que les traits de son visage acerbe se maintenaient remarquablement en place. Soudain, un petit sourire tenta de s’immiscer sur le coin de ses lèvres mais celui-ci se dissipa bien vite. Le défi lui parut intéressant et comme à son habitude, il n’avait aucune intention de prendre la fuite. Tout à coup, son instinct lui intima de freiner violement et de s’arrêter en catastrophe sur le bas-côté, les roues arrière dérapant légèrement sur la terre gorgée d’eau. Une fois le véhicule arrêté, il coupa le contact et plongea son regard dans celui de sa passagère, toujours aussi sûr de lui.

«Vous croyez que votre numéro de charme allait suffire à me couper la chique, à avoir le dessus sur moi ? Vous remuez vos petites fesses sucrées puisque c’est votre seule façon d’exister face à moi. Vous devez en avoir marre de vous taper des merdeux qui sont d’une déprimante normalité hein? de passer pour un ‘cul serré’ de la police ? Vous me détestez mais vous avez aussi envie de me choper. Vous savez pourquoi? Votre vie craint un max la psychorigide et je ne suis pas comme les autres. Vous avez plus à gagner que moi. Seulement, on ne joue pas dans la même catégorie, je sais que tout ça n’est qu’un numéro que vous jouez plutôt mal et j’espère sincèrement que vous vous débrouillez mieux au plumard. Là, qu’est ce que vous allez faire ? Vous allez me dire de reprendre la route ? vous allez m’en mettre une dans la face ? vous allez sortir votre pétard et me le coller sous le nez juste pour me prouver que vous êtes une totale impuissante ? Enlevez la clope que vous avez entre les lèvres miss Gower et donnez-moi une réponse ! »

Le silence s’installa tout à coup dans l’habitacle du véhicule après la nouvelle tirade, toujours aussi poignante, de Calvin. C’était tout à fait sa marque de fabrique. Provocateur, polémiste, dés qu’il voyait une brèche, il s’y engouffrait et laissait son éloquence faire le reste. Bien sur, il faisait partie de ceux qui jactaient pour dire ce qui n’allait pas. Le barman se retourna ensuite vers son volant, sa main se posant sur la clef de contact, prêt à repartir en direction de Grayson. Et toujours cette pluie qui tombait…

Un sourire narquois et agaçant aux lèvres, Calvin réalisait que Miss Gower commençait à entrer dans son jeu. Les attaques de Dakota firent froncer des sourcils le barman, apparemment nullement décontenancé. Toutes ses faiblesses étaient à vrai dire profondément enfouies derrière cette couche imperméable de sarcasmes. Petit à petit, elle s’engageait dans la discussion sans même s’en apercevoir peut être, tandis que Calvin était toujours aussi hermétique aux critiques.

«Et bien, apparemment, j’ai réussi à décoincer Miss Gower plus vite que je ne l’aurais pensé… »

Il marqua une pause et s’installa un peu plus confortablement sur son siège, démontrant par sa gestuelle et son attitude qu’il n’avait aucun complexe, rien à perdre, comme à son habitude. Sa main détenant la clef de contact du véhicule s’éloigna du volant tout à coup, le barman voulant faire durer la torture. Calvin vint saisir une bière à l’aide de sa main gauche, stationnant au beau milieu du tableau de bord du pick-up, et profita de cette petite pause improvisée pour en avaler quelques gorgées sous les yeux de la brune sans la moindre pudeur. Il n’était plus à ça près…

«Je ne me prends pas pour un roi. Je suis juste le seul et unique mec qui a ce qu’il faut pour dire ce qu’il pense et qui assume ce qu’il est dans ce putain de comté ! Et je suis l’hypocrite, c’est pas ironique ça ?! Prenez moi pour un élément perturbateur, un anarchiste je m’en fous…En réalité, je ne veux rien, ma vie me va très bien !...Accessoirement, je suis aussi votre taxi ce qui équivaut, vu la situation, à un titre pas loin du rang de demi-dieu je pense…Non, ce qui me ferait réellement bander, ce serait de vous éjecter de mon pick-up et de me barrer d’ici en apercevant votre mine déconfite, les larmes au bord des yeux. Ca confirmerait votre théorie selon laquelle je suis un méchant bouseux et détestable paria et cela vous donnerait l’opportunité de vous réfugier chez votre ‘gentil‘ blondinet, parfait standard de la poupée désabusée vivant une existence de merde ! Oh Yeah !...Mais, vous avez de la chance. J’ai commencé une bière ce qui veut donc dire, pour un mec aussi respectueux des lois que moi, que je dois attendre une heure avant de repartir. Mais, peut être que j’enquillerai dans la foulée les cinq autres de mon pack, qui sait ?! »

Le natif de Columbia n’avait probablement pas l’intention de liquider toutes les bières se trouvant sous son siège. Non, c’était une vive réponse aux menaces déguisées. Il se tourna et se pencha légèrement vers elle ensuite, comme pour ajouter quelques mots sur le ton de la confidence. Mais, ce ne fut que pour mieux la prendre à contre pied. Soudain, son bras gauche effectua un mouvement rapide dans le but d’asperger le visage de la brune avec sa propre bière. Et, en cerise sur le gâteau, Calvin vida le dernier tiers de sa bière au niveau du cou de l’inspectrice, sachant pertinemment que le liquide ruissellerait sous ses vêtements. Le barman déglutit et fixa ses yeux, défiant la jeune femme et tout ce qu’elle représentait. Un sourire perfide se dessina sur son visage l’espace de quelques instants avant que celui-ci ne disparaisse progressivement.

«Je dépasse les bornes…Je pousse les gens à bout…Je joue avec vous moi aussi et je suis le meilleur à ça…Voilà ce qu’il y a en dessous et au dessus...Un mec qui pose problème à l’ordre établi. Arrêtez de me déverser votre moralité…Calvin Douglas n’a pas de pitié et n’en aura pas avec vos fesses sucrées...»

«Pas mal miss Gower…»

Calvin venait de se prendre une belle pêche venue de nulle part. Finalement, elle n’avait pas été trop lobotomisée par sa formation de flic frigide et pathétique à souhait. Etrangement, c’était plutôt un bon point qu’il lui accordait. Il réalisa alors qu’il y avait encore un peu de tempérament sous cette couche ennuyeuse de faux semblant. Le barman se frotta le museau, après avoir encaissé la douleur, avec un sourire témoignant sa satisfaction sur le coin des lèvres. Elle avait craqué. Quelques secondes après, il réveilla le moteur de son pick-up et le replaça sur la route, tout en écoutant les menaces futiles de la brune. La clope jetée, il récupéra un chewing-gum dans sa poche.

«Oh oui, confisquez mon véhicule ! Allez y, faites vous plaisir ! Je me ferai plaisir d’aller le récupérer en allant voir les forces de l’ordre ‘bien aimées’…pourquoi pas en me tournant vers votre ‘pote’ Declan ! vous savez ce cowboy qui a eu son étoile soit dans une pochette surprise soit en baisant madame Ferguson !...Je dis ça parce qu’il est incapable de résoudre par lui-même une affaire plus compliquée qu’une dispute de cour d’école et que je ne sais rien de sa vie privée… alors la théorie la plus probable à son sujet, c’est qu’il a surement laissé ses couilles dans le porte monnaie ou la ferme de madame le maire et qu’il entretient une relation interdite…Enfin ça c’est un autre débat…»

Evidemment, maintenant qu’il était chaud comme la braise, Calvin n’avait pas besoin de forcer pour balancer sur quelqu’un. Mais, dans cette affaire, Declan n’était qu’un dommage collatéral. Le Tubery Bridge passé depuis quelques kilomètres, le véhicule s’approchait de Grayson qui se trouvait à quelques kilomètres droit devant désormais. Cependant, il comptait profiter du peu de temps qu’il lui restait avec miss Gower pour lui montrer qu’il pouvait se révéler plus gênant qu’elle le pensait…

«…Je pourrais dire que j’ai été frappé avant que mon véhicule ait été réquisitionné par un représentant de la loi qui a perdu son calme et son putain de professionnalisme…Et tout ça pourquoi ? Parce qu’elle est tombée en panne ! Et oui, vous avez tout faux…Je n’ai rien à perdre et même si ça ne mène à rien…étant donné que c’est la parole d’un ‘petit bouseux’ contre celle d’une inspectrice…votre carrière n’a pas besoin de ça, huh ? La vérité est de mon côté n’est ce pas ? »

Il mastiquait son chewing-gum à un rythme effréné et énervant. Son sourire sournois ne faisait que prendre davantage d’importance sur son visage et le Calvin Show se terminait lentement mais surement. A partir de maintenant, il comptait lui pourrir la vie par pur plaisir..

«Mais, je ne le ferai pas…parce que à part tout ça, je vous aime bien quand même Miss Gower…vous m’amusez…Et vous savez quoi ? j’ai une autre théorie, ou plutôt une prophétie à votre sujet. Quand vous vous sentirez mal au milieu de ces serpents de Grayson qui cachent leur jeu, c’est vers le type le plus honnête que vous vous tournerez pour avoir un peu de réconfort…Pourquoi ? parce que vous savez à quoi vous en tenir avec lui…Je ne dis pas que vous me supplierez de vous passer aussi salement que possible dessus mais vos yeux de chien battu le feront pour vous... J’en ai presque un orgasme à l’avance, j’en aurai un sur le moment et j’en aurai un après quand je vous verrai adopter la marche du crabe..»

En scrutant l’horizon à travers le pare brise, les premières bâtisses de Grayson se distinguaient de mieux en mieux. Cela semblait être la fin d’une discussion pour le moins animée. Teintée d’allusions lubriques, les remarques de Calvin n’avaient en rien choqué l’inspectrice. Au contraire, celle-ci se marrait et se la jouait inaccessible. Même si elle prenait plaisir à lui faire comprendre que tout cela faisait partie du domaine de l’impossible, le barman ne perdait en rien de sa verve. Son sourire narquois, si détestable, restait figé sur le coin de ses lèvres.

«Oh c’est pas un problème si le prix à payer pour entacher votre carrière correspond au simple prix du rétroviseur de votre poubelle…»

Le barman jeta un coup d’œil discret et indécent pour se délecter de la réaction de Dakota, toujours en mâchouillant fièrement son chewing-gum. Il était assurément un de ces aimants à emmerdes. Mais, tout cela n’était qu’un commencement, Calvin ne voyait rien à court terme à vrai dire.

«Vous me prenez pour un bouseux ? Vous voulez me faire passer pour un outsider à côté de votre blondinet ? Je n’ai qu’une chose à vous dire. Allez le voir, ce n’est pas ça qui me fera fermer ma gueule. La seule chose qui me fait réagir c’est que…j’en ai marre de ces gens qui viennent de la ville et qui posent leurs lois et pour moi vous êtes complices vu ce que je sais... Je ne suis en aucun cas jaloux de ce type. Peut être qu’il chevauche toujours la blonde que j’ai aperçue l’autre jour mais si c’est pas le cas, vous avez tout à gagner. Enfin, je l’espère pour vous…Parce que quand vous verrez qu’il joue avec vous lui aussi et qu’il est aussi déprimant que vous…votre petite voix constatera que le seul qui vous fait réellement mouiller est le bouseux…»

Une fois le panneau de la commune passée, Calvin élança son pick up dans la rue principale avec une idée en tête pour clore la fin du calvaire de l’inspectrice. Histoire qu’elle réalise bien qu’il était un emmerdeur hors norme, le barman usa de son klaxon à plusieurs reprises pour faire remarquer son arrivée. Que pourraient penser les gens en voyant l’inspectrice de Gower se faire ramener par le vilain barman de Grayson ? Calvin s’interrogea quelques secondes sur la question, s’amusant déjà des réponses que les villageois allaient lui fournir.

Il s’arrêta pile en face du commissariat, appuyant sur son klaxon une énième fois. Toujours aussi souriant, il se rangea sur le côté et immobilisa son véhicule. Puis, Calvin lui tendit son majeur avec énergie pendant quelques instants…

«Voilà...le centre ville. Je serais ravi de vous aider si une autre mésaventure vous arrivait. Maintenant, tirez vous, vous empestez la bière. Saluez mon petit oiseau, c’est un cadeau que vous pouvez vous carrer là où je pense avec votre rétroviseur, et les constats que vous ne savez pas faire, ainsi que tous mes autres compliments. Faîtes attention à ce que ça ne déborde pas parce que ça fait beaucoup quand même…»

Le provocateur la fixa pendant quelques secondes et cessa de s’intéresser à elle en se recoiffant devant le petit miroir que l’on trouve derrière le pare soleil accroché au plafond. Oh il n’espérait pas l’avoir déjà brisée…