Les battements de son cœur se régularisaient toujours avec difficulté et les jambes d’Aahron étaient encore cotonneuses, comme s’il venait de courir le marathon. Ses mains tremblaient aussi, il en était parfaitement conscient mais c’était le cadet de ses soucis. Et en parlant de cadet…

« Comment ça il n’était pas là à votre arrivée, Sam ? » aboya l’ainé des frères, son regard clair devenu coléreux, presque accusateur

Son jeune frère ne prit pas la peine de se répéter, les choses étaient limpides : Aidan manquait à l’appel. Aahron échangea un rapide regard inquiet avec Isaac qui ne semblait plus vouloir lâcher la main de sa fiancée, visiblement inquiète. Le plus vieux les observa tour à tour et termina par tourner la tête vers Charlie Doyle, la caissière de l’épicerie qui se tenait dans leur salon aux côtés de son petit ami. La brune semblait affreusement mal à l’aise et ne savait pas vraisemblablement pas quoi faire de ses mains qu’elle croisaient tantôt, fourraient dans les poches de son pantalon ou de sa veste à d’autres moments.

Le silence s’étira encore quelques longues secondes durant lesquelles Aahron se joua les pires scénarios… Et si tout ceci n’avait été qu’une diversion ? Si pendant qu’ils étaient occupés à maitriser l’incendie et à se rendre utile, quelqu’un était venu chercher Aidan chez eux ? Ca n’aurait pas été la première fois que quelque chose se produisait ici alors qu’ils étaient au parc, sagement installés devant un film. Et si cette fois les choses avaient été plus loin que le simple acte de vandalisme ? Pourtant, il ne voyait pas qui se serait chargée de cette tâche. Nathaniel avait été là, Declan et William aussi, Clyde et Lucy, la quasi-totalité des habitants étaient sur place au moment où l’incendie s’était déclaré. Le seul qu’il n’avait pas vu…c’était Logan.
Logan qui avait frappé Aidan le matin-même et était celui qui avait saccagé leur maison un mois plus tôt. Aahron ignorait ce qu’il avait pu faire pour que le garagiste leur en veuille autant (surtout qu’Isaac assurait être en bon terme avec lui) mais une chose était certaine : il avait une sacré dent contre eux.

Alors qu’Aahron allait formuler ses craintes à voix haute et venait de prendre la décision de partir à sa recherche, quitte à retourner toute la ville, un bruit attira leur attention à tous. La porte de la buanderie qui donnait sur le jardin venait de se refermer. Les trois frères s’entreregardèrent et le plus âgé quitta le hall où ils se tenaient tous pour se diriger vers la cuisine. Au moment où ils s’y engouffraient tous, la petite porte blanche menant au réduit s’ouvrit doucement, laissant apparaitre la silhouette familière d’Aidan.
Aahron laissa échapper un soupir soulagé et roula des yeux. Son cœur allait enfin pouvoir retrouver un rythme régulier à présent que tous les membres de sa famille était réunis et en un seul morceau. Mais du soulagement, il passa très vite à la colère. Ses yeux clair fusillèrent le plus jeune du regard tandis qu’il s’était figé dans l’embrasure de la porte, une main sur la poignée, l’air coupable.

« Où est-ce que tu étais ? » le questionna sèchement Aahron
« Je… »
« On s’est fait un sang d’encre ! »
« Mais je… »
« Tu as une petite idée de la peur que tu viens de me faire ? »
« Aahron, j’peux… »
« Tu es au courant de ce qui se passe dehors ? » s’emporta l’ouvrier en désignant vaguement un point dans son dos de son pouce
« Oui, je sais mais… »

Cette fois, Aahron avait laissé l’occasion à Aidan de terminer sa phrase, mais ce dernier la laissa en suspend, son regard perdu passant de l’un à l’autre des membres de sa famille.

« Mais QUOI ? »
« Qu’est-ce que…qu’est-ce que tu m’reproche au juste ? » demanda prudemment le petit blond, refermant la porte derrière lui en s’avançant dans la pièce
« Ce que j’te reproche ? » répéta-t-il d’un ton sarcastique « Qu’est-ce que tu fichais dehors ? Tu as dis que tu ne voulais pas sortir ce soir et quand on revient ici, tu es introuvable ! Avoue qu’il y a quelque chose de louche ! »
« De louche ? » répondit simplement Aidan, les sourcils froncés « Je suis sorti pour vous retrouver, c’est tout. On m’a dit que vous étiez rentrés alors je suis revenu ici aussi vite que possible »

Aahron ne trouva rien à répondre à cela. Pourtant, quelque chose lui disait que son frère mentait. Son regard était fuyant, son visage empourpré et pour un garçon qui était revenu aussi vite que possible, il ne paraissait pas essoufflé le moins du monde…
Sans compter qu’il était passé par derrière.

« Sortie pour nous retrouver hein ? »
« Oui »
« Et tu es rentré par derrière parce que…? »

Aidan sembla pris au dépourvu et son regard balaya à nouveau l’assemblé, comme s’il espérait qu’un de ses frères lui souffle la bonne réponse à la question d’Aahron.

« Je…eh bien… en fait… »
« Tu mens ! »
« Non ! Je mens pas ! » s’agaça le petit blond, ses joues se rosissant encore un peu
« Qu’est-ce que tu faisais dehors, Aidan !? »
« Arrête de m’crier dessus ! » cria simplement l’intéressé, le regard accusateur
« JE CRIERAI SI J'VEUX !! » renchérit Aahron en esquissant quelques pas coléreux vers lui, le visage rougit par sa colère

Charlie avait observé le spectacle du brasier aux côtés de Sam qui l’avait entrainée plus loin dès les premières flammes. Tout s’était passé très rapidement, et pourtant, tout lui avait semblé terriblement long à la fois. L’angoisse et la pression étiraient les secondes, ce qui donnait tout le loisir à l’imagination d’échafauder un bon million de scénarios catastrophes tous plus horribles les uns que les autres.
Souvent, lorsqu’on entendait parler de drame affreux, dans le journal, ou autour de soi, il arrivait que l’on se projette à la place des protagonistes de l’histoire. ‘Si j’avais été ce type, j’me serai pas laissé faire !’ Ou ‘si j’avais été là je suis certaine que j’aurai réagit’.
Puis venait le jour où l’on était réellement témoin de quelque chose, et où l’on restait cloué sur place. Et le temps de pleinement réaliser ce qui était entrain d’arriver, tout était fini, et parfois même, il était trop tard.
Heureusement, d’autres qu’elle avaient joués aux héros. Le Maire pour commencer, ce qui était compréhensible puisque c’était son fils prit au piège dans les flammes. Puis il y en avait eut d’autre, comme Aahron.
Sur le chemin du retour vers la maison des Donnelly, Charlie, collée à Sam, avait pourtant gardés ses yeux noisette braqués sur l’aîné de la famille. Elle avait songé au cran qu’il fallait pour se jeter tête baissée dans un brasier effrayant et terriblement dangereux. C’était presque de l’admiration, voir de l’envie que la jeune caissière avait ressentit en observant l’aîné de la fraterie.
Evidemment, elle était loin d’être physiquement capable de braver les flammes où de faire basculer un abri de jardin comme ils l’avaient fait, mais tout de même, elle aurait aimé en avoir le cran. Ne serait-ce que pour prouver à ses stupides voisins quel genre de fille elle était vraiment dans le fond. Seulement elle s’était contentée d’observer sans bouger, ébahie, et puis tout avait explosé et maintenant c’était terminé.

Enfin, c’était ce qu’elle avait cru du moins pendant un petit moment jusqu’à ce qu’ils arrivent chez les frères et qu’un nouveau stress ne viennent s’ajouter à cette horrible soirée. Là aussi, la jeune caissière avait eut quelques secondes pour s’imaginer quantité de scénarios affreux concernant l’absence d’Aidan. En quelques instants elle avait réussit à ce mettre en tête que tous ça était un signe, un grand signe du destin pour leur annoncer quelque chose de totalement affreux, pour leur révéler un grand secret terrible et sanglant sur elle ne savait pas trop quoi. L’anniversaire de Sam, le feu, maintenant c’était Aidan qui était introuvable, tout ça avait forcément une signification macabre qui allait leur bondir au visage d’un moment à l’autre. Elle l’imaginait déjà pendu et mutilé dans un placard, victime d’un malade pervers qui se cachait encore quelque part dans le grenier.
Puis toute son histoire était heureusement tombée à l’eau lorsque la petite tête blonde d’Aidan avait passé la porte arrière.
Ses sourcils soucieux et sombres s’étaient immédiatement décrispés et si elle n’avait pas encore été si tendue, elle aurait certainement souri. Seulement d’autres ici n’avaient pas envie de sourire…

Aahron avait entamé le dialogue avec une agressivité totalement inutile, et du coup, il avait sapé toutes ses chances de communiqué normalement avec son petit frère dès le départ. S’il avait été inquiet pour Aidan, c’était une bien rude manière de le montrer. Aahron semblait avoir l’affection brutale, ou alors il avait été conçu sans le mode d’emploi sur les relations humaines. Le manque d’empathie, c’était bel et bien une maladie de mec. Et ici ils étaient en majorité…

Ce fut seulement à ce moment précis que Charlie réalisa qu’elle n’était peut-être pas la seule femme ici, puisqu’il y avait Allie, mais qu’elle était la seule étrangère au clan. Elle venait de plonger tête la première dans leur petit monde. Un petit monde en permanente crise, qui en subissait une encore plus grosse juste devant son nez.
Et réaliser ça lui donnait un recule désagréable, mais intéressant. Elle avait enfin pouvoir un peu mieux comprendre Sam et Aidan, et tous les autres par la même occasion.
Et la première impression était mauvaise… Voilà une famille qui partait complètement en cacahuète.
De l’incompréhension, de la suspicion, de la frustration, des non-dits. Et des cris.
Charlie avait toujours regretté d’être enfant unique. Elle avait toujours eut Colleen, mais ça n’était pas la même chose. Toutes ces disputes avec sa grand-mère lui avaient toujours donné envie d’avoir quelqu’un d’autre avec elle, ‘dans son camp’. Maintenant elle réalisait qu’être frère ça ne signifiait pas toujours que l’on se trouvait dans le même camp. Ca n’apportait pas toujours le soutien dont on n’avait besoin.
Alors même si Charlie ne connaissait ni Allie, ni Isaac, ni Aahron, et pas beaucoup plus à propos de Sam, elle connaissait Aidan. Pas depuis longtemps, pas par cœur, mais assez pour se sentir proche. Et elle savait qu’il devait se sentir terriblement mal d’être ainsi, tout seul, sur le banc des accusés.

Elle décida de rompre les mauvaises énergies de la pièce en changeant de place. Aidan se trouvait tout seul de son côté, eux tous de l’autres, ça ne pouvait qu’accentuer l’impression d’être montré du doigt. Elle ne se sentit pas très à l’aise d’être la seule en mouvement dans cet endroit inconnu, au cœur d’une querelle de famille où elle n’avait pas vraiment son mot à dire, mais elle le fit tout de même. Charlie traversa la pièce sans un regard pour personne à part Aidan, et elle se plaça à ses côtés pour venir mettre une main amicale dans son dos.

« Je suis certaine que ton frère s’inquiète pour rien » articula-t-elle avec calme – et en haïssant tous les regards braqués sur elle -

Elle rougit légèrement, remit une mèche brune derrière son oreille et croisa les bras.

« C’est vrai… Je ne vois pas pourquoi le shérif serait un problème. C’est normal de sortir jeter un œil lorsqu’il y a un incendie… non ? Moi je serai sortie si j’avais été chez moi » argumenta charlie en s’imaginant fondre et pénétrer dans le sol.

Aidan avait du mal à détacher son regard chargé de reconnaissance de Charlie. Il s’était attendu à ce qu’un de ses frères interviennent, à ce qu’Allie intervienne peut-être, mais pas sa nouvelle amie. En règle générale, les personnes extérieures se faisaient toutes petites lorsqu’une dispute éclatait au sein de leur famille et qu’ils en étaient témoins. Ils finissaient par se fondre dans le décor avant de s’éclipser subtilement.
Mais Charlie venait de s’imposer pour le défendre, pire, elle venait de s’opposer ! Elle tenait tête à Aahron et le faisait passer pour un gros benêt. Du moins, à en croire la façon dont les joues de leur ainé s’empourpraient présentement, il devait se sentir comme un gros idiot que l’on reprend.
Et la remarque précédente de la brune lui revint en tête.

« Ton frère s’inquiète pour rien »

C’était tellement évident et malgré cela, Aidan avait tout de suite pensée à la théorie du complot, que son frère le détestait et ne pensait qu’à l’enfoncer un peu plus chaque jour pour lui faire payer il ne savait quel crime horrible. Mais la raison de sa colère mal dirigée était toute autre : Aahron s’était inquiété.
Pourtant, il l’avait clairement énoncé dès son entrée dans la maison en lui disant qu’il s’était fait un sang d’encre. Au lieu d’hausser le temps, le jeune homme aurait dû calmer ses appréhensions, tenter de le rassurer et répondre avec calme. Mais il était un Donnelly. Les Donnelly avaient tendance à surenchérir, faisaient un concours pour savoir qui crierait le plus fort et en viendrait le premier aux mains. Et qui remporterait la bataille surtout...
Alors il s’était mis à hurler aussi et les choses étaient en train de dégénérer, comme toujours.

Et en clignement de paupières, Samuel à son tour était à ses côtés. Si la situation n’avait pas été ce qu’elle était, il se serait certainement laissé aller à sourire. Mais il ne pouvait pas se le permettre et ça n’aurait fait que relancer les remarques d’Aahron. Ce dernier gardait les mâchoires crispées et son regard était braqué avec rancœur sur Charlie.

« T'es allé t'envoyer en l'air, c'est ça ? »

La remarque de Sam le prit de court et ses sourcils se froncèrent le temps qu’il comprenne que son frère tentait simplement de détendre l’atmosphère.

« Bon peut-être que…que j’ai…que j’ai paniqué » bafouilla finalement Aidan en s’adressant à Isaac « J’ai rien à cacher ! Je suis sorti parce que j’ai entendu des bruits et j’ai vu les flammes et alors j’suis allé jusque là-bas mais je vous ai pas trouvé d’abord. Je…je suis resté caché pour que personne me voit parce que… Bah tu l’as dis, à cause de ce que j’ai dis ce matin » marmonna-t-il, le regard bas

Il se sentait réellement coupable. Mais pas à cause des évènements qu’il racontait. A cause de ce qu’il ne racontait pas justement.

« J’voulais pas qu’ils me voient sur place et qu’ils me disent quelque chose. J’pouvais pas m’empêcher de les imaginer… c’est débile, vous allez rire » soupira-t-il « J’pouvais pas m’empêcher de les imaginer hurler un truc genre : il est là ! Et que tout le monde se mette à me poursuivre comme si c’était ma faute… Et puis après j’ai vu Aahron sur le chemin » enchaina rapidement le petit blond en désignant son frère sans oser jeter un coup d’œil dans sa direction « Alors je t’ai suivi jusqu’à la maison mais j’suis passé par derrière pour pas que les gens me voient et alors…et alors c’est pour ça que je suis arrivé par derrière… Vous voyez ? »

Et c’était vrai. Il avait suivi son frère de loin et était passé par derrière puisque la porte donnant sur la buanderie était la plus proche. Mais il se garda bien d’ajouter qu’il aurait préféré qu’ils ne réalisent pas son absence.

Si elle voulait rester encore un peu ? La question était mal formulée, un peu trop vague. Si Sam lui avait demandé si elle désirait rester avec lui, alors la réponse aurait été un oui franc. Bien entendu qu’elle voulait rester avec lui, c’était son anniversaire, et après un incident pareil, elle n’avait franchement pas envie de rester seule avec sa vieille grand-mère chez elle. Charlie se connaissait, ça lui avait foutu un coup de pression toute cette histoire d’incendie, et une fois seule chez elle elle allait se mettre à gamberger et à flipper comme une idiote. Sam était le remède idéal à ce genre de problème. Et elle n’aurait pas non plus été contre le fait de passer plus de temps avec Aidan. Elle l’avait soutenu devant les autres, au péril de son courage qui en avait prit un coup, mais elle était curieuse de discuter seule a seule avec lui, pour savoir ce qu’il pensait de tout ça. Elle-même avait des choses à dire après avoir assisté à ce petit épisode familial des plus désagréables.
Sauf que justement, ça avait été trop désagréable comme première impression. C’était la toute première fois qu’elle se retrouvait seule avec cette famille, et elle avait droit à une dispute un peu glauque après un incendie et une explosion…

Elle avait encore bien du mal à cerner Aahron, et il lui paraissait butté et emporté mais elle avait aussi été impressionnée par sa bravoure. Du côté d’Isaac, l’impression avait clairement été mauvaise. Pourtant il était le petit ami d’Allie. Charlie l’avait rencontré il y a un petit moment et l’impression avait été excellente de son côté. Il était docteur aussi, ce qui ne pouvait pas faire de lui quelqu’un de mauvais. Seulement elle avait bien du mal à se sentir la bienvenue pour le moment.
Alors le tout n’était pas de savoir si elle désirait rester. En vérité ça dépendait surtout d’eux.

Cela dit, a côté de toutes ces méditations intenses, il y avait aussi la glousseuse amoureuse en elle, qui gloussait justement, parce que Sam semblait mal à l’aise et que c’était terriblement mignon à voir. Et puis elle se sentait flattée qu’il l’a rattrape pour lui demander de rester.
Non bon il n’avait pas exactement dit qu’il voulait qu’elle reste, mais c’était sous jacent, à coup sûr.

La jeune femme lança donc un regard empli de doute vers la cuisine où tout le reste de la bande se trouvait encore, puis haussa une épaule.

« J’sais pas trop… ça à pas vraiment l’air d’être le bon moment. » sourit-elle pour donner le change.

Cela dit, ça ne répondait pas à la question, alors la jeune femme fit disparaitre son sourire et se rapprocha de Sam en quelques pas vifs et silencieux.

« Tes frères ont l’air… d’avoir envie d’être tranquilles » souffla-t-elle un ton plus bas en lançant un nouveau regard en biais vers la cuisine « J’veux pas vous dérangez dans… vos affaires »

« Moi j’en dis que j’ai mon mot à dire parce que c’est aussi ma chambre et que j’trouve que mes yeux sont très beaux ! J’veux pas devoir les arracher » intervint Aidan en se postant dans le dos de son frère

Se dernier se raidit, affichant certainement un air blasé à souhait. Il ne bougea pas d’un poil pendant quelques instants et finit par pousser un soupir et lui adresser un regard morne, les mains toujours posées sur les hanches de Charlie.
Aidan soutint son regard sans ciller. Il laissa un sourire forcé apparaitre sur son visage émacié par son manque récent d’appétit et finit par reprendre la parole d’un ton faussement offensé.

« Non mais c’est vrai, tout le monde fait ses plans et personne se soucie de ce que je peux en penser ! J’ai pas envie de devoir m’enfermer dans l’cagibi pendant que vous vous envoyez en l’air et j’ai pas envie non plus que tu t’en ailles Charlie » ajouta-t-il en s’adressant directement à l’intéressée

Si voir partir Isaac ce soir ne l’aurait pas dérangé, la perspective de voir la jeune caissière rentrer chez elle ne l’enchantait vraiment pas. Au fond, il n’était pas tant surpris que ça qu’elle ait pris sa défense devant tout le monde. D’abord parce qu’elle ne connaissait pas encore ses frères et ne mesurait pas encore le danger auquel elle s’exposait, et ensuite parce que c’était Charlie, tout simplement. Elle était comme ça et c’était pour ça qu’il appréciait et recherchait sa compagnie. Entière, franche et juste. Elle allait au bout des choses et n’hésitait pas à taper du poing sur la table quant elle était témoin d’une injustice ou que les choses devenaient un peu trop drama pour elle… Et en ce moment chez les Donnelly, ils étaient en plein soap opéra ! Malheureusement pour lui, il semblait être devenu le personnage clé du scénario ultra mauvais qui avait été écrit pour eux.

Alors que la jeune femme paraissait hésiter, faisant passer son regard chocolat de Samuel à lui, Aidan se lança à nouveau, en oubliant pas de prendre sa moue la plus misérable.

« Merci pour c’que tu as fais… c’était très courageux de tenir tête à Aahron pour moi… Surtout dans une cuisine pleine de couteaux… » il ne put empêcher un sourire de percer ses lèvres, mais le fit rapidement disparaitre, arborant un air un peu plus sérieux « Allez reste un peu, ce sera cool ! J’t’en dois une et c’est l’anniversaire de Sammy ! Ça lui ferait très plaisir que tu restes aussi parce qu’il est complètement amoureux, j’le vois ! Tu sais qu’il chante sous la douche depuis quelques temps ? » ajouta le jeune homme sur le ton de la confession, faisant passer un bras autour des épaules de son ainé « Du Britney Spears ! C’est un signe qui ne trompe pas ! »

A vrai dire, Aidan l’avait très rapidement convaincue de rester, ne serait-ce que quelques minutes pour être polie, elle verrait bien selon l’ambiance. Cela dit, elle choisi de les laisser débattre encore un tout petit peu juste pour le plaisir, parce qu’ils étaient mignons tous les deux.
Samuel et Aidan n’étaient déjà pas les garçons les plus murs pour leurs âges respectifs, mais lorsqu’ils étaient ensemble c’était pire encore. Ca l’était surtout pour Sam en vérité parce qu’Aidan était toujours un rien puéril, ça faisait partie de son charme. Par contre, lorsqu’elle et Sam étaient seuls tous les deux, il aimait bien jouer les durs à cuire trop mystérieux avec ses blousons de motards cools, et elle trouvait ça à croquer bien entendu. Puis son cadet débarquait et en un clin d’œil, « Sam le motard » avait disparu et ils perdaient quelques années aussi bien l’un que l’autre. Même après une discussion désagréable et dérangeante, ils trouvaient le moyen de se chamailler. Ca n’était pas pour rien qu’ils étaient les préférés de Charlie dans cette famille.

Puis elle avait bien fait de les laisser débattre encore un petit peu parce qu’elle aimait bien entendre Aidan charrier son frère sur leur couple. Même si imaginer Sam chanter du Britney Spears avait quelque chose d’un peu ridicule, le plus jeune en avait tout de même profité pour placer que Sam était amoureux d’elle, et c’était toujours bon à entendre. Surtout après la discussion qu’elle avait eut avec son petit ami un peu plus tôt dans la soirée avant que tout ne se mette à brûler. Il lui avait parlé d’avenir et de ce genre de chose, et la petite blague d’Aidan venait faire écho à cette discussion. Sa remarque venait surtout flatter ses petits fantasmes de fillette amoureuse, mais elle préférait l’autre manière de formuler tout ça…

Bref, en quelques répliques plus légères, les deux frères avaient réussis à lui enlever un peu de son malaise. S’ils la retenaient avec autant d’insistance, il était inutile de continuer à se sentir de trop. Ca restait certainement le cas pour les deux autres Donnelly, mais puisqu’il s’agissait d’un moment passé dans la chambre alors pourquoi pas ?
Bon, passer la soirée dans la chambre de son petit ami n’était pas exactement ce qu’elle avait planifié pour ce soir, loin de là. Puis elle avait l’impression d’avoir 17 ans aussi, avec la permission de minuit et l’excuse des devoirs. Ils auraient été bien mieux chez elle, mais elle n’osait pas lance l’idée. Apparemment, dés qu’Aidan mettait le nez dehors, il était accusé d’un drame quelconque, alors mieux valait rester là. Surtout si, comme il le disait, les habitants du village se mettaient en tête qu’il était responsable de ce qui était arrivé ce soir. Elle se voyait mal échapper à une horde de villageois en colère juste pour bénéficier du confort de son sofa.

« Arrêtez de vous moquez de Britney. Moi je l’aimais bien quand j’étais plus jeune avant qu’elle ne devienne une trainée. C’est une victime du système, ok ? Alors un peu de respect » lança Charlie en faisant mine de les réprimander.

Puis elle adoucit ses traits d’un sourire et enfonça ses deux mains dans ses poches.

« Bon, je suppose que je peux prolonger d’une demi-heure si vous êtes sûres que ça dérange pas… les autres » termina Charlie en lançant un regard vers la cuisine où se trouvaient encore Allie et les deux frères « montre-moi le chemin » ajouta la jeune caissière en se tournant vers Aidan.

Celui-ci ne se le fit pas dire deux fois et il ouvrit le cortège. Charlie et Sam lui emboitèrent le pas et le suivirent jusque dans les escaliers qui menaient au premier étage de la vieille bâtisse. On pouvait voir ça et là que quelques travaux récents de rénovations avaient été faits. Ca rendait la maison un peu moins flippante, ça n’était pas plus mal.

Détachant son regard chocolat de la nouvelle peinture des murs, Charlie se pencha discrètement vers le grand blond qui grimpait les marches un peu en retrait par rapport à elle.

« Quand je mets les voiles, t’as cas me raccompagner jusque chez moi » lui dit-elle d’un sourire entendu.

Elle n’oubliait pas que c’était son anniversaire bien sûr, et même si elle acceptait de passer la soirée ici en compagnie des deux frères, rien n’empêchait Sam de rentrer avec elle et de prolonger la fête.