Coup bas. Immonde salopard.
Il était malin cet enfoiré. Très malin. Trop, tellement qu’il en était absolument détestable.
S’il elle n’avait pas été dans le cadre de son boulot, Dakota aurait eut mille et une réponse dans son sac pour essayer de lui rendre la pareille. Pour essayer de le descendre plus bas de terre, là où il essayait de la mettre. Ou peut-être qu’elle lui aurait tout simplement brisé la nuque d’avoir osé évoquer son petit garçon.
Pitié, faites que Nathaniel Redd ne se reproduise jamais. Avec un père tel que celui-là, on ne pouvait devenir que terroriste ou pédophile. Ou les deux. Le sang des Redd était définitivement vicié.

« C’est très aimable de votre part de vous montrer aussi coopératif Nathaniel. Mais très franchement, ça n’est pas pour cette raison que vous avez été convoqué. Vous êtes ici car vous étiez responsable des feux d’artifice le soir du 04 juillet, et que ce détail fait donc de vous un potentiel coupable et un responsable partiel de ce qui s’est passé, quoi qu’il en soit. L’embêtant dans cette affaire, c’est le mobile voyez vous ? Visiblement, le jeune Joshua a été tout spécialement visé. Pourtant c’est un adolescent sans histoire, du moins il me semble. Alors pourquoi tenter de le faire rôtir ? » questionna-t-elle comme si elle pensait tout haut « Pour atteindre son père peut-être ? Ca pourrait être plausible mais pour ça il faut trouver qui lui en veut aussi cruellement. Vous entretenez quel genre de relation avec le Maire ? Dans sa déposition il affirme que vous et lui avez parlez le soir de l’incendie. J’aimerai savoir de quoi. »

Et beh bien sûr, les étrangers. Fasciste. Répondre honnêtement qu’il disait. Comme si tourner autour du pot en faisant des ronds de jambes était considéré comme de l’honnêteté.

« Donc si je comprends bien, vous insinuez que ce sont les Donnelly » intervint abruptement Sallander en les interrompant un peu dans leurs histoires de Luckies Redd « Enfin… Aidan Donnelly dans ce cas-ci »

Il voulait être honnête, alors qu’il y aille à fond.

« Si vous avez de réels et sérieux soupçons concernant cette famille Nathaniel, il est de votre devoir de citoyen de nous les rapporter, j’espère que vous en êtes conscient. Nous dissimuler des informations et des preuves éventuelles pourraient vous apporter de très gros ennuis. Qu’est ce qui vous fait croire que le jeune Aidan pourrait être responsable de l’incendie ? Car après tout, c’est vous qu’ils accusent du meurtre de leurs parents… pas Monsieur le Maire. Alors quel intérêt d’essayer de faire brûler son fils je vous l’demande !? » s’exclama-t-elle d’un petit air éberlué et innocent.

Dakota se retrouvait désormais partagée entre deux voix bien distinctes qui polémiquaient à l’intérieur de son cerveau. D’un côté, la réticence qu’elle éprouvait à l’égard de Nathaniel continuait de sentir quelque chose de louche, quelque chose de malsain aussi. D’un autre côté, ce dernier argument concernant l’état physique de Logan Redd était troublant.
Nathaniel était-il entrain d’inventer pour mieux plaider sa cause contre les Donnelly. Après tout, il n’avait pas l’air aussi virulent que ça…
Était-elle entrain de se laisser avoir, ou entrain d’y voir plus clair.
Quoi qu’il en soit, elle continuait d’être hantée par le sentiment que quelque chose lui échappait pour pouvoir pleinement appréhender toute cette situation, frustrée de ne pas arriver à mettre le doigt dessus aussi.

Elle plissa ses yeux en deux fentes scrutatrices qu’elle plongea dans ceux de Nathaniel. Il lui rendit son regard avec franchise. Toujours trop de franchise.
Rien à faire, elle n’arrivait pas à trouver la petite lueur honnête dont elle avait besoin pour vraiment lui faire confiance. Ca se tenait, pourtant elle continuait de se sentir à côté de la plaque.

« Aahron Donnelly vous dites » lança-t-elle, pensive, avant de griffonner quelques notes sur un coin de feuille « Soyez certain que j’irai l’interroger à ce propos Nathaniel » assura la flic.

Ca voulait dire qu’elle allait faire consciencieusement son boulot sans trop de partis-pris, mais qu’elle avait aussi besoin de preuve avant de gober son histoire parce qu’elle ne lui faisait pas confiance.

« Bien. Je pense qu’on en a terminé. Qu’en pensez-vous Shérif ? » questionna Dakota sans quitter des yeux le garagiste.

Dakota avait silencieusement observé le garagiste quitter la pièce accompagné par Declan. Après avoir échangé un bref regard avec Grifith, elle avait perdu son regard dans le vide, méditative, faisant compulsivement cliqueter son Bic.
Porte ouverte, une voix grave vint pourtant la tirer de ses pensées. Une voix qui lui était très vaguement familière. Quand on parlait du loup…
Son regard se plissa d’intérêt tandis qu’elle se redressait félinement pour atteindre l’embrasure de la porte où elle vint se poster, juste à temps pour intervenir avant que qui que ce soit ne le fasse.

« Aahron Donnelly ? Inspecteur Dakota Sallander. Nous nous sommes déjà parlé au téléphone » se présenta-t-elle avec neutralité.

Effectivement, elle avait déjà eu affaire à lui, le jour où elle avait du lui annoncer le décès de ses parents… Ca n’était pas ce qu’il y avait de plus propice à la confiance, mais elle devrait faire avec.

« Est-ce que je pourrai m’entretenir avec vous en privé Monsieur Donnelly ? » dit-elle à l’aîné en lui désignant la petite salle du pouce « Ca ne sera l’histoire que d’une minute, rassurez-vous » argumenta la policière.

Le rassurer, c’est bel et bien ce qu’elle voulait faire, même s’il y avait d’autres motivations qui venaient poindre là-dessous. Cela dit, elle n’attendit pas sa réponse. Elle considérait qu’il n’avait pas trop le choix de toute manière. La brune s’était contenté de se retourner vers Grifith et de lui faire signe de sortir d’un geste sec de la tête.
Une fois cela fait, elle fit signe au plus âgé des frères de la suivre et, l’air méfiant, il s’exécuta. Elle referma la porte et garda sa main sur la clenche tandis qu’elle lui faisait face, l’autre main se campant sur sa hanche.

« Pardonnez-moi ma franchise Monsieur Donnelly, mais affirmer devant votre frère que des représentants de l’ordre pourraient comploter et modifier sa déposition officielle, c’est me mettre des bâtons dans les roues et m’empêche de faire mon travail. Vous instaurez une aura de méfiance, et je n’ai vraiment pas besoin de ça dans ce village. Je suis certaine que vous voyez de quoi je veux parler » puis dans un froncement de sourcils « Pourquoi se méfier du Shérif ? »

Pour l’instant, il avait juste l’air un peu paranoïaque, cela dit, elle avait apprit que dans son boulot, la moindre information pouvait se révéler utile et qu’il ne fallait jamais, jamais rien négliger. Surtout pas ses instincts personnels…

Au moins maintenant, elle était plus consciente du genre d’état d’esprit dans le quel se trouvaient les frères Donnelly… C’était une information utile, mais c’était également une information chiante. A plusieurs reprise, lors du petit discours d’Aahron, elle avait été prise d’un soudaine envie de lui retourner une claque magistrale avant de lui balancer quelque chose comme « Mais reprend-toi mon p’tit ! ». Il avait l’air d’un adolescent en pleine crise. En même temps, elle pouvait parfaitement comprendre la peur irraisonnée qui pouvait s’emparer d’une personne lorsque le bien de sa famille était en jeu, c’est pourquoi elle choisi de se maîtriser et de répondre le plus calmement possible.

« Ecoutez Aahron » débuta-t-elle en espérant que l’appeler par son prénom lui rappel qu’elle n’était pas son ennemie « La question n’est pas de savoir si vous pouvez me faire confiance, la question est de savoir si MOI, je peux vous faire confiance, et c’est la seule vraie question qui importe pour le moment. Parce que c’est MOI qui mène cette enquête, pas le shérif, moi ! Et je n’ai pas à vous prouver quoi que ce soit parce que vous avez eu la bonne idée de vous ramener ici pour jouer au justicier ! Si votre frère n’a réellement rien à se reprocher concernant l’incendie du 4 juillet, alors vous serez autorisé à rentrer chez vous sans problème comme tout le monde, c’est aussi simple que ça. Comprenez-moi bien, à titre personnel, je me fiche que vous soyez là ou pas, mais à titre professionnel, il est hors de question que je vous fasse la moindre faveur. Il m’est impossible d’afficher la moindre préférence pour qui que ce soit, parce que mon travail me l’interdit et croyez-moi, c’est pour votre bien à vous aussi. Donc lorsque je rouvrirai cette porte, vous irez vous assoir bien gentiment sur le banc, dans la salle d’attente, et votre frère me rejoindra ici pour répondre à quelques questions supplémentaires. Fin de la discussion » trancha-t-elle sans équivoque.

Elle fronça les sourcils et plissa les yeux pour les plonger dans ceux de son vis-à-vis.

« Qu’est-ce qu’il a votre frère ? » questionna-t-elle d’un ton où perçait maintenant une moins grande rigueur que précédemment.

Aahron avait précisé que son frère était ‘fragile’, et le coup d’œil qu’elle avait lancé au cadet de la fratrie le confirmait. Elle l’avait trouvé pâle et cerné et préférait connaître les conditions de santé du garçon avant de le faire rentrer.

Dakota leva les yeux au ciel, et tiqua avec agacement.
Elle prenait en compte les conditions de santé du gamin, et elle le faisait avec grand sérieux d’ailleurs, mais les pseudos menaces de son aîné faisaient tomber la conversation dans le mélo dramatique. Pas vraiment son genre.

« Il ne va rien arriver à votre petit frère Aahron, rassurez-vous » maugréa-t-elle d’un air terne.

Cela dit, elle avait tout de même prit la peine d’ajouter à son ton une touche à la fois rassurante et dédramatisante. A l’entendre, derrière chaque coin de rue se cachait une menace. Entre méfiance et paranoïa, il n’y avait qu’un pas, et les Donnelly semblaient le franchir de temps en temps.
D’un autre côté, elle ne doutait malheureusement pas que certaines de leurs peurs soient fondées.
Sauf que si Aahron avait peur que l’on s’en prenne à sa famille, il avait une bien étrange façon de le montrer.

« Oh et, tant que je vous tiens, vous voulez entendre les derniers potins ? … Evidemment que vous voulez les entendre » confirma Dakota sans laisser le choix à son interlocuteur « Nathaniel Redd m’a avoué il y a quelques minutes que son cousin lui aurait confié avoir été… comment vous avez dit tout à l’heure ? Ah oui ‘molesté’ par vos soins. Il m’a demandé de ne pas le répéter, mais comme vous êtes déjà au courant… » conclut-elle en plissant les yeux pour observer attentivement ses réactions.

Qu’est-ce qu’il voulait qu’elle réponde à ça hm ?
Est-ce qu’elle avait eut l’air de le blâmer pour quoi que ce soit ? Est-ce qu’elle avait eut l’air de plaindre Logan Redd et tous ses gros bobos ? Non !
Cet Aahron avait décidemment de gros soucis de confiance.
D’un autre côté ça ne voulait pas dire qu’elle excusait son comportement. C’était sacrément débile et dangereux. Chaque fois qu’une altercation avait lieue entre les Donnelly et les Redd, c’était un petit peu plus violent, un petit peu plus grave. Ils en étaient au passage à tabac de Logan, qui sait ce qui se passerait ensuite ? Un mort ?
Bon Dieu, il y en avait déjà eut assez comme ça non ? Jeune crétin arrogant et irréfléchi.

« Mouais ! » grinça-t-elle en affichant clairement un regard mi réprobateur, mi moralisateur « Hors de ma vue »

Elle avait eut envie d’ajouter un ‘sale gosse’ à la fin de sa phrase, mais se retint de justesse. Le gros égo de son interlocuteur l’aurait sans doute mal vécut.
Cela dit, il n’y avait rien d’agressif dans son comportement. Elle ne voulait pas lui donner tous les crédits, mais elle ne voulait surtout pas s’en faire un ennemi. Qui sait ce que l’avenir leur réservait ?

L’inspectrice ouvrit la porte et lui fit signe de sortir d’un mouvement de tête bref.

« Merci de votre patience, Messieurs » enchaina-t-elle à l’adresse des trois autres qui attendaient toujours dans le couloir « Aidan, tu peux rentrer »

Elle leva un bras vers lui pour l’inciter à la suivre tandis que Declan et Grifith réintégraient également la salle d’interrogatoire.

Dakota rencontrait Aidan pour la première fois depuis que le nom des Donnelly avait surgit il y a de cela bien des mois à la mort de ses parents. Et à vrai dire elle ne s’était pas vraiment imaginé le garçon de cette manière.
D’ailleurs elle n’avait pas vraiment prit le temps de se l’imaginer à proprement parler. Pourtant avec les ragots qui circulaient à leur propos, tous les accrochages avec les Redd et cette histoire de bagarre puis d’incendie le même jour, elle avait eut tendance à se projeter le visage d’un garçon agressif. Le genre d’adolescent dont la révolte se lisait sur le visage.
Elle ne s’était par contre pas figuré qu’elle aurait en réalité affaire à un jeune homme aux traits enfantin et à l’allure fragile. Et elle sentait bien que cette bouille d’ange un peu boudeur venait faire vibrer la maman qui était en elle. La flic qu’elle était réussissait pourtant à éloigner cette envie de pouponner subite pour rester le plus objective possible.

Et même en toute objectivité, il lui paraissait difficilement concevable que ce garçon-là ait fomenté tout un attentat à lui tout seul et fait explosé le cabanon où se trouvait Joshua, au risque de blessé, voir tuer un bon nombre de personne. A moins que ce visage d’ange ne cache en réalité un vrai petit démon sanguinaire…
Elle ne pouvait se résoudre à avoir de tel doute, il avait l’air trop naïf et trop impulsif pour préparer un coup aussi vicieux.
En même temps, une petite voix aux accents cyniques lui soufflait que l’habit ne faisait au grand jamais le moine malheureusement, et qu’il lui était souvent arrivé de se tromper auparavant.

« Tu dis que Nathaniel savait où se trouvait ton frère et sa fiancée. Dans quel hôtel se trouvaient-ils exactement ? Qu’est-qui ta fais peur ? » l’interrogea Dakota d’une voix calme tout en cherchant la déposition du frère et de la belle-soeur en question dans son dossier pour y jeter un coup d'oeil rapide.

‘hop, hop, hop mon mignon, pas si vite’
C’est ce qu’elle lui aurait répondu si l’insigne qui brillait à sa ceinture ne lui avait pas rappeler que le professionnalisme était de mise, même si l’adolescent qui se trouvait devant elle lui donnait envie de materner et de laisser couler.
Elle avait également envie de lui répondre ‘oui mon chou, rentre chez-toi et va dormir maintenant’, mais en même temps, elle n’allait certainement pas passer à côté d’une occasion pareil d’en savoir un peu plus sur les Donnelly.

« J’ai encore quelques petites questions » répliqua-t-elle donc avec un léger sourire « ça ne sera plus très long ne t’inquiète pas »

Elle se racla la gorge et entrelaça ses doigts.

« J’ai cru comprendre que tu as obtenu un job d’été à la ferme Ferguson. Comment ça se passe là-bas ? Tu t’entends bien avec Monsieur le Maire ? Tu croise parfois ses jumeaux ? »