Les lèvres de Nathaniel se pincèrent davantage sous le coup de l’agacement, si c’était évidemment possible. Il fut incapable de retenir l’exclamation dédaigneuse qui sommeillait depuis un moment dans le fond de sa gorge nouée. Il n’avait jamais réellement porté monsieur le vénéré et respectable maire de Grayson, mais là, c’était le bouquet. A chacune des élections organisées par leur communauté, la même question revenait tourner dans sa tête : que pouvaient-ils trouver à ce trou du cul ?
La réponse lui apparaissait bien sûr rapidement et l’écœurait toujours autant.
C’était à cause de son air mystérieux et de la façon qu’il avait de plonger son regard dans celui-ci de ses voisins en leur demandant comment ils allaient avec tant de conviction. Il prenait cet air mièvre ridicule et plissait ses yeux d’un air faussement intéressé avant de les écouter déblatérer pendant des heures. C’était une grande chose molle mais qui inspirait la confiance. Le shérif aussi.
C’était uniquement parce qu’il savait faire semblant d’être intéressé par les conneries de leurs ingrats de voisins qu’ils occupaient des postes si important dans leur village et qu’il se trouvait à errer dans son garage.
De nos jours, les sourires et les marques de politesses ne menaient plus nulle part. Les gens heureux et trop souriant passaient pour des fous, des manipulateurs dangereux, des calculateurs. Oh bien sûr, il était un peu tout cela, mais bon dieu, ça lui donnait tout de même l’impression que ce monde partait en couille.

Et c’était d’autant plus vrai depuis qu’il venait de voir William Ferguson s’entretenir durant d’interminables minutes avec l’ennemi.
Nom de code : Aahron Trouduc’ numéro 1.
Situation familiale : entouré de parasites aussi chiants et increvables que lui.
Profession : emmerdeur de première.
Comme à son habitude, William avait arboré son air compatissant durant toute leur conversation, avalant quelques gorgées de sa boisson au moment où il le fallait, en prenant toujours la peine d’agiter sa grosse tête de débile congénital juste après.
Leur échange venait de prendre fin et le maire avait tendue sa main libre vers l’ainé de la fratrie Donnelly avec gravité, pour la lui serrer longuement en lui présentant ses condoléance une fois encore, si Nathaniel avait correctement lu sur ses lèvres. Et il était certain de l’avoir fait.

Aahron s’éloignait maintenant pour rejoindre les rangées de sièges occupées puisque le film venait de commencer. Le garagiste observa son maire qui, pour sa part, suivait du regard son ancien interlocuteur. Finalement, il se détourna et s’approcha du stand des boissons pour y jeter son gobelet et adresser quelques mots à Lucy. Nath était persuadé que, tout comme lui, elle n’avait rien manqué du petit manège de ce cher Will. Sauf qu’elle ne ferait aucune remarque.
Sa femme ne faisait jamais aucune remarque. Elle gardait tout pour elle et c’était à lui de l’écouter pester le soir venu.
Nathaniel se détourna de la scène et se mit en tête de rassembler les ballons inutilisés qui lui restaient encore. La soirée avait été plutôt calme pour lui. Quelques enfants s’étaient présenté à son stand et il les avait gratifiés de son plus beau sourire et leur avait chaque fois offert une de ses créations. Les petits avaient été ravi mais leurs parents avaient affichés ce sourire crispé et plein d’appréhension, ne le quittant pas des yeux une seconde. La faute du sourire encore une fois.

Alors qu’il refermait soigneusement le sachet qui serait utilisé lors de la prochaine projection, il sentit une présence dans son dos. Il se retourna immédiatement pour faire face à William, en personne. Son visage demeura impassible et il soutint son regard avec neutralité. Plus de sourire pour ce soir. Il n’était pas non plus Lucy et ne fermerait pas sa gueule.

« Vous venez me faire la leçon ? » demanda-t-il le plus naturellement du monde, croisant les bras sur sa poitrine d’un air impérieux « Parce que si c’est le cas, j’aime autant vous dire que j’ai tout un stock d’épées et de fusils mitrailleurs en ballon derrière moi, William, et que je n’hésiterai pas à m’en servir »

Comme il l’avait prévu, les frères Donnelly étaient de la partie ce soir. Ils étaient tous venu assister à la séance de cinéma pleine air et ce, malgré la flagrante réticence des habitants face à eux.
Ce détail seul suffisait à prouver au jeune maire de Grayson qu’ils n’étaient pas venu là sous le coup d’une colère aussi soudaine que passagère, et que l’aversion des gens d’ici n’avaient en rien affecté leur décision.
Ils voulaient en savoir plus, ils voulaient connaître la vérité sur la mort de leur parent et même si ils n’avaient encore fait que peu de manœuvres, et pour la plus part, très peu discrètes, ils semblaient déterminés, et patients.
Au fond, c’était tout ce-dont William avait besoin de savoir. Pourtant, ils n’en étaient pas restés là. Il voulait agir le plus rapidement possible, tant qu’il avait encore le courage d’assumer ses récentes résolutions…
De lui-même, il était allé vers celui qu’il savait être l’aîné de la bande.
Aahron Donnelly.
Il lui avait courtoisement souhaité la bienvenue en ville, s’était excusé de ne pas l’avoir fait plus tôt, avait prétexté un surplus de travail à la ferme en guise d’excuse, puis avait engagé la conversation le plus naturellement possible.
Contrairement à ce qu’il avait pensé, le jeune homme n’avait pas été des plus démonstratif, mais il était resté maître de lui et a aucun moment William n’avait sentit la moindre agressivité. Ce qui contrastait majestueusement avec la description caricatural dont l’avait gratifié Nathaniel lorsqu’il lui avait mit la main dessus un peu plus tôt dans la semaine et qu’il lui avait son entrevue avec les frères au garage. Entrevue des plus houleuses et qui, même si il connaissait Nathaniel et sa tendance à l’exagération, n’avait pas mit le maire en confiance.

Pourtant son premier contacte avec les Donnelly avait été tout autre. Evidemment, il avait sentit Aahron sur la défensive. Il avait sentit cette attention incisive chez le jeune homme. Comme si celui-ci décortiquait la moindre de ses phrases, cherchait le moindre indices dans une éventuelle allusion de sa part, comme il scrutait son visage à la recherche de la moindre expression pouvant lui mettre la puce à l’oreille. Il s’était parfois sentit mal à l’aise, pourtant, en même temps, il avait apprécié cette acharnement maîtrisé et voilé.
Aahron était un garçon ferme, entier, il lui avait semblé décisionnel, parfois sur de lui, parfois réservé. A vrai dire, il y a 10 ans de cela, William était un jeune homme très similaire. Avec cette décennie en plus, il s’était assagit, il avait calmé son emportement. Il n’avait guère eu le choix de toute façon.

Même si aucun des deux hommes n’avaient abordés le moindre sujet délicats, William était certain que l’un et l’autre avaient eu le même but durant cette discussion aux accents d’une banalité légère. Ils s’étaient testés. Ils étaient venu vers l’autre pour faire passer le même message : « Je ne suis pas hostile, je veux simplement des réponses. Je veux savoir qui vous êtes »
Le message, il l’espérait en tout cas, était pour l’un comme pour l’autre arrivé à destination. C’était un petit pas, mais un petit pas qui déterminait tous ceux à venir, et qui l’auréolait de positivisme.

De toute façon, et même s’il l’avait voulu, Aahron n’aurait pas été en mesure d’aborder le sujet de la mort de ses parents de manière direct. De ça non plus ils n’en avaient pas parlé, mais l’un et l’autre savaient que toute leur discussion avait été épiée par tout Grayson.
Difficile de les raté alors qu’ils se tenaient en plein milieux du parc, une bière à la main, lui le maire, l’autre, le gêneur. L’aîné de ces fameux frères venu chercher les problèmes dans leur petite bourgade si tranquille.
Tous les habitants qui se trouvaient dans le périmètre avaient donc passé leur temps à les épiés du coin de l’œil et à leur jeter des regards sucpicieux.
A commencer par ce très cher Nathaniel, quelques mètres plus loin, près de son stand de ballons.
S’il y en avait bien un dont il fallait se méfier, c’était celui-là.

William s’était longtemps interrogé sur ce curieux ressentiment si exacerbé que Nathaniel entretenait envers les quatre frères. Pourquoi Redd semblait-il les haïr à ce point ? Après tout, ils étaient bel et bien responsable de la mort de leur parents, ils n’étaient pas accusés à tord.
Les on-dit n’avaient jamais semblé gêner le garagiste plus que ça.
Il ne restait donc que la peur. La peur d’être mit à découvert, la peur que tout cela s’arrête, que leur quotidien soit ainsi, du jour au lendemain, changé pour toujours.
Ca n’était pas un secret pour le Maire : Nathaniel aimait cette situation, elle l’amusait. Il n’avait jamais rechigné à leurs obligations. Pas une seule fois.
Et en cela, il était pire encore que son père, feu Jonathan Redd. L’une des pires ordures qu’ait abritée Grayson. C’était un homme violent, brutale, limité sans aucune once de pitié, et sans grande intelligence. Un rustre qui aurait mieux faire d’arpenter plus longtemps les bancs de l’école au lieu d’atrophier son esprit. Personne ne l’avait pleuré lorsqu’il était mort.
Personne sauf peut-être son rustre de frère, Patrick. Le cadet avait toujours été le plus malin, et de loin, puisque ce n’était pas difficile avec une personne comme Jonathan, pourtant il n’en était pas plus reluisant. Il était juste un peu plus réfléchit, avait le coup moins prompte, et le regard plus vicieux.
Et malgré tout ça, malgré le caractère diamétralement opposé du second fils de Jonathan, celui-ci semblait pourtant plus dangereux.
Nathaniel était quelqu’un d’intelligent, d’aiguisé, c’était cela, et son insensibilité à toute moralité combiné, qui le rendait plus effrayant.

Lorsqu’Aahron s’était enfin éloigné, William s’était tourné vers le garagiste.
C’était justement parce qu’il était si dangereux, qu’il fallait qu’il aille vers lui immédiatement. Il ne devait pas agir comme quelqu’un qui avait quelque chose à se reprocher, comme quelqu’un qui fuyait. Il devait le confronter dès à présent, pour effacer le moindre éventuel soupçon.

Une fois à ses côtés, le maire gratifia Nathaniel d’un sourire. Il était dangereux, mais on pouvait lui laisser cet humour bien à lui.

« Seigneur, Nathaniel, même si vous aviez de vraies mitrailleuses, je serai incapable d’avoir peur… du moins, pas si vous portez ce genre de… et bien de ‘couvre chef’… je vois que votre rôle de clown vous convient. Vous êtes assurément plus doué que ce brave Monsieur Turtletub. Il avait fait pleurer ma fille il y a quelques années… » répliqua-t-il, arborant une mine pensive « Oh et, croyez moi lorsque je vous dit que je prie chaque jour pour que ce genre d’arme n’arrive jamais vraiment dans vos mains » ajouta le maire sur un ton badin

Faisant d’abord mine de ne pas prêter attention aux sous-entendus de son interlocuteur, Nathaniel dirigea son regard vers le sommet de son propre crâne. Il pouvait y apercevoir un morceau de ballon d’un rouge vif.
Au début de la soirée en effet, il s’était concocté une courante très saillante qu’il avait déposée sur sa tête pour attirer l’attention des enfants et mieux les attirer à lui. Ça avait fonctionné chaque coup et plusieurs enfants lui avaient demandé de leur en fabriquer une.
Sauf que maintenant, elle n’avait plus l’effet escompté et le faisait simplement paraitre ridicule aux yeux de monsieur le très distingué maire de Grayson.
Se parant de son plus beau sourire, Nathaniel agita un instant sa tête avec une fierté feinte. De toute façon, il ne s’était jamais vraiment soucié de paraitre ridicule. Et puis le rouge l’avait toujours mis en valeur.

« Si vous êtes sage, je vous en offrirai une à votre prochain mandat » assura-t-il en enfonçant un peu mieux sa couronne sur sa tête

Quitte à avoir l’air stupide et à perdre toute crédibilité, autant assumer et aller jusqu’au bout.

« Et par être sage, j’entends bien entendu continuer à assurer la pérennité de notre bien aimée Grayson et à ne rien faire qui pourrait compromettre nos petites affaires... comme par exemple, sympathiser avec l’ennemi. Oh je sais bien ce que vous allez me dire, mon cher, cheeer, William. Vous lui faisiez la conversation uniquement pour mieux percer leurs intentions à jour et vous attirer sa confiance pour mieux l’évincer… et bla, bla, bla » trancha Nathaniel en délaissant son ton narquois pour retrouver son sérieux

Il ne pouvait cependant s’empêcher de penser que sa mine grave devait atrocement jurer avec le coloris de sa couronne ballon et cette image l’amusait intérieurement beaucoup. Bien que le sentiment qui l’habitait présentement était plutôt la colère.

« Ça ne marchera pas. Nous connaissons leurs intentions, nous savons exactement pourquoi ils sont là, mieux vaut ne pas se leurrer. Faire ami-ami avec eux ne les conduira pas à partir et je sais pertinemment que vous le savez. Cet imbécile de Declan le sait aussi » poursuivit-il un ton plus bas « Il faut les chasser. Maintenant. Il n’est plus temps d’essayer de gagner leur confiance, ils ne nous croiront jamais sincères et nous ne ferons que leur laisser davantage de temps pour fouiner comme bon leur semble. D’ailleurs, je compte sur vous et notre bon shérif pour s’assurer qu’aucun d’eux ne tentera de nous fausser compagnie ce soir… »

Cette possibilité l’avait traversé dès l’instant où il avait vu le plus jeune des Dalton s’éloigner vers les arbres un peu plus loin. Et si jamais le roquet de la famille décidait de fouiller un peu ? S’il profitait de l’agitation pour disparaitre et se rendre au garage ?
Nathaniel savait que c’était le premier endroit qu’ils retourneraient pour obtenir des réponses. Son lieu de travail ou son domicile. Parce qu’il était leur suspect numéro un. La bonne blague.

« J’ai déjà perdu la grande chose à l’air blasé de vue. Je crois qu’il s’est fait la malle avec cette chère Charlie Doyle, ils ont discuté une bonne partie de la soirée avant le lancement du film. Je compte sur vous pour avoir une sérieuse conversation avec elle ou sa maboule de grand-mère au plus vite. J’ai l’impression que le phénomène de foire tente de mettre le grappin sur les Donnelly et je ne voudrai pas qu’elle en dise trop et nous mette dans une position délicate. Encore plus délicate qu’aujourd’hui j’entends... Encore que cette petite idiote ne sait pas grand-chose » marmonna Nathaniel pour lui-même, avant de reprendre « Si vous pouviez la convaincre de partir avec eux, ce ne serait pas une grande perte remarquez… Tant qu’ils partent… »

William plissa les yeux tandis qu’il observait Nathaniel lui faire son petit discours. Il ne manquait pas de culot, ça n’était plus à prouver depuis longtemps. Pourtant, il arrivait encore à le surprendre par sa suffisance indigeste.

Le Maire afficha un petit sourire qui mêlait de l’incrédulité et un amusement aigre. Il secoua la tête et poussa un long soupir.

« Excusez-moi de vous demander ça Nathaniel mais… vous vous prenez pour qui exactement ? »

Il laissa passer quelques secondes à peine, et lorsque le garagiste ouvrit la bouche pour répondre, il le prit de cours, et l’interrompit pour reprendre.

« Qu’on soit bien clair, Redd, votre suffisance n’a d’égale que votre orgueil, et je commence à en avoir assez de vos… ‘conseils’. Vous n’avez pas votre mot à dire, bien que vous sembliez croire le contraire. Je suis le Maire de Grayson et je ferai les choses à ma manière, qu’elle vous plaise ou pas. Et le Shérif Spelling fera les choses comme il l’entend, car, et bien… désolé de vous l’apprendre, mais c’est lui le shérif,… pas vous. Vous, vous êtes le garagiste. Si vous avez le moindre problème avec notre façon de procéder et bien… pourquoi ne pas postuler lors des prochaines élections ?! Nous verrons bien où vont les suffrages » sourit-il, empruntant un ton dur, tout en restant le plus discret possible pour ne pas faire d’esclandre en public « En attendant, j’aimerai que vous gardiez vos opinions pour vous-même car elles ne m’intéressent absolument pas. »

Le Maire lança un bref regard alentour, pour s’assurer qu’aucune oreille indiscrète ne traine à proximité. Puis, s’approchant encore un peu plus près de son interlocuteur, il baissa d’un ton et planta ses yeux clairs dans ceux de Nathaniel.

« Si jamais vous faites le moindre mouvement sans m’avoir consulté moi, ou le shérif au préalable, sachez que les frères Donnelly ne seront plus votre seul soucis. Et si les Donnelly pénètrent par effraction dans l’une des maisons du village, ils auront à qui répondre. Mais ça ne sera pas vous Nathaniel. Les choses se feront à ma manière et à ma manière seulement. Je déciderai de ce qui est bon à faire en temps voulu. En attendant, si vous manquez de respect envers Declan un fois de plus en ma présence, je vous promets que vous le regretterez amèrement. Et pour finir… » sourit le Maire pour donner le change aux yeux qu’il savait rivés sur eux « Je crois que les fréquentations de Charlie Doyle ne nous regardent en rien et si j’entends que vous – ou votre cousin - rodez un peu trop autour d’elle, ou des Donnelly, vous aurez de mes nouvelles… Souvenez-vous Redd, que votre couronne n’est qu’un stupide ballon…»

Il se recula enfin à nouveau et enfonça une main dans la poche de son jean.

« Des commentaires ? »

Nathaniel ne quitta pas son interlocuteur du regard une seule seconde tandis qu’il déblatérait, lui postillonnant une fois en plein visage. A la dernière remarque de l’homme, le garagiste (qui n’était que ça d’après le discours moralisateur de son interlocuteur) leva son bras pour essuyer sa joue d’un revers de sa manche.
Un sourire sournois s’étala sur son visage pâle, ses yeux s’éclairant d’une inquiétante lueur espiègle qui n’annonçait jamais rien de bon de sa part. Il se contenta d’afficher cet air ouvertement moqueur durant quelques longues secondes, avant d’enfin prendre la parole.

« Comme vous parlez bien, monsieur le maire. Dommage que vos électeurs ne soient pas là pour vous entendre. Je suis certain qu’ils auraient tous adoré vous voir me remettre à ma place et me faire ravaler mon égo et ma couronne en une seule réplique ô combien percutante » minauda le trentenaire avec une grandiloquence inappropriée

Après tout, il venait effectivement d’être la malheureuse victime d’un lynchage en bonne et due forme. William venait de le remettre à sa place tout sauf subtilement, sans prendre de gants. Le gentil maire travailleur, bon père de famille et ami fidèle qu’il se gaussait d’être venait de s’effacer pour laisser place à un être au moins aussi froid et cassant que lui-même savait l’être et personne d’autre que lui n’en avait été témoin. C’était sans doute pour cette raison que tout son babillage ne faisait ni chaud ni froid à Nathaniel d’ailleurs.
Tout son beau discours sur les responsabilités qui lui incombaient et cette merveilleuse notion qu’était le respect n’était que du vent. Une putain de brise à peine rafraichissante.
Aucun d’eux n’était dupe. Le badge de Declan ne valait pas plus que sa salopette de garagiste. Ce n’étaient que des déguisements qu’ils endossaient tous les jours. Mais ils étaient tous égaux. Tous égaux mais inférieur à lui.
William le savait. Nathaniel le savait. Et c’était bien suffisant pour que les propos acerbe de son interlocuteur n’atteignent pas le gérant du garage.

« Malheureusement, votre hypocrisie et ma couronne ballon sont vos seuls auditeurs ce soir » poursuivit-il dans un soupir blasé « Si vous ne voulez pas suivre mes conseils, c’est tout à votre désavantage mais soit ! A votre guise. Cependant, je détesterai avoir à vous claquer la porte en plein visage le jour où vous viendrez pleurnicher sur le pas de ma porte, comme vous et Declan en avez l’habitude lorsqu’arrive le moment de se salir les mains. Malgré tout vos efforts mon cher, sachez qu’à un moment ou un autre, vos nouveau petits amis se retourneront contre vous. Ils ne sont pas prêts à laisser tomber leur stupide quête de vérité et tôt ou tard, ils finiront par trouver quelque chose… » ajouta Nathaniel entre ses dents « Ce jour-là, les poignées de mains ne seront plus de rigueur mon cher et vous vous souviendrez de cette conversation et réaliserez à quel point vous avez eu tort. Je ne commettrai pas la même erreur que vous et vos menaces ne m’arrêterons pas, monsieur le maire » lâcha-t-il avec tout le dédain dont il était capable « Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour protéger cette ville, comme je l’ai toujours fait et comme mes ancêtres et les vôtres l’ont fait avant nous. Je ne reculerai devant rien… si je dois aller remonter une nouvelle voiture de cette foutue rivière pour me débarrasser d’eux et nous éviter de courir à notre perte, je le ferai, soyez-en sûr… »

Nathaniel souligna sa dernière remarque d’un regard brillant de menace. Il le fit rapidement disparaitre et laissa un sourire apparaitre sur ses traits.

« Maire, shérif ou garagiste, si l’un d’entre nous tombe, Willy, nous tombons tous... et Grayson aussi. Souvenez-vous-en »

Et sans plus de cérémonie, délaissant son matériel sur place, Nathaniel se détourna. Sa couronne fièrement enfoncée sur son crâne, un sourire malveillant aux lèvres, il s’éloigna en direction de Jefferson Street.

Fulminant intérieurement sans que cela ne se voie sur son visage habituellement impassible, William observa Nathaniel s’éloigner un long moment. Ses doigts crispés sur la bouteille de bière qu’il tenait toujours, il maudissait le garagiste et son air supérieur.

C’était évident maintenant, d’ailleurs il n’en avait jamais douté, Nathaniel allait être un réel problème. Il allait être le bâton dans ses roues, et c’était inacceptable.
Jusqu’au bout, William avait espérer ne pas avoir à se battre avec les Redd et leur fanatisme, mais ce n’était là qu’un espoir idiot qu’il avait toujours su vain.
Il ne fallait pas qu’il laisse déraper toute cette situation. Il allait falloir qu’il soit fin, et attentif.

Et pour commencer, il ne fallait pas qu’il néglige la communication de ce genre d’information. Il fallait qu’il ait le maximum de personne de son côté. De toute façon, a partir de maintenant, tout était clair. C’était son côté à lui, ou celui de Nathaniel.
Ils avaient une chance de se sortir de tout ça, une chance d’y mettre fin, et il espérait bien réduire le nombre de victimes à son minimum.
Malheureusement, toute cette situation était un horrible jeu des chaises musicales… des victimes, il risquait d’y en avoir. C’était ce qui l’effrayait le plus.

Et pour éviter que ses peurs ne se concrétisent, il fallait qu’il en parle à Declan. Ensemble, ils seraient bien plus efficients pour surveiller le garagiste de plus près.

Le Maire balaya la foule du regard et repéra bien vite le shérif qui s’éloignait du stand des boissons.
A grand pas, il s’approcha de lui. Une fois à sa hauteur, il posa une main sur son coude et lui fit face.

« Shérif, pourrais-je vous voir une minute, s’il vous plait ? »

Il avait dit cela d’un ton naturel, il avait préféré faire passer l’urgence dans son regard. Lui et Declan se connaissaient depuis toujours, il savait que le shérif capterait qu’il y avait un problème.
Une fois que celui-ci eut acquiescé, les deux hommes s’éloignèrent d’une bonne dizaine de mètres pour se faire face à nouveau.

« Je ne vais pas passer par quatre chemins, Declan, la situation avec les Donnelly risque de déborder d’ici peu. J’ai discuté avec l’aîné de la bande ce soir, ça ne vous a sûrement pas échappé. Ca n’a pas échappé non plus à Nathaniel. Je pense qu’on en arrive à un point ou le contenir va devenir très difficile » souffla William le plus discrètement possible « Il les veut hors de la ville pour hier, sauf que les Donnelly ne sont pas vraiment décidé à partir. Il m’a clairement fait comprendre que si la manière douce ne fonctionnerait pas, il passerait à la vitesse supérieure… »

Lui aussi voulait y passer, sauf que Nathaniel et lui n’avaient pas la même notion de la chose, et ne se dirigeaient de plus, pas du tout dans la même direction.
Le Maire espérait simplement que Declan le soutienne.

L’avantage avec Declan, c’est que même si, comme Nathaniel l’avait dit, au fond, ils ne portaient tous qu’un simple déguisement, un déguisement de garagiste, de Maire, de Shérif, il avait tout de même toujours prit ça avec le plus grand des sérieux. Tout comme lui.

Et il avait terriblement raison en ce qui concernait la famille Redd. D’aussi loin qu’il se souvienne, ils avaient toujours été les plus extrême. Jonathan et Patrick, de leur temps, comme leur père avant eux, s’étaient toujours chargés de la pire besogne. Et leurs fils avaient repris le flambeau dignement. Cela leur donnait l’impression d’avoir leur mot à dire sur tout et n’importe quoi. Et au fond, ils étaient tous responsable de cette situation. Les habitants, ceux qui étaient au courant de tout, se plaignaient beaucoup des Redd mais trouvait cela bien arrangeant de les laisser se salir les mains une fois le moment crucial venu.
La dernière fois, avec les parents Donnelly, c’était de nouveau ce qui s’était passé.

« En ce qui concerne le cousin, je n’en sais rien » grimaça le Maire, pensif.

La preuve, ils faisaient référence à lui en tant que « cousin de Nathaniel ». Et a part ça, et le fait qu’il travaillait lui aussi au garage mais passait plus de temps au drgustore, ils n’en savaient pas plus. Il ne donnait jamais son avis, faisait acte de présence sans jamais prendre vraiment part aux discussions. Il restait en retrait, et on n’entendait jamais que Nathaniel.
Il était toujours plus présent que son autre cousin, Clyde, cela dit.

« En réalité je ne sais pas trop où le situer. Je crois que c’est même quelque chose à mettre en priorité sur notre liste : Je veux savoir ce qu’il en est et de qui il faut se méfier exactement, que ce soit les Redd ou les autres… d’ailleurs, en parlant de vagabondage, je réalise seulement maintenant que je n’ai pas vu Logan de la soirée » souffla l’aîné en jetant un regard circulaire.

Il se massa la tempe quelques secondes, son cerveau tournant à plein régime. Oui, il fallait quelque chose pour détourner l’attention des Donnelly, mais surtout, il fallait qu’ils apprennent à mieux les connaître.
William se donnait l’impression de transformer Grayson en grand poker géant. Ils allaient de coup de bluffe en mises risquées. Mais il fallait qu’il sache maintenant, qui allait se coucher, et qui allait déposer ses cartes sur la table.
Ca, il avait déjà commencé à y réfléchir, et plus que jamais, il savait désormais qu’il avait eu raison. Les signes étaient là.
Et si il voulait continuer de mener la partie, il devait avoir plus d’un allier.
Il avait confiance en Declan, et il savait que c’était réciproque. Pourtant même si ils travaillaient dans la même équipe, le Maire n’était pas totalement franc-jeu avec le shérif… ils n’avaient pas exactement le même but. Et peut-être qu’il allait devoir penser à mettre Declan au parfum de ce qu’il comptait vraiment faire… tout doucement.

« … je vais tout dire à David, Declan » annonça-t-il donc, appréhendant la réaction de son interlocuteur « J’y ai extrêmement bien réfléchi avant de prendre cette décision, mais elle est prise désormais et je ne reviendrai pas dessus. J’ai prévu de tout lui dire ce soir même. Le problème avec les Donnelly, c’est qu’il nous faut plus d’information, et qu’il faut les mettre en confiance pour avoir plus d’emprise sur toute cette situation. S’ils sont totalement incontrôlables et qu’on n’essaye pas d’instaurer un dialogue, on court à notre perte. Maintenant, j’ai constaté ce soir dans mon entrevue avec l’aîné, que même s’ils laissent un certain bénéfice du doute, ils n’en restent pas moins incroyablement méfiant. Je pense qu’aussi bien vous que moi, nous n’avons que peu de chance de gagner leur confiance. Il nous faudrait des semaines entières et nous n’avons pas ce luxe. David par contre, c’est différent. C’est un garçon calme, raisonnable et fidèle. Il est observateur. Je pense qu’il est le mieux placé pour leur faire comprendre que nous ne sommes pas hostile et pour nous assurer qu’ils ne le sont pas non plus… je veux savoir si ils veulent une guerre ouverte, ou simplement des réponses »

Il termina son discours en posant ses points sur ses hanches, observant le visage de Declan se dessiner dans la pénombre pour essayer d’y déceler le moindre indices sur ce qu’il pensait de tout cela.

La réaction du shérif était telle que William l’avait supposé. Il avait craint un refus bien entendu, mais au fond, il connaissait assez Declan pour prévoir sa réponse.
Hésitant, un peu sceptique, mais confiant en ses capacités. Il en avait toujours été ainsi et leurs différents étaient à compter sur les doigts d’une seule main.

Il espérait vivement que cette confiance soit assez forte pour la suite des évènements cela dit.
Pour l’instant, Spelling acceptait de l’épauler dans sa manière de faire, mais encore une fois, même si ils étaient clairement du même côté, William ne jouait pas franc-jeu en ce qui concernait son but finale.
Celui-ci n’était pas de chasser les frères, mais bien de s’en faire des alliés.

Il voulait mettre un terme à toute cette histoire, car contrairement aux Redd, il ne voulait pas aveuglément suivre le chemin familial sans se poser de question. Il voulait prendre ses propres décisions. Il voulait faire ses propres choix. Mais il ne fallait pas qu’il oblige les autres à le suivre. Il n’était pas comme eux, et surtout pas comme lui. Celui qui les obligeait à être des monstres.
Ces choix représentaient bien trop de danger pour qu’il entraine qui que ce soit contre leurs volontés.

Et c’était bien cela qui l’inquiétait. Un jour, il le savait, il devrait demander à Declan de choisir son camp. Il devrait lui expliquer son réel but. Sûrement plus tôt qu’il ne le pensait d’ailleurs. William espérait donc qu’une fois de plus, le shérif se fierait à son jugement et serait à ses côtés.

Pourtant tout ça, seul l’avenir le lui dirait, et pour l’instant, il devait s’occuper des problèmes au présent.

Le Maire adressa un sobre sourire à son interlocuteur, poussant un soupir léger.

« Oh les imprévus ne me font pas peur. Pour l’instant, ce que je crains le plus, c’est Alicia. Elle m’avait fait promettre de rester avec elle pendant le film et de ne pas jouer les ‘Monsieur relation publique’. » expliqua-t-il en levant les yeux au ciel «… Je te remercie Declan » ajouta-t-il avant de serrer la main de l’homme avec gratitude et de se détourner pour retourner vers les sièges, non sans sonder la foule de son regard clair et percant.