02. Tell me that I won't feel a thing, give me novocaine [Aahron, Petey & Trisha]

La main sur le volant de l'automobile de son ex-femme, l'autre posée entre eux, Aahron jetait des coups d'oeil intermittent sur la route qui s'étalait devant lui. Il avait espéré que Trisha s'en saisisse mais jusque là, elle était resté obstinément tournée vers la vitre du côté passager. Cela dit, il ne pouvait se résoudre à reposer sa main sur le volant, préférant lui laisser une chance de la prendre dans la sienne. Ce contact la rassurerait, le grand blond en était certain, mais l'avocate n'osait probablement pas.
Le trentenaire fit une fois encore voyager son regard clair et pénétrant vers le rétroviseur pour y observer le visage pâle de Petey, ceinturé à l'arrière. Il avait voulu s'installer à l'avant, sur les genoux de sa mère mais son père n'avait pas mis longtemps à lui faire comprendre que c'était impossible. Son fils s'était donc installé derrière et suçait à présent son pouce en jetant des regards inquiet sur le décor défilant. Aahron ne l'avait plus vue dans cet état depuis ses quatre ans. A croire que les évènements survenus dans la journée l'avait fait régresser. Il ne pouvait pas s'en étonner ceci dit... Entre sa disparition au matin, le pétage de plomb d'Aidan (il ne voyait pas comment appelé ça autrement) et maintenant, l'inquiétude de sa mère, il était normal que le petit soit effrayé. Non, le terme exact à ce stade était certainement terrifié.
Et sa mère n'était pas mieux. Le fait qu'elle peine à donner le change devant son fils le prouvait à lui seul.

Elle lui avait parlé d'un tremblement de terre dans l'épicerie située au bout de leur rue. Samuel et Isaac avaient été jeter un oeil sur place pendant qu'Allie tentait de calmer leurs esprits. Aahron n'avait pas accompagné ses frères, même si l'envie ne lui avait pas manqué. Mais il devait s'occuper de Petey qui était encore bouleversé par son geste et la réaction d'Aidan et Trisha l'avait pratiquement supplié de ne pas la laisser. Il était donc resté près d'elle, l'observant serrer leur fils dans ses bras (qui lui avait fait penser à des serres ainsi refermées sur les épaules frêles de son garçon, comme si elle avait peur qu'il lui échappe) pendant qu'il caressait les cheveux courts de Petey.
De toute façon, il n'aurait jamais laissé les filles seules en présence d'Aidan après ce qu'il venait de faire.

Isaac avait fini par revenir seul, Samuel ayant préféré rester avec Charlie qui, visiblement, avait été ébranlée aussi par le tremblement de terre. Cela dit, son cadet comme lui avait des doutes sur la version des faits du shérif. Comment était-il possible que personne d'autres que les occupants de l'épicerie n'aient senti une secousse d'une telle manitude ? C'était peu crédible...
Mais alors qu'ils commençaient à en débattre, Trisha avait exigé de rentrer, ne souhaitant certainement pas se replonger dans ces terribles souvenirs. Aahron s'était alors immédiatement proposé de la raccompagner jusqu'à son hôtel, ne souhaitant pas la laisser conduire dans cet état. Tout comme Petey, elle s'était facilement laisser convaincre et ils s'étaient mis en route après des au revoir expéditifs. Trisha lui avait vaguement demandé où était Aidan mais aucun d'eux n'avaient vraiment eu le courage de lui répondre... Ils auraient le temps d'aborder le sujet plus tard. Aahron espérait qu'il n'aurait jamais à le faire mais il faudrait qu'il le fasse. Trisha avait droit de savoir pourquoi son fils était dans cet état. Cela dit, jusque là, elle n'avait pas vraiment posé de questions, certainement trop préoccupée par ses propres démons...

Après une trentaine de minutes, ils atteignirent enfin l'hôtel et Aahron pris Petey dans ses bras. Le petit se cramponna à lui et enfouit sa tête dans son cou. Lorsqu'il sentit ses doigts se refermer avec force sur son vêtement, le coeur d'Aahron se pinça.

« Je vais récupérer vos sacs » lança-t-il d'un ton qu'il voulait rassurant « Une douche te fera du bien je pense »

Avant qu'elle ait donné son aval, il ouvrit le coffre et récupéra les sacs qu'elle y avait placé dans l'idée de les vider chez elle, à Cleveland... Trisha l'aida à tout transporter jusqu'à la chambre qu'elle ouvrit pour les laisser rentrer. Aahron se chargea de son fils qui restait silencieux, ce qui ne lui ressemblait pas vraiment.

« Hey, champion, tu veux manger quelque chose ? »

Le petit hocha négativement la tête.

« Allie t'as donné quelque chose tout à l'heure de toute façon » ajouta Aahron dans un sourire sans joie

Petey se contenta de le fixer de ses grands yeux clairs et brillants. Aahron finit par soupirer et l'asseoir sur le lit double au centre de la ridicule petit chambre d'hôtel qu'il partageait avec sa mère.

« Je vais t'apporter ton pyjama »

Il passa son bras dans les cheveux du garçonnet trop calme et retourna auprès de Trisha, toujours prostrée près des valises, dans l'entrée.

« Ca va aller ? » la questionna-t-il, ne cherchant pas à lui masquer son inquiétude

Trisha observait frénétiquement les recoins de leur petite chambre d'hôtel, comme pour s'assurer que tout était en ordre. Ses bras croisés, ses paumes frictionnaient doucement ses bras. Elle se sentait encore ailleurs, coincée dans cette petite épicerie avec les occupants qu'elle avait lâchement laissés sur place sans même dire un mot. Mais elle n'avait pas eu le courage de parler, ni celui de demeurer plus longtemps dans l'épicentre de toutes ses frayeurs. Ses yeux se posèrent sur son ex-mari qui installait Petey sur le lit double. Elle n'avait même pas pu s'occuper comme elle l'aurait dû de son fils, et pourtant elle voyait bien qu'il n'était pas dans son état normal. Cette maudite journée donnait l'impression de ne jamais se terminer...

Le grand blond s'approcha d'elle, sa seule présence la rassurait, mais l'avocate ne pouvait se résoudre à sortir de sa torpeur. Elle savait qu'elle lui avait fichu une sacrée frousse en rentrant terrifiée comme elle l'avait fait, incapable de lâcher son bébé qu'elle avait serré contre elle comme si sa vie en dépendait. Elle lui était reconnaissante de les avoir raccompagnés, car elle n'était pas certaine de pouvoir tenir un volant dans son état. Sa voix la sortit brusquement de ses pensées, et elle sursauta presque avant d'expirer bruyamment pour se donner de la contenance.

« Je sais pas... »

trouva-t-elle seulement à dire, pour être sincère.

« J'ai eu tellement peur là-bas... Après une bonne nuit de sommeil, ça devrait passer. »

ajouta-t-elle en esquissant un sourire peu convainquant.

Elle se risqua à faire quelques pas dans la chambre en direction de son fils, mais s'arrêta au centre de la pièce, ne sachant même pas quoi faire d'elle. Trisha n'avait pas sommeil, rien que l'idée de fermer les yeux lui était insurmontable. Elle savait que si elle demandait à Aahron de rester encore un peu, il le ferait, mais était-ce vraiment juste ? N'avaient-ils pas convenu - à contre coeur - que le mieux serait de mettre plus de distance entre eux ? Peut-être qu'après les récents événements il y avait prescription. La jeune femme avait remarqué sa main posée entre eux dans la voiture, comme un appel à y mettre la sienne, mais elle avait feint de n'avoir rien vu. Elle revînt en arrière, s'accroupissant près des valises pour prendre le pyjama de Petey, puis alla près du lit pour lui enfiler. Ses sourires sonnaient tellement faux, mais il lui fallait donner le change devant le petit garçon, pour ne pas l'effrayer davantage. Il avait eu une sale journée lui aussi. Cela fait, elle l'aida à se glisser sous les couvertures et l'embrassa sur le front.

Se redressant, les mains sur les hanches, elle prit son courage à deux mains avant de retourner près d'Aahron qui l'observait faire. Elle n'arrivait même pas à lever les yeux vers lui, mais se força tout de même.

« ...Merci de nous avoir accompagnés. »

commença-t-elle, ne sachant pas comment lui en demander plus.

« Peut-être qu'il vaut mieux que tu restes un peu...le temps qu'il s'endorme. »

dit-elle en jetant un rapide coup d'oeil par dessus son épaule.

C'était minable de prendre son fils comme un prétexte à ses propres peurs, mais elle n'avait pas le courage de lui avouer qu'il s'agissait surtout d'elle. Tout ce à quoi elle avait pu penser, enfermée dans cette épicerie, c'était qu'elle aurait eu beaucoup moins peur s'il avait été là pour la protéger. Encore maintenant, sa seule envie aurait été qu'il l'entoure de ses bras et qu'ils passent la nuit ainsi, même si cela signifiait ne pas dormir. Mais c'était impossible, autant pour leur santé mentale, que pour toutes les règles qu'elle s'était fixée après le divorce. Elle ne pouvait pas continuer à le faire espérer, puis le repousser tout aussi brusquement. Car demain matin, lorsqu'ils partiraient, elle se devrait d'être Madame Phillips, la femme de David, et non plus l'ex-madame Donnelly, incapable de se résoudre à prendre des distances avec son ex-mari. Elle épargnerait à David les détails de leur aventure à Grayson, jugeant que trop d'entre eux incluaient des tromperies à son égard. Elle avait beau essayer de faire tout ce qu'elle pouvait pour faire ce qu'il fallait, elle semblait mettre les pieds dans le plat à chaque fois. Petey devrait tenir sa langue lui aussi, mais elle n'avait jamais réussi à le faire taire lorsqu'il s'agissait d'elle et Aahron.
Ses yeux étaient rivés sur ceux du blond, n'ayant toujours pas accepté. Il l'avait probablement démasqué et mesurait les risques qu'impliquaient sa requête. Qu'allait-elle faire s'il la laissait seule ici avec la nuit qui approchait à grands pas ? ...

Aahron n’était pas certain qu’une bonne nuit de sommeil soit la solution miracle aux problèmes de son ex-femme ou même de Petey. Le gamin surveillait le moindre mouvement de ses parents, comme s’ils craignaient qu’ils ne l’abandonnent subitement. Appuyé au mur, le plus âgé des Donnelly observa l’avocate changer leur fils qui se laissait faire. Une fois encore, il fut frappé par l’expression grave et inquiète de son visage habituellement si jovial. Comme Aidan… A cause d’Aidan.
Les poings de l’homme se serrèrent tandis qu’il repensait à la scène qui s’était jouée dans le salon de leur maison de location quelques heures plus tôt à peine. Il tourna et retourna quelques phrases dans sa tête pour tenter d’expliquer tout cela à Trisha mais abandonna une fois encore ses projets.

Une fois Petey en pyjama et glissé sous ses draps, son ex-femme revint vers lui, la mine basse. Elle avait encore une petite voix, aussi tremblante que ses mains pouvaient l’être. Il maudissait Grayson… à moins que ce soit le village qui les ait tous maudits. Ses parents qui avaient perdus la vie, Aidan qui devenait tout bonnement dingue, Trisha qui était victime d’un tremblement de terre pour le moins étrange et même Petey qui imaginait des choses.
S’il s’écoutait, Aahron mettrait le feu au village dans perdre une seconde. Mais pour ce soir, il devait oublier sa colère, ses frustrations et son impuissance insupportable pour soutenir sa Trish et son petit garçon. Tous deux dépendaient de lui, plus que jamais.

« Que je reste ? » répéta-t-il en laissant un petit sourie confiant apparaitre sur ses lèvres « J’te rappelle qu’on est venu avec ta voiture. J’aime l’exercice mais je n’vais sûrement pas retourner jusque là-bas à pieds. Isaac viendra me chercher demain matin, on en a parlé pendant qu’Allie préparait votre sac de provisions » ajouta l’ouvrier en retrouvant son sérieux

« Papa ? »

Aahron posa sa main sur l’épaule de Trisha avant de la dépasser sans lui adresser un regard, puis se rapprocha du lit sur lequel Petey s’était redressé. Il s’installa à ses côtés en lui adressant un sourire, s’adossant au montant du lit deux places. Le gamin se colla immédiatement à lui et son père passa un bras protecteur autour de ses épaules, son regard posé sur lui jusqu’à ce qu’il ferme enfin les yeux. Il releva alors la tête vers Trisha qui semblait épuisée, absente.
A voix basse, il prit la parole en tenant toujours le corps chaud de Petey contre lui, caressant affectueusement ses cheveux dorés.

« Tu te souviens quand il a eu la varicelle ? Il refusait que je quitte sa chambre ne serait-ce que pour aller aux toilettes. Il me menaçait de se gratter si je l’faisais » sourit-il doucement, espérant lui changer un peu les idées

Évoquer leur vie ensemble n’était peut-être pas la meilleure chose à faire mais de quoi pouvait=il lui parler d’autre ?

« On avait fini par l’installer dans la chambre avec nous et on dormait tous les trois… Il prenait toute la place » continua-t-il en baissant à nouveau les yeux vers le gamin qui s’était vite endormi, trop épuisé pour lutter contre le sommeil « Ça me manque parfois… de ne plus le voir débarquer au milieu de la nuit parce qu’il a fait un cauchemar. Et pourtant ce soir, je ferai n’importe quoi pour qu’il n’ait pas besoin de moi pour dormir en paix… »

« C'est vrai. »

dit-elle en roulant des yeux, l'air de dire "quelle idiote".

Elle avait tellement les idées ailleurs, qu'elle n'arrivait même pas à utiliser une logique de base, soit le fait qu'ils avaient utilisé sa voiture et qu'ils allaient en avoir besoin pour repartir dans la matinée. Il la délaissa à son embarras, et elle expira le plus discrètement possible en guise de soulagement. Elle préférait passer pour une imbécile plutôt que de devoir le supplier à genoux de ne pas les abandonner seuls ici. Qu'est-ce qu'elle aurait bien pu faire pour son fils terrifié, alors qu'elle était elle-même dans un état lamentable ? Ils auraient fini par faire un concours de larmes et auraient appelé leurs mamans jusqu'au petit matin ? À ce moment précis, l'avocate ne valait pas vraiment mieux que cela.
Les souvenirs des événements étranges de l'épicerie s'estomperaient bientôt, si des cauchemars malveillants ne venaient pas l'importuner cette nuit. Elle pourrait redevenir confiante.

Trisha s'installa sur une chaise devant le bureau sommaire dont était équipée la chambre, et pivota pour observer ce qui se passait sur le lit. Petey tentait désespérément de garder les yeux ouverts, mais l'épuisement eut raison de lui. Elle aimait tellement les voir comme ça. Cette vision lui procura un intense sentiment de fierté qui lui arracha un sourire, mais celui-ci s'estompa bien vite lorsqu'elle réalisa que ces instants se feraient tellement plus rare durant les prochaines années. Aahron ne vivait plus avec eux, et son fils allait finir par trouver cela absurde en grandissant et prendrait hélas ses distances. Si seulement il pouvait rester son petit garçon toute sa vie...
Aahron la fit presque sursauter en s'adressant à elle après ces longues minutes de silence. Un sourire sincère et amusé s'afficha sur ses lèvres alors qu'elle se remémorait parfaitement cette histoire comme si c'était la veille.

« Il a toujours été très doué pour te mener à la baguette. Enfin... Je plaide coupable aussi de ce côté là, combien de fois je me dis qu'il aura notre peau un jour. Peut-être qu'on le gâte trop... »

À sa plus grande surprise, son sourire ne s'estompa pas cette fois-ci, et après une rapide hésitation, elle se releva et vînt s'installer de l'autre côté du lit, s'allongeant près de Petey. Elle passa ses doigts dans ses cheveux blonds, très doucement pour ne pas le réveiller, et se força à ne pas l'embrasser pour la même raison. Aahron se confia à elle, enfin d'une certaine manière. Ils étaient un peu trop proches d'un sujet épineux tel que leur vie de couple d'autrefois, mais tant que Petey restait dans le cadre, il n'y avait rien à craindre. Et il avait réussi à lui changer les idées, ce dont elle lui était reconnaissante.

« Il aura toujours besoin de toi. Tu le sais, n'est-ce pas ? »

Elle ne faisait pas explicitement référence au fait qu'il faille border Petey, mais à quelque chose de plus général, dont son ex-mari comprendrait la nuance. Elle s'interrogea néanmoins sur les raisons qui poussaient le garçon à être si terrorisé.

« Je ne comprends pas grand chose à ce qui s'est passé aujourd'hui...D'abord, ce matin...Je ne sais toujours pas comment Aidan a pu perdre Petey. Mais il avait l'air d'aller bien quand on est rentré, cet homme n'a pas l'air de l'avoir traumatisé. Je ne comprends pas, pourquoi on dirait qu'il est hanté par quelque chose, Aahron ? Qu'est-ce qu'il a ? »

demanda-t-elle en le suppliant du regard alors que sa voix se mourrait, ne sachant même pas s'il avait la réponse.

Elle parvenait enfin à voir que quelque chose n'allait vraiment pas avec son fils, quelque chose qui n'avait peut-être rien à voir avec sa disparition ce matin. Si Aidan avait osé lui faire du mal alors qu'elle s'était absenté cet après-midi...Elle retournerait de ce pas à Grayson pour l'assassiner de sang froid. Cette pensée fit brûler une petite étincelle de colère dans ses prunelles alors qu'elle fronçait inconsciemment les sourcils.

« C'est à cause d'Aidan, c'est ça ? Je sais que c'est ton frère, mais ça veut pas dire que tu dois fermer les yeux. »

accusa-t-elle sans même savoir si elle avait raison. Elle soupira, décidant de se calmer avant que n'éclate une dispute, c'était bien la dernière chose qu'elle voulait ce soir.

« Je suis désolée, ce tremblement de terre bizarre m'a un peu trop secoué je crois... »

Elle pencha sa tête sur le côté, venant poser sa joue sur l'avant-bras d'Aahron qui entourait toujours Petey.

Aahron ne pu qu'acquiescer à la remarque de son ex-femme sur la manière dont Petey le menait à la baguette. Il faut dire qu'il ne le voyait pas aussi souvent que Trisha avait pu le faire, ça avait été vrai dès le début de leur relation et c'était ce qu'elle lui avait reproché. Ils s'étaient d'ailleurs fréquemment disputés à ce sujet par le passé. D'abord parce que Trisha lui demandait de jouer les « papa punisseur » lorsqu'il rentrait les weekend quand, puis parce qu'il lui cédait tout.
Aujourd'hui, même si Trisha se permettait encore quelques commentaires sur sa façon d'éduquer son fils, elle n'était plus aussi à l'aise pour le faire qu'à l'époque. De toute manière, Aahron était toujours intransigeant sur cette question. Ne pouvant voir son fils que certain weekend et à quelques vacances, il estimait pouvoir le gérer comme il l'entendait quand son tour venait.

Le trentenaire baissa les yeux à la remarque de l'avocate sur le fait que son fils aurait toujours besoin de lui. Et si ce n'était pas le cas ? S'il finissait par lui préférer David ? Aahron ne l'avait jamais avoué à personne mais il avait fréquenté un groupe de soutien pour père divorcés et ça avait été le cas de beaucoup des hommes présents. Leurs enfants s'étaient simplement détournés d'eux. Il avait même vu un des types s'effondré en larme parce que son fils avait offert son cadeau de la fête des pères au nouveau compagnon de son ex-femme... Depuis, cette histoire l'obsédait et parfois, il se sentait obligé d'acheter l'amour de son fils, par crainte qu'il ne lui tourne le dos.
Petey était un garçon attachant et il ne doutait pas de son amour mais ils savaient aussi que les enfants évoluaient. Lui avait bien tourné le dos à sa famille, Samuel aussi. Il n'y avait qu'Isaac et Aidan qui avaient eu un parcours exemplaire ou presque. Si leurs aprents n'étaient pas morts, Aidan serait sûrement resté vivre avec eux pour les cinq prochaine années... Il avait toujours eu du mal à s'en séparer et Aahron se souvenait encore des cries déchirant de son jeune frère, cramponné aux jambes de sa mère qui avait cru bon de l'envoyer en camp d'été... Il s'était laissé mourir de faim et était revenu à la maison en moins d'une semaine.
Après ça, il avait passé toutes ses vacances avec eux et ni Sean ni Margaret n'avaient plus tenté de l'en dissuader.
Petey le lui rappelait parfois, à sa manière, avec son caractère. Il était aussi doux qu'Aidan, mais plus calme et réservé ; un peu mois débrouillard mais il s'intéressait à plus de choses, paraissait plus vif d'esprit.
Rien de tout cela ne l'empêcherait cependant de faire sa crise d'adolescence, comme tout le monde, et Aahron priait pour que son fils ne fasse pas les mêmes erreurs que lui à cet âge. A moins que ce ne soit à lui, de ne pas suivre l'exemple de son père...
Aahron s'arracha bientôt à ses pensées lorsque le ton de Trisha changea soudainement, se faisant accusateur. Pendant qu'il se perdait dans ses pensées, son ex-femme avait changé de sujet pour aborder celui qu'il avait tant redouté.

Devait-il lui mentir à présent ? Avait-elle la force d'entendre ce qu'il avait à dire ? Avait-il lui-même la force de lui raconter ce qui s'était passé cet après-midi ?
C'n'était pas comme s'il avait le choix. Le regard aigu de la blonde qui lui faisait face l'intimida et l'agaça en même temps. Il détestait l'emprise qu'elle pouvait avoir sur lui malgré les années écoulées et leur divorce.

« Non, tu as raison, il s'est bel et bien passé quelque chose » soupira-t-il sans oser croiser son regard « Petey a... il a emprunté la photo de nos parents à Aidan sans lui en demander l'autorisation. Quand Aidan s'en est rendu compte, il a exigé qu'il la lui rende mais.... avec ce qui s'était passé ce matin, j'n'ai pas cherché à me poser de question et j'ai défendu Petey immédiatement en disant qu'il ne la lui avait pas prise » raconta Aahron, la gorge nouée « Ca l'a mis dans une rage folle... Je ne l'avais jamais vu comme ça Trisha » avoua-t-il en relevant son regard ahuri, perdu vers elle « Il a...il a parlé de complot, qu'on essayait de le rendre dingue et qu'on voulait le faire enfermer. Et il avait VRAIMENT l'air d'un fou, j't'assure. Un véritable malade comme on en voit dans les films ! Il pleurnichait, suppliait, il était lamentable » chuchota-t-il pour ne pas troubler le sommeil de Petey, toujours dans ses bras

Une fois encore, Aahron se laissa aller à penser à ce qui aurait pu se passer si Aidan avait eu une arme à porté de main. Et il en arriva une fois de plus à la même conclusion : il l'aurait utilisé. C'était certain. Cette idée lui donnait la nausée mais il ne pouvait pas la combattre.
Les yeux à présents brillants, il reprit la parole, sa voix ne portant pas plus haut qu'un murmure.

« Je ne sais plus quoi faire pour l'aider, je ne suis même pas certain de vouloir l'aider, Trish. Isaac l'a frappé et crois-moi, il n'y a pas été de main morte. Si tu n'as pas croisé Aidan, c'est parce qu'il était à l'étage. Allie lui a donné des somnifères mais si tu veux mon avis, après les coups qu'il a reçu, il n'en avait pas besoin pour dormir » grinça-t-il, amère « Le pire dans tout ça c'est que j'aurai voulu être à sa place. Celle d'Isaac. J'aurai voulu lui cogner dessus, lui faire mal... Petey n'a pas vu ça, je m'en suis assuré, ne t'en fais pas » ajouta Aahron en caressant les cheveux du garçon, ses doigts frôlants ceux de Trisha « Je crois qu'au delà de la peur qu'il a ressenti en voyant Aidan dans cet état... il se sent coupable »

Elle écouta attentivement son ex-mari lui raconter la scène de ménage qui s'était déroulée dans l'après-midi alors qu'elle s'était absentée, prétextant avoir des courses à faire pour se retrouver un peu seule, et en profiter pour se faire un nouvel ami, Grifith. L'expression de son visage passa de l'incrédulité, à la crainte et l'inquiétude, pour finir par se refermer quand Aahron lui avoua qu'il aurait aimé être à la place d'Isaac. Elle ne pouvait que le comprendre, elle aussi aurait voulu gifler Aidan si elle avait été présente. Mais elle n'était pas là...La culpabilité lui serra la gorge, alors qu'elle comprenait que la situation imposait des mesures.

« Il n'a pas à se sentir coupable, Petey est un enfant, et Aidan n'aurait pas dû s'énerver. C'est bien que tu l'ais protégé, ça m'aurait inquiété d'avoir à lui expliquer pourquoi ses oncles se tapent dessus...Mais Aidan a toujours été très gentil avec Petey, pourquoi maintenant, qu'est-ce qu'il lui arrive ? ... »

répondit-elle à voix basse.

Trisha croisa les bras et se redressa, se perdant dans ses pensées l'espace de quelques secondes. Elle secoua négativement la tête très doucement, fixant un point vague sur la couette. Enfin, elle se releva et fit les cent pas. Ce qu'elle avait en tête était horrible, mais elle était mère et elle devait assurer la sécurité de son fils avant tout. Elle pivota la tête pour ancrer son regard à celui d'Aahron, essayant de paraître calme mais ferme.

« Tant qu'Aidan n'ira pas mieux, je ne veux pas que Petey revienne te rendre visite. »

Sa décision lui brisait le coeur, elle ne voulait pas qu'Aahron souffre à cause de ce choix. Elle s'approcha doucement de son côté du lit, et s'assit sur le bord du matelas, tournée vers le grand blond. Elle posa une main sur son bras, espérant qu'il ne soit pas en colère contre elle.

« Ne te fâche pas, je ne veux pas te l'enlever d'accord, tu sais que je ne ferais jamais ça. Mais on met notre fils en danger. Aidan est malade, je ne sais pas ce qu'il a, mais il devrait aller voir des médecins. Je ne peux pas laisser Petey le voir dans cet état, il est trop petit pour comprendre. »

Trisha espérait sincèrement qu'il comprenne et qu'il soit d'accord avec elle, car sinon une énième dispute allait éclater, et David et le divorce finirait par retomber sur le tapis.

« Dis-moi que tu es d'accord avec ça... »

dit-elle alors que sa voix se mourrait une fois de plus, l'implorant d'un regard en plissant légèrement les yeux.

Aahron poussa un soupir, observant Trisha faire les cent pas d'un air attristé. Elle avait raison, il le savait. D'ailleurs, il n'avait jamais été pour sa venue ou celle de son fils à Grayson. Dès l'instant où il les avait aperçu dans la maison, il avait su que c'était une erreur et s'était senti coupable d'avoir appelé l'avocate.
Son fils n'aurait jamais dû voir ce qu'il avait vu aujourd'hui.

« Je pense que c'est la meilleure solution » approuva-t-il, même si la perspective de ne pas revoir son fils avant un moment ne l'enchantait pas « Je n'm'attendais pas à ce que tu l'amènes avec toi et je sentais que quelque chose allait se passer. Après tout, il s'agit de Grayson... Je passerai surement vous voir la prochaine fois. Avec un peu de chance, tout sera rentré dans l'ordre à ce moment là et ce sera un retour définitif.»

Si ça n'avait tenu qu'à lui, il aurait même demandé à son ex-femme de ramener Aidan avec elle. Il leur suffirait de l'endormir comme Allie l'avait fait et de le coller dans la voiture. Au moment où il se réveillerait, il serait loin d'ici, loin de ce merdier dans lequel ils s'enfonçaient tous petit à petit. Mais après ce qui s'était passé entre eux, la blonde n'accepterait jamais de reprendre son jeune frère en pension quelques temps. Sans compter qu'Aidan aurait vite fait d'échapper à sa vigilance pour revenir ici. Et inutile de préciser qu'il ne serait sûrement pas ravi d'avoir ainsi été dupé et écarté de cette affaire.
Aahron poussa un nouveau soupir en passant une main dans ses cheveux qui commençaient à repousser, tout comme sa barbe qu'il devrait raser prochainement.

« Je ne sais pas c'qui s'passe avec lui. Enfin si, bien sûr, c'est lié à la disparition de nos parents mais... je ne sais plus comment réagir. Aucun d'nous en le sait. On a tout essayé mais rien n'y fait, c'est de pire en pire. Je ne pensais pas qu'il s'en prendrait un jour à Petey. A quoi que ce soit d'ailleurs... Bordel, Trish, je suis complètement largué »

Il ne releva pas les yeux vers elle, préférant concentrer son attention sur Petey qu'il ne reverrait sûrement pas avant un moment. Comme sa mère le lui disait souvent, il était aussi têtu que sensible. Ils l'étaient tous et à part Aidan, aucun de ses fils ne l'avouait. Plus jeune, Aahron avait été le souffre douleur de sa classe. Petit, plutôt maigre, blond aux yeux clair, son air d'angelot en faisait le chouchou des profs et la risée de ses camarades. Il avait finit par s'endurcir, s'était mis au sport, avait prix des dizaines de centimètres et Margaret avait commencé à être convoquée par ses profs pour son comportement violent. Mais il n'avait jamais vraiment réussi à endurcir son coeur, tout au plus parvenait-il à dissimuler ses sentiments. Jamais à ça mère cela dit, et Trisha avait fini par gagner sa confiance.
Elle était sa confidente, la seule à qui il pouvait parler de ses soucis, la seule face à qui il n'avait pas besoin de faire semblant. Du moins, ça avait été le cas jusqu'à leur divorce.

« Tu devrais essayer de dormir un peu, tu as l'air épuisée » finit-il par se ressaisir, dans un raclement de gorge

Le fait qu'il était d'accord avec elle ne la privait pas de ce petit sentiment de culpabilité à l'idée de tenir Petey à l'écart de son père pendant un petit moment. Bien sûr, avec la garde alternée, il avait plus ou moins pris l'habitude, même si ça ne l'empêchait pas de leur casser les oreilles, mais les dates précises changeaient la donne. Devoir dire à son fils qu'il ne reverrait pas son père pour une durée indéterminée...Elle voyait déjà la crise venir.

« Ça n'aurait pas dû être aussi long, Aahron. Est-ce que tu sais au moins encore pourquoi tu es là ? Je sais que tu veux éclaircir cette histoire, mais ça ne les fera pas revenir...Peut-être que vous devriez tous rentrer chez vous, et faire votre deuil comme tout le monde. C'est sûrement ce qu'ils auraient voulu, au lieu que tu sois à des centaines de kilomètres de ton fils, ou qu'Isaac et Allie repoussent leur mariage, surtout avec le bébé en route. Promets-moi de ne pas t'éterniser ici inutilement... »

Elle glissa sa main encore sur son bras de haut en bas doucement, dans un geste de réconfort. C'est ce qu'elle aurait fait s'ils étaient encore mariés, ou si le divorce ne s'était pas si mal passé. Mais ce soir, ils avaient réussi à passer plusieurs heures ensemble sans qu'aucun mot ne sonne plus haut que l'autre. Elle en avait presque oublié les paroles dures qui s'étaient échangées le matin même.
Aidan était hors de contrôle, la question ne suscitait plus de doute chez personne. Il avait besoin d'aide selon elle, et Grayson ne lui faisait sûrement aucun bien. L'avocate n'osait pas exposer l'idée car elle savait que son ex-mari détestait ces gens, mais Aidan aurait probablement besoin d'une bonne thérapie pour que tout rentre dans l'ordre. S'il n'arrivait pas à dormir, c'est qu'il avait peur de quelque chose, et qu'il s'empêchait consciemment ou non de le faire. Il ne parlait pas à sa famille de ses problèmes, alors peut-être qu'il le ferait à un inconnu plus facilement.
Elle s'attendrit devant l'air perdu du blond, c'était presque comme autrefois où il lui parlait de ses états d'âme lorsqu'il rentrait d'une longue semaine de chantier. Il lui disait qu'ils leur avait manqué, elle et Petey qui était encore tout petit à l'époque. Elle regrettait que ce ne soit plus aussi simple aujourd'hui.

« Tu trouveras ce qui cloche chez lui, j'te fais confiance. »

dit-elle confiante en esquissant un sourire radieux.

« Essaye de t'entendre avec Isaac, et même Sam' peut-être. A vous trois, vous allez bien trouver une solution et il ne pourra pas refuser. »

Après un raclement de gorge, il se ressaisit et la congédia. Elle savait que cela le mettait mal à l'aise de s'ouvrir ainsi puisqu'il avait l'impression d'avoir été trahi depuis leur divorce. Sa confiance en elle avait été ébranlée, et elle n'était pas certaine de pouvoir la regagner un jour. C'était peut-être le moment des confessions...Elle resta sans bouger à le regarder encore, et finit par se redresser un peu trop brusquement pour ne pas avoir l'air d'avoir quelque chose à cacher qui lui aurait traversé l'esprit.

« T'as raison. Je vais... »

dit-elle sans finir sa phrase avant de s'enfermer dans la salle de bain.

Elle resta dos contre la porte un moment, pesant le pour et le contre et finit par se persuader que ce n'était pas le moment. Trisha se pencha au dessus du lavabo et s'observa dans le miroir, n'aimant que très peu l'image d'elle qu'il lui renvoyait à cet instant. C'était celle d'une menteuse, et une sacrée bonne menteuse.
Secouant la tête pour chasser ses pensées, elle se prépara pour aller se coucher, se démaquillant et revêtant un vieux T-shirt trop long que lui avait autrefois offert Aahron car elle trouvait ça très confortable, puis ressortit de la salle d'eau quelques minutes plus tard. La jeune femme se glissa délicatement sous les couettes près de Petey, mais sans pour autant s'allonger totalement. Elle n'avait pas vraiment sommeil en fait. Si ce moment à trois devait s'arrêter un jour, alors qu'il s'arrête le plus loin possible...Elle leva son regard azur sur son ex-mari avant de le baisser sur son fils endormi, constatant qu'ils allaient sûrement passer la nuit ainsi. Pour la première fois depuis le divorce, elle et Aahron partageraient à nouveau le même lit cette nuit. Ça avait quelque chose de déroutant vu comme ça...
Trisha passa encore une fois ses doigts dans les cheveux de son petit garçon, n'ayant pas la force de s'en empêcher.

« Parfois, je me relève la nuit. Je passe une heure à le regarder dormir sur le seuil de la porte. Et des fois, j'y vais alors que c'est toi qui l'a, et je me sens très bête quand je me rends compte qu'il n'est pas dans son lit. »

reprit-elle en souriant tendrement. Elle s'écarta un peu en soupirant pour ne pas l'importuner davantage et risquer de le réveiller. S'allongeant enfin, elle posa sa tête dans l'oreiller, mais au lieu de fermer les yeux, les releva encore vers son ex-mari sans réellement savoir ce qu'elle attendait. Un sourire amusé finit par percer sur ses lèvres closes.

« Tu me racontes une histoire ? »

plaisanta-t-elle avec un petit air de défi. Bien sûr elle n'était pas sérieuse, mais elle avait trouvé ça drôle sur le coup, et ils avaient bien besoin de détendre l'atmosphère après ce qui venait de se passer aujourd'hui.

Comme toujours, Trisha visa juste et frappa fort. Savait-il encore réellement ce qu'ils faisaient à Grayson ? Rien n'était moins sûr... Ils tournaient en rond et jusque là, n'avait pas avancé d'un poil, sur aucun plan. Ils ne parvenaient pas à faire leur deuil, à oublier, à pardonner. Ils étaient en colère et ne savaient même pas contre qui. Grayson ou ses habitants ? Le simple fait qu'Aahron soupçonne un village entier d'être la source de tous leur malheurs prouvait bien qu'il n'avait plus les idées claires. La meilleure solution était de rentrer à Cleveland, au fond, ils le savaient tous. Mais aucun d'eux n'en était capable. Ils avaient déjà trop sacrifié de toute manière...
Mais faudrait-il attendre que l'état d'Aidan empire pour qu'ils ouvrent enfin les yeux ? Possible puisque ce qui était arrivé jusqu'à présent ne les avait pas convaincu.

« On verra » grogna-t-il évasivement, chassant ses paroles d'un geste de la main

il n'avait pas envie de tout remettre en question ce soir. La journée avait été assez pénible comme ça et à vrai dire, lui aussi était épuisé. Ses nuits étaient courtes en grande parti à cause de l'inconfort de sa couche puisqu'il dormait sur le vieux sofa déglingué de la maison. Aidan avait plusieurs fois proposé de lui céder son lit mais jusque là, il avait refusé.
Trisha enchaina finalement pour aborder le sujet Aidan justement, sans s'y appesantir. Aahron ne chercha pas non plus à rebondir et elle finit par se redresser pour aller se rafraichir un peu.

Son ex-mari l'observa disparaître dans la salle de bain, le ventre noué. Depuis leur divorce, c'était la première fois qu'elle allait être nue dans la même bâtisse que lui. Il se sentait un peu idiot d'avoir ce genre de pensées adolescente, mais c'était plus fort que lui. Il s'installa plus confortablement dans le lit qu'occupait déjà Petey et laissa vagabonder son esprit en direction de la salle de bain.
Il captait quelques bruits à l'intérieur et s'imaginait pénétrer à sa suite dans la pièce pour l'aider à ôter ses vêtements, couvrir son corps de baisers fiévreux comme il le faisait à une époque. Perdu dans ses pensées, il commença à somnoler.

Le retour de Trisha le tira de sa léthargie et il frotta ses yeux en l'observant s'avancer dans un vieux tee-shirt qu'il lui avait offert. David ne devait certainement pas apprécié... Pour sa part, Aahron s'autorisa un sourire.
L'espace d'un instant, il l'imagina s'approcher de lui, comme au bon vieux temps et pu presque sentir le goût de ses lèvres sur les siennes. Mais elle fit le tour du lit pour venir s'installer dans le dos de Petey qui reposait entre eux.
Le trentenaire se tourna sur le matelas pour observer sa silhouette par dessus celle de leur fils. Il l'écouta attentivement, heureux d'avoir une occasion de la regarder en souriant sans paraître suspect...

« Ca m'arrive aussi » confia-t-il, se gardant bien d'ajouter que parfois, il la cherchait elle dans ses draps

Il sourit vaguement à sa dernière remarque, continuant de la fixer en silence. Il aurait pu lui raconter celle du pauvre type encore éperdument amoureux de son ex-femme, mais il n'était pas certain qu'elle apprécie.

« Je crois que vous avez passé l'âge d'être bordée, jeune fille » finit-il par lâcher « Et puis je croyais que j'étais très mauvais conteur ? Mauvais comédien et imitateur aussi... J'en arrive à ne plus savoir ce que tu m'trouvais et ce que je vaux au fond » fit-il mine de se vexer

Ce qu'il pouvait être susceptible... Elle l'aurait presque oublié s'ils n'avaient pas eu cette conversation, extrêmement agréable, à côté de leurs frictions habituelles. Trisha sourit vraisemblablement très amusée par sa réaction. Elle savait pertinemment qu'il exagérait un peu, histoire de la provoquer gentiment. Se relevant sur un coude, elle se mit sur son profil pour mieux se trouver face à lui.

« Allez, tu vas pas me dire que tu m'as cru ? J'étais jalouse, c'est tout. C'est toujours toi que Petey réclamait pour ce genre de choses. Il fallait bien que je me venge sur quelqu'un... »

argua-t-elle avec une fausse moue boudeuse à son tour.

Hm, si seulement il n'y avait pas eu David... Elle laissa son esprit s'égarer quelques instants alors que ses yeux détaillèrent avec attention son ex-mari. C'était tellement bon de pouvoir rire de nouveau avec lui, comme si rien ne s'était passé. Il lui manquait souvent, mais elle se réfrénait avec force à chaque fois que ce type de pensée l'assaillait. L'avocate se mordit la lèvre avant de baisser soudain la tête, n'ayant que trop tard pu rattraper son geste maladroit qui, elle en était sûre, pouvait avoir bien trop de définitions déplacées à cet instant. Si elle n'avait pas été quelqu'un de raisonnable, elle aurait tout envoyé au diable.
Triturant le drap entre ses doigts pour garder ses mains occupées, elle ne relança pas la discussion pendant un petit moment, les yeux obstinément rivés sur le tissu fin. Petey dormait à poings fermés à moitié affalé sur Aahron. Il ne remarquerait rien s'il venait à arriver quelque chose de...compromettant. Trisha se maudit intérieurement, ce genre d'idées allait finir par la détruire. Malgré toutes les tragédies qui les avaient frappé aujourd'hui, elle ne pouvait penser à rien d'autre qu'à l'opportunité qui se présentait ici, à savoir Aahron, elle et un lit. Une bouffée de chaleur la traversa de bas en haut, comme si la température de la pièce venait de prendre plusieurs degrés. Repoussant les couvertures, elle s'extirpa du lit pour éteindre la grande lumière, laissant le soin à Aahron d'allumer sa petite lampe de chevet si l'envie lui en prenait.

« J'ai pas vraiment sommeil en fait. J'aurais pas dû boire de café avant de partir... »

dit-elle en retournant se coucher. Plusieurs minutes s'écoulèrent sans que ni l'un ni l'autre ne parle, puis, alors que ses paupières refusaient de se fermer, elle se dit qu'elle ne trouverait pas la paix sans avoir au moins craquer un petit peu.

« J'ai l'impression que c'était hier... »

souffla-t-elle sans vraiment attendre de réponse.

Un long soupir se fit entendre du côté de la jeune femme. Il allait tellement lui en vouloir si elle se permettait quelque chose. Bien sûr pas sur le coup, mais après...demain matin. Et elle s'en voudrait à elle-même aussi, d'avoir été infidèle alors qu'elle s'était jurée de ne jamais céder à ce type de caprices. Enfin, c'était son deuxième mariage, est-ce que les vœux avaient vraiment encore une signification... Cependant, elle n'avait pas le droit de faire cela à David, ils prenaient soin d'eux et les aimaient. Se faisant violence, elle ferma les paupières, sachant pourtant qu'elle ne dormirait pas cette nuit-là à cause de la présence perturbante de son ex mari à quelques centimètres d'elle seulement...

Le souffle un peu court, Aahron tentait tant bien que mal d’oublier qu’il partageait le lit de Trisha pour la première fois depuis la nut où elle lui avait annoncé qu’elle voulait divorcer. Il en avait souvent rêvé et aujourd’hui, il était un peu déçu que rien ne se passe comme il l’avait imaginé. Son ex-femme n’était pas redevenue son épouse et n’était pas prête à s’offrir à lui. Elle était simplement déboussolée et il n’était qu’une bouée de sauvetage, un ami. Sans compter que Petey se trouvait endormi entre eux…
L’idée que Trish le considérait certainement comme une barrière de sureté entre lui et elle le répugnait. Peut-être craignait-elle en ce moment même qu’il tente quelque chose. Il y a quelques années, peut-être que l’ouvrier s’y serait essayé, mais plus maintenant. Il avait muri, ou en tout cas, s’était fait à l’idée qu’il ne pourrait plus jamais la toucher.

Sauf qu’il y avait eu ce baiser. Il avait franchi une limite et Trisha ne lui avait pas donné l’impression d’en être vraiment gênée… Bien sûr, elle lui rappelait qu’elle était mariée mais n’était-ce pas qu’une manière de se donner bonne conscience ? Qu’attendait-elle de lui ? Qu’il prenne les choses en main pour pouvoir l’accuser par la suite si les choses tournaient mal ? Voulait-elle réellement qu’il lui fiche la paix une bonne fois pour toute ?
Si ça avait été le cas, elle n’aurait pas agit de cette manière… Du moins, c’était ce qu’il pensait. Ou ce dont il essayait de se persuader.
Toutes ces questions allaient finir par le faire tourner fou.

Alors qu’il commençait à s’enfoncer lentement mais sûrement dans le sommeil, cette journée et toutes les précédents l’ayant épuisé, la voix de Trisha s’éleva non loin de lui. Le cœur d’Aahron se pinça.
A quoi jouait-elle, nom de Dieu !?
Il avait compris à quoi elle faisait référence et, si une part de lui ressentait du soulagement, la plus grande n’éprouvait que ressentiment. Elle était injuste. Pouruqoi le traitait-elle de cette façon ? Ne pensait-elle pas qu’il avait assez souffert ? C’était elle qui était parti, elle qui avait mis fin à leur histoire et ses rêves de famille nombreuse. Elle avait tout gâché et alors qu’il essayait de soigner ses plaies, elle venait les lécher odieusement et raviver la douleur.
Le trentenaire aurait voulu se laisser aller à penser qu’elle regrettait et que, s’il s’y prenait bien, il pourrait la reconquérir. Mais Trisha était une femme de raison et tôt ou tard, elle retournerait à sa vie bien rangée avec son précieux David. Connard…

Aahron demeura silencieux un moment, cherchant quoi répondre à ça, luttant pour ne pas craquer et se faufiler dans la brèche pour tenter de la retrouver enfin. Ca n’aurait pas été juste de sa part non plus. Après tout, l’avocate aussi avait eu une mauvaise journée et était encore ébranlée. Margaret aurait désapprouvé, même si elle n’avait toujours souhaité que son bonheur et savait qu’être heureux pour lui signifiait être en compagnie de Trisha et son fils.

« Ne me fait pas ça, Trish » répondit-il entre ses dents

Il aurait dû se contenter d’un simple bonne nuit ou faire semblant de dormir.
Il se maudit intérieurement mais trouva du réconfort dans l’idée que, dans le dos de Petey, son ex-femme aussi devait être pleine de remords. Mieux, elle devait se sentir coupable à présent…
Ce genre de pensées non plus, sa mère ne devait pas les approuver.

Elle eut un petit pincement au coeur lorsqu'elle l'entendit enfin répondre. Il en avait mis du temps à réagir, bien qu'elle ne l'espérait pas vraiment. Une once de culpabilité la fit se recroqueviller un peu sur elle-même sous les draps alors qu'elle s'était mis sur son séant, dos à lui, mais devait-elle réellement se taire encore une fois pour ne pas le blesser ? Il avait longtemps voulu connaître ses sentiments et les raisons qui l'avaient poussé à demander le divorce. Elle n'était pas encore prête à lui dire qu'elle avait perdu leur deuxième bébé, mais pouvait au moins admettre qu'elle s'était trompée.

« Je veux pas faire ça, Aahron. Crois-moi. Mais je veux juste te dire que...J'ai fait une erreur, je m'en rends compte maintenant, et je veux que tu saches que je suis désolée. Vraiment. Je sais pas si ça te soulagera ou non, je l'espère. On peut pas tout effacer et revenir en arrière, j'en suis consciente, mais...Je sais pas...C'est tout ce que je voulais dire. »

Elle secoua légèrement la tête de droite à gauche, le regard vide fixé sur un point vague de la chambre. De nombreux souvenirs défilaient sous ses pupilles, les bons moments, comme les mauvais qui avaient précédés la signature des papiers.

« Ne crois pas qu'à chaque fois qu'on évoque le sujet, je le fais exprès. On a passé pas mal de temps ensemble cette semaine, et je peux rien y faire, quand je te vois, je ne peux pas ne pas y penser. Et c'est pareil pour toi, ne me mens pas. »

Elle resta silencieuse quelques instants, avant de reprendre, luttant contre des sanglots naissants.

« Si on pouvait revenir en arrière, rien que quelques heures, sans conséquences...Tu le ferais ? Ou tu me détestes trop pour ça ? »

Sa petite voix intérieure lui hurlait de faire marche arrière, mais pour une fois elle ne l'écouta pas. Elle était allée trop loin cette fois-ci pour se rétracter. C'était le grand saut que beaucoup avait prédit, entre autre sa mère. Elle avait compris sa douleur, mais lui avait dit que le temps s'occuperait de tout. Elle avait désapprouvé son re-mariage, pensant que l'avocate précipitait un peu trop les choses, ce qui n'était pas totalement faux. Trisha ne pouvait pas rester seule, mais éloignait la seule personne qui l'aimait plus que tout au monde, quel paradoxe...Néanmoins, peut-être qu'Aahron allait très mal prendre cette initiative, et encore une fois elle devrait se confondre en excuses et en remords pour le reste de sa vie.

Les mâchoires crispées, Aahron essayait tant bien que mal de ravaler sa colère et des propos injurieux. La présence de Petey l’aidait à se calmer ou du moins, à ne pas exploser. S’ils avaient été seuls, les choses auraient été différentes et auraient sans aucun doute mal tourné.
Il l’aurait soit cognée, soit insultés et fichue dehors, soit…violée. D’après ce qu’elle disait cela dit, peut-être aurait-elle été consentante.

Comment pouvait-elle lui dire ça ? Pourquoi MAINTENANT, alors qu’elle était sur le point de repartir pour Cleveland alors qu’il se devait de rester à Grayson. Il ne pouvait rien faire pour la retenir et préférait la savoir très loin d’ici, en sécurité avec son fils. Mais il ne pouvait pas la suivre et la perche qu’elle faisait mine de lui tendre tomberait forcément à l’eau.
C’était de la torture pure et simple et il ne pouvait pas se permettre d’hurler. Il était ligoté sur la table et elle avait une quantité impressionnante d’armes entres ses mains expertes…

Bien sûr qu’ils pouvaient retourner en arrière ! Elle l’avait quitté, elle pouvait aussi quitter David, lui et Petey n’attendaient même que ça ! Et visiblement, elle aussi… à moins qu’elle ne soit en train de se foutre de lui.
Pourquoi lui disait-elle une telle chose ? Il l’avait pourtant mis en garde, lui avait demandé de se taire. Mais c’était plus fort qu’elle, quand elle avait quelque chose en tête ou sur le cœur, il fallait qu’elle le sorte, contrairement à lui.
Au début de leur relation, cet état des choses avait souvent causé des disputes. Il ne s’ouvrait pas assez, elle était trop curieuse. Cette manière que Trisha avait de mettre des mots sur chacun de ses sentiments l’avait toujours intimidé et agacé à la fois. A croire qu’elle avait reçu plus de carte que lui lors de la grande distribution…
Lui, il était du genre taiseux, secret. Si ça lui avait souvent servi à mettre des filles dans son lit, ça ne l’avait pas aidé à garder Trisha dans le sien une fois qu’ils avaient été mariés.

Lorsqu’enfin le silence retomba dans la pièce, Aahron se redressa, écartant Petey. Il prit le temps de le recoucher et de le border avant de se mettre debout, son regard glacé dirigé vers Trisha dont il ne pouvait que deviner la silhouette.
Une part de lui désirait la prendre dans ses bras, mais celle qui avait été blessé par son départ s’y refusait et lui lançait des signaux d’alarme désespérés.

« Tu sais plus c’que tu dis » lâcha-t-il simplement

Prenant sur lui, les poings serrés, il tenta de rester maitre de lui et de ne pas céder à ses pulsions. Le faire ne l’avait jamais vraiment aidé et dans cette situation, garder le contrôle était primordial. Il allait devoir être la voix de la raison… L’ironie était une belle saloperie.

« C’est ma faute, j’n’aurai pas dû t’embrasser » reprit Aahron, sa voix trahissant cependant ses émotions « Et j’n’aurai pas non plus dû te dire que le mieux était de ne plus nous voir. Tu sais parfaitement que j’en suis incapable. Tu sais…tu sais ce que je ressens pour toi »

Aahron secoua la tête, comme pour se remettre les idées en place.

« Repose-toi maintenant. J’vais m’chercher quelque chose à manger au distributeur » ajouta-t-il en désignant la porte du pouce, même si dans l’obscurité, elle ne pouvait pas le voir

C’était à son tour de fuir. Et elle n’avait pas intérêt à le blâmer, c’était pour elle qu’il le faisait et demain, lorsqu’elle aurait les idées claires, elle le remercierait.
Et ce serait alors à lui de la voir lui tourner le dos à nouveau pour rejoindre son bel avocat…

Trisha l'observa se défiler. Pourquoi ne saisissait-il pas la chance qu'elle lui accordait ? C'est ce qu'il avait toujours voulu, c'est ce pourquoi ils se lançaient des mauvais regards et écorchaient parfois les mots. Elle ne pouvait l'en blâmer vu le nombre de fois où elle avait fait marche arrière en lui donnant un peu d'espoir, involontairement. Mais cette fois-ci ce n'était pas un jeu.
Elle embrassa son fils qui ne s'était même pas réveillé, et le couvrit convenablement pour qu'il ne remarque pas l'absence de chaleur de deux corps supplémentaires, puis s'extirpa du lit à son tour. Elle trottina pieds nus jusqu'à la porte et y appuya son dos, faisant clairement de son corps un rempart. Il ne passerait cette porte aussi facilement, pas alors qu'elle avait enfin eu le courage de céder.

« Peut-être que j'ai perdu la tête. Mais on s'en fiche. Vois ça comme une opportunité. Si on la prend pas maintenant, elle se représentera probablement jamais. »

le supplia-t-elle presque.

L'avocate le scruta un instant en attendant une réaction de sa part, mais il semblait désarçonné par tant d'impulsivité de sa part. Pourtant, il la connaissait par coeur. S'il l'aimait toujours comme il le disait, alors il devait bien se douter que ce jour finirait par arriver. Après un bref regard vers Petey qui n'avait pas bougé, elle fit quelques pas vers lui, et s'arrêta à sa hauteur. Sans ses talons, elle était beaucoup plus petite, et dut relever le menton.

« Refais-le. »

souffla-t-elle sur le ton d'un ordre.

« Embrasse moi. »

Elle n'aurait jamais pensé qu'elle devrait le supplier de la reprendre, ne serait-ce que pour une nuit. Car c'était tout ce dont il s'agissait, elle ne pouvait se permettre plus. Mais elle lui avait bien précisé qu'il ne pourrait y avoir de conséquences à cet égarement. Peut-être qu'elle l'était bien, folle à lier. Le seul son qui la guidait, était les pulsations de son coeur sous le coup de l'adrénaline, hormone même qui lui donnait la force de le confronter et de lui réclamer des choses indécentes.
Étrangement, elle qui était si rationnelle et raisonnable, était loin de s'imaginer ce qui se passerait demain matin. Elle ne souhaitait simplement pas prendre en compte ses considérations. De ses propres mots, c'était une opportunité. Certainement une argumentation un peu trop professionnelle, mais elle était bonne dans ce qu'elle faisait, alors pourquoi ne pas l'utiliser dans sa vie privée. Ce n'était pas se servir de lui, il en crevait d'envie depuis qu'ils s'étaient séparés. Cette nuit, ils feraient soit la paix, soit la guerre...

Aahron avala péniblement sa salive alors que son visage était penché vers celui de son ex-femme. Une flopée de sentiments contradictoires l’assaillait, l’empêchant de réagir d’une manière ou d’une autre. Il détestait être mis au pied du mur de cette manière mais Trisha n’agissait pratiquement que de cette manière avec lui. Il n’y avait pas de juste milieu avec elle et il se retrouvait généralement avec deux options possibles uniquement.
En l’occurrence aujourd’hui, il pouvait choisir de fuir et de se préserver ou de l’embrasser et de causer sa perte.
L’option remariage et jours heureux n’existait pas et il en avait pleinement conscience. Trisha allait repartir dans quelques heures et ce ne serait certainement pas en lui promettant de l’attendre et de divorcer le temps qu’il règle ses petites affaires de famille.
Elle l’avait assez attendu comme ça et il n’était pas encore résolu à quitter Grayson.

Il y a quelques années encore, il n’aurait pas tant tergiversé et l’aurait certainement déjà plaquer au mur pour la couvrir de baisers fiévreux, mais à présent, il était capable de prendre du recule, de voir plus loin. La mort de leurs parents les avait tous changés, qu’ils l’admettent ou non. Aahron avait perdu ce côté impulsif et sauvage qui le caractérisait et lui avait joué pas mal de tours par le passé.
Une nuit de bonheur égalerait-elle des semaines de douleur, des mois ? Il avait été au plus bas après le départ de sa femme et son fils. Il se revoyait pleurer comme un gosse dans les bras de son père désemparé, revoyait sa mère envoyer Aidan se coucher en pressentant une crise de larmes et son frère pourtant rebelle s’exécuter sans broncher. Il se revoyait, complètement ivre sur un chantier en train de frapper un type qui lui avait conseillé de rentrer chez lui. Les choses auraient pu très mal tournés pour lui si ses collègues n’étaient pas intervenus et ne l’avaient pas couvert par la suite.
Bien entendu, Trisha n’avait jamais eu vent de toutes ces histoires, Aahron y avait veillé personnellement.
Devait-il prendre ce risque ? Passer à côté des lèvres de Trisha lui réussirait-il vraiment au fond ou ne se sentirait-il pas horriblement frustré et pire encore ?

Sans qu’il n’en ait vraiment conscience, sa main droite se leva bientôt pour atterrir sur les hanches fines de la grande blonde face à lui. Il l’attira, son regard toujours plongé dans le sien et il se pencha un peu plus encore.
Il ne pouvait pas la laisser faire.
Et en même temps, pourquoi se priverait-il ?
Son autre main caressa la joue de Trisha alors que leur front se rencontrait. Il ne ‘lavait plus touchée ainsi depuis des années. Leur baiser de l’autre fois ne comptait pas. Il l’avait embrassé sous le coup de la colère. Là, il profitait de chaque seconde. Et elle aussi…
Il pouvait à présent sentir son souffle chaud sur ses lèvres humides. Il n’avait qu’un petit centimètre à passer pour enfin atteindre les siennes et l’embrasser.

« Je t’aime » ne put-il s’empêcher de lui murmurer

Ses yeux se fermèrent et il cessa d’avancer. Il n’irait pas plus loin.

« Et c’est exactement pour cette raison que je ne t’embrasserai pas, Trish » ajouta-t-il en chuchotant toujours, de la déception apparaissant clairement dans sa voix « Pas comme ça. Pas ici et maintenant. Si je dois t’embrasser, je veux le faire en sachant qu’il y aura d’autres baisers. Je ne veux pas être l’autre, je veux être ton mari »

Après une dernière caresse sur sa joue, il s’éloigna à contrecœur en rouvrant les yeux pour les plonger dans ceux de l’avocate.

« J’ai attendu que tu me demandes ça depuis le jour où tu m’as annoncé notre divorce de but en blanc et j’attendrai encore que tu sois vraiment prête. Si ce jour ne devait jamais arriver, alors tant pis pour moi… Mais si tu es sûre de toi, alors tu sauras m’attendre encore un peu aussi. Je pense que je l’ai bien mérité, non ? »

Ses paupières se refermèrent doucement lorsque le visage d'Aahron ne fut plus qu'à quelques centimètres du sien, front contre front. Elle pouvait sentir son souffle venir se briser sur ses lèvres, alors qu'il murmurait des mots qu'il ne s'était plus permis depuis très longtemps. Elle aussi, elle l'aimait. Mais elle était incapable de lui dire. Ç'aurait été injuste de lui avouer une telle chose et de partir sans se retourner le lendemain. Mais il fallait qu'il comprenne qu'elle n'avait pas d'autres choix, pas alors qu'il y avait d'autres vies en jeu.
Cependant à sa grande surprise, son ex-mari résista à sa tentative de séduction sans même avoir goûté le fruit défendu. Il lui expliqua calmement que ce n'était pas comme ça qu'il voulait que ça se passe. Seulement, c'était ça ou rien, du moins elle n'envisageait pas plus pour l'instant. Lui demander d'être "l'autre" était probablement trop dur à supporter, et ça, elle pouvait le comprendre, même si l'accepter à cette seconde relevait de l'impossible.

Elle resta immobile à le fixer quelques instants, sans vraiment savoir comment réagir. C'était un mélange de colère et d'humiliation qu'elle ressentait à présent, même si elle n'en avait sûrement pas le droit. Son regard tomba sur le sol alors que sa bouche entrouverte cherchait les mots. Il s'était éloigné, et ce rejet lui avait fait l'effet d'une douche froide face à ses désirs ardents. Elle était redescendue un peu trop brusquement sur terre à son goût...

« On fait vraiment la paire à tout gâcher à chaque fois... »

rumina-t-elle, amère.

Trisha regretta immédiatement ses paroles qu'il ne méritait pas. C'était plutôt elle qui aurait dû accueillir cela comme la punition qu'elle attendait depuis un bout de temps pour l'avoir fait tellement souffrir. Elle serra les dents, de peur de laisser s'échapper d'autres paroles blessantes qu'elle ne contrôlerait pas.
Elle réfléchissait à toute vitesse mais sans trouver l'issue à ce dilemme. Avait-elle vraiment envie de revenir en arrière ? Même si elle en avait envie maintenant, personne n'avait dit que c'était une bonne idée et qu'ils n'empireraient pas les choses. Elle n'avait pas imaginé divorcer avec David pour se remarier une seconde fois avec Aahron. Il allait trop loin dans ses idées, mais elle n'avait pas le courage de lui avouer qu'elle n'y avait même pas pensé. Ç'aurait été trop cruel certainement.
L'avocate releva les yeux vers son ex-mari, sachant pertinemment que ce qu'il s'imaginait ne pouvait pas arriver sans qu'elle soit totalement honnête avec lui. Mais comme il l'avait si bien dit, elle n'était pas encore prête.

« T'as raison. »

déclara-t-elle en haussant les épaules.

« Mais à mon avis quand tu sauras enfin pourquoi, tu ne voudras plus de tout ça. »

ajouta-t-elle évasive mais l'air abattue.

Son regard rasa à nouveau le sol tandis qu'elle passait à côté de lui pour aller se recoucher. Dans le même temps, des gémissements se firent entendre du côté du petit garçon qui visiblement luttait à présent dans son sommeil. Trisha se glissa sous les couvertures, l'air préoccupée, et posa une main sur le front de son fils pour le réveiller en douceur de ce mauvais cauchemar qui le mettait dans tous ses états, s'efforçant de ne plus penser à ce qui venait de se passer de l'autre côté de la chambre...

Même sans l’intervention inespérée de Petey, Aahron n’aurait pas ouvert la bouche. Il regrettait déjà d’avoir repoussé les avances de son ex-femme, même s’il savait que c’était la meilleure des choses à faire pour sa santé mentale. La revoir avec déjà été assez douloureux et il commençait déjà à en payer les frais.
Qu’allaient-ils devenir à présent ? L’attendrait-elle effectivement ? Allait-elle parler à son nouvel époux et confesser ses agissements ? Aahron voulait y croire, mais il peinait à y arriver…
Il était passé par l’étape du déni et l’avait dépassé il y a longtemps, il ne pouvait plus se permettre d’avoir des œillères. Il lui avait avoué l’aimer encore et elle avait avoué regretter son geste. Mais ça ne changerait sûrement rien.
Ils étaient faits l’un pour l’autre, tout le monde le leur disait et Aahron y avait toujours cru, y croyait encore. Mais ils ne pouvaient pas vivre ensemble. La vie était parfois tellement injuste. Les vieux couples adorables se tuaient en voiture (du moins on tentait de le leur faire croire), les petits garçons entendait des voix, les adolescents tournaient dingue à cause d’une photo et les amoureux transis devaient vivre à des kilomètres les uns des autres.

Aahron pinça l’arrête de son nez alors que Trisha rejoignait Petey, visiblement en plein cauchemar. Son père aurait voulu s’approcher lui aussi mais pour le moment, il en était incapable. Approcher Petey signifiait approcher son ex-femme et c’était encre trop tôt.
Il avait besoin plus que jamais de prendre l’air, de s’isoler.

« J’reviens » baragouina-t-il en s’échappant déjà

Sa promesse de veiller sur sa femme et son fils en prenait un coup mais il ne pouvait pas rester un instant de plus dans cette chambre d’hôtel miteuse. Le cœur battant, il s’éclipsa d’un pas pressé dans le couloir et rejoignit prestement l’extérieur. L’air frai lui fit un bien fou et peu à peu, il se détendit. Il remarqua alors des entailles superficielles dans ses paumes et comprit qu’il avait serré les poings avec un peu trop de force, sans même s’en rendre compte.

Poussant un lourd soupir, il enfonça ses mains dans les poches de son jean, renonçant à l’idée d’avaler quelque chose en provenance du distributeur. Il se contenta donc de faire le tour de l’hôtel avant d’y pénétrer à nouveau, le cœur lourd et l’esprit torturé. Même si sa balade l’avait soulagé, l’idée de retourner s’enfermer dans la même pièce que Trisha le mettait mal à l’aise. Pire, il en voulait à la jeune femme de lui avoir fait ça.
Mais puisqu’il avait promis, il se devait d’y remettre les pieds. Si la journée avait été différente, il se serait probablement contenté de dormir dans la voiture.

Prenant une grande inspiration, il pénétra à nouveau dans la chambre et alla se rafraichir dans la salle de bain un instant. Il retourna ensuite dans la pièce principale mais, au lieu de s’approcher à nouveau du lit, il se dirigea vers le vieux fauteuil installé près de la fenêtre et s’y laissa tomber.
Il n’arriverait sans doute pas à dormir alors à quoi bon se torturer en s’étendant aux côtés de Trisha ?

Trisha referma le coffre de la voiture après y avoir déposé les valises, et se retourna vers son ex-mari qui disait au revoir à son fils. Ils n'avaient pas reparlé de ce qui s'était passé la veille. Elle avait tenté de rester neutre et de ne pas avoir ni trop l'air de vouloir partir à tout prix, ni de vouloir rester pour mettre leur plan en action. Lorsqu'il était revenu dans leur chambre hier soir, après l'avoir quitté sans un mot, l'avocate avait fait semblant de dormir, mais elle avait senti tous ses mouvements dans la petite pièce, rendant le sommeil encore plus difficile à trouver. La décision de l'attendre comme il le lui avait demandé, attendrait elle aussi qu'elle ait les idées plus claires. Bien sûr qu'elle avait sa petite idée, et elle en avait envie, mais les choses étaient bien trop compliquées pour l'instant. Il lui manquait peut-être encore un peu de courage pour être tout à fait honnête avec les deux hommes de sa vie.

« Petey...va te mettre dans la voiture, c'est l'heure de partir. »

dit-elle avec le plus de douceur possible.

Après une dernière étreinte avec son père, le petit garçon obéit et s'éclipsa sur la banquette arrière. Il ne manqua cependant pas une miette des adieux de ses parents, à genoux, les deux mains sur la plage arrière et les yeux rivés sur les deux silhouettes qui s'étaient à peine rapprochées.
Trisha, les bras croisés, releva ses prunelles sur Aahron, ne sachant pas vraiment comment aborder son départ, bien qu'ils savaient tous les deux que ce moment était inévitable.

« Tu m'appelles si tu as besoin de quoique ce soit. »

Elle posa une main sur le bras de l'homme, tandis que son regard en disait bien plus long que ses mots, puis tourna les talons et marcha jusqu'à la voiture. La portière ouverte, elle s'arrêta une dernière fois pour l'observer, sans vraiment savoir ce qu'elle attendait. L'avocate prit finalement place sur le siège conducteur et mit le contact. D'un coup d'oeil vers le rétroviseur, elle vit son fils qui ne s'était toujours pas installé correctement.

« Petey mets toi assis, et attache ta ceinture s'il-te-plaît. »

l'apostropha-t-elle avec une pointe d'autorité.

Le petit garçon fit la moue mais obtempéra avec une certaine lenteur tout de même. Elle savait pertinemment qu'il n'avait aucune envie de rentrer à Cleveland et qu'il aurait préféré rester ici avec son père, même après ce qui s'était passé avec Aidan. Trisha jeta un dernier coup d'oeil dans le rétroviseur avant d'avancer la voiture et de sortir du parking de l'hôtel. La route allait être longue...

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02. Tell me that I won't feel a thing, give me novocaine [Aahron, Petey & Trisha]

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