« Je parlais juste de tes horaires de boulot... »

Il aimait qu'elle soit en colère mais là, ça frisait la haine et la douleur...
Merde.
Ce n'était pas du tout ce qu'il cherchait. Il voulait la mettre hors d'elle parce qu'il trouvait ça divertissant et il savait que Colleen se sentait vivante quand elle revêtissait son costume de Drama Queen mais là, c'était autre chose.
Il se mordit la lèvre pour éviter de dire une connerie : il devait calmer un peu le jeu après tout. Il était allé peut-être trop loin, elle avait compris deux tris choses de travers et BOUM ! Catastrophe. Mais la voir ravaler ses larmes, c'était au-dessus de ses forces. Il n'avait jamais aimé la voir pleurer... alors la voir pleurer à cause de lui...
Il se sentait plus minable que jamais là, tout de suite, en voyant son reflet dans les yeux haineux de Colleen...

Malheureusement, il ne savait pas comment faire. Si tout avait été comment avant, il l'aurait simplement prise dans ses bras et il n'aurait pas eu besoin de dire quoique ce soit parce qu'elle aurait parlé longtemps. Il aurait juste eu à écouter, comme d'habitude, et ça aurait fait du bien à Colleen parce que c'était ce dont elle avait besoin, extérioriser une bonne fois pour toute. Mais là, il ne pouvait pas l'enlacer pour la calmer...
Quel con ! S'il n'avait pas jouer à l'abruti pseudo-indécis, elle n'aurait jamais été dans cet état.
C'était de sa faute. Tout. La tristesse de Colleen, sa tentative de suicide, la séparation, les remords... C'était tout de sa faute. il en était conscient et il avait osé espérer que ça se tasserait peut-être avec le temps et qu'il pourrait reprendre avant que tout ne foire. Sauf que dans la vie, ça ne fonctionnait pas exactement comme ça. Non, en fait, ça ne fonctionnait pas du tout comme ça.
En tout cas, pas avec une fille comme Colleen. Comment avait-il pu réellement douter d'ailleurs ? Il n'en avait pas la moindre idée, à part son orgueil masculin touché par le départ silencieux de Charlie... Mais ça avait été tout ! tout ça pour une simple histoire de non explication.

« Tu sais... C'est mieux que ce soit arrivé avant le mariage... » Débilement débile. Voilà ce qui définissait le shérif adjoint de Grayson. Et en plus, il se cherchait des excuses l'idiot. « Et puis ne me dis pas que tu n'as pas eu de doutes quand même. On doute tous dans les moments comme ça... »

Il aurait mieux fait de la fermer...

Grifith fit un mouvement vers l'avant, pour se rapprocher de Colleen, pour se mettre à sa hauteur, pour l'attraper par les épaules et lui dire de s'arrêter... Sauf qu'il s'arrêta avant d'avoir fait un second pas : heureusement pour lui...

Non mais à quoi elle jouait bon sang ? Une bouteille éclatée contre un mur ! Et si ça avait été sa tête ? Oui, elle y avait pensé, qu'elle le dise ne faisait que renforcer tout ça. Bien sûr qu'elle y avait pensé ! Et quelque part, il était même certain que si elle ne l'avait pas visé, c'était uniquement de peur de rater sa cible !

Il avait un instant été faible. Un instant, il avait failli succomber et la croire faible... Mais il ne devait pas s'y tromper : cette fille était un poison ! Une vraie diablesse folle enragée ! Un électron libre incontrôlable qui ne faisait que se rapprocher de ses congénères pour mieux s'y choquer et s'exhorter encore plus loin.
Elle avait besoin de bouger sans arrêt, de dépenser ce trop-plein d'énergie et de transmettre tous ses mouvements aléatoires et imprévisibles à son entourage. Oui, Colleen Jefferson était un électron libre !

Et que faisait Grifith Armstrong face à cet électron libre ? Il lui fournissait de la matière. Il lui fournissait de quoi s'éparpiller dans tous les sens, de quoi hurler à s'en percer les tympans... De quoi se sentir en vie !

« Bien sûr, ça te va bien de dire que tu me laisses la maison maintenant que tu as bien éclater ta bouteille ou même SA bouteille au sol ! Tu crois que c'est comme ça que tu vas obtenir ce que tu veux ? » mais le ton de Grifith finit par atteindre un pic de cynisme exaspérant. Oui, il aimait quand elle se mettait dans tous ses états mais là, il commençait à ne pas pouvoir supporter bien plus.
« D'ailleurs, est-ce que tu le sais vraiment ce que tu veux ? »

Quoi ? Parce qu'il le savait, lui ?

« Ton paysage ? TON paysage ?! Mais je te rappelle que je suis chez moi ! Encore une fois, ouvre bien tes oreilles, tu sembles un peu gâteuse : CHEZ MOI ! »

Oh qu'il la sentait monter. Oh oui, elle montait bien la colère ! Parce que la garce, elle se défendait pas le mensonge et en plus, elle osait mêler ses parents à ça. Quelle garce ! Il la détestait là, tout de suite, sur la seconde. Non, plutôt la fraction de seconde, parce qu'une seconde, c'est un peu trop long quand même. Donc il la détestait assez au point de se jeter corps et âme dans le combat que miss Jefferson avait décidé de livre.
Elle voulait la guerre ? Elle la voulait vraiment ? Tant mieux. Parce que là, il n'avait qu'une envie, c'était lui en faire voir de toutes les couleurs.
Peut-être que tout ce merdier c'était de sa faute, mais quand même, si elle n'avait pas toujours eu cette tendance à tout prôner vers l'excès, ils seraient probablement déjà mariés.

Il avança vers elle finalement, les bras le long du corps, les poings serrés. Il se posta face à Colleen et plongea un regard réellement menaçant dans ses yeux colériques. La menace n'était pas physique, non... Loin de là : il n'aurait pas été capable de lever la main sur elle, sauf pour contre ses mouvements et la bloquer. La menace était d'ordre émotionnelle. Lui aussi, il pouvait frapper là où ça faisait mal.
Et comme elle avait commencé...

« Et puis qu'est-ce que viennent foutre mes parents là-dedans ? Ma mère qui te faisait de la viande JUSTEMENT parce qu'elle avait bien comprs que tu en mangeais ! Oui, elle est maligne ma mère : elle me l'a dit, c'est tes cheveux, on voit qu'ils sont bourrés de protéines et de fer. Une connerie comme ça. Alors ma mère, oui, MA MÈRE, tu la laisses où elle est et en plus de ça, TU LA RESPECTES BON SANG ! »

Il attrapa rageusement la bouteille que Colleen avait entre les mains, but une gorgée puisqu'il avait fini de bosser pour la journée, il en but même une seconde puis il balança la bouteille dans l'évier. Elle s'y brisa.

« Et moi, au moins, j'ai la délicatesse de t'épargner le besoin de te baisser pour ramasser les débris. Alors arrêtes de me dire que je ne pense pas à toi : tu vois, là, je t'épargne une gueule de bois et une hernie ! »

« Tu sais ce qu'on dit ? On cherche parfois à épouser sa mère... Médite ça ! »

Oui, il y avait un peu de maman Armstrong dans Colleen, juste le petit plus qui faisait qu'elle était parfaitement imparfaite pour lui. Elle était pour lui. Enfin, il en doutait presque là, mais il savait qu'elle était celle avec qui il pouvait espérer être heureux. Sauf que là, ça semblait compromis.

Qu'est-ce qu'elle pouvait l'énerver ! il était arrivé calme, il était de nature assez calme, un type posé, aimé de tous parce que gentil. Non, il n'y avait qu'elle pour le mettre dans un tel état. Il n'y avait qu'elle pour lui rappeler qu'il existait et qu'il était bel et bien vivant ! C'était avec elle que la vie prenait tout son sens parce qu'il ne restait jamais enfoncé tranquillement dans le canapé bien longtemps !
C'était elle bon sang ! C'était la bonne !
Et c'était aussi sûrement trop tard...

Elle voulait de la justice ? elle en voulait vraiment ? Elle voulait voir comment ça se passait entre deux adultes complètement débiles et puérils ? il allait lui montrer. Oui, il avait parfois ce petit côté impulsif qui lui attirait de très très gros ennuis. Comme ce triste jour où il avait fallu qu'il embrasse Charlie pour comprendre. Tant pis : on tombe, on se relève, on retombe, on se relève et on marche enfin.

Il attrapa rageusement le T-Shirt de Colleen et l'attira jusqu'à lui pour l'embrasser.
C'était bien ça ! Elle l'avait bel et bien embrassé ! Pourtant, il avait été sûr d'avoir reculé... Non, elle l'avait embrassé et il avait pris ça pour une image fictive de sa cervelle atrophiée. Et puis, elle avait parlé de sa mère !
Il s'en foutait. Il oubliait parce que le goût de téquila qui débordait des lèvres de sa tigresse d'ex-fiancée lui rappelait beaucoup trop de choses. Comme ce weekend où ils avaient voulu s'offrir un séjour dans un centre de détente... Ils avaient été tellement peu détendus par l'ambiance qu'ils s'étaient rués dans le premier bar du coin pour se saouler et appliquer le Carpe Diem enseigné dans le sordide hôtel : ils avaient juste appliqué avec quelques nuances techniques la formule latine.
Il relâcha sèchement son étreinte, se dirigeant vers la porte, le souffle encore court mais le regard dur. Elle allait regretter tout ça. Lui aussi, mais à deux, c'était toujours mieux.

« Tu reviendras sur tes paroles, crois-moi ! »

Il sortit en claquant la porte, affichant alors un sourire à l'idée de la surprise qu'il préparait à sa "douce"...

« Rira bien qui rira le dernier... » Grifith Armstrong boucla sa dernière valise, sur un total de deux bagages. Il ne regretterait pas son vieux canapé lit moisi et sa télé de basse catégorie... Il fourra le tout dans sa voiture et démarra tranquillement. Il voulait prendre le temps de savourer.

Ça lui était venu comme ça. Il avait tellement répété à Colleen qu'il était aussi chez lui que ça l'avait convaincu à lui et non à elle. Du coup, il avait décidé, une fois que la jolie postière avait encore dépassé les limites, de faire ses bagages et de revenir CHEZ LUI.
Elle allait être hors d'elle. Elle allait le détester et tout faire pour qu'il s'arrête sur le pas de la porte. Sauf que lui aussi, quand il avait une idée en tête, il la gardait ! Il allait savourer le moment, sa victoire, son passage du blanc au rouge de colère à elle... Oui, il allait prendre son pied, même si le prendre avec Colleen dans un lit ou même ailleurs était meilleur en réalité. Il ne pouvait plus l'avoir à elle ? Il compenserait autrement.
Et puis, il avait bien senti son désir à elle dans leurs baisers échangés plus tôt. Oui, elle le désirait autant que lui la voulait et ça, ce n'était pas négligeable. Il allait être fourbe et la manipuler, elle pouvait en être certaine !

Il gara gentiment la voiture devant CHEZ LUI. Et sortit ses affaires avec un sourire triomphal sur la figure. Oui, il était fier de lui, de son idée géniale et de la petite gueguerre qui allait sortir de tout ça. Oui, ça allait être la guerre ouverte !
Il se posta sur le perron, actionna la poignée... fermée. Son sourire s'agrandit lorsqu'il sortit de sa poche la petite clé confiée plus tôt par Colleen. Elle allait bien vite le regretter. Il mit la clé dans la serrure, la tourna et entra avec toutes ses affaires.
Colleen dormait profondément. Très peu vêtue, comme d'habitude. Grifith remarqua un mince filet de bave s'échappant des lèvres de la belle. Il fouille rapidement dans l'une de ses valises et prit le délit en photo : il fallait avoir de la matière à négocier pour plus tard. Il se planta devant le sofa, prépara son entrée en scène et se racla la gorge suffisamment fort pour la faire ouvrir les yeux .

« Surprise ma douce, ton homme est rentré ! Aux fourneaux flemmarde ! Il faut fêter ça ! »

Il n'avait pas cillé quand le seul prénom qui était venu à l'esprit de Colleen avait été celui de ce connard de Redd. Merde à la fin, pourquoi lui ? Qu'est-ce qu'il avait de si attractif pour que ce soit à Logan Redd qu'elle pense au réveil et non à lui ?
La réponse ne s'était pas attendre parce que la belle venait de vider ses tripes sur le sol de la maison où ils avaient si souvent fait l'amour. Grifith se souvint de suite de ce qu'elle lui avait dit un peu plus tôt : il avait été là ce sela con quand elle s'était retrouvée au fond du trou. Non, c'était lui en fait le sale con, pas cet attardé de Redd. C'était lui qui avait tout foiré et qui avait mis Colleen dans cet état là. Et là, en gros con qu'il était, il restait à l'observer, ses valises posées à côté de lui et son appareil photo minable entre les mains.
Il se détestait. Il ne savait pas ce qu'il devait ou même pouvait faire. Elle le détestait aussi et elle avait raison. Mais quel con, quel connard, quel... Il posa son appareil sur le sofa et se dirigea vers la cuisine où il prit un verre qu'il remplit d'eau tiède : plus d'eau au frigo alors il dut se résoudre à la tirer du robinet. Il apporta le verre à Colleen ainsi qu'une chaise et la fit s'y asseoir sans la laisser protester : « Tu m'enverras chier plus tard, tu auras toutes les occasions suivantes pour ça vu que je reviens... »

Il grimpa à l'étage pour récupérer des comprimés dans la salle de bain mais en ouvrant l'armoire à pharmacie, il se sentit abattu... Le nombre d'anti-dépresseurs et de somnifères n'avaient jamais atteint une telle quantité auparavant. Il s'en voulait vraiment. bien sûr, une fois qu'elle aurait retrouvé ses esprits et qu'elle aurait recommencé à le mettre hors de lui ça passerait mais là, alors qu'elle était en position de faiblesse, il se sentait terriblement coupable.
Il prit un tube contenant des comprimés effervescents et referma l'armoire. Il appuya ses deux mains sur le lavabo, regardant le trou qui s'enfonçait dans le néant des canalisations. « T'as intérêt à pas la laisser recommencer mec... » Il soupira et sortit de la pièce sans la refermer derrière lui. Il n'osa même pas aller dans la chambre.

Il apporta une bassine à Colleen et jeta un cachet dans son verre où il restait encore de l'eau. Celle-ci se mit à s'agiter frénétiquement par effervescence alors qu'un gaz blanchâtre s'échappait du verre. Il regarda alors la postière qu'il aimait encore et ne dit rien, de peur de dire une connerie.
C'était à elle à l'enfoncer maintenant, elle avait bien droit à sa revanche...