L’estomac noué par l’anxiété, Dakota Sallander gara son 4X4 sur Madison Street avant d’en descendre en tirant sur les pans de sa veste de costume. Il faisait une chaleur étouffante dans les rues de Grayson et sa climatisation lui manquait déjà… Poussant un soupir et réajustant ses lunettes de soleil, elle se délesta de sa veste inutile qui révéla une chemise en soie écrue impeccable.

L’inspectrice referma sa portière sèchement après s’être saisie du petit dossier brun qui avait jusque là reposé sur le siège passager. Elle le connaissait par cœur à présent mais l’avoir en main lui redonnait un peu confiance. La jeune femme n’avait en effet jamais apprécié ses visites à Grayson et c’était d’autant plus vrai depuis quelques années…
Ce coup-ci au moins, elle n’aurait pas à écouter Fredrick, son partenaire, se plaindre d’à peu près tout, se moucher, renifler, éternuer et mastiquer ses bonbons à la réglisse pour essayer de se détendre. Selon lui, Grayson le rendait malade, physiquement. Dakota avait consenti sans trop de mal à ne pas l’emmener avec elle aujourd’hui.

Après tout, il ne s’agissait que de questionner une fois encore quelques villageois à propos de l’incendie survenu quatre jours plus tôt et Dakota n’attendait pas grand chose de ces contre-interrogatoires. Ils étaient à Grayson. Les habitants se serreraient les coudes comme toujours et mentiraient pour se couvrir les uns les autres. Elle connaissait la chanson depuis le temps.

La mère de famille pénétra à l’intérieur du bureau du shérif. Kathleen Wood était à son poste, l’air stressée comme toujours, un sourire crispé aux lèvres mais ni Grifith ni Declan n’étaient visibles.

« Bonjours Inspecteur Sallander » la salua la standardiste
« Bonjour Kathleen, comment ça va ? »
« Bien, bien… Si vous cherchez Declan, il est dans son bureau »
« Son adjoint est avec lui ? »
« Non, Grifith est retenu par Madame Pietsky. Il se joindra à vous dès qu’il le pourra » la renseigna la brunette en rougissant
« Cette vieille peau est toujours en vie ? » rit Dakota en s’approchant du bureau du shérif

Les joues de Kathleen s’empourprèrent un peu plus. Dakota lui adressa un dernier sourire avant de pousser la porte du bureau sans prendre la peine de frapper. Le shérif, jusque là installé à son bureau, sursauta à son arrivée. Visiblement, il avait été trop absorbé par le dossier qui était étalé devant lui pour l’entendre pénétrer dans le bâtiment et s’entretenir avec sa secrétaire.

« Shérif » le salua-t-elle sobrement, ôtant ses lunettes pour les glisser dans son décolleté « Belle journée, n’est-ce pas ? J’espère que cette chaleur ne vous aura pas ramolli le cerveau, Declan… Vous avez établi un ordre de passage ? »

Un sourire amusé aux lèvres, Dakota observa sa chemise quelque peu déboutonnée. Rien de vraiment excitant mais pour Declan qui vivait à Grayson (et côtoyait cette chère Lucinda), ouvrir son col était déjà audacieux. Qu'il aille se faire voir. Elle se contenta de pincer ses lèvres dans une moue moqueuse avant de lui jeter un regard provocateur.
L'inspectrice s'intéressa ensuite au papier qu'il lui avait fourré entre les mains, délaissant ses jeux de provocation l'espace de quelques instants. Il s'agissait d'une liste d'habitant à réinterroger qu'elle consulta en fronçant ses sourcils bruns d'un air concentré.

« J'avais également prévu de revoir la déposition de ce David Handel » finit par reprendre Dakota, sans vraiment avoir écouté le discours du shérif, puisqu'il lui résumait ce qu'elle avait sous les yeux « Cette histoire de silhouette sombre dans les buissons mérite d'être approfondie. Il pourrait ne s'agir que d'un habitant à la vessie légère mais ça vaut le coup d'essayer d'en savoir plus » commenta-t-elle en venant s'installer sur le siège en face du bureau de Declan « Idem pour le jeune Donnelly, ne serait-ce que pour éclaircir cette histoire de bagarre survenue au matin de l'incendie. D'ailleurs, Kathleen a été incapable de me fournir un rapport sur l'incident, shérif... Vous avez sans doute été trop débordé pour remplir un rapport avec les préparatif de ce fiasco de cinéma plein air ? » le cingla-t-elle avant de se repencher sur le dossier, la mine soudain intriguée « Clyde et Lucinda ? Vous voulez les interroger à nouveau ? Je n'ai rien trouvé qui cloche dans leur déposition, qu'est-ce qui vous chiffonne ? »

En réalité, ce qu'elle trouvait étrange, c'était que Declan puisse soupçonner sa propre sœur... De son côté, Dakota ne lui accordait aucune confiance, mais la situation lui paraissait tout de même curieuse.

Un sourire goguenard apparut sur les traits tirés par la fatigue de Dakota. Elle venait d'égratigner la carapace de ce lent de Declan...
L'inspectrice laissa l'homme se justifier sans vraiment tenir compte de son avis. Elle n'était pas d'accord mais peut-être que le spectacle pourrait être réjouissant. Et elle ne crachait pas sur l'idée de voir Lucinda en position délicate. En revanche, se retrouver nez à nez avec Nathaniel la dérangeait fortement.

« Plus vite on en aura terminé ici, plus vite je pourrai quitter Grayson » trancha-t-elle avant de relever ses yeux chocolat vers lui « Et quand est-il de Logan Redd ? Vous avez passé toute la soirée en sa compagnie ? Absolument TOUTE la soirée ? » le questionna Dakota, un sourcil haussé « Parce qu'il me semble qu'il a déjà fait des siennes un bon nombre de fois, notamment lors de la dernière séance de cinéma... Et puis il était en charge des feux d'artifices. J'aimerai qu'il soit convoqué également »

Toute la famille Redd allait être sur le grille. Grayson allait en prendre un coup, c'était certain. Elle s'en réjouissait d'avance.

Dakota rassembla tous les papiers concernant l'affaire et les abandonna sur le bureau de Declan avant de se redresser pour lui refaire face.

« A moins que vous sachiez quelque chose que j'ignore, shérif, nous ignorons si le coupable a agit seul ou pas. Logan et Nathaniel pourraient avoir travaillé ensemble, ce ne serait pas la première fois que la tête pensante de Grayson utiliserait son sou-fifre de cousin... Peut-être qu'il lui a conseillé de vous accaparez. Peut-être qu'il lui a soumis l'idée d'avoir un alibi et de se rapprocher de Miss Jefferson pour la soirée... »

Les bras croisés sur sa poitrine, elle s'était rapprochée de Declan tout en parlant, adoptant une attitude mi moqueuse, mi séductrice.

« Nous ne savons toujours pas comment l'incendie s'est déclaré et comment la porte du cabanon a été condamnée, empêchant ainsi Joshua de s'échapper. Alors oui, shérif, j'aimerai beaucoup voir le joli minois de ce cher Logan Redd...»

Dakota sera les dents pour contenir son agacement. Declan était un idiot. Un idiot qui paradait avec une étoile sur le torse et un flingue dans un étui. Elle l'imaginait aisément le dégainer devant sa glace le soir quand il se pensait à l'abri des regards. Il était le héros de son propre film... Un western de mauvais goût aux répliques stériles selon elle.

Évidemment qu'elle n'avait pas besoin d'un dessin ! Elle n'avait pas imaginé que Logan ait séduit Colleen en lui offrant une tortue qu'ils pourraient élever tous les deux dans le fond d'un jardin ! Encore que ça aurait sûrement beaucoup plus à la demoiselle en question. Dakota n'avait jamais compris ce que Grifith lui trouvait, bien qu'il soit indéniable qu'il allaient bien ensemble tous les deux. Ils venait probablement de la même dimension parallèle... Mais c'était une autre histoire.

« S'ils étaient triés par ordre alphabétique, il faudrait peut-être songer à retourner s'installer sur les bancs de l'école, Declan » répliqua-t-elle froidement, ce petit jeu commençant à lui taper sur le système « Bon, qu'en en finisse, j'ai une migraine qui se pointe »

Et sans plus un mot, elle sorti du bureau pour rejoindre Kathleen qui sursauta, comme chaque fois et arbora un air coupable. Cette petite finirait terrassée par une crise cardiaque. Ou elle se prendrait les pieds quelque part et s'empalerait quelque part... La jeune Wood était sans doute la personne la plus maladroite qui lui ait été donnée de rencontrer, et pourtant Fredrick n'était pas mal dans le genre.

« Vous avez pu joindre Armstrong sur sa radio ? »
« Non mada...Inspecteur Sallander » bafouilla la jeune femme en bidouillant immédiatement sa radio
« Prévenez-le qu'on commence sans lui » annonça-t-elle avant d'ouvrir la porte menant à la minuscule salle d'interrogatoire non climatisée... « Génial » maugréa-t-elle

La journée risquait d'être longue...

Le plus difficile, ça n’était pas de supporter les habitants odieux de ce trou à rat, ni le mauvais after shave de Declan, ni même le chignon de mémé qu’arborait sa rouquine de sœur. Non, le plus difficile était de se retenir de rire devant la moue outrée de Lucy. Finalement, peut-être qu’elle allait enfin trouver un exutoire pour compenser de sa frustration d’être ici. Voir la famille Redd défiler et enrager allait peut-être se révéler très libérateur pour elle finalement.

Chose sûre, Declan se pavanait un peu moins en revenant qu’en partant. Lucy avait certainement dû lui casser les oreilles en chemin. C’est malin, c’est lui qui avait sélectionné cette harpie après tout.

« A qui le dites-vous Lucy » sourit-t-elle pour la saluer, sans se formaliser de la remarque grossière de Madame Redd « Vous permettez que je vous appelle Lucy, n’est-ce-pas ? »

Formule de politesse lancée sur un ton faussement doucereux, elle n’attendait aucune réponse. D’ailleurs elle enchaîna immédiatement.

« Figurez-vous que ce n’est pas moi qui ait prit la décision de vous convoquer à nouveau, c’est votre frère, mais puisque vous êtes là… »

Dakota haussa une épaule, se saisissant d’un petit dossier qu’elle ouvrit et feuilleta distraitement. Ca n’était pas très professionnel de balancer Declan, c’était juste pour son propre amusement. Tant pis pour lui. Bref, assez joué.

« J’ai sous les yeux votre première déposition. J’y ai consigné la majorité de vos déclarations sur la soirée du 4 juillet faites lors de notre premier entretient, à date du 05 juillet. Je vous demanderai de bien vouloir relire attentivement votre déposition Madame Redd, puis de me certifier que les propos rapportés sont bien les vôtres. Si vous souhaitez modifier, détailler ou revenir sur certaines de vos déclarations, c’est le moment. Je profite également de cette introduction pour vous assurer que cette seconde session n’est en rien une accusation. Si l’issue de cet entretien vous est favorable, rien de tout ceci ne sera consigné dans votre casier judiciaire » débita-t-elle mécaniquement.

Elle déposa devant elle la feuille en question, et patienta, faisant cliqueter le bic qu’elle avait en main en attendant de pouvoir poursuivre.

Elle aurait bien servit à Declan un « je te l’avais bien dis », mais franchement, même si elle adorait faire enrager toute cette bande, elle savait également que ça n’était pas très professionnel comme comportement.
Elle se trouvait à Grayson pour résoudre une affaire et c’est ce qu’elle avait l’intention de faire, et le plus rapidement possible encore bien ! Car même si elle aimait effectivement les faire mousser, elle préférait encore plus être ailleurs, et ne pas les avoir des les pates plus longtemps que nécessaire.
Du coup, l’inspectrice opta pour un ton neutre et s’immisça dans la conversation avant que son collègue de shérif ne réplique quoi que ce soit à sa sœur.

« Ok, ok, je crois qu’on va se calmer et s’en tenir aux faits. Sous votre respect Madame Redd, vous vous emballez un peu. Personne ici n’a remit en doute votre intégrité. Si mes oreilles ne me trompent pas, votre frère vous à demandez si vous protégiez votre mari, pas si vous aviez incendié la cabine de projection. Pour ma part, je ne pense pas que vous ayez le moindre penchant pour la pyromanie. Maintenant, de toute évidence, Shérif Spelling émet quelques réserves concernant votre époux. Ce que l’on attend de vous, c’est que vous dissipiez, ou confirmiez ces doutes, et rien d’autre. Alors je vous écoute m’exposer avec calme votre avis sur la question Madame Redd » débita l’inspectrice en replaçant une mèche de ses longs cheveux bruns derrière l’une de ses oreilles.

Dakota avait observé la scène, dubitative. Elle s’était contentée d’hausser les sourcils bien hauts lorsque la gifle avait résonné dans la petite pièce mal aérée.
Bon Dieu, mais qu’est-ce que c’était que ce plan ? C’était tout bonnement lamentable.
Lamentable…
Mais de quelle manière vivaient ces gens ? D’aussi loin qu’elle se souvienne, l’inspectrice n’avait jamais comprit leur manière de fonctionner et de raisonner. Il lui semblait toujours rater quelque chose. C’était le cas une fois de plus. Ce village était peuplé de fou…

« …Mwais…… ok… » marmonna la grande brune avant de se lever lentement de son siège dans l’incrédulité la plus totale « …Madame Redd » lança-t-elle à la rouquine, l’incitant ainsi à se lever elle aussi pour quitter la pièce.

Se faisant, Dakota lança un regard en biais à son collègue avant de s’éclipser. Une fois dans le hall du bureau, elle referma la porte derrière elle et n’eut même pas le temps d’adresser à Lucy la moindre dernière salutation. D’un pas raide et claquant, la grande rousse s’était dirigée vers la sortie sans demander son reste, bousculant presque l’adjoint du shérif qui faisait son entrée au même moment.

Dakota posa ses poings sur ses hanches et fit la moue.
Fou, et pas pressé en plus.
Lamentable… vraiment.

« Tiens donc ! Adjoint Armstrong, c’est un plaisir de vous comptez parmi nous. Vous allez voir, on se poile comme des fous » grinça-t-elle avec cynisme avant de lui faire un rapide signe de la tête pour lui signifier de se magner le train.

C’est qu’elle allait avoir besoin d’aide pour maîtriser ce gros lourd de Declan.
Avant de revenir dans la salle d’interrogatoire, Dakota se tourna vers Kathleen :

« Lorsque le Docteur Redd arrive, faites-le rentrer voulez-vous ? »

Puis elle déserta le hall et rejoignis le shérif, Armstrong à sa suite.