04:05 PM - Standing in the shade [Ezra & Charlie]

Sujet: 04:05 PM - Standing in the shade [Ezra & Charlie] Mar 19 Juin 2012, 00:10

Après avoir croisé son adjoint d’ex petit-ami, Charlie avait vivement ressentit le besoin de s’isoler un peu, juste un moment, pour fuir les gens, les regards, et prendre une pause. Avec Louise, l’excuse était toute trouvée et de toute manière, en quittant le parc il y a un peu moins d’une heure, elle n’avait croisé personne devant qui se justifier. Sa guitare sur le dos, elle s’était faite discrète et s’était simplement éclipsée, slalomant entre les arbres avant de rejoindre la route, le trottoir, puis sa porte d’entrée quelques cuisantes minutes de marche plus tard. Et elle avait bien fait d’en faire autant d’ailleurs puisqu’une fois à l’intérieur elle avait trouvé sa grand-mère en robe de chambre dans le couloir de l’étage, avec un air perdu et le chignon défais.

Charlie avait eut beau lui dire plusieurs fois où elle passait la journée d’aujourd’hui, lui avoir répété à plusieurs reprises qu’une assiette froide l’attendait dans le frigo pour son repas de midi, de ne pas oublier de s’hydrater, de rester allongée tranquillement devant la télévision et le ventilateur, toutes les informations étaient entrées par une oreille pour ressortir immédiatement par l’autre. Rapidement, elle l’avait aidé à se changer, à se recoiffer, l’avait installé dans le divan avec un grand verre d’eau et son assiette avant d’allumer le ventilo et le poste sur une émission de variété quelconque dont raffolait Louise. Cela fait, elle avait prit la peine de lui faire un peu la conversation, ce qui n’était pas très compliqué depuis qu’elle était complètement sénile.

Au final, ça ne lui avait pas changé les idées plus que ça, il fallait bien l’avouer. Mais pour ne pas passer pour une déserteuse, Charlie avait été contrainte de retourner sous le cagnard pour rejoindre le parc. Elle était passée voir Colleen au stand boisson pour lui voler un peu de citronnade - en évitant soigneusement pour l’instant de lui parler de sa conversation avec Grifith - puis elle était retournée se balader entre les stands.

Comme elle avait déjà tout vu deux fois et ne savait pas trop quoi faire d’elle, elle s’était installée dans l’herbe, entre le stand philatélie et le stand agencement floral, tenu par cette pimbêche d’Hofgood qui était pourtant d’une humeur aussi radieuse que ses fleurs aujourd’hui, et lui avait demandé de jouer deux ou trois morceaux. Comme Charlie s’était exécutée avec le sourire, la mère de famille lui avait offert une superbe fleur de crocus mauve que Charlie avait coincé au bout de sa guitare en la remerciant chaleureusement. Elle n’oubliait pas que les gamins de sa voisine d’en face étaient venus gribouiller des insultes à la craie sur son allée mais bon… c’était le pique-nique de l’amour, autant rester dans le ton.

Elle avait ensuite entamée une chanson de son choix, qu’elle interprétait un peu moins bien que l’artiste à la guitare, mais qu’elle savait chanter juste et qui, selon elle, collait parfaitement au doux parfum de fleur qui flottait autour d’elle.

Une fois sa chanson finie, elle redressa la tête faire face à une haute silhouette qu’elle ne connaissait pas et qui l’observait silencieusement. Comme il avait le soleil dans le dos, elle eut du mal à distinguer ses traits mais lui adressa tout de même un petit sourire, l’œil plissé par les rayons.

Vous voulez essayer ?

Ezra a passé une bonne partie de la journée sur le lieu du pique-nique, mais il a très vite commencé à tourner en rond. Son sandwich avalé en vitesse au milieu de parfaits inconnus sur l’aire de pique-nique, il a fini par se décider à rentrer chez lui. L’excuse pour sa désertion est toute trouvée : il a encore un tas de cartons à déballer et des milliers de choses à faire dans le manoir qu’il vient d’acheter. Cependant, personne n’a vraiment l’air de s’intéresser à son cas et à ce qu’il prévoit de faire avec son temps libre aujourd’hui. Surtout pas Kaylee qui a disparu très vite de son champ de vision pour filer avec Aidan Donnelly. C’est agaçant mais il ne peut pas trop lui serrer la bride sous peine de se la mettre à dos et de devoir essuyer une crise adolescente particulièrement bruyante. En plus de cela, c’est lui qui lui a proposé de prendre du bon temps et de profiter de cette journée pour créer des liens… Il n’empêche que son absence lui pèse et que la solitude lui semble difficilement supportable dans cette imposante bâtisse vide. Il tente de s’occuper l’esprit et les mains mais ses pensées s’orientent toujours vers Kaylee et Aidan. Que sont-ils en train de faire pendant qu’il n’a pas les yeux sur elle ? Sur lui surtout… Ezra ne le connait pas ce gamin après tout ! Peut-être qu’il n’est pas aussi innocent qu’il en a l’air. L’adolescent lui a parut tout ce qu’il y a de plus poli lors de leur rencontre mais on lui a toujours appris à se méfier de l’eau dormante. Son propre père a l’air d’un homme tout à fait équilibré au premier abord, un peu froid et au regard triste, mais un homme de confiance tout de même… C’est cette pensée qui termine de le convaincre qu’il lui faut retrouver sa sœur.

Il se met en route après s’être un peu rafraichit et enfonce une casquette sur son crane pour se préserver du soleil de plomb. Ezra ne sait pas vraiment où commencer ses recherches et il décide donc de simplement se balader entre les stands du pique-nique. L’ambiance ne lui parait déjà plus au beau fixe, certainement à cause de la chaleur étouffante. Il faut dire aussi que le tour est vite fait et que, les animations terminées, il n’y a plus grand-chose à faire dans le parc qui est un peu plus désert. Les gens reviendront certainement ce soir, au moment du repas ou un peu plus tard pour le spectacle.
En parlant de spectacle, Ezra se laisse guider par quelques accords de guitare accompagnés par une voix féminine fort plaisante. Il ne connait la brune aux cheveux courts que de vue, sans se souvenir où il l’a déjà vu. Peut-être dans l’un des commerces de Grayson, peut-être derrière un stand au cours de la journée ou simplement dans la foule. Peu importe au fond. Il s’immobilise pour l’écouter un peu, profitant de ce moment de flottement où sa sœur lui sort de la tête et où la chaleur lui parait soudain presque agréable. Il reste planté là jusqu’à la fin, la tête vide, le cœur un peu plus léger, perdu dans de vieux souvenirs qui refont surface… Soudain la guitare se tait et la fille prend la parole d’une voix beaucoup moins chantante. Il faut plsueiurs secondes à Ezra pour comprendre que c’est à lui qu’elle s’adresse.

Je n’ai pas vraiment le…doigté pour ce genre de chose, dit-il alors qu’une vague de chaleur le submerge d'un coup.

Il n’est pas certain que parler de doigté à une fille soit approprié mais les mots sont sortis et il ne peut plus les reprendre. A la place, il se racle la gorge et reprend la parole : C’était très beau. C’est de vous ?

La remarque concernant son manque de doigté lui soutire un petit rire discret. Heureusement que Colleen n’était pas dans les parages immédiats pour l’entendre, parce que si ça avait été l’cas on n’aurait plus pu l’arrêter. Enfin, la maladresse était plutôt charmante du point de vue de Charlie et elle s’autorisa un tout aussi discret « c’est bon à sa voir », avant que le jeune homme ne change le sujet pour une question.

Elle lança un bref coup d’œil interloqué à sa guitare avant de relever des yeux ronds vers le garçon à la casquette qu’elle avait toujours un peu de mal à distinguer à cause de soleil.

Warf, sûrement pas non ! Vous rigolez ? Jamais j’aurai pu pondre une chanson pareille

Nan moi… j’suis une bonne copycat, c’est tout. Je laisse tout le boulot ingrat aux autres avant de leur pomper leur créativité pour faire la maligne dans les kermesses de village

Fut un temps – très lointain – ou elle écrivait encore ses propres chansons. Aujourd’hui, avec le train train et l’incroyable médiocrité de sa vie, elle ne se contentait plus que de reproduire sans plus rien inventer seule. Elle se disait souvent, pour apaiser sa conscience : plus tard, plus tard. Mais à bientôt trente balais, son plus tard n’arrivait toujours pas, et c’était plutôt vers la résignation qu’elle faisait chemin ces derniers temps.

Pour donner le change, elle se mit debout avant de frotter son short pour se débarrasser des brins d’herbe. Cela fait, elle tendit une main vers l’inconnu.

Charlie

Mais vous pouvez m’appelez Charlie. Pardon, blague idiote

Vous êtes des environs ?

Ezra ne peut retenir un sourire amusé lorsqu’il entend Charlie vanter ses mérites de plagieuse. Il hoche la tête pensivement sans s’en dépeindre, repensant avec nostalgie aux poèmes qu’il tentait d’écrire dans sa jeunesse, couché dans son lit, le drap par-dessus sa tête. Généralement, il posait son gros casque sur son crâne blondin, la musique au minimum pour pouvoir entendre son père s’approcher de la porte. Une petite lampe de poche coincée entre les dents ou sous l’aisselle, il éclairait les pages d’un petit carnet et jouait les poètes… Sauf que ça ne marchait jamais vraiment et les rares moments où il se sentait enfin inspiré, il ne tardait pas à réaliser en se relisant, qu’il avait en fait recopié inconsciemment les paroles de la chanson qui passait à ce moment à peu de choses près. Ezra avait fini par abandonner l’idée de s’émanciper et d’adopter un style de vie bohème. Ca avait été un beau rêve qu’il chérissait.

Il la regarde se redresser puis lui tendre la main et sort la sienne de sa poche. Il la serre brièvement et sourit à sa blague. Par pure politesse vraiment : elle ne l’a pas fait rire.

Ezra Johansson, se présente-t-il, articulant à peine.

Elle enchaine avant le fatidique silence gênant et il est soulagé qu’elle ait pris cette initiative. Il se sent décidément bien impotent depuis ce matin…

Je viens d’aménager à Grayson avec ma petite sœur. Je viens de Camdenton, un petit village un peu plus au sud mais toujours dans le Missourri. Je ne vous en voudrai pas de ne pas connaître, c’est aussi perdu… et bien qu’ici, se trouve-t-il obligé de terminer.

Il passe la main qu’il a utilisé pour serrer celle de Charlie dans ses cheveux. Sauf qu’il porte sa casquette et bute simplement dans sa casquette qui tombe sur l’herbe dans un pouf ridicule. Gêné, il se penche pour la ramasser et la revisser sur son crâne rougissant.

Vous…hem… Vous habitez là aussi alors ?

Ezrajohanssen ? Ca ne s’écrivait sans doute pas en un mot mais là comme ça, c’est ainsi qu’elle l’avait comprit. Il fallut que la jeune femme se le répète mentalement plusieurs fois pour savoir ou trancher la poire en deux. Ezra. Elle en avait connu un quand elle vivait sur la plage à Miami. Une espèce de branleur insupportable et assez moche. Rien à voir avec celui-là ! Courtois, à croquer, et juste ce qu’il fallait de maladresse pour le rendre touchant. Du moins c’était sa première impression à chaud. Elle n’oubliait pas qu’on était parfois surpris sur le long terme et n’lui aurait pas non plus donné le Bon Dieu sans confession.

Il devait tout de même avoir une petite araignée au plafond... C’était obligatoire lorsqu’on décidait de s’installer à Grayson sans y être forcé par la vie et ses coups bas, lorsqu’on faisait ça de son plein gré. Quoi que ? Qu’est-ce qui lui disait que c’était l’cas ? Peut-être qu’une espèce de malade lui avait pointé un flingue sur la tempe pour les obliger sa sœur et lui à s’installer ici ? …
Ou tout simplement il aimait les campagnes paisibles, c’était possible aussi. Ca arrivait ces choses-là.
C’était juste difficile à concevoir pour elle qui ne rêvait que de mettre les voiles sans jamais revenir.

Elle lui lança un petit coup d’œil un rien stupéfait lorsqu’il lui annonça son emménagement, avant d’étirer sa grande bouche en un large sourire amusé lorsque la casquette du jeune homme s’échappe. Il a l’air embarrassé mais elle trouve ça plutôt mignon. Cela dit, elle ne fait aucun commentaire et enchaine tout simplement.

Ouais je vie ici. Depuis que je suis petite

Elle ne s’était jamais cachée de n’pas avoir envie de rester et c’était peut-être un rien décourageant pour lui qui venait d’arriver mais bon, c’était la vérité ! Et puis elle ne le montrait pas du doigt non plus.

C’est cool si on aime… ne pas capter internet et faire 20 bornes pour s’acheter une paire de chaussette !

Elle aurait bien aimé trouver une contrepartie plus positive pour balancer mais… non.

En tout cas bienvenue à Grayson !

On se croisera sûrement, c’est moi qui tiens la caisse de l’épicerie Pryde quatre jours par semaine. C’est l’seul magasin du village qui vend d’la nourriture alors,… si ça vous arrive de manger on s’verra certainement de temps en temps

Dès les premières répliques qui sortent de la bouche de Charlie, Ezra sent qu’elle aurait beaucoup à dire à sa jeune sœur, mais ça ne serait pas très bon pour lui. Plus Kaylee obtiendra de voies en défaveur de Grayson, plus les choses se corseront… La situation est déjà assez compliqué sans que les habitants du village eux-mêmes la conforte dans l’idée que s’installer dans le coin est une erreur et équivaut à creuser sa propre tombe.
Il se sent tout de même obligé de lui sourire malgré ses nombreux sous-entendus, pour ne pas lui montrer que ses propos le mettent un peu mal à l’aise. Il s’est arrêté pour l’écouter jouer de ma guitare et pousser la chansonnette, pas pour débattre sur les raisons de sa venue ici ou le fait que ce soit une erreur de débutant naïf. Ezra a déjà décidé d’écourter sa conversation avec la jeune femme qui, d’après ses dires, travaille à l’épicerie de Grayson qu’il a visité il y a peu, apparemment pas le jour où Charlie était de service.
Il hoche la tête, toujours souriant, le visage un peu tendu.

Ca nous arrive effectivement à ma sœur et moi, répond-t-il à défaut de trouver quelque chose de pertinent à lâcher qui permettrait de relancer la conversation. DE toute façon, ce n’est pas dans son intention puisqu’il n’aspire plus qu’à s’éloigner maintenant. Merci en tout cas. Tout le monde s’est montré très amical depuis notre arrivée ici. C’est assez plaisant.

Il ne sait pas vraiment pourquoi il ressent le besoin de défendre le village, de trouver un point positif à sa venue ici. Ezra réalise alors à quel point les propos de la caissière brune l’on vexé…En plus, maintenant qu’il est sur sa lancée, il est bien décidé à ne pas se contenté de cette petite remarque stupide.

Personnellement, je préfère le genre de distractions auxquelles nous avons droit aujourd’hui à quelques heures passée sur Internet. Ca ou un bon livre. Ma sœur ne serait pas de cet avis, mais c’est bien de son âge, sous-entend le grand blond d’un ton apparemment indifférent, sentant ses joues rosir un peu.

Il n’a jamais été fait pour la vie en communauté et, s’il l’a toujours su, c’est depuis qu’il a renoncé à ses vœux qu’Ezra a vraiment comprit qu’être pasteur n’était pas une voie pour lui.
Le pire dans tout ça est certainement qu'il a pleinement conscience que Charlie tente juste de briser la glace et n'essaie pas de le juger. Il se sent stupide et immature bien plus qu'elle en agissant comme ça, un vrai mufle, mais c'est plus fort que lui.

Le pauvre qui en était encore au stade où l’on croit naïvement que les sourires des habitants de Grayson sont sincères ! Si ‘tout l’monde’ s’était montré très amical envers eux, c’est qu’il n’avait pas du rencontrer tant de monde que ça de toute façon. Avec l’état dans lequel les derniers étrangers arrivés (les Donnelly donc) avaient mis le village, la moindre bouille inconnue au bataillon devait être redoutée comme la peste bubonique ! Et justement, étant caissière, elle serait aux premières loges pour voir naître les toutes premières rumeurs sur les deux nouveaux habitants. Les premiers jours ça serait tout rose et merveilleux, mais Charlie était curieuse d’avoir cette même conversation avec Ezra d’ici un petit mois ou deux. Il n’était pourtant même pas question de savoir si oui ou non il allait changer de disque. Forcément, s’il avait un tant soit peu de jugeote, il changerait de disque à coup sûr. C’était plutôt de savoir combien de temps ça lui prendrait pour piger qu’il était tombé dans un gros nid de frelon dont ne ressort jamais vraiment…

Et puis déjà, il insinuait que sa sœur n’avait pas la même optique que lui. Certainement une sœur de quelques bonnes années de moins, vu la manière dont il avait tourné sa réponse. Charlie ne se souvenait que trop bien de sa propre adolescence ici, et ce n’était pas c’qu’elle souhaitait à cette fille, qui qu’elle soit !

Oh si votre sœur est en manque de civilisation et qu’elle s’ennuie, faut pas hésiter à l’envoyer faire quelques courses, j’en profiterai pour la rencarder sur les quelques endroits où ça bouge un peu dans l’coin ! En semaine c’est un peu mort, même pendant l’été, mais le week end, de temps en temps ça remue pas mal. Au susan’s Coffee de Westrbridge y’a parfois des petits concerts et d’autres trucs

Y’a cas demander

Ezra n’est pas tout à fait certain qu’il veut que Kaylee fréquente une jeune femme de la trempe de Charlie et se chargera peut-être jusqu’à la fin de ses jours de faire les courses à l’épicerie du coin. Mais sitôt cette pensée formulée, il la regrette et se sent injuste et méchant. Il ne connait absolument pas cette fille mais se permet de la juger sur quelques petites remarques finalement tout à fait innocentes. En vérité, il est simplement tendu et peu à son aise dans le rôle du nouveau voisin qui cherche à sympathiser. Se créer des liens, se faire des amis : ça n’a jamais réellement été son truc et il est plutôt du genre bouquin au coin du feu, comme il l’a expliqué à Charlie juste avant.

Westbridge vous dîtes ?

Il se sent coupable et voudrait rattraper le coup, même si Charlie n’a pas même conscience de ce qu’il a pensé d’elle.

Je crois être passé devant cette…ville en venant jusqu’à Grayson, ou en allant acheter quelques affaires au Macy’s des environs, je ne sais plus bien, mais je n’ai pas vu le café dont vous parlez.

Au moins, elle n’a pas parlé d’un bar… Cela dit, le Susan’s Coffee n’est que l’enseigne et qu’il vaut mieux ne pas se fier aux apparences uniquement. Les noms peuvent être trompeurs.

Peut-être que j’irai jeter un œil sur place avec elle à l’occasion. Du moins tant qu’elle n’a pas sa propre voiture ou quelqu’un avec qui sortir…

Il réalise qu’il a l’air d’un mufle macho, ou juste d’un crétin égoïste et vieux jeu alors qu’il est simplement protecteur. Ca aussi, comme le rôle du bon petit voisin, c’est nouveau pour Ezra. Lui et Kaylee n’ont jamais été proches et son père ne lui a jamais permis d’être son grand frère. Il ne lui a pas appris à jouer au basketball, ne l’a pas protégée des camarades de classe turbulents, n’a jamais menacé de casser la gueule de son petit-ami s’il ne prenait pas soin d’elle… Il n’a jamais été là pour elle et aujourd’hui, elle va l’avoir sur le dos H-24.

Peut-être qu’elle aura besoin d’une fille comme Charlie pour la distraire finalement…

Je l’enverrai sans faute vers vous si je la surprends en train de tourner devant la porte d’entrée comme un lion en cage, sourit-il.

Charlie ne savait pas trop quoi penser de ce Ezra. D’un côté il y avait ce petit quelque chose d’un peu maladroit, taciturne et attendrissant chez lui, et d’un autre côté il semblait être quelqu’un d’un peu froid. Du moins, elle sentait clairement une distance, ou plutôt, une raideur chez lui. Bon, ce n’étaient que les premières impressions, et elle n’était pas non plus une grande spécialiste de la nature humaine m’enfin, jusque là c’était ce qu’elle percevait de ce nouveau venu. Elle aurait été curieuse de voir cette fameuse petite sœur d’ailleurs, pour voir si elle était taillée dans le même moule ou justement pas du tout. Ce genre de truc, c’était toujours sacrément parlant ! Quoi qu’il en soit, elle ne se tracasse pas de le sentir mal à l’aise. Elle n’avait pas l’impression de faire quoi que ce soit pour déclencher ça chez lui, et puis parfois, lorsqu’on grattait la surface des plus timides on découvrait des trésors !

Elle ne lui répliqua que d’un sourire encourageant pour confirmer qu’elle était toute disposée à papoter avec sa petite sœur si le cœur en disait à celle-ci. Mais bon, vu comme il en parlait, elle devait être bien plus jeune, difficile donc de s’en faire une vraie copine ! Lui par contre avait l’air d’avoir environs le même âge qu’elle. Pas qu’elle avait spécialement envie de s’en faire un ami, mais d’en savoir plus, ça oui. Déposant le fond de sa guitare dans l’herbe elle s’en servit comme appui et releva vers lui un regard interrogatif.

Et alors question boulot vous avez déjà trouvé quelque chose dans la région ? Kansas City est qu’à une heure de route, y’a pas mal de gens qui vont jusque là bas pour bosser parce que dans les campagnes, c’est toujours un peu difficile

Il s’apprête à lui sortir une petite formule de politesse, peut-être complimenter une dernière fois sa musique en lui souhaitant une bonne continuation avant de poursuivre son chemin, mais Charlie reprend la parole, s’installant même d’une manière plus confortable. Elle est visiblement décidée à en apprendre un peu plus sur lui et à lui faire la conversation… Est-ce que c’est un truc de caissière ou est-ce qu’elle est d’un naturel social ? Lui en tout cas, reste mal à l’aise et a peur qu’elle lise son effarement sur son visage en la voyant faire. Il se remet bien vite cela dit et reprendre son visage impassible après quelques micros secondes.

C’est ce que j’ai entendu dire, oui, mais j’ai l’habitude. Camdenton n’est pas un coin beaucoup plus peuplé que celui-ci au fond et il y a toujours quelque chose à faire quand on creuse un peu. Un voisin à aider ou bien une association…

Il ne parle là que de travaux bénévoles en réalité, mais c’est tout ce qu’il connait. Ezra n’a jamais travaillé puisqu’il n’a jamais vraiment eu à s’entretenir et s’est toujours contenté de peu de toute manière. L’argent obtenu en tondant la pelouse de Monsieur Jackson était largement suffisant pour s’acheter une paire de chaussure par-ci, un bouquin par-là. Son père se chargeait de tout le reste.
Du coup, s’il a effectué pas mal de petits boulots non rémunéré de temps en temps, il n’a jamais réellement été confronté au monde du travail.

Pour le moment de toute façon, je me concentre sur l’aménagement et la rénovation du manoir que ma sœur et moi allons occuper, se force-t-il un peu à sourire, avant de reprendre pour rompre le silence qui commence à s’installer. J’ai l’impression que vous êtes pleines de bons conseils, mademoiselle. Je suppose que c’est toujours un peu le cas quand on a l’habitude de traiter avec tout un tas de gens tous les jours et d'entamer ou d'entendre malgré soit des tas de conversations…

Il a l’impression que sa remarque sonne comme une attaque dans sa bouche, comme une dénonciation du côté « commère » des caissières et espère que Charlie ne l’entend pas de cette oreille. Il a vraiment voulu souligner une qualité et lui signaler de manière détourné qu’il apprécie ce qu’elle fait ou essaie de faire.

Oh eh bien, si son truc, c’était d’aider les voisins, elle avait effectivement des haies à tailler, tout un jardin à entretenir et même un arbre à abattre puisque le prunellier au fond du terrain s’était mit en tête de tomber malade tout dernièrement et de pourrir sur pied ! Sans oublier les châssis à poncer puis à mettre en produit, et la fuite dans le toit qui inondait parfois une partie du grenier. Elle avait bien sûr demandé à Sam de l’aider, et son petit ami lui avait répondu ‘oui oui’, avant d’oublier totalement l’histoire et de n’rien faire. Du coup, elle avait songé à demander à David, l’employer de ferme du Maire, comme le faisaient les gens ici lorsqu’il y avait du bricolage un peu plus pointu à effectuer dans une maison. Sauf qu’en pleine été et surtout durant le mois d’aout, réussir à obtenir un peu de disponibilité d’un fermer c’était peine perdue. Pas juste avant les moissons. Evidemment, le temps était au soleil et tout ça ne pressait pas, mais lorsque la pluie serait ENFIN de retour, il serait trop tard !

En attendant, ce n’était certainement pas des menus travaux chez les voisins qui allaient l’aider à remplir son frigo et sa réponse était honorable, mais vachement peu lucrative ! Enfin, comme il disait, il venait d’arriver et avant de songer à lui faire poncer ses châssis et réparer son toit, il fallait qu’il termine de s’installer. Vu la tronche que tirait le manoir et le temps qu’il avait fallut pour qu’il retrouve des propriétaires, le boulot ne devait pas être une mince affaire ! C’aurait du être elle qui se propose à l’aider au lieu de songer au contraire. Ce qu’elle ne fit pas d’ailleurs. On verrait plus tard ! Après tout, de prime à bord il était rudement courtois et doux, mais ça pouvait tout aussi bien être un genre de psycho. Vu l’ambiance au village ces temps-ci, ça ne l’aurait même pas étonné…

Pleines de bons conseils, ça j’sais pas !

Vu le bordel qu’était sa vie, bof bof !

Quoi que ? Si vous voulez un conseil de survie spécial Grayson vraiment utile…

Si une petite vieille à lunettes appelée Pietsky se présente chez vous avec une tourte à la viande pour vous souhaitez la bienvenue au village, vous l’acceptez sans broncher, mais surtout, suuuurtout, vous la mangez pas. J’rigole pas là, faut pas la manger

Inutile de lui parler des multiples boîtes pour chat qu’elle venait acheter tous les jours à l’épicerie…
D’un regard entendu, elle lui adressa un petit hochement de tête pour souligner l’intense sérieux de son conseil.

J’en ai d’autres des comme ça mais faudra attendre un peu parce que, pour le reste vous êtes pas encore prêt

Puis repassant la lanière de sa guitare autour de ses épaules :

Sûr que vous voulez pas essayer quelques notes ?

Charlie a décidément l’air d’être de bonne composition et n’a pas la vexation facile, à moins que lui soit un peu trop paranoïaque et n’ait l’impression inexacte que ses remarques sont pleines d’agressivités. Peut-être que c’est simplement un mélange des deux. Quoi qu’il en soit, le sourire de la caissière de l’épicerie de Grayson finit par l’atteindre et il se détend un peu. L’envie de fuir le prend toujours aux tripes mais Ezra semble prêt à prolonger encore un peu la torture et à passer encore un peu de temps avec la jeune femme. Mais juste un petit peu de temps alors.
Il parvient même à éclater d’un rire soudain et franc lorsqu’elle parle des tourtes d’une dénommée Pietsky qu’il n’a pas encore eu le plaisir de rencontrer. Ou bien peut-être que si mais il n’en a pas souvenance et apparemment, c’est mieux comme ça. Son rire s’éteint bientôt, laissant un fugace sourire sur ses lèvres qui finit par disparaitre, même si son regard habituellement si éteint reste rieur.

Je vais vous laisser ménage votre suspense alors, répond l'homme alors qu’elle lui confie ne pas le croire prêt à en apprendre davantage.

Lorsqu’il la voit repasser la lanière de sa guitare pour la reprendre en main, lui signifiant ainsi qu’elle va prochainement se remettre à jouer et donc mettre fin à leur échange, il sent un certain soulagement qui le fait sentir un peu coupable. Il n’est décidément pas l’homme le plus sociable que cette planète ait porté, mais pour une première approche, Ezra trouve qu’il ne s’en est finalement pas trop mal sorti ! Il a réussi à enchainer quelques phrases, à sourire et même à rire. Il faut dire que le sourire de Charlie pourrait faire fondre n’importe qui…Du moins c’est son humble avis.
Ezra lève les mains et se recule d’un bon pas pour faire comprendre le message à Charlie. Il ajout tout de même quelques mots pour la forme.

Non, merci. Je suis certain que j’arriverai à vous tuer avec un tel engin dans les mains, plaisante Ezra. Je vous laisse reprendre, vous m’avez l’air d’avoir dompté la bête, contrairement à moi. Ca a été un plaisir en tout cas ! Charlie c’est bien ça ?

Elle approuve d’un hochement de tête qu’elle accompagne d’un sourire. Il hoche lui aussi la sienne, prenant l’air pensif typique d’une personne qui grave une information dans sa mémoire.

Bien, je suppose que je vous reverrai bientôt. Dès que ma sœur et moi aurons faim…Je ferai passer le mot à propos de vous savez quoi pour éviter que Kaylee ne se jette sur le premier plat disons à base de viande certainement douteuse qu’elle verra.

Clin d’œil, nouveau sourire tranquille et puis Ezra la laisse à sa musique et son univers.

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