Le plus simple, jeune homme, c’est encore que je me rende moi-même chez vous pour vous dire où elle rendra le mieux !

Ezra reste sans voix face au toupet dont fait preuve son interlocutrice. Depuis le début de cette étrange conversation qui a lieu au-dessus d’une cage à oiseau, il arbore la même expression parfaitement neutre qui lui est propre, mais intérieurement, il commence à bouillir. Pas seulement parce que la chaleur commence déjà à se faire étouffante, mais parce que la bonne femme qui lui fait face est au moins aussi butée et contrariante que sa propre sœur qu’il a un peu perdue de vue… Ce qui ne vient pas arranger son humeur, évidemment.
La cause du litige (qui n’en est pas vraiment un non plus), n’a rien à voir avec le fait d’accepter ou pas d’acheter cette fameuse cage décorée, mais bel et bien qu’il n’a pas l’air de vouloir laisser la femme pénétrer chez lui. Les gens sont curieux de savoir ce qu’il a bien pu faire à l’intérieur du manoir qu’il a acheté à Grayson et beaucoup d’habitants ont déjà tenté de s’introduire plus ou moins subtilement, en vain. Ezra tient à son intimité et il ne veut pas transformer ce nouveau chez-lui en lieu de rendez-vous pour ménagères oisives et bavardes. Il se souvient du moulin qu’était devenu la demeure de son père une fois sa mère disparue et ne veut pas refaire la même erreur.

Je croyais que toute vente était interdite ici, tente de la contrer Ezra, utilisant là sa toute dernière carte.
Oh alors si le problème vient de là mon p’tit : je vous en fais cadeau moi !
C’est…vraiment très aimable à vous, mais je ne peux pas accepter…
Ca me fait plaisir ! Et puis vous avez une jeune sœur si je ne m’abuse, je suis certaine qu’elle sera ravie de posséder un tel objet !

Ezra observe à nouveau la cage d’oiseau décorée à l’aide de boutons de toutes les couleurs, formes et tailles, surmonté d’un gros nœud de velours noir. Pas certain que ça plaise à Kaylee, mais il n’est sûr de rien quand il s’agit des goûts de sa cadette.

Oui… Enfin je suis certain qu’elle sera aussi mal à l’aise que moi à l’idée d…
Puisque je vous dis que ça me fait plaisir ! Ecoutez, je viendrai vous l’apporter ce soir, ou demain matin si ça vous va mieux comme ça et elle pourra donner son avis à ce moment-là ! Je vous l’dis, le plus simple si vous n’arrivez pas à vous projeter, c’est de tenter de la caser quelque part et de voir ce que ça donne ! Mais je mets ma main à couper que ça sera du plus grand effet !

Au pied du mur, à bout d’argument et presque de patience, le jeune homme se tourne vers la dénommée Jeanne qui lui tient compagnie depuis Carmen a dû les abandonner pour prendre son service au stand des boissons. Depuis le début de l’échange, elle s’est fait très (trop) discrète et se contente de les observer avce un petit sourire moqueur au coin des lèvres. Il comprend qu’elle savoure et ne lui en tient pas vraiment rigueur… mais disons qu’il lui en tiendrait encore moins rigueur si elle choisissait de lui venir en aide maintenant.

Jeanne observait du coin de l’œil la scène qui se déroulait à quelques centimètres d'elle. Une ménagère quinquagénaire essayait de refiler une babiole aussi moche qu'inutile à l'homme qu'elle venait de rencontrer une vingtaine de minutes plus tôt. Depuis le début de l'échange elle n'avait pas dit un mot, ne voulant pas s'immiscer dans des affaires qui ne la concernaient pas. Mais bien vite, elle se rendit compte que Ezra était en mauvaise posture. Il tentait par tout les moyens d'empêcher l'affaire de se conclure mais la vieille s'accrochait comme un bigorneau à son rocher ! Elle n'en démordait pas et voulait absolument qu'il ait cette cage à oiseaux qui était, disons le franchement, affreuse. La psychologue ne disait toujours rien, trouvant la scène assez amusante, jusqu'au moment où l'homme lui jeta un regard. Il semblait à bout et quémandait de l'aide sans dire un mot. Jeanne aurait très bien pu faire comme si elle ne comprenait pas, laissant le gars (qu'elle ne connaissait ni d’Ève ni d'Adam!) se débrouiller tout seul. Mais bon... C'était un ami de Carmen et donc elle se résigna à passer à l'action, venant à la rescousse du pauvre homme et l'arracher à la méchante sorcière ! Il ne lui manquait plus qu'un cheval blanc...
Jeanne s'approcha de l'homme et passa un bras sous le sien. Se tenir aussi près d'un inconnu aurait pu la mettre mal à l'aise, mais sur le moment elle n'y pensa pas, se concentrant sur la quinquagénaire envahissante et sa cage à oiseaux désuète.

Mon dieu, comme c'est laid ce machin ! J'espère vraiment que tu vas pas dépenser du fric dans une horreur pareille ? dit-elle à l'attention d'Ezra. La vieille se décomposa quelques peu, mais Jeanne ne lui permit pas d'ajouter un mot. Et puis j'en ai marre de regarder ces vieilleries, allons voir ailleurs ! Et elle entraîna l'homme avec elle, s'éloignant du stand de la quinquagénaire.

Après avoir fait quelques mètres, Jeanne ralentit le pas, et toujours accrochée au bras du jeune homme lui lança avec un sourire :

Vous êtes très doué en affaire d'après ce que j'ai pu voir.

Ezra sursaute presque en entendant soudain la voix de Jeanne s’élever pour le tirer de son mauvais pas. Il n’y croyait plus et il n’en croit surtout pas ses oreilles. Depuis tout à l’heure, il tente de ménager sa nouvelle voisine et en une réplique, la psychologue (qui pour le coup ne fait pas preuve de beaucoup de subtilité dans ses propos) vient de ruiner tous ses efforts. Le message qu’elle fait passer a le mérite d’être clair mais le met tout de même très mal à l’aise. Mal à l’aise d’une part parce qu’il est secouru par une fille et que son égo en prend un petit coup en passant et d’autre part parce qu’à la place de la « vendeuse », il ne saurait plus du tout où se mettre…
D’ailleurs, Ezra ne sait pas trop comment se positionner face à ce flot de remarques déplaisantes que la brune qui l’accompagne sort, il est partagé entre l’envie de sauver les meubles et de tempérer son discours, et celle de surfer sur cette vague et prendre la fuite. Mais une fois encore c’est Jeanne qui prend les choses en mains (littéralement) en l’attrapant par le bras pour l’attirer aussi loin que possible du stand. Sans l’horrible cage à oiseau décorée soigneusement par la quinquagénaire rouge écarlate qui les fusille tous les deux du regard. Ezra tente de lui adresser un signe pour lui montrer à quel point il est désolé pour tout ça mais il y renonce finalement. Quoi qu’il dise ou fasse, ce scandale aura bientôt fait tout le tour de Grayson et sa réputation est faite.

Une fois à l’abri des coups d’œil furibonds de la femme, Jeanne ralentit l’allure et lui adresse un sourire et une remarque un peu moqueuse. Ezra se sent piquer un fard et se contente de grimacer, conscient que s’il tente de se lancer dans une réplique dument formulée, il va se mettre à bafouiller. Que dire après ça de toute façon ? Tout vient déjà d’être clairement énoncé : il est un asocial, très mauvais négociateur et couard. Le sourire de la brune se fane peu à peu et, contrarié par l’idée qu’il est en train de se montrer grossier avec elle alors qu’elle vient tout de même de parler en son nom et de le sortir d’une situation gênante, il se reprend.

Avouez qu’en réalité, vous vouliez m’empêcher de l’obtenir pour vous le procurer dès que j’aurai le dos tourné, tente-t-il de plaisanter.

Mais il a l’impression que sa réplique sonne creux et qu’elle ne fera rire que lui. Rectification : elle ne le fait même pas rire lui-même…

L'homme qui lui tenait compagnie ne fit rien pour empêcher la brune de quoi que ce soit. Il n'ouvrit pas la bouche quand elle s'adressa à la quinquagénaire, ni quand elle l’entraîna plus loin, et quand elle tenta de plaisanter le rouge lui monta aux joues mais rien d'autre. Jeanne était un peu désemparé face à cet étrange personnage. Ils continuèrent de marcher lentement, mais elle n'essaya pas de faire la conversation. En fait, elle essayait de trouver une idée pour se débarrasser, gentiment, de cet homme qui pour l'instant ne lui procurait aucun plaisir par sa compagnie... Par son travail, elle avait l'habitude de percer la coquille des gens, d'essayer de lire en eux, mais quand elle quittait l’hôpital, elle voulait un minimum ne plus avoir à faire ça, et à juste profiter de la vie. Alors que son cerveau tentait de mettre au point un plan d'évasion, Ezra ouvrit la bouche. Il tentait de plaisanter. Pour être gentille et polie, elle sourit à son compagnon et continua la plaisanterie :

Vous avez tout compris ! Mais je crois que j'ai moins de chance que vous de me la procurer... Je crois que vous lui avez taper dans l’œil !

Elle se retourna à ses mots pour apercevoir le stand qu'ils venaient juste de quitter. Mais ils s'étaient déjà éloignés et elle n'aperçut pas la vieille et sa cage à oiseaux. En y repensant, elle se demanda à elle même si elle n'était pas allée trop loin dans ses propos. Tout à coup grave, elle stoppa la marche et demanda à Ezra :

J'espère quand même ne pas vous avoir mis dans une situation délicate...

Quand elle n'était pas avec des patients, Jeanne se permettait de dire ce qu'elle pensait, d'être un peu rude parfois, voir carrément impolie dans certaines situations. En séance, elle se retenait de ne pas dire tout ce qui passait dans sa tête. Alors dans sa vie personnelle, cette barrière, cette limite disparaissait, et les mots sortaient de sa bouche. Et puis, parfois, quelques minutes plus tard, elle se disait qu'elle n'aurait pas du... Bref, elle se torturait quelque peu les méninges. Elle avait de la chance jusque la de ne jamais avoir de problèmes, mais la, elle avait entraîné avec elle, et un peu contre sa volonté, l'homme. Elle attendait sa réponse avec un peu d'appréhension. Elle ne voulait pas mettre dans l’embarras un ami de Carmen...

Il a envie de passer définitivement à autre chose et de changer le sujet. Sauf qu’il ne connaît absolument pas Jeanne et que faire la conversation, parler pour ne rien dire, n’est pas franchement sa tasse de thé. Lui ce qu’il a l’habitude de faire, c’est justement se contenter de siroter du thé pendant que les bonnes âmes de la paroisse de son père lui raconte leurs petits tracas et prennent tout en charge. Un moyen pratique d’avoir l’air toujours à l’écoute, proche de sa communauté et cela sans fournir le moindre effort… Enfin quand le thé est buvable, parce que parfois, ce n’est pas tout à fait le cas.
Toujours est-il que maintenant, il se retrouve coincé avec cette grande brune dont il ne sait rien et que Carmen lui a mise entre les pattes. Il n’en a pas été mécontent dans un premier temps et s’est persuadé qu’il s’agissait là d’un excellent exercice d’intégration dans le petit village de Grayson. A présent, il n’est plus très sûr que le cadeau fait par la serveuse ne soit pas empoisonné. Une chance pour lui, il peut prétexter à tout moment vouloir s’assurer que sa sœur cadette va bien et ainsi prendre le large.
Quoi dire, quoi dire ? Elle continue sur le ton de la plaisanterie alors que la dernière chose qu’il ait envie de faire présentement, c’est se bidonner sur cette histoire lamentable de cage à oiseaux.

Il a envie de bougonner, de lui rétorquer qu’il paraît pourtant EVIDENT qu’elle vient de le mettre dans une position très délicate. Il va devoir présenter des excuses à cette femme la prochaine fois qu’il la verra, alors qu’il n’a absolument rien fait. Sauf que la vieille dame va forcément l’associer à la manière infecte dont on lui a parlé le matin du pique-nique et sa réputation sera faite.
Pour peu que cette bonne femme soit la présidente du club de lecture et il est cuit. Plus qu’à refaire ses valises et fuir le village à toutes jambes. Il paraît déjà que les derniers arrivants en date ont fait des siennes et que Kaylee et lui doivent faire leur preuve… Cette Jeanne à la langue acérée ne lui facilite pas la tâche.

Non, non, répond-t-il, se sentant bien obligé. Ca…ca devrait aller. Je suis certain qu’elle essuiera d’autres refus dans le courant de la journée.

Ezra tente de sourire mais le cœur n’y est pas. Ils tournent déjà en rond et il n’a aucune idée de ce qu’il pourrait bien dire pour débloquer la situation. Il cherche l’inspiration aux alentours et c’est un petit couple déambulant non loin d’eux qui lui souffle la suite.

Carmen m’a dit que vous étiez mariée ? Votre mari travaille aujourd'hui ou...

Elle savait bien qu'à un moment ou à un autre, Ezra devra faire face aux conséquences des paroles de Jeanne. Il n'avait pas l'air de s'en inquiéter, mais elle n'était pas sure qu'il soit sincère. Pour sa part, elle se fichait bien de ce que pensait les habitants de Grayson. La plupart d'entre eux n'ont déjà pas bonne réputation. Et puis, tellement de rumeurs circulent sur tout le monde, qu'il est presque impossible de démêler le vrai du faux... Seulement peut être que l'homme faisait parti de ces gens qui ont besoin de se savoir aimer par les autres. Elle observait Ezra, mais ne savait pas quoi penser de lui pour le moment. Il ne parlait pas beaucoup, et peut être qu'il était quelqu'un d'intéressant au fond...

Quand il évoqua son mari, la psychologue détourna le regard de l'homme et lui répondit :

Pour être franche, je ne sais pas du tout où est mon mari aujourd'hui ! Peut être est-il ici, ou peut être ailleurs...

Cela faisait maintenant un moment qu'elle ne parlait plus avec Liam. Parfois il partait pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, et elle ne savait pas où il allait. Elle imaginait qu'il allait travailler sur un chantier quelque part dans le pays, mais était-ce vrai ? Ça se trouve, il passait tout ce temps à faire tout autre chose. A boire, à jouer, à fumer, à baiser... Cette idée la rendit quelque peu triste. Mais son mariage était en train de mourir à petit feu, et elle ne faisait pas grand chose pour y remédier. Quand il rentrait elle n'osait dire un mot. Les premières fois s'étaient finies en dispute, alors elle se taisait. Parfois elle rentrait de l'hôpital et il était assis devant la télévision, ou alors en pleine nuit, il venait se coucher dans leur lit, sans rien dire. Ils ne faisaient plus rien ensemble. Ils ne parlaient plus, se regardaient à peine, et se touchaient encore moins. Alors un jour, elle avait eu une occasion de le tromper et elle l'avait saisie. Pour elle, il ne s'en doutait pas, ou alors il s'en fichait complètement. De toute façon, aujourd'hui, quand on lui parlait de son mari, elle ne ressentait que de la tristesse, et de la colère. Elle murmura, un peu pour elle même :

Peu importe de toute façon...

Et elle ne laissa pas le temps à Ezra de rebondir sur le sujet qu'elle lui retourna la question. Elle avait bien vu qu'il ne portait pas d'alliance, et on disait qu'il était arrivé avec seulement sa sœur, mais elle ne voulait pas passer pour une « madame-je-sais-tout ».

Et vous ? Marié ? Fiancé ? Ou une petite amie peut être ?

Il a vraisemblablement touché un point sensible. Très sensible et qui dépasse largement ses compétences de gestion. Il doit bien reconnaitre que son panel n’est pas très large et qu’il n’est pas très doué face à un autre être humain en difficulté… C’est à se demander comment il comptait mener à bien sa mission de pasteur. Ce genre de moments le réconforte dans l’idée qu’abandonner les ordres a été la meilleure des idées mais ne le rassure pas quant à sa nature d’être humain. Il n’est pas altruiste, ne l’a jamais été et n’est pas certain de parvenir un jour à savoir se mettre à l’écoute de son prochain et surtout : de savoir quoi lui répondre en cas de problème.
Peut-être que tout ça est dû au manque d’intérêt et d’affection que lui même à reçu durant son enfance puis son adolescence. Il s’est construit seul, sans écoute, sans épaule sur laquelle s’appuyer. Enfin son père lui répétait sans cesse que Dieu était là pour lui mais jamais Dieu n’est descendu sécher ses larmes ou lui jurer que tout allait s’arranger malgré le décès de sa mère et la folie de son veuf d’époux… Personne ne lui a jamais pris la main pour le rassurer sur ses prises de décision.
Il n’a même jamais eu de petite amie alors gérer des histoires de couple… Tout ça est pour lui du domaine de la science-fiction !

Ezra garde donc le silence et se contente de marcher aux côtés de Jeanne, faisant mine de regarder ailleurs pendant qu’elle se perd dans ses pensées et rumine sur son existence. Il sait que le plus courageux, le mieux, serait de la questionner et de tenter d’en savoir plus, mais il n’ne est pas capable. En fait, il n’aimerait pas que qui que ce soit se mêle de sa vie. Il a trop pris l’habitude de tout gérer à sa manière et de n’avoir de comptes à rendre à personne, de ne pas avoir besoin de se justifier.
Mais à l’inverse de Jeanne, il n’aurait tendue aucune perche et aurait gardé ses pensées pour lui.
Heureusement, la brune à ses côtés change de sujet pour ramener la conversation sur lui. Même ‘il n’aime pas vraiment ça, il préfère aborder ce sujet plutôt que le précédent qui le met particulièrement peu à son aise.

Non, rien de tout ça. Pas pour le moment du moins et si ça avait été le cas...Disons que je préfère me concentrer à temps plein sur ma sœur et son épanouissement. Je m’occuperai du mien plus tard, explique-t-il en haussant une épaule, l’air parfaitement détaché. Je peux vous proposer quelque chose à boire ? enchaine très vite Ezra en désignant un stand au bout du chemin où quelques personnes s’entassent déjà.

Ezra semblait être un homme de plus en plus mystérieux aux yeux de Jeanne. Elle aurait bien aimé en savoir plus sur lui, mais il trouvait le moyen de détourner le sujet de conversation à chaque fois. Son coté psychologue devait prendre le dessus, car maintenant, elle voulait en savoir encore plus sur lui. Ou alors, elle se laissait séduire par tout ce mystère, comme une adolescente en quête d'une histoire pas comme les autres... Mais il ne semblait pas intéressé par quoi que ce soit, alors elle devrait être patiente si elle voulait en tirer quelque chose !
Il ne lui laissa pas le temps de répliquer qu'il lui proposa d'aller boire un verre. Elle aurait très bien pu refuser pour continuer à discuter, mais par la chaleur qui régnait, il ne valait peut être pas refuser. Il fallait s'hydrater en continu et autant profiter du fait que l'homme allait lui offrir à boire !

Pourquoi pas ?

Lui répondit-elle, sans grande conviction. Ils allaient devoir faire la queue, plusieurs personnes étaient déjà au stand pour se rafraîchir. Quand ils se furent arrêter au bout de la file, elle en profita pour continuer la conversation.

Quel âge à votre sœur ? Je crois bien l'avoir déjà aperçue...

Tout le monde avait tenté d'entrevoir les nouveaux arrivants. Un frère et une sœur, pas très âgés, qui achète un manoir, personne ne pouvait faire comme si de rien n'était. Elle-même avait tenté de soutirer quelques informations, mais elle n'avait rien entendu de bien intéressant... Maintenant qu'elle était à la source, elle n'allait pas la laissé se tarir aussi facilement ! Elle le tenait pour le moment. Et puis de toute façon, de quoi d'autre pouvait-il bien parler ? Du temps ? On le voit le soleil, on la sent la chaleur et on sait que ce n'est pas encore prêt de s’arrêter ! La jeune femme n'allait pas se laisser distraire, sa curiosité la poussait à poser des questions, même si celles-ci pouvaient être gênantes ! La langue de bois elle ne connaissait pas !

Si ils ne trouvent rien à se dire, Ezra se console avec l’idée qu’il pourra toujours tremper ses lèvres dans son verre et avoir l’air très occupé en le faisant. Du moins c’est le plan initial mais quand il voit la queue qui les attend, il doute fortement de pouvoir le faire avant une bonne dizaine de minutes. Mais puisque Jeanne a accepté son offre, il ne va pas la planter là en prétextant tout à coup avoir oublié d’éteindre le gaz ou quelque chose de ce genre là. Ce ne serait pas correct et ce n’est pas son genre, aussi timide soit-il. Encore qu’il ne s’agisse pas réellement de cela… Il n’est pas timide, il est plutôt peu habitué à avoir à faire la conversation à de parfaits inconnus. N’importe qui peut trouver la démarche plus simple puisqu’on a tout à découvrir de l’autre et un tas de questions toutes faites à lui poser pour apprendre à le cerner, mais rien ne vient à l’esprit d’Ezra qui a peur de ne pas être à sa place, de se montrer trop curieux. Ce pique-nique n’en est pas simplement un et il sait que sa réputation sera faite à la fin de cette chaude journée d’été. La sienne mais également celle de sa sœur… Peut-être qu’il serait temps pour lui d’arrêter de la dépeindre à ses nouveaux voisins comme une adolescente en révolte furieuse d’être privée de sa connexion Internet !

Kaylee a eu dix-huit ans le 6 août, répond-t-il en s’assurant de faire apparaitre un sourire sur son visage fermé. Je crois qu’elle préfèrerait les avoir eu en Europe pour être majeur dès maintenant.

Pourquoi est-ce que toutes ses tentatives à l’humour lui paraissent aussi plates et dénuées d’humour au fond ? Parce qu’il n’a jamais été un grand comique. Il voit un sourire apparaitre sur les lèvres de Jeanne Rickard, mais il lui semble simplement qu’elle essaie de se montrer polie envers lui. Son regard, lui, reste désespérément fuyant et elle commence à le mettre mal à l’aise.
Se sent-elle obligée de rester en sa compagnie parce que Carmen les a présentés ? Est-ce que la serveuse lui a demandé de s’occuper de lui le temps de son service ? Ont-elles un arrangement ?

Ezra cherche Carmen des yeux, au-delà de la queue de villageois qui leur jette quelques regards intrigués du coin de l’œil. Il finit par repérer Carmen à quelques mètres de là, occupée à prendre des commandes.

Et vous, vous avez de la famille dans la région ? demande-t-il en s’arrachant à ses contemplations.

La sœur du jeune homme avait donc dix-huit ans... Pour Jeanne, elle était assez grande pour s'occuper d'elle-même toute seule, mais cela n'était que son avis... Il est vrai qu'en Europe elle aurait eu la majorité et donc la possibilité de faire ce qu'elle voulait. Mais voilà, elle n'était pas en Europe mais aux États-Unis... Il n'en avait pas l'air, mais c'était un pays très conservateur... Une gamine de dix-huit ans, donc pas encore majeure, n'était pas censée faire n'importe quoi, et si c'était la cas, qui accuserait-on ? Les parents bien sur ! Ou dans ce cas là, son frère... N'importe quoi selon la psychologue ! Couvez trop les enfants et vous en faites des personnes assistées, pourries gâtées, etc... Qu'ils se débrouillent seuls un peu, apprennent la vie par leurs expériences... Il n'y a pas encore si longtemps que ça, à dix-huit ans, on parlait d'eux comme des hommes et des femmes prêtent à enfanter, plutôt que comme des enfants. Tout cela était son propre avis, et elle l'aurait bien partager avec Ezra, seulement cela paraîtrait sûrement comme une critique plutôt que comme une simple opinion. Elle ne put cependant s'empêcher de répondre :

Vous ne trouvez pas qu'elle est assez grande pour s'occuper d'elle ? Enfin... Elle essaya quand même de rattraper ses paroles pour ne pas vexer l'homme. Rien ne vous empêche de faire votre vie tout en gardant un œil sur elle, non ?

Toute personne normale aurait eu le même raisonnement... A moins que cette attitude ne cache autre chose... Sous ses airs timide et renfermé, Ezra était peut être du genre trop protecteur, ou était-ce une excuse qu'il se répétait pour ne pas avoir à s'occuper de lui ? Une tentative plus ou moins efficace de retarder le moment où il devrait vivre sa vie, se concentrer sur sa propre personne. La psychologue ne savait pas trop ce qui se cachait derrière tout cela, mais peut être qu'avec le temps elle comprendrait...

Toujours dans la file qui menait au rafraîchissement, Ezra posa une question sur la famille de Jeanne. A vrai dire, la seule famille qu'elle avait était Liam, son mari. Un mari fuyant qui la laissait dans sa solitude quotidienne... Elle avait bien un frère, mais après la mort de leur parents, ils se sont éloignés et aujourd'hui ils font leur vie chacun de leur coté... Jeanne ferma son visage et répondit :

Non je n'ai pas de famille dans le coin... A part Liam, mon mari. J'ai aussi un frère mais nous ne sommes pas si proches... Et vous ? A part votre sœur ?

Il s’est aventuré sur une pente glissante et a bien du mal à contrôler la chute. Oui, Kaylee est assez grande pour se prendre en charge seule « techniquement», mais il ne la sent pas assez mature pour réellement le faire. Elle a l’habitude de s’occuper d’elle-même mais persiste selon lui à prendre les mauvaises décisions et a besoin d’être encadrée. Ezra espère qu’il n’est pas trop tard pour jouer les grands frères et, même si elle s’est beaucoup plainte de l’envahissement soudain de son espace personnel, elle n’a pas encore daigné mieux définir les limites. Tant qu’elle aboie plus qu’elle ne mord, il estime que c’est parce qu’elle réalise avoir besoin de lui. Si jamais Kaylee venait à refermer ses mâchoires sur son mollet, alors il envisagerait de lui laisser du mou et de la laisser prendre ses propres décisions et faire ses erreurs en paix.

Cela dit, Jeanne n’a pas tort en parlant de sa propre vie mise entre parenthèses durant ce processus de surveillance organisé pour l’adolescente… Ezra s’est souvent oublié pour se consacrer aux autres, mais pour lui ce n’est pas un problème et il a besoin de ça. Les rares fois où il se prend à s’écouter, il réalise qu’il n’a aucune idée de ce qu’il doit ou même veut faire. Suive son père a été contrariant et entrer dans les ordres n’était pas son idée, mais il n’a jamais rien fait pour s’y opposer. Pas réellement… Se laisser porter par le courant et se plaindre d’être mouillé et beaucoup plus aisé que d’essayer de le remonter à contresens.

Abandonner ses projets d’avenir et partir pour Grayson est la première véritable décision qu’il ait prise. Mais maintenant qu’il est là, il n’a aucune idée de ce qu’il va faire de ses journées et de sa vie. Veiller sur sa sœur est donc devenu sa priorité numéro un jusqu’à nouvel ordre.

Oui… Je suppose que oui, répond-t-il donc évasivement, son regard vagabondant à gauche à droite sans vraiment trouver où se poser.

Jeanne devrait bien vite comprendre bien vite que sa question l’a mis mal à l’aise et qu’il est inutile de poursuivre dans cette voie de toute manière sans issue. La conversation s’oriente de toute manière sur la vie de la brune, qui lui renvoie pourtant rapidement la balle. Son répit a été de courte durée et Ezra comprend que cette conversation ne décollera pas vraiment tant qu’aucun d’eux ne fera l’effort d’oser se livrer un minimum et qu’ils continueront de camper sur leurs positions.
Il décide donc de se mouiller.

Notre père vit toujours à Camdenton et je crois avoir de la famille éparpillée un peu partout dans l’état mais ni Kaylee ni moi ne les connaissons vraiment, explique-t-il en redonnant toute son attention à son interlocutrice. Nous étions plutôt…isolés, si j’puis dire. Notre père est pasteur et disons que ça n’était pas vraiment du goût de tout le monde, alors...

Il la laisse imaginer le reste et estime en avoir assez dit. Il sait que l’information va susciter quelques questions ou quelques appréhensions. Peut-être s’imagine-t-elle à présent qu’il va tenter de la convertir à un moment où un autre. Mais Ezra en a terminé de prêcher la bonne parole.

La file vers les rafraîchissements avançait petit à petit. Les villageois avaient bien écouté leur maire et s'hydrataient comme il convenait. Le stand allait sûrement faire un bon chiffre d'affaire. Ezra et Jeanne n'y étaient pas encore arrivé et du monde s'accumulait derrière eux. La psychologue eut une petite pensée pour Carmen, son amie qui servait en ce moment même. La chaleur commençait à peser sur Jeanne, et pendant un instant elle laissa ses pensées vagabonder alors qu'elle venait de parler de sa famille. Mais son attention se focalisa bien vite sur son compagnon qui venait, pour la première fois depuis leur rencontre un peu plus tôt, de dévoiler beaucoup d'informations sur lui, et ce en une seule fois ! Le père de l'homme était donc pasteur. Il a donc du grandir dans la religion, peut être était-il même encore croyant ! Personne n'avait jamais appris à Jeanne à croire en Dieu. Ses parents étaient athées, et elle ne se rappelait plus si ses grand-parents étaient croyants ou non... En fait, elle ne s'était jamais posé la question de savoir si l'univers avait été érigé par un dieu ou non. Elle vivait sa vie et puis voilà ! De toute façon elle ne pensait pas que cela lui apporterait quelque chose de plus. Elle devrait seulement se lever le dimanche matin pour aller à la messe...

Pendant qu'elle pensait à cela, ils arrivèrent enfin à la table qui servait de stand et ils commandèrent tout deux un verre. Une fois servi, ils s'éloignèrent et continuèrent à marcher un peu au hasard dans le parc. A peu près tout les coins d'ombre étaient occupés, tout le monde cherchant un peu la fraîcheur des arbres. Et puis, la brune vit un endroit non-assailli par la population, et y attira Ezra, sans vraiment lui demander son avis.

Comme il s’y attendait, elle n’a pas vraiment relevé sa remarque sur le poste qu’occupe son père et Ezra ne parvient pas à décider s’il en est soulagé ou bien ennuyé. Il n’éprouve aucune honte, mêle s’il a lui-même renoncé à ses vœux et quelques peu remis ses croyances en doute depuis un petit moment. Ce n’est même pas vraiment exacte en réalité, il croit dur comme fer que des forces démoniaques existent dans ce monde et sait que toute force se doit d’être équilibrée par son opposée : le bien donc. Mais de plus en plus, le jeune homme se demande si le mal n’est pas en train de prendre le pas et de remporter la bataille… il suffit d’allumer son téléviseur ou d’ouvrir un journal et de comparer le nombre d’article d’une nature puis de l’autre. On dit toujours que le bien triomphe toujours à la fin, mais n’est-ce pas là un simple moyen de se rassurer et de garder espoir. Parce que c’est ce qu’est la foi en somme de son point de vu : un espoir. L’espoir de renaitre, l’espoir d’être sauvé, l’espoir de vivre en paix et d’intégrer un monde meilleur à la fin de son existence.
Mais il ne lui sert à rien de ressasser tout ça. Jeanne n’a pas relevé et il n’a pas à se lancer dans un discours de ce genre qui ne ferait que l’affoler très certainement. Il lui emboite donc simplement le pas, espérant ne pas avoir l’air blessé par son absence de réaction, puisque c’est tout de même un peu le cas.

Une fois servi, alors qu’il se cherche une excuse pour fuir, la brune prend de l’avance sur lui pour les entrainer, lui et sa bière blonde, dans un endroit au calme et à l’ombre. Il se sent acculé mais il ne peut rien laisser paraitre sous peine de se montrer malpoli. Il doit lutter contre lui-même pour que son regard ne le trahisse pas et ne pas le porter un peu partout sur le parc à la recherche de sa sœur, qui lui fournirait une excuse toute trouvée pour s’éloigner. Seulement Kaylee n’est visible nulle part et une part de lui ne peut s’empêcher de la maudire et de l’accuser de le faire exprès. De toute façon, quelque chose lui dit que s’il commence à essayer de fuir en prétextant devoir rejoindre sa sœur, il aura droit à une remarque de la part de Jeanne qui ne parait pas avoir sa langue dans sa poche et aime à la dégainer pour faire mouche.
« Laissez-la un peu vivre sa vie Ezra, parlez-moi plutôt de vous ! » voilà ce qu’elle lui dira. Il est piégé.

Le silence se prolonge entre eux et il se sent obligé de le rompre. Mais pas avant d’avoir avalé une gorgée de sa bière fraiche.

Vous avez grandi dans les environs alors ou bien vous avez simplement suivi votre mari ? Je serai curieux de savoir comment vous avez atterri à Grayson, demanda-t-il finalement, se raclant nerveusement la gorge.

Le silence entre Ezra et Jeanne se poursuivi quelque peu, et pendant un moment elle pensa qu'ils resteraient la sans rien dire jusqu'à ce que l'un des deux en ai marre et s'en aille... Mais l'homme prit la parole et demanda des détails sur la vie de Jeanne. La dedans, la psychologue y vit une remarque sexiste, et pendant un instant failli prendre la mouche. Comme si c'était forcément elle qui avait du suivre son mari plutôt que le contraire ! Mais elle ravala ses reproches acerbes et expliqua à Ezra sa venue à Grayson :

En fait, c'est mon mari qui m'a suivi... On m'a proposé un poste à l'hôpital de Trimble, et après un an de remplacement à voir de tout, j'ai accepté. Au moins là, j'ai des patients réguliers que je peux suivre et aider sur le long terme.

Si elle avait refusé, sûrement qu'elle aurait pu trouver un autre poste ailleurs, dans une autre ville beaucoup plus intéressante que Grayson, mais au bout de combien de temps ? Et puis, quand on lui avait dit Trimble, elle imaginait déjà un petit coin paisible, où elle et Liam pourraient fonder une famille. Elle avait quelque peu déchanté en arrivant à Grayson. Village isolé très différent de St Louis qu'elle venait de quitter... Mais bon... Elle avait fini par s'habituer à l'endroit, et où pourrait-elle bien aller maintenant ?

Vous êtes tombé à Grayson par hasard ?

D'après ce qu'il lui avait dit, et les informations qu'elle avait réussi à glaner ici et là, l'homme et sa sœur n'avait pas de connaissances particulières dans le village. Alors comment arrivait-on ici ? On choisissait au hasard sur une carte ? Ou peut être que quelqu'un leur avait parlé de la ville... Elle but une gorgée de son verre d'eau et plongea son regard dans celui d'Ezra, en attente d'une réponse.

Contrairement à ce que Jeanne peut penser, Ezra n’a pas vraiment d’à priori et a simplement énoncé à haute voix la première des possibilités qui lui est venue. Le fait que ce soit la première a petit un peu côté macho certainement, mais il estime ne pas l’être d’une manière générale et a toujours eu beaucoup de respect pour les femmes. L’éclat révolté qui danse un instant dans les prunelles de la jeune femme ne lui échappe pas et il s’apprête à redresser la barre quand elle finit par lui répondre, d’un ton cependant posé. Il sent un peu de tension mais pas assez pour avoir à s’excuser de sa remarque qu’il laisse couler, agitant simplement sa tête pour montrer son attention à Jeanne. Tout en se faisant, il porte sa bière à ses lèvres une fois, se délectant de la fraicheur de la boisson bien plus que de son goût.
Carmen lui a parlé de la profession de son interlocutrice et il n’a pas besoin de précision sur le poste qu’elle a accepté à Trimble. Elle sait qu’elle est psychologue et là encore, il n’a pas vraiment d’a priori. C’est faux bien entendu et il croit voir des charlatans bien plus désireux de s’enrichir que d’aider leur prochain partout, mais comme la majorité des gens, il ne veut pas vraiment se l’avouer et préfère s’imaginer comme très ouvert d’esprit.

Oui, par hasard. Je ne sais même plus vraiment comment s’est arrivé en fait…, réalise-t-il pendant qu’il s’exprime, essayant de creuser dans sa mémoire. C’est un peu comme si Grayson l’a appelé, l’a attiré jusqu’ici, mais il ne peut décemment pas répondre un truc comme ça à Jeanne. Quoi que… J’ai reçu une pub et des amis m’en ont parlé. Ou bien des amis m’en ont parlé et m’ont conseillé de me renseigner ce que j’ai fait en réclamant un prospectus. Enfin bref, j’en ai entendu parlé alors que je cherchai un endroit où m’installer et j’ai été véritablement charmé par cet endroit et ses environs. Ce n’est pas trop loin de l’endroit où Kaylee et moi avons grandis donc elle pourra retrouver ses amis en quelques heures si elle en a envie. Ses amis ou notre père, ajoute rapidement Ezra, ne voulant pas passer pour un fils indigne. Enfin ça m’a parut être un endroit sympa où repartir de zéro.

Repartir de zéro à son âge, Jeanne va sûrement trouvé ça un peu étrange. Il espère qu’elle ne lui posera pas de questions à ce sujet, mais pour ne être certain, il vaut mieux carrément qu’il change de sujet.

Alors, vous n’aviez pas de talent à révéler aujourd’hui ? Ou bien Carmen ne m’a pas tout dit, sourit-il en avalant une nouvelle gorgée de bière.

Ezra avait vraiment un don pour changer de sujet de conversation, et tout ça afin d'éviter de parler de lui. Encore une fois, après avoir lâché quelques informations sur sa vie, il posa une question sur celle de Jeanne. Cependant, depuis leur rencontre, plus ils passaient du temps ensemble, plus il parlait de lui. Soit il se sentait plus à l'aise avec la psy, soit il faisait des efforts pour faire la conversation. Elle n'essaya pas d'en savoir plus et à la question de l'homme elle émit un petit rire.

Non... Je n'ai pas de talent particulier. Enfin je ne crois pas ! dit-elle avec un sourire. Elle ne savait pas faire grand chose de ses dix doigts en fait... Je ne sais pas chanter, ni dessiner, ni cuisiner, ni... Je ne suis pas très douée de mes... mains...

A ce dernier mot, son sourire s'étira. Elle savait bien faire quelques petites choses avec ses mains, mais rien qui ne pouvait être montré en public, sous peine de se faire arrêter... Elle se considérait plus comme une intellectuelle plutôt que comme manuelle. Quand elle était adolescente, elle avait bien tenté de se trouver un hobby autre que les livres, mais rien ne la passionnait plus. Il y avait qu'une seule chose qui rivalisait avec la lecture, c'était la natation. Elle pouvait passer des heures à la piscine à faire des longueurs. Aujourd'hui, malheureusement elle n'avait plus le temps ni même la motivation pour se rendre à la piscine. Peut être devrait-elle y retourner, juste pour se vider la tête. En attendant, elle but une gorgée d'eau, et réagit aux dernières paroles d'Ezra.

Qu'est ce que Carmen vous a dis au juste sur moi ?

Carmen était son amie, et donc Jeanne savait qu'elle n'avait pas du dire grand chose de dévalorisant à son sujet. Mais elle était bien curieuse de savoir comment la serveuse l'avait présentée...

Ca leur fait au moins un point commun puisqu’Ezra ne se sent pas non plus capable de grande chose avec ses deux grandes mains. Il sait à peine cuisiner lui-même, n’a jamais eu la main franchement verte et ne les a jamais vraiment utilisé pour…procurer…disons certaines sensations à un certain autre sexe jugé plus faible à tort. Il n’est pas doué de ses mains et pas franchement très habile non plus pour dissimuler ses émotions puisque le jeune homme sent ses joues rosir alors que ses pensées s’égare sans son accord :
Il s’imagine en compagnie de Jeanne, dans un tout autre décor, en d’autres circonstances et dans d’autres tenues. Celle d’Adam et Eve en fait, pour faire simple. Ezra voit les mains de Jeanne conduire les siennes sur ses seins galbés pour qu’ils pétrissent tantôt délicatement, tantôt sauvagement sa poitrine offerte, puis il l’imagine le guider toujours plus bas, lui répétant encore et encore qu’elle va lui apprendre à utiliser ses outils correctement, que, mon Dieu, il est déjà un élève très doué, vraiment très doué.
Il lui faut un moment pour s’arracher à ses pensées cochonnes. Pas très long puisqu’il a une technique imparable pour calmer ses ardeurs : repenser à ce jour-là.

Son désir redescend aussi rapidement qu’il a pu monter, mais Ezra prend tout de même la peine de se rafraichir encore un peu en avalant une grande gorgée de sa bière. Une gorgée avec laquelle il manque de s’étouffer lorsqu’elle pose sa question. Il l’a clairement entendue mais une petite voix pernicieuse (ressemblant à celle que la Jeanne libertine utilisait) la déforme : est-ce que tu voudrais aussi que Carmen monte sur moi ?

Hem rien de méchant, rassurez-vous, s’étrangle-t-il, toussotant encore une petite fois ou deux.

Jeanne veut venir à son secours et lui donne quelques tapes dans le dos, plus amusée qu’inquiète par la couleur cramoisie de son visage, rendant son étouffement passager responsable. Si elle savait ce qui provoquait vraiment cette rougeur, peut-être éviterait-elle d’entrer en contact avec lui. En fait, il aimerait mieux…
Ezra finit par se ressaisir, se dégage la gorge et reprend, s’affublant d’un sourire contrit.

Je disais donc qu’elle ne m’a dit que du bien de vous. Elle m’a parlé de votre profession sans vraiment entrer plus en profondeur et… En fait c’est à peu près tout, elle vous a présenté comme une amie avant de nous réunir et de s’enfuir.

Il essaye de laisser échapper un petit rire mais s’étrangle de nouveau et renonce pour le bien de son égo.

Alors que Jeanne expliqua qu'elle n'avait pas de talent particulier, et qu'au dernier mot de sa phrase elle sourit, imaginant certains gestes qu'elle savait faire avec ses mains, elle vit aussi Ezra rougir. Il ne disait rien, mais elle vit bien que tout à coup, ses pensées vagabondèrent. Vers où, elle ne le savait pas. Son propre esprit s'était quelque peu égaré dans des pensées sensuelles, imaginant ses mains sur le torse d'un homme, caressant des pectoraux plus ou moins musclés, pinçant légèrement des tétons durs, pour ensuite descendre plus, sous la ceinture. Jeanne savait utiliser ses mains sur le corps d'un homme, et à ces images elle ne ressentait aucune gêne. Ezra pensait-il la même chose ? Peut être, peut être pas. Elle n'essaya pas de deviner, posant une question qui n'avait rien à voir. Pourtant, le grand brun s'étouffa presque avec sa bière quand les mots sortirent de la bouche de la psychologue. Malgré ses toussotements, il essaya de répondre à sa question. Tentative presque vaine, il faillit étouffer de plus belle ! La brune du venir à son secours, trouvant la situation bien drôle. A peine quelques secondes plus tôt elle imaginait ses mains sur le corps d'un homme, et bien voilà ! Elle allait devoir utiliser celles-ci pour aider Ezra. Ce n'était pas ce genre d'utilité qu'elle imaginait mais bon... Elle tapotait sur le dos de l'homme tout en riant dans sa barbe. Alors qu'il reprenait sa réponse, Jeanne pensa que ce petit incident avait quand même eu quelque chose de bénéfique : un rapprochement corporel avec cet homme qui n'était pas si mal à bien regarder. Elle se trouvait maintenant plus proche d'Ezra que quelques minutes auparavant. Elle était tellement absorbée par cette idée qu'elle n'entendit même pas ce qu'il lui disait... Ce qui ne fut pas vraiment grave, le pauvre homme s'étranglait de nouveau.

Respirer doucement sinon je vais devoir vous faire du bouche à bouche !

Bien sur, elle plaisantait, mais elle se figea quand elle se rendit compte de sa phrase exacte. Du bouche à bouche... Son regard se dirigea alors sur les lèvres d'Ezra, sans qu'elle n'en décida rien consciemment. Des lèvres qu'elle trouva tout à coup très attirantes. Des lèvres fines, qui semblaient douces, et qui cachaient la langue de l'homme. Dans un souffle son visage s'était rapproché de lui dans l'espoir de pouvoir goûter à ses lèvres, à sa langue, et puis elle reprit ses esprits. Ils étaient en public, des tas de personnes pouvaient les voir. Peut être que tout ceux-là se doutaient de l'infidélité de Jeanne, mais aucun besoin de leur offrir une preuve sur un plateau ! Elle s'éloigna d'un pas d'Ezra, essayant d'oublier des pensées qui envahissaient son esprit. Elle rompit le contact, et tenta de faire comme si de rien n'était, alors que son compagnon n'avait pas du être aveugle à son comportement.

Ça va mieux ?

Il sent qu’il se passe quelque chose de louche entre lui et la fille, sans vraiment réussir à savoir quoi. Pour sa défense, Ezra s’est peu de foi prêté aux jeux de la séduction au cours de son existence et, si beaucoup de filles ont tenté de l’approcher et de briser la carapace, il ne l’a jamais remarqué le pauvre bougre. A Camdenton, des rumeurs sur son homosexualité fusaient évidemment, pendant que d’autres mettaient ça sur le compte d’un amour dévot et d’une rigueur de chaque instant…seuls les femmes au-delà de cinquante ans y croyaient vraiment. Sans le savoir, Ezra était devenu la cible d’un pari qui avait finalement été remporté par une étrangère et sa perte de son pucelage avait été mise aux enchères à son insu et aurait pu rapporter gros à la gagnante…Une gagnante qui n’avait pas raflé ses gains et était repartie avec son secret.
Tout ça pour dire qu’Ezra n’est pas un expert en matière de séduction, et qu’on ne peut même pas vraiment dire non plus qu’il soit un débutant, motivé à l’idée de se lancer dans l’aventure. Du coup, le petit manège dans lequel il est installé à ses dépends aux côtés de Jeanne lui donne sacrément le tournis et il ne le comprend pas vraiment.

De toute façon à présent, ses idées sont redevenues claires de son côté depuis qu’il s’est mis à penser à ce qui s’est passé ce fameux soir où il a renoncé à suivre la voie toute tracée pour lui par son père. Il lui suffit d’y penser pour se tenir éveiller dans n’importe quelles circonstances, pour se remettre les idées en place dans des cas comme celui qu’il vient de vivre et pour se convaincre que partir de là-bas et s’éloigner de l’influence néfaste du pasteur exorciste était la meilleure des choses à faire…

Oui, ça va mieux, assure-t-il à Jeanne une fois son ultime quinte de toux effectivement passée.

Il tente de lui sourire mais n’y arrive pas vraiment à cause de ce malaise qu’il ressent depuis qu’il a vu la psychologue se rapprocher si étrangement de lui. Quelque chose se passe, ou bien quelque chose s’est passé, et à présent, ils sont aussi gênés l’un que l’autre et l’atmosphère est chargé de… Ezra ne sait toujours pas de quoi mais il est pratiquement certain que ça a un rapport avec ce qui a provoqué son étranglement.
Tension sexuelle est le terme qui voyage dans sa tête mais Jeanne est mariée alors il se refuse à creuser de ce côté-là. Ce ne serait pas correct et il est un homme tout à fait correct, non ?

Ils n’osent même plus vraiment se regarder à présent, louchant tous deux sur leurs verres respectifs. De toute manière, il sera bientôt temps de les accompagner de quelque chose à grignoter et, n’avait-il pas promis à Kaylee de manger avec elle ? Il jette un œil à sa montre.

J’ai promis à ma sœur de la retrouver pour onze heures trente, bafouille-t-il, gêné par toute cette situation mais également par l'affreux mensonge qui vient de passer sa bouche puisqu'il n'a jamais été question pour lui de rejoindre Kaylee ou que ce soit et quand que ce soit en réalité. Je vais devoir vous laisser… A moins que vous ne souhaitiez vous joindre à nous ?

En réalité évidemment, il espère (il sait) que Jeanne va refuser son offre et qu’ils vont en rester là pour le moment et pouvoir, chacun de leur côté, se remettre de leurs émotions. Quelle que soit leur nature…

Jeanne se sentait maintenant mal à l'aise. Ezra n'avait rien fait qui puisse mener à ce qui qui s'était passé, elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle. Au début de leur rencontre, elle n'avait pas ressenti une quelconque attirance pour l'homme. Mais son esprit lui avait joué des tours et l'avait mené bien malgré elle sur une pente dangereuse, celle de l'infidélité. Si on lui avait dit au début de son mariage qu'elle finirait par tromper son mari jamais elle ne l'aurait cru. Et voilà qu'aujourd'hui elle se mettait à fantasmer sur un parfait inconnu ! Elle tenta tant bien que mal de se raisonner, surtout qu'Ezra ne semblait pas du tout sur la même longueur d'ondes qu'elle. Ce qui en rajoutait sur son mal aise. Elle n'osait même pas le regarder de peur de ne revoir certaines images qui ne l'aideraient en aucun cas... Alors quand il lui expliqua qu'il devait rejoindre sa sœur, elle en fut presque soulagée. Peut être n'était ce qu'une excuse pour s'éloigner de la brune, mais peu importait. Elle ne le regardait toujours pas, mais hochait simplement de la tête en signe de compréhension. Et puis, il l'invita à se joindre à eux, invitation qu'elle déclina vivement, peut être un peu trop :

Non ! Non ! A ses mots elle se retourna brusquement vers Ezra, et se rendit compte de la brusquerie de sa réponse. Elle rajouta plus doucement : Je veux dire... Je ne vais pas vous déranger. Vous êtes en famille, vous devriez profiter !

Elle réussit même à sourire, et elle resta regarder Ezra s'éloigner petit à petit. Maintenant elle ne pensait plus qu'à se maudire, elle et ses pulsions sexuelles. Ses désirs finiraient par causer sa perte. Mais comme à son habitude, elle arriva à ne blâmer qu'une seule et unique personne : Liam. Il n'avait qu'à jouer son rôle de mari et la psychologue ne fantasmerait plus sur n'importe qui ! Elle détourna le regard d'Ezra pour regarder qui était alentour. Pas grand monde, et personne ne semblait s'intéresser à elle. Tant mieux ! Il n'y avait sûrement qu'elle et l'homme qui avait pu être témoin de sa faiblesse. Avant de quitter l'arbre, elle lança quand même un coup d’œil à la silhouette d'Ezra, assez loin maintenant. Un dernier regard, une dernière faiblesse. Et elle ne put tout de même s’empêcher de penser : Joli petit cul quand même