previously

Aidan n’avait eu de cesse de se faire la remarque qu’il était étrange de servir de guide à la blondinette dans les rues de Grayson. Il n’en était pas originaire, ne s’y plaisait absolument pas et pourtant, il connaissait l’endroit comme sa poche depuis le temps. Du moins les endroits habités puisqu’il ne s’était jamais aventuré dans les bois, à part pour rechercher Julie, mais suivant les instructions de William Ferguson.
Il faut dire que le village n’était pas franchement immense. La route 169 le traversait en son centre et ensuite, cinq rues venaient la couper. C’était tout. Il y avait bien quelques habitations perdues au milieu des bois mais celles-ci, Aidan ne les avait jamais vues.
Kaylee n’allait pas tarder à l’imiter et à connaître le coin mieux que le dos de sa main. Peut-être qu’en fait c’était déjà le cas et qu’elle avait usé d’ironie en lui demandait de lui servir de guide. C’était même très probable.

Le trajet jusqu’à Madison Street, la première rue perpendiculaire à la 169 qu’ils suivaient depuis le Tubery Bridge, se passa dans la bonne humeur. A un moment, Kaylee avait passé son bras dans celui d’Aidan qui l’avait laissé faire, trouvant le contact agréable. Ils marchaient lentement, essayant au maximum de se rapprocher des arbres en bordure de route pour s’abriter un peu du soleil de plomb qui tentait de les écraser.
Elle était bavarde et sa facilité à parler de tout et de rien délia la langue de l’adolescent. Sur la fin, ils s’interrompaient presque l’un l’autre pour s’accaparer le tour de parole.
C’était plaisant.
Aidan se sentait plus léger, à l’aise, presque bien en fait. Ca ne lui était pas arrivé depuis un bon millier d’années au moins ! Même avec Casey – qui était à prendre avec des pincettes - il ne s’était jamais senti aussi détendu, autant lui-même. Il faut dire que la fille du maire n’était pas vraiment du genre sociable… Pas autant que Kaylee du moins.

Lorsqu’ils arrivèrent enfin en vue du manoir où s’était installé la famille Johansson, l’un comme l’autre mourraient de soif et étaient épuisés par leur longue marche.
Mais le regard rieur du jeune homme se terni un peu lorsqu’il aperçut la maison juste à côté de celle de Kaylee. Il finit par la désigner de l’index.


« Tu les a déjà rencontré ? » demanda-t-il à l’adolescente, d’une voix plus colère qu’il ne l’aurait voulue « C’est les Redd qui habitent là. Nathaniel et Lucinda. Leur cousin habite j'sais plus quelle maison avec ses vieux et l'autre il vit au-dessus de son cabinet de véto. t'sais celui devant lequel on est passé tout à l'heure »

L’idée qu’elle vivait juste à côté du couple véreux de Grayson le dérangeait fortement. Il voulait la mettre en garde, tout en sachant que ça n’était pas une idée très brillante…


« S'ils vous apporte un panier de bienvenue ou quoi, fais-moi plaisir : évite d'y toucher... »

Il avait fallut un bon moment à Ezra pour se rendre compte que sa sœur cadette avait disparu. Il était en train de feuilleter toute une flopée d’échantillons de tapisseries un peu vieillottes et avait finit par se décider à aller lui demander son avis sur la question lorsqu’il avait trouvé sa chambre déserte. Ezra avait alors parcourut le manoir dans tous les sens en essayant de lui mettre la main dessus, en vain, bien entendu. Elsie était dans l’incapacité de le renseigner puisqu’elle s’était rendue à un entretien avec son employeur dans la ville voisine…

Lorsqu’il entendu la porte s’ouvrir, Ezra saute sur ses pieds et quitte le salon pour se rendre en vitesse dans l’imposant hall d’entrée, à demi mangé par le large escalier central menant à l’étage. Kaylee passe la porte, comme il s’y attendait, le visage rougeaud, une fine pellicule de sueur collant quelques uns de ses cheveux sur son front brillant. Sa tête n’est pas couverte et la première envie qui lui vient est celle de la secouer comme un prunier pour voir si son crâne sûrement brûlant à cause du soleil, sonnera creux ou pas.
A quoi pense-t-elle ? Cette question, il se la pose tous les jours depuis l’enfance… Que se passe-t-il au juste sous cette masse de longs cheveux blonds ondulés ?

Où est-ce que tu étais ?

Où est-ce que tu étais dans cette tenue, a-t-il envie d’ajouter, mais il s’en abstient. La chaleur est difficilement soutenable et il ne peut lui en vouloir de s’habiller si légèrement. Même si l’idée de la savoir seule dans les rues d’un village remplis d’inconnus ne l’enchante vraiment pas. Elle ne fera que prendre la mouche et choisir des vêtements laissant entrevoir encore un peu plus son corps, très certainement.

Tu aurais dû me prévenir que tu…

Ezra s’interrompt en voyant un jeune homme pénétrer à la suite de sa sœur et se débarrasser d’une casquette à l’effigie d’une équipe de sport quelconque. Il doit avoir l’âge de sa sœur et paraît aussi épuisé qu’elle, peut-être un peu plus.
L’espace d’une seconde, il est agacé de la voir revenir avec quelqu’un. Premièrement parce qu’il ne pourra pas la réprimer publiquement comme il prévoyait de le faire et ensuite, parce qu’il n’a jamais été très doué pour recevoir. Mais Ezra se reprend très vite dévisage l’inconnu.

...recevais quelqu'un. Bonjour, le salut-il sobrement, d’un ton neutre.

Aussi neutre que son irritation le lui permet du moins.

Kaylee ne put s'empêcher de se dire qu'Aidan avait beau dire ce qu'il voulait. Il n'allait pas gérer par rapport à Ezra ou même Elsie. Il n'avait sûrement jamais été confronté à deux gardiens de prison fanatique de Dieu... Bon elle exagérait légèrement, mais bon, c'était mieux d'imaginer le pire que d'attendre le meilleur. Elle sourit tout de même à Aidan, comme pour lui donner du courage et il lâcha son bras. Tiens, elle n'avait pas pensé à cela, elle qui prévoyait toujours ce genre de chose. La maison payait pas de mine et ça l'énerva légèrement de voir qu'elle invitait quelqu'un dans une maison non décorée et pire encore presque insalubre. Mais elle n'allait pas rebrousser chemin et les laissait tout deux mourir de soif. Elle entra doucement comme pour éviter le bruit mais très vite elle vit Ezra débarquait en lui demandant où elle avait bien pu passer... Dans son regard elle lut très bien qu'il était en colère.

Elle bénit le Dieu dans lequel elle ne croyait pas pour avoir un rempart humain, Aidan ne savait pas ce qu'elle avait déclenché, la colère sourde d'Ezra contenu exploserait une fois qu'il serait parti. Elle envisageait sérieusement de faire en sortes de le raccompagner et de pas rentrer de la nuit pour les inquiéter et comme ça, ils ne hurleraient pas, mais se seraient inquiétés. Elle y penserait plus tard. Pour le moment, elle sut aussi qu'il avait regardé d'un peu trop près sa tenue. Mais bon, ce n'était pas nouveau, elle s'habillait comme ça depuis un long moment déjà. Enfin, elle regarda Ezra commençait sa phrase, elle pouvait presque lire l'étonnement et l'agacement qu'il ressentit en voyant un jeune homme dérrière elle. Elle ne put s'empêcher de ricaner intérieurement. Il termina sa phrase avec politesse mais froideur. Elle sourit légèrement, pas trop pour qu'il ne pense pas qu'elle se foute de lui et dit

Je te présente Aidan... Désolée de pas avoir prévenu, on est venu boire quelques choses, il fait réellement très chaud !

Elle n'allait pas ajouter que son cerveau était en train de bouillir sans casquette, parce qu'elle détestait ce genre de choses. Surtout qu'elle n'en avait pas et n'allait pas en emprunter une à aucun des deux ayant trop peur de voir une croix ou une équipe de je ne sais quoi. Elle sourit légèrement et dit

Aidan, c'est mon frère Ezra...

Elle se retient de dire qu'il avait l'air enchanté de le rencontrer. Elle n'était pas réellement suicidaire et n'avait pas envie qu'Aidan soit obligé d'aider à cacher son corps. Elle n'imaginait pas réellement Aidan pouvoir porter un cadavre, il avait tellement l'air épuisé là tout de suite. Elle sourit légèrement à Ezra avant de se tourner de nouveau vers Aidan et dire

Suis moi... On va boire un truc, je vois que t'es en train de te liquéfier...

Elle l'emmena dans la cuisine. En espérant que Ezra ne commencerait pas à les surveiller tous les deux... Même si elle était presque certaine qu'il le ferait, attention Aidant était dangereux étant du sexe masculin. Elle regarda dans le frigo l'ouvrant pour qu'Aidan voit ce qu'il a dedans et dit

Qu'est ce qui te ferait plaisir ?

Le gamin a en effet l’air d’être en train de se liquéfier. Et il ne le juge pas qu’en s’appuyant sur la fine couche de sueur qui recouvre sa peau, mais sur ses traits tirés, ses cernes et la pâleur de son teint. Et si même Kaylee que son ainé juge insouciante à souhait le remarque, ce n’est pas bon signe pour le dénommé Aidan. Est-ce qu’il est malade ou est-ce simplement la chaleur qui a cet effet sur lui ? Assurément, il y a autre chose qu’un simple petit coup de chaud… Cela dit, les adolescents maigrelets plutôt que biens portants et à l’allure travailleuse, il en a croisé des tas dans sa vie. Avec un physique comme le sien d’ailleurs, le blond pourrait très bien être mannequin, ce qui expliquerait sa taille fine. Mais c’est un autre débat.

Pour le moment, Ezra se contente de suivre le mouvement. Et c’est vers la cuisine que se dirigent sa mauvaise graine mignonnette de sœur et son ami famélique. Il suppose que Kaylee ne va pas aimer le voir les suivre comme son ombre mais, tant qu’il est en bas avec eux, pourquoi ne pas jeter un œil histoire de se montrer… présent pour leur invité ? Au cas où il aurait besoin de quoi que ce soit.
C’est un odieux mensonge bien entendu et Ezra n’essaie pas vraiment de se duper. Ils savent parfaitement tous trois pourquoi il va tenter d’imiter la moule venant se coller à un rocher, les adolescents faisant office du minéral…

On a les confitures et les fruits que les Fergusons ont apportés si vous voulez accompagner ça. Et il y a quelques gâteaux par ici.

Et sans vraiment attendre de savoir si les jeunes sont intéressés, il se dirige vers le placard pour en sortir quelques Oreo, du beurre de cacahuète et des toasts. Il sait que l’estomac de Kaylee ne pourra pas résister bien longtemps à l’appel du sucre, surtout si les sucreries sont juste sous son nez… Laissez son ennemi de frangin surprotecteur connaître ses faiblesses est assurément une grossière erreur !

Tu veux bien me passer une bière, Kaylee, s’il te plait ?

La jeune fille lui adresse un regard accusateur avant de fourrer la canette de soda dans les mains d’Aidan pour lui tendre une bière et se servir elle-même. Ezra soutient son regard sans mal, essayant d’y faire passer la petite pointe de rancœur qu’il ressent encore à son égard. Déjà parce qu’elle l’a inquiété en disparaissant de la sorte (et le sait parfaitement, là aussi personne ne se ment) et ensuite parce qu’elle a ramené quelqu’un à la maison sans lui en demander la permission. Dans le principe, ce n’est pas un problème et il est presque soulagé de la voir se socialiser, mais dans la pratique… il s’agit d’un garçon à l’allure bizarre. Mais avant tout d’un garçon quand même.

Tu vis ici avec tes parents, Aidan, c’est ça ?

Ezra n’est pas connu pour ses éclats de voix ou pour ses emportements excessifs, mais ses colères froides ont plus d’une fois déstabilisé sa jeune sœur. Jamais de hurlements comme leur père, jamais de coups portés sur les autres ou dans les murs, juste du mépris, de la froideur sourde et une rancœur tenace. C’est ce qu’il avait à offrir et généralement, Kaylee craquait la première face à son attitude. Pas toujours, mais souvent.
Il la regarde avaler des gorgées de bière sous son nez, sachant pertinemment que ce geste lui déplait fortement. Elle n’est même pas en âge de consommer ce genre de boisson mais c’est le cadet de ses soucis évidemment. Elle pense équilibrer les choses en le défiant ouvertement de cette manière. C’est sa façon de lui dire qu’il n’a pas à la fliquer, à la suivre dans la maison, mais le fait est que si. C’est son rôle de surveiller qui elle fréquente, de s’assurer qu’aucun mal ne lui sera fait. Ezra se sent plus à sa place que jamais dans cette cuisine, à poser des questions au parfait inconnu que sa cadette vient de faire pénétrer dans leur univers désordonné.

Mais elle ne le voit pas de cet œil, bien entendu. Elle le voit comme un empêcheur de tourner en rond bien décidé à empiéter sur ses plates bandes, comme un ennemi. Cela fait partie du jeu et il en accepte petit à petit les règles, même si la pilule est dure à avaler. Il trouve son comportement puéril mais soit. Si elle veut qu’ils s’adonnent à ce genre d’échange en présence d’un inconnu, il le fera et c’est elle, au final, qui se rendra ridicule.

Pendant qu’Aidan se sert de quelques Oreo, Ezra s’approche de sa bière dont il se saisit avec un calme apparent. Il en avale une gorgée rafraichissante puis se tourne à nouveau vers leur hôte qui grignote, attentif à tout ce qui se passe autour de lui.

C’est intéressant, finit-il par répondre, même s’il n’a pas été très attentif à ce que lui racontait le garçon. Et ta famille et toi passez de bonnes vacances jusque là ?

Il s’appuie au plan de travail, niant ouvertement Kaylee qu’il sent bouillonner, faisant face à Aidan qui attend visiblement de finir sa bouchée pour prendre à son tour la parole. Mais Ezra enchaine juste avant qu’il n’en ait l’occasion.

Vois-tu, ma sœur a peur de s’ennuyer ici sans son Internet. Tu pourras peut-être régler ce problème et lui proposer quelques activités, non ? Comment occupes-tu tes journées à Grayson, mon garçon ? Je peux te tutoyer au fait ?

Evidemment, sa sœur a réponse à tout et s’empresse de répondre à la place d’Aidan qui paraît ne plus savoir où se mettre. Ce qu’il conçoit très volontiers vu l’ambiance. Mais Ezra n’accorde pas même un regard à Kaylee et préfère continuer de fixer le garçon comme si sa sœur n’était jamais intervenue. La nier est le meilleur moyen de la faire sortir de ses gonds sur le long terme. Cela dit, tous les moyens sont bons pour la faire s’énerver…
Elle finit d’ailleurs pour s’éclipser, certainement pour ne pas se donner en spectacle devant son nouveau voisin et possible futur ami. Le fait qu’elle précise la nature de son départ momentané, tend encore à prouver qu’elle essaie de déstabiliser son frère et de le mettre aussi mal à l’aise que le reste d’entre eux. Et ça fonctionne.

Aidan pour sa part, ne semble pas décidé à se laisser émouvoir par l’incident et, même s’il bafouille un peu, il garde la tête haute et fait abstraction de tout ce qui se passe autour de lui. Il gravit, palier par palier, l’échelle imaginaire représentant l’estime qu’Ezra éprouve à son égard. Pour le moment Kaylee est tout en bas de l’échelle, inutile de le préciser…
Il écoute l’adolescent lui parler des jeunes du village. En réalité, William Ferguson, le maire, est déjà passé le saluer en compagnie de sa femme pour leur souhaiter la bienvenue et a déjà parlé de ses enfants devant sa cadette. Elle n’a pas parut plus emballée que ça à l’idée de les rencontrer, mais qu’est-ce qu’il peut se vanter de savoir de ce que pense sa sœur ? Peut-être se fait-elle en réalité une joie de les croiser dans le village, comme elle vient de croiser Aidan. Ce dernier vient encore de grimper dans son estime en lui apprenant qu’il a passé une partie de son été à travailler dans une ferme. Un travail éprouvant et qui incite au respect.
Ezra lui adresse un petit sourire avant de répondre à sa dernière question.

Oui, nous en sommes relativement contents. Il y a beaucoup de travaux à faire cela dit. Les parquets sont assez abimés, les tapisseries sont à changer – et pour ça je compte sur l’aide de mes sœurs qui seront certainement meilleures décoratrices d’intérieur que moi, précise-t-il.

Il lui épargne les détails sur les rendez-vous qu’il a pris cette semaine et conduirons un plombier, un menuisier et d’autres artisans à venir évaluer l’état de la maison et lui faire des devis sur les travaux. En quoi est-ce que tout ça pourrait bien intéresser le garçon ? Kaylee, qui va pourtant vivre ici, ne veut même pas en entendre parler elle. Tout ce qui l’intéresse, c’est de savoir quand ils iront lui acheter des meubles modernes à installer dans sa chambre et les parties communes du manoir.

Il enchaine en demandant à Aidan comment est sa propre maison à Grayson et ils parlent de tout et de rien jusqu’au retour de Kaylee. Entre temps, Ezra a siroté quelques gorgés de sa bière, imité par le blond avec son soda et ils ont tous deux grignoté un petit quelque chose. Il sait à présent qu’Aidan partage son habitation, non seulement avec ses trois frères, mais également avec la fiancée enceinte de l’un d’eux et le fils de sept ans d’un dénommé Aahron (le plus vieux de la fratrie).

La tornade Kaylee est de retour et elle n’a pas pas pris soin de jeter sa langue dans la cuvette avant de tirer la chasse visiblement. Ezra observe son petit manège d’un œil critique, son visage ne trahissant pourtant aucune émotion. Il l’a vue torturer leur père des centaines de fois comme ça. Kaylee veut tous les avoir à l’usure, mais elle n’apprendre pas au vieux singe qu’il est à faire la grimace. La patience et l’entêtement sont deux de ses armes et Ezra n’hésite jamais à s’en servir.

J’ai lu quelque chose comme ça oui. Tout le monde ne parle que de ça en fait en ville, il suffit de tendre l’oreille, répond le plus âgé à sa sœur, sans pour autant avoir l’air de vraiment lui donner son attention.

Elle est comme un moustique bourdonnant de manière menaçante à son oreille et il attend qu’elle se pose pour frapper un bon coup avant qu’elle n’ait vraiment le temps de le piquer. Elle y arrive parfois et blesse son orgueil ou heurte carrément sa sensibilité en piquant là où ça fait mal. Et la boursoufflure le démange durant des jours après ça. Des jours qu’il passe à l’éviter soigneusement, ce qui finit par amener l’adolescente à s’excuser généralement.
Cela dit, il ne peut pas la blâmer. A force de faire croire à tout le monde qu’il est fait de glace, il est normal que les autres le prenne pour un être au cœur de glace… Mais Kaylee le connaît assez bien pour se rappeler parfois que derrière son armure, il n’y a que de la peau, du sang et des os, qu’i lest humain et que son corps dégage un minimum vital de chaleur…
C’est sûrement pour ça qu’elle a fini par ranger la bière pour se servir un simple soda et imiter son invité qui paraît bien peu à son aide. Ezra s’ne veut un peu d’être un hôte si déplorable mais après tout au fond, c’est à la charge de Kaylee qu’il est… pas la sienne.

En réalité, durant le peu de temps qu’ils ont passés ensembles, Ezra a évidemment demandé à Aidan ce qu’il faisait dans la vie et il l’a déjà renseigné sur ses talents multiples. C’est donc avec une once de fierté mal placée qu’Ezra le signal à sa sœur qui se venge immédiatement en le prenant pour son larbin.
Mais puisqu’elle a fait un effort sur la boisson, il en fait un aussi sur la nourriture. Il se retourne le temps d’ouvrir un placard, de dénicher les biscuits qu’elle recherche, puis les envoies rejoindre les autres encas sur le meuble de cuisine.

Le moment qu’il redoute arrive alors et Kaylee propose qu’ils visitent la maison et sa chambre. Ezra doit se mordre l’intérieur de la bouche pour ne pas réagir au quart de tour. Il s’agit de provocation très certainement, et en même temps, il sait qu’il est normal pour l’adolescente de proposer au garçon de la rejoindre dans son univers et de lui montrer l’endroit où elle passe le plus clair de son temps. Quand elle n’est pas en vadrouille bien entendu…

Laisse la porte ouverte, ne peut-il s’empêcher de lancer, avant de se justifier lamentablement. Le bois pourrait gonfler avec la chaleur, j’ai failli rester enfermer dans la mienne tout à l’heure alors… fais attention.

Ezra a réfléchi à tout un tas d’excuses à fournir pour justifier de sa présence dans les étages. Déjà, sa chambre se trouve au second, ce qui lui donne tout à fait droit d’emboiter le pas aux deux jeunes. Ensuite, il a quelques questions en réserve à poser à sa sœur, ce qui lui permettra de venir jeter un œil de temps en temps et de s’assurer que la porte est belle et bien restée ouverte. Et enfin, comble de la chance, une lessive vient de terminer de sécher dehors et il a du linge à lui remonter. Il est couvert pour au moins trois interventions (personne n’est à l’abri de laisser malencontreusement tomber un des t-shirt dans l’escalier et de se voir contraint de refaire un aller-retour…).
Mais alors qu’il atteint le second étage et lève les yeux vers les deux adolescents, il remarque qu’Aidan est immobilisé entre les deux paliers. Kaylee, elle, bavarde toute seule depuis un moment et il peut entendre son discours discontinu emplir le manoir silencieux. Il les observe de loin, pas vraiment dissimulé mais personne ne paraît lui prêter la moindre attention.

Soudain, il voit la canette de soda du jeune homme lui échapper des mains pour venir rebondir dans les marches, déversant un peu du liquide pétillant sur le tapis usé et vieillot recouvrant les sols. Son instinct lui souffle immédiatement que quelque chose ne va pas avec le garçon. Il n’a aucune idée d’où lui vient cette impression désagréable qui dresse ses poils sur son corps et le rend plus alerte, mais n’a pas le temps de vraiment s’appesantir sur la question. Ezra n’a même pas vraiment eu conscience de s’être avancé vers Aidan mais, lorsque ce dernier amorce sa chute qui pourrait se révéler dangereuse, sinon mortelle, l’ainé des Johansson accélère encore le mouvement. Il arrive à sa hauteur juste à temps et le réceptionne tant bien que mal dans ses bras, manquant lui-même de chuter en arrière. Heureusement, son appuie est bon et il parvient à rapidement retrouver son équilibre.
Il traine le corps inanimé d’Aidan qu’il soutient par les aisselles jusqu’au bas, observant ses pieds tressauter sur chacune des marches rencontrée par ses talons. Il l’étend dur le palier du second étage au moment où Kaylee le rejoint, le teint livide, morte d’inquiétude.

Possible, répond t’il brièvement pour essayer de la rassurer et d’avoir l’air de ce qu’il fait.

Mais il n’a pas le temps de réellement la conforter et a mieux à faire pour le moment. Il pose sa main sur la poitrine d’Aidan qui ne tarde pas à se soulever. Sa respiration est un peu sifflante, laborieuse, mais existante et il en remercie Dieu. Il passe une main sur el front du gamin et, comme il s’y attend, le trouve brûlant.

Il a gardé sa casquette tout du long ?

Sa sœur ne paraît pas l’entendre la première fois et il est obligé de la relancer d’un ton plus autoritaire. Elle finit par sursauter et acquiescer vivement, son regard retournant rapidement sur le visage figé d’Aidan.

Va chercher un gant humide et rapporte-le-moi.

Et pendant que Kaylee s’exécute, Ezra tente de faire revenir le garçon en lui, lui donnant des instruction simples à suivre du genre d’ouvrir les yeux, de lui serrer la main.

Il avait espéré qu’Aidan aurait rouvert les yeux d’ici le retour de sa sœur mais ce ne fut pas le cas. Ezra en était à prendre son pouls lorsque Kaylee réapparut près de lui.
Il la regarde du coin de l’œil prendre sa place et les choses plus ou moins en main. Elle ne connait pas encore vraiment le garçon mais semble aussi inquiète et aux petits soins que s’il s’agit d’un bon ami. Beaucoup lui prête un mauvais cœur, la pense aussi froide que ses ainés, aussi pleine de mépris et venimeuse. Mais si elle aboie beaucoup, lui sait que Kaylee n’a pas mauvais fond et ne mord pas sans qu’une excellente raison lui soit donnée de le faire. Il n’a qu’à voir avec quelle délicatesse elle dégage quelques mèches blonde du front humide d’Aidan pour comprendre qu’elle est aussi altruiste que l’était leur père jadis, avant qu’on son cœur ne se transforme en un vulgaire cailloux froid.
Non. En fait c’est de leur mère qu’elle tient.

Mais Ezra s’arrache très vite à ses contemplations et ses pénibles souvenirs. Il n’aime pas penser à sa mère. Et puis Kaylee a raison, il faut que l’une d’eux se chargent de prévenir quelqu’un qui connaît assez Aidan pour savoir ce qui ne tourne pas rond. Peut-être suit-il un traitement après tout… Comment savoir ? Et puis s’il a gardé sa casquette tout l’après-midi une insolation est peu probable. Surtout que Kaylee est sortie sans et n’a rien elle.

Il a dit qu’il habitait sur East Jefferson, c’est bien ça ? demande-t-il à sa sœur après avoir fouillé dans sa mémoire. Elle acquiesce et il se redresse. Je vais voir s’il y a quelqu’un. Je fais aussi vite que je peux. Si jamais il commence à… enfin s’il se passe quoi que ce soit : met-le sur le côté et appelle le 911.

Pour le moment, puisque le gosse respire et ne s’est cogné nul part, il n’en voit pas l’utilité. Mais si les choses devaient dégénérer, il faudrait envisager cette option. Il sait qu’un médecin se trouve dans les parages mais ne sait plus exactement où. Cela dit, il ne sait pas non plus où se trouve la maison des Donnelly exactement… Mais Ezra décide d’aviser en chemin.
Laisser Kaylee seule avec tant de responsabilités le contrarie un peu mais ils n’ont pas vraiment le choix. Ou plutôt, c’est assez détestable à avouer, mais Ezra aimerait se débarrasser de ce fardeau qu’est devenu Aidan. Le confier aux bons soins de ses frères est une excellente manière de le faire.

Je fais vite, promet-il une dernière fois avant de redescendre les escaliers quatre à quatre pour se jeter sur la porte d’entrée et l’ouvrir vivement.

Inutile de prendre la voiture pour parcourir les quelques mètres qui le sépare de la rue East Jefferson. Il prend le risque d’attraper lui aussi un coup de chaud et se presse vers la rue où vivent les Donnelly. Très vite, il croise un gamin joufflu accompagné d’une fille au physique ingrat, le visage rougi par le soleil qui arbore des nattes blondes. Tous deux lèches des glaces sans grand entrain, assis sur le bord de la route brûlante sur des gilets légers que leurs mères leur ont certainement obligés à porter.

Hey vous deux ! les hèle-t-il en s’arrêtant à leur hauteur. Vous savez où habite les Donnelly ?
Pt’être ben qu’oui… et pt’être ben qu’non, répond la gamine, visiblement plus âgée que son compagnon gourmand et en sueur.
C’est important !
Oh alors si c’est important… Vous allez bien pouvoir nous récompenser un peu pour c’t’info, m’sieur, dit-elle en tendant une main poisseuse vers lui.

Ezra fronce les sourcils, ne sachant pas vraiment comment se comporter face à une telle insolence. Il est pressé par le temps mais parcourir la rue East Jefferson en lorgnant sur chaque boite aux lettres ne le fera pas aller plus vite qu’en demandant son chemin.

Je n’ai pas d’argent sur moi.
Ah… c’est embêtant m’sieur.
Ecoutez, c’est vraiment important. Une question de vie ou de mort !
Vous leur voulez quoi aux Donnelly ?
Mon père dit qu’c’est tous des pourris et qu’ils feraient bien de dégager avant qu’on les déloge à coups d’pompes dans l’cul…
Vraiment, ton père dit ce genre de choses ? s’agace Ezra dont la patiente atteint peu à peu ses limites.
Ouep !
Vous connaissez le numéro oui ou n…
C’est l’huit de la rue East, soupir la gamine en levant son pouce pour désigner la rue à sa gauche, en direction de l’épicerie.
Merci !

Et sans un regard en arrière, sans prendre le temps de se pencher sur la grossierté dont fait preuve la jeunesse de Grayson, il reprend sa route au pas de course.

Connard...

Ezra est un peu essoufflé mais il tente de se faire le plus discret possible dans le dos d’Aahron Donnelly. Il n’a pas l’habitude de ce genre de marathon, surtout pas une chaleur pareille, et sa propre tête tourne un peu. Ses jambes sont un peu cotonneuses et il ne sait pas si c’est à mettre sur le compte de l’effort qu’il vient de fournir ou simplement à cause de l’adrénaline ressentie au moment de la chute d’Aidan qui commence à disparaître et le laisse inquiet. Il serait dans tous ses états si quelque chose de ce genre arrivait à une de ses sœurs et est admiratif du sang froid dont fait preuve le frère de l’adolescent. Et en même temps, ce détail lui laisse penser que les malaises sont quelque chose de courant pour lui… Soit il a l’habitude de ce genre de chutes, soit il travail dans un milieu le confrontant à ce genre de situations. Celles ou le sang froid est de mise…

Il hésite à demander à Kaylee de venir le rejoindre, de laisser Aahron gérer ça, mais il y renonce très vite. En réalité, il veut juste ne pas être le seul à être prostré dans le couloir sans rien faire et apprécierait égoïstement que quelqu’un d’autre se sente impuissant, comme lui-même en cet instant. Mais comme si elle avait lu dans ses pensées, sa cadette lui tend alors le linge humide pour qu’il aille le rafraichir un peu, ce qu’il s’empresse de faire, laissant Aahron et sa sœur seuls avec le jeune malade toujours inconscient.

Le temps qu’il revienne, sur le palier, à son grand soulagement, il voit qu’Aidan n’est plus étendu sur les cuisses de sa petite sœur mais assis, une main portée à son front. Il est encore très pâle et son frère a placé une main derrière sa nuque pour le maintenir en position assise et éviter une rechute au cas où. Décidant que le gant ne sera plus d’une très grande utilité, Ezra revient un peu sur ses pas et le jette négligemment en direction de l’évier sur lequel il s’écrase dans un bruit spongieux. Il retourne alors pour de bon auprès des autres et se poste près de Kaylee. Il tend une main vers elle pour l’inciter à se redresser et elle finit par accepter l’offre, revenant sur ses pieds pendant qu’Aahron souffle quelques mots d’encouragement à son frère.
Ses jambes étendues devant lui, ce dernier reste silencieux, l’œil un peu vitreux, sûrement encore un peu dans les vapes même si ses yeux clairs et rougis sont bien ouverts.

Est-ce que je lui apporte quelque chose ? Un verre d’eau, quelque chose à manger ?

Il ne sait pas vraiment comment agir. Il a déjà assisté une femme souffrant de malaise dans al rue une fois, mais elle était enceinte et son malaise était donc aisément justifiable. Il l’avait aidé à s’asseoir sur un banc puis avait confié quelques dollars à un gamin qui passait par là pour qu’il aille acheter une bouteille d’eau et une barre énergétique à la jeune femme qui avait passé leur temps ensemble à se confondre en excuses et à pleurer.
Se sentant encore une fois tout à fait inutile pour le moment, il passe tout de même un bras autour des épaules de sa sœur (se sentant parfaitement idiot en le faisant) et lui demande comment elle-même se sent en frictionnant un instant son bras. Il la sent trembler un peu et sa pitié pour Aidan se transforme l’espace d’une seconde en agacement. Il déteste que cet inconnu soit entré dans la vie de sa sœur pour l’inquiéter dès la première heure…