Une nuit au bureau, que ça pouvait être long. Le shérif adjoint se demandait même si les heures passées au travail n’étaient pas plus longues de jour que de nuit. Le silence était plutôt pesant de nuit, comme si une atmosphère étrange, oppressante, s’emparait de ce village. Mais, l’agent des forces de l’ordre ne se laissait pas perturber par ce genre de chose, du moins lorsqu’il évitait de penser aux sombres histoires et aux non dits de Declan, le shérif.

Il y avait des affaires importantes à résoudre en ce moment et notamment cette fameuse inscription rouge sang sur une paroi d’un mur de la maison abandonnée. Il fallait récolter un maximum d’informations auprès de la population pour faire un peu le tri et cela allait prendre un peu de temps. Et puis, il y avait toujours de quoi faire au bureau que ce soit des tâches administratives où régler le petit délit du coin.

Cette nuit là, Grifith était le seul occupant du poste de police, tenant physiquement grâce aux doses de caféine qu’il s’injectait oralement, à intervalle de temps régulier. Son bureau ressemblait comme toujours à un vrai chantier. On pouvait se demander comment le jeune homme parvenait à s’y retrouver dans ce bins organisé.

Quelques heures plus tard, il se redressa, s’adossant au dossier de son fauteuil avant de jeter un œil sur son horloge située au dessus de la porte de son bureau. Il était six heures du matin, Declan était surement sur le point d’arriver au bureau. Le jeune policier éteignit l’ensemble de son matériel informatique puis se leva pour jeter un coup d’œil à la fenêtre. Ce ciel obscur allait lentement s’éclairer au fur et à mesure que les rayons du soleil se fassent plus nombreux.

Il était temps de rentrer chez soi. Grifith avait pris le soin de prévenir sa fiancée qu’il reviendrait tôt le matin et non la veille au soir. Il enfila sa veste qui squattait un emplacement sur le porte manteau situé contre le mur boisé au moment où Declan pénétra à l’intérieur du poste de police. Les deux hommes échangèrent quelques mots en toute décontraction. Grifith appréciait le shérif qui était en quelques sortes, son mentor, son grand frère.

Le shérif adjoint quitta ensuite le bureau et se retrouva enfin à l’extérieur, humant l’air frais avant de pénétrer à l’intérieur de sa berline. Conduisant tranquillement, il arriva devant son domicile une dizaine de minutes plus tard. Grifith s’attendait à pénétrer dans une maison silencieuse et ce fut le cas une fois le perron et la porte d’entrée passés. Il jeta sa veste sur le canapé du salon et ôta ensuite ses chaussures à côté du meuble, près de l’entrée et tout cela sans vraiment y réfléchir. Ces gestes étaient devenus des automatismes répétés un nombre incalculable de fois.

Il monta ensuite les escaliers pour retrouver sa chambre et sa fiancée, dormant paisiblement sous la couverture. Il n’avait qu’une envie à cet instant : retrouver le lit, sa terre promise du moment et se reposer enfin. Grifith ôta son uniforme en l’espace d’une minute et demie tout au plus avant de glisser de l’autre côté du lit.

Il se rapprocha ensuite de Colleen, allongée sur le flanc, se blotissant derrière elle avant de poser lentement son bras autour de sa taille. Le jeune homme huma l’odeur enivrante de ses cheveux qu’il reconnaissait entre mille, l’espace de deux petites secondes. Puis , il posa sa tête contre l’oreiller à son tour, pas certain qu’elle soit toujours dans les bras de Morphée…

Un chien ? elle a bien dit un chien ? Le jeune homme bloqua quelques instants sur cette idée, comme si ce choix était bien plus compliqué pour lui que pour elle. Grifith n’avait aucune affinité avec la race canine, probablement parce qu’il n’avait jamais eu de chien dans le passé.

Elle se tourna ensuite vers lui tandis que son amant plaçait sa jambe autour des siennes, telle une sangsue accrochée à son bien. Les yeux fermés, le shérif adjoint profitait de tous ses autres sens pour partager cet instant aussi particulier avec sa fiancée. Sa main gauche se baladait dans le dos de la brune, tandis que son front se déposa délicatement sur celui de Colleen.

«Hum, et bien, je crois que, à ta place, je ne me serais pas empêché de faire un petit somme… »

Un sourire se dessina autour de ses lèvres, suite à cette réplique qui se voulait légèrement taquine. Grifith appréciait se retrouver dans son lit, au chaud, blotti contre sa fiancée. Il pouvait rester des heures ainsi, comme si le reste du monde n’avait plus grand intérêt.

«Oui, je l’avoue, je suis sur la piste d’un serial killer : une femme brune, selon les indices, qui cherche à sympathiser avant de s’en prendre à des hommes dans leur sommeil…spécialement des shérifs adjoints… »

Les yeux toujours fermés, l’agent de police racontait sa connerie avec le même sourire figé sur son visage, tandis que la main chaude sa femme parcourait sa joue avec tendresse.

«Ah j’aurais dû me douter que tu étais cette femme…tu ne me laisseras pas reprendre ma force vitale…je suis fini…j’ai au moins droit à une dernière volonté ? »

Grifith pivota sur lui-même, pour se retrouver sur le dos, embarquant au passage sa fiancée sur lui. Ses lèvres frôlaient celles de Colleen. Il n’était pas contre un petit peu de sommeil, cela se voyait vu son intonation un peu apathique, comme si il allait passer l’arme à gauche. Mais, d’un autre côté, il espérait résister un peu pour profiter de cet instant de tendresse, pour une fois que rien de particulier n’occupait son esprit…

Colleen ne semblait pas si fatiguée que cela pour une personne qui n’a pas fermé l’œil pendant une nuit. Elle prit place sur son amant qui semblait apparemment en pleine plénitude. On aurait pu croire que le shérif adjoint avait ingéré des substances illicites pour se sentir aussi bien. Son dos se reposait enfin sur ce matelas confortable tandis que les mains de Colleen caressaient son torse.

«C’est une couverture ta gentillesse. Et si je te disais que les serial killeuses sont sexy ? »

Le jeune homme reposa sa tête en appui contre l’oreiller tandis que la brune posait sa tête sur son torse. Sa main gauche vint se perdre dans ses longs cheveux bruns ondulés, les caressant sans une once de lassitude.

«Hum, nan et puis, je n’ai pas faim… »

Sa fiancée se redressa, plaçant son bassin sur celui de Grifith qui semblait à moitié heureux, à moitié comateux.

«Apparemment je peux pas, tes cuisses m’empêchent d’atteindre mon boxer… » disait il, feignant l’air impuissant.

Le jeune homme posa ses mains sur les cuisses brûlantes de Colleen, les faisant remonter jusqu’à ses hanches. Il prit le temps de réfléchir à sa question, une légère moue sur le visage. Et puis, elle se rapprocha des lèvres du jeune homme. Ce dernier attrapa sa lèvre intérieur, entre les siennes avant de reposer sa tête une nouvelle fois contre cet oreiller. Un véritable feignant.
«Monsieur le fiancé croit avoir un torticoli… » dit il en pointant sa nuque de son index en s’exprimant ironiquement à la troisième personne.

«Et monsieur souhaite aussi des…glaçons…c’est tout ce que je souhaite avant que la serial killeuse se réveille… »

Ses yeux se réouvrèrent, fixant avec un sourire en coin empli d’envie, sa fiancée.

Allongé sur le dos, Grifith ressentait à la fois une certaine fatigue à cause de cette journée à rallonge, et un bien être presque absolu. Il faut dire que les chaises de bureau n’étaient pas aussi confortables que le bon vieux matelas moelleux dans lequel on peut s’étendre pendant des heures.

Colleen se dégagea quelques instants plus tard, prenant un air faussement bougon. Il n’avait pas seulement l’air fatigué…il l’était ! Ce dernier préférait même garder les yeux fermés lorsqu’elle évoquait la fameuse herbe qu’elle fumait. Il faudra peut être qu’elle résolve cette sale manie. Le jeune homme fermait les yeux et elle avait parfaitement raison sur un point. C’était plutôt limite que la fiancée du shérif adjoint consomme de l’herbe. Mais, à la décharge de l’agent de police, c’était la seule chose qu’il acceptait et qu’il couvrait au regard de la loi.

Ce dernier restait totalement inerte, avec un léger sourire sur le coin des lèvres, les yeux fermés. Un léger râle émana du fond de sa gorge lorsqu’elle lui demanda si il s’était endormi. Et puis, vint le moment où elle évoqua Pietzky. Grifith inspira profondément à cet instant, rouvrant les yeux. Décidément, elle comptait s’acharner combien de temps contre Colleen ?

« J’irai d’abord lui parler…et puis après on verra la tournure que ça prendra. T’en fais pas.»

La brunette déposa ensuite un baiser sur les lèvres de son homme, visiblement fatigué mais désireux de poursuivre cette étreinte. Le shérif adjoint bascula sur elle, brusquement, collant son corps contre le sien. Il disparut quelques instants sous la couverture avant d’émerger à la surface en brandissant avec un air amusé son boxer, qui vint tomber à côté du lit.


«Oui, j’ai souffert aujourd’hui et je croyais que tu allais t’occuper de moi en revenant mais je me suis trompé… »

Grifith s’avança souriant, pour l’embrasser goulûment cette fois, décidé à assouvir les pulsions qu’elle venait de réveiller en lui. Ses mains s’aventurèrent le long des hanches de sa fiancée avant qu’il ne se déporte pour lui chuchoter quelques mots à l’oreille, légèrement provocateur.

«Incapable de s’occuper de son homme tss… »

Apparemment, les initiatives du shérif adjoint restèrent vaines. Colleen semblait tout à fait hermétique à ses caresses, bien plus occupée à se plaindre des absences répétées de Grifith la nuit. Le jeune homme planta sa tête dans l’oreiller, à côté du visage de la brune, restant dans cette position avec un petit air de chien battu ce qui rendait la situation légèrement comique malgré lui.

A la base, il voulait simplement passer un bon moment en compagnie de sa fiancée sans avoir à réfléchir…pour une fois. Grifith craignait de s’engager et cette appréhension le tenaillait depuis un bon moment maintenant. Comment pourrait-il lui dire qu’il restait certains soirs seul au bureau afin de ne pas avoir à rentrer à la maison ? Paradoxalement, Grifith aimait sincèrement Colleen. Peut être qu’il n’était pas fait pour cette vie rangée malgré ce que pouvaient dire les habitants de Grayson sur ce couple…

Le jeune homme releva la tête quelques instants plus tard pour être parfaitement face à sa fiancée, blottie contre lui.

«Ecoute… »

Les yeux fermés, il parvint à se dégager de l’emprise de Colleen sur le lobe de son oreille et cela malgré le fait qu’il appréciait quand elle susurrait son homme de la sorte. Il s’allongea à côté d’elle, rompant le contact visuel, ses yeux venant se perdre sur le plafond.

«Moi aussi…je crois que j’ai besoin de dormir un peu Colleen…on en rediscutera. »

Oui, Grifith ne semblait pas prêt de discuter ce soir ou plutôt ce matin. C’était plus simple de repousser l’échéance et les problèmes. Il savait que ce n’était pas la bonne solution, qu’il se méprenait. Et pourtant il empruntait cette voie dangereuse en connaissance de cause. Mais, cette voie était la plus facile pour lui…

La réaction de Grifith venait d’enflammer une situation qui semblait à la base plutôt détendue entre les deux amants. Colleen haussa le ton brusquement, émettant un juron qu’elle ne put contrôler.

Grifith resta scotché sur le lit lorsque sa fiancée déserta le lit pour se rendre dans la salle de bain.Que pouvait il répliquer pour sa défense ? strictement rien. Il savait qu’il devait parfois mentir par omission à sa fiancée pour maintenir un semblant de normalité dans sa vie. Mais, rien n’était vraiment normal. D’un côté il avait encore des sentiments pour Charlie et de l’autre, il se voyait mal passer la bague au doigt de sa fiancée. Il l’appréciait, il l’aimait, mais probablement pas suffisamment pour qu’il puisse s’engager davantage. Il y avait quelque chose au fond de lui qui dépérissait à force de devoir se contenir et agir de manière raisonnable.

Le shérif adjoint se leva péniblement du lit ensuite, n’appréciant guère voir Colleen ainsi. Il ne désirait pas la voir souffrir, pas…son amie d’enfance.

«Viens… » lui glissa-t-il tendrement pour l’étreindre contre lui.

Il passa les bras autour des épaules de Miss Jefferson, posant sa main gauche à l’arrière de sa tête. Grifith était face à un dilemme désormais. Soit il lui faisait part de toute la vérité, soit il parvenait encore à la dissimuler tant bien que mal pour ne pas voir sa fiancée souffrir, bien trop attaché à elle au vu de leur passé commun. Mais comment ferait il le jour venu devant l’autel alors que ses tripes redoutaient cet évènement ?

Perturbé, il étreignit avec douceur Colleen sans avoir trouvé la moindre réponse, la moindre solution.

«Je suis désolé. Je ne voulais pas te blesser Colleen. Je suis juste un peu…surmené pour penser à ça pour le moment. Viens dormir, s’il te plait.»

Le jeune homme tenta de se montrer aussi attentionné qu’il le pouvait pour calmer sa très chère Colleen mais, en son for intérieur, il savait qu’il faudrait bien plus qu’un coup de baguette magique pour que cesse cette situation inextricable.

Une tension infernale régnait dans la pièce. Grifith pouvait la ressentir et cette dernière était accentuée par un silence pesant par moment. Blottie contre lui, le shérif adjoint tentait de calmer sa fiancée pour que ses pleurs s’atténuent progressivement. Colleen se libéra ensuite de son étreinte pour rejoindre le lit, assise, le regard dans le vide.

Il s’en voulait profondément. Littéralement scotché sur place tel un piquet inanimé, le jeune homme ressassait ses conneries successives. Colleen était la seule personne qu’il décevait dans ce village paumé…sa fiancée. Il se sentait coupable d’agir de la sorte, comme si il ne valait pas mieux que l’enfoiré du coin. Et pourtant, il jouissait d’une bonne réputation à Grayson et cela arrive à tout le monde de commettre des erreurs d’une importance plus ou moins conséquente. Mais, Grifith était extrêmement exigeant avec lui-même. Et là il venait de blesser une fois de plus sa fiancée sans le vouloir. Il avait l’habitude de faire ce qu’il avait à faire sans demander quoi que ce soit. Et là, tout empirait et il ne trouvait aucune bonne issue pour régler ce problème épineux…

«Non….enfin, oui je repars en fin d’après midi mais je ne resterai pas longtemps. »

Totalement déstabilisé par ce qui venait de se passer, Grifith eut du mal à répondre à la question, pourtant simplissime, de sa fiancée. Son esprit, ses pensées, restaient focalisés sur cette scène de ménage.

«J’ai besoin d’un verre… »

Soudain, sans attendre une réponse de la part de la brune, il quitta la chambre et rejoignit le salon pour s’emparer d’une bouteille de tequila pleine aux deux tiers encore. De sa main gauche, il attrapa deux verres brusquement. Le tintement caractéristique du verre se fit entendre et Grifith rejoignit la chambre, avec les deux verres bloqués entre son pouce et son index.

Le shérif adjoint s’assit au bord du lit, le visage perdu, l’air hagard. Grifith ne se fit pas prier pour remplir le tiers de son verre avant de l’ingurgiter cul sec. Il émit presque instantanément un léger grognement. Puis, le jeune homme respira profondément et se retourna vers Colleen, qui était jusqu’à présent dans son dos, pour lui demander si elle avait besoin du même remède que lui. Grifith lui tendit l’autre verre, un peu hésitant.

«Je sais, c’est six heures du matin…mais, je n’ai rien de mieux à te proposer… »

Le regard du shérif adjoint se perdit pendant de longues secondes sur ce verre de tequila à moitié plein. L’alcool permettait d’oublier les tracas du quotidien temporairement. Mais à quoi bon ? Ils revenaient toujours un jour ou l’autre, des fois le lendemain matin même. Grifith enchaîna les verres sur ces sombres pensées avant que Colleen ne pose une question dont elle connaissait déjà la réponse.

C’était plutôt difficile d’y répondre. Et le jeune homme n’était pas plus loquace à ce sujet lorsque les effets de l’alcool se faisaient sentir. Heureusement, il n’eut pas vraiment le temps d’y réfléchir que sa fiancée lui autorisa de ne pas répondre. Usé, non pas physiquement mais plutôt mentalement, le shérif adjoint réalisait qu’il se trouvait sur une voie sans issue. Pourtant, tout avait bien démarré…

Comment se prendre la tête à six heures du matin et être sur et certain de passer une mauvaise journée…

Grifith attrapa le verre de Colleen, le posant avec le sien sur la table de chevet. Cette consommation excessive d’alcool dans un laps de temps si court lui réchauffait l’estomac. Quant à son esprit, il s’était évadé de cette chambre, ne pensant à rien de particulier. Toujours muet, le shérif adjoint reprit place à son tour sous les draps après avoir éteint la lumière. Grayson, c’était chez lui. Il était bien vu et il avait passé toute sa vie ici. Mais, parfois, Grifith désirait être loin d’ici…comme ce soir.

Toutefois, c’était la première fois qu’il réalisait que sa fiancée se doutait qu’il se tramait quelque chose de son côté. Elle n’était pas idiote mais il ne pouvait lui dire qu’il ressentait encore des sentiments à chaque fois qu’il croisait sa meilleure amie.

Son visage se rapprocha de celui de Colleen avant qu’il ne l’embrasse sans que son esprit ne soit véritablement ici, dans cette chambre. Ses mains attiraient délicatement le corps de Colleen pour qu’elle reprenne une position couchée sur le lit. Les iris azur du jeune homme n’osaient croiser le regard de la brune. Les yeux vifs, le jeune homme ne pouvait nier qu’il était encore lucide. Et, toujours aussi silencieux, il continuait les faux semblants en ne disant strictement rien de plus…