Ils avaient beau ne plus coucher ensemble et se lancer des vannes et des insanités à la tronche à tour de bras, ils vivaient encore ensemble. Chercher la logique. La logique était simple pourtant : Grifith payait le loyer donc il avait tout à fait le droit de rester dans cette maison, de plus, il ne pouvait pas tout à fait se passer de Colleen à l’heure actuelle. Alors, même si c’était pour s’insulter toute la sainte journée, il restait. Comme ça, en plus, il n’avait pas à se racheter frigo, lit et télé. Ah, télé, il regardait actuellement un épisode de la nouvelle et visiblement dernière, saison de Battlestar Gallactica, assis tranquillement sur son canapé, en simple caleçon. Il faisait trop chaud pour porter autre chose à l’intérieur. C’est pas comme si il y avait quelque chose que sa fiancée n’avait pas déjà vu !

Les jambes étendues devant lui (mais pas les pieds sur la table basse, sinon Colleen allait encore lui piquer une crise et puis il avait perdu cette habitude il y a bien longtemps), il savourait son épisode quand il sentit le canapé s’affaisser à sa droite, signe que Colleen venait de poser son gracieux et si bien utile popotin à ses côtés. Il ne lui accorda même pas un regard, son regard restant scotcher sur l’écran en face de lui. Même quand le bruit caractéristique de la bouteille de bière que l’on ouvre se fit entendre, il ne dit rien, à peine crispé la mâchoire. Elle n’avait tout de même pas osé…Ah bah si. Elle avait pris la DERNIERE bière ! Il répondit à sa question, le ton mordant et acide.

"Dit celle qui ne veut pas que je bouffe ce qu’ELLE achète." Il aurait pu se contenter de cela, mais non, il préféra ajouter, parce qu’il l’avait encore en travers de la gorge "En plus je vois pas pourquoi tu me pique mes bières alors que t’as ton fournisseur plus que près à te dépanner contre une petite séance à l’arrière."

Grif n’avait pas besoin d’expliciter de quoi il parlait, bien sûr qu’il parlait de ce qu’il s’était passé entre elle et Calvin au drugstore. Calvin avait une telle grande gueule et il aimait tant se prendre le chou avec tout le monde qu’il n’avait pas pu résister à lâcher cette petite information, à savoir, qu’il s’était joyeusement fait Colleen. Yeah, enjoy. Qu’elle se tape Logan, passe encore. Il avait beau le détester, il pouvait comprendre, en cherchant des raisons très, très, capillotractées. Mais il pouvait comprendre ; mais Calvin quoi ? Elle était franchement tombée bien bas.

Et elle semblait vouloir l’entraîner avec elle, vu le changement soudain de chaîne le forçant à regarder un documentaire sur les baleines. Elle était sérieuse là ? Un grognement du cœur lui échappa et il rejeta sa tête blonde en arrière, contre le dos du canapé. Visiblement entendu par sa chère et tendre (AHEEEM), en même temps il n’essayait pas de se cacher, elle lui sortit qu’elle avait repéré ce documentaire et patati, et patata…Ouais, parle à mon cul ma tête est malade.

"Et tu sais parfaitement que chaque semaine c’est la diffusion des nouveaux épisodes de Battlestar Gallactica. Ça serait une redif’, je dis pas, mais là…Non sérieux Colleen…Si c’est pour s’entendre dire que les baleines sont de gros mammifères marins en voie d’extinction, merci bien mais on a retenu." Il reprit la télécommande des mains de Colleen et rechangea la chaîne, bien décidé à tenir l’objet du délit loin de son ancienne amante. Ça lui ferait les pieds tiens !

L’adjoint retint un rire jaune et amer. Elle regrettait. Comme si lui ne regrettait pas d’avoir fait l’abruti avec Charlie. Colleen avait décidé de faire la sourde oreille à ses tentatives d’excuses, alors il ferait de même. Oui, il était têtu et revanchard. Mais ça n’était pas quelque chose qu’il pouvait pardonner facilement : lui, il avait un malheureux baiser avec son ex (qui soit dit en passant était parti avant qu’il ait pu dire le moindre au revoir) et elle lui fait une véritable crise, poussant le vice jusqu’à lui balancer la bague de fiançailles à la gueule, et elle, elle couchait, même sous l’emprise de l’alcool, avec Calvin et il devait lui pardonner comme ça, sans rien dire et sans se battre ? Sérieusement ? Il resta de marbre, hormis sa mâchoire se crispant subrepticement à ses excuses. Il se devait de rester imperméable. Elle l’était restée, elle l’avait rejeté alors que lui aussi il lui avait dit qu’il regrettait. Qu’elle goûte un peu de sa propre attitude, qu’on voit comment elle s’en sortait.

Pourtant la faire souffrir, ça avait été à des milliers d’années lumières de son esprit il y a encore quelques semaines. Encore aujourd’hui, une part de lui savait qu’il pouvait arrêter ce cercle vicieux de souffrance. Cette part de lui qui, en ce moment-même, l’incitait sans succès à aller prendre Colleen dans ses bras pour la consoler, en lui disant qu’il la pardonnait, parce qu’ils étaient comme quitte maintenant, même si la douleur de la trahison resterait encore un moment. Elle aussi connaissait maintenant clairement le regret qu’on ressent quand on sait qu’on a fait une connerie, ça devrait lui suffire. Cependant, sa fierté l’empêchait d’y mettre un terme. Apprendre qu’elle avait couchée avec Calvin était une chose, mais qu’en plus ce soit par l’intéressé lui-même et surtout devant tout le village en était une autre. Il avait d’ailleurs sa petite idée pour faire payer à cet enfoiré. Mais assez de Calvin, pour le moment, c’était à Colleen qu’il s’adressait et avec qui il tentait de communiquer (mais vu la mauvaise volonté qu’il y mettait pas étonnant que ça ne fonctionne pas ou très mal).

Voyant qu’elle ne tentait rien pour récupérer la télécommande et par-là son programme, Grif’ se dit qu’elle devait vraiment être bas. Encore cette dualité qui le tiraillait, avec d’un côté une envie de lui dire « bien fait pour toi » et une autre qui voulait lui caresser la joue, pour la rassurer, si non pour la pardonner. Comme toujours, il choisit l’option idiote, pour changer…Se détournant de la télé, il fit presque face à Colleen (mauvais plan, mec, mauvais plan), un sourire insolent mais teinté de rancœur, peint sur le visage.

"Raison de plus pour que tu arrêtes de boire pour un moment." Allez hop, on récupère la bière au passage et on en prend une bonne rasade, après tout il faisait chaud quand même "Comme ça on évite de faire des bêtises."

Sans le ton, sec et sérieux, qu’utilisait Grifith, on aurait presque pu croire qu’il plaisantait, rigolant au dépend de sa fiancée. Ce genre de scènes se produisait déjà avant qu’ils ne se disputent et se terminaient généralement par un jeu rapide avant une séance d’embrassade. Son expression s’assombrit à repenser à ces moments qui, s’il était honnête, lui manquait.

Non, il ne voulait pas qu’elle le laisse tranquille ; lui demander ça, maintenant, serait l’arrêt de mort de leur couple. C’est vrai, ils étaient tous les deux tombés bien bas, leur couple battait des deux ailes et risquait le crash à tout mauvais mouvement de l’a part de l’un ou de l’autre. Quoi que, si on se basait sur ces simples critères, leur couple aurait dû imploser depuis des lustres. Seulement, bien que se fourvoyant chacun sur le comportement à adopter envers l’autre, aucun ne voulait totalement que cette histoire se termine. Quelqu’un d’intelligent et de moins borné aurait reconnu dans cette attitude comme une preuve d’amour, refusant de laisser l’autre partir avant d’avoir tout essayer pour le garder de manière plus définitive. Seulement ils étaient tous les deux bornés et aveuglé par la douleur mutuelle qu’ils s’infligeaient car incapable de digérer les coups de l’autre.

Cependant, il y avait des moments, rares, éphémères et surtout, précieux, qui faisait qu’ils restaient, encore et toujours. Des mains tendue virtuelles physiquement mais belles et bien présentes, invitant l’autre à faire un pas de plus vers soi. Ce que faisait Colleen à cet instant en lui proposant de la salade. Ca semblait banal, futile et très trivial mais pour Grif’, c’était une perche tendue ; un moyen de savoir si il y avait encore une chance d’un « nous » entre eux. Un léger sourire, vrai, mais fatigué, s’installa et il prit une bouchée de salade, juste pour dire que oui, il y avait toujours un « nous » possible, à jamais. Mâchant sans grande conviction cependant, la salade n’ayant jamais été son truc pour être honnête, il finit par lâcher, après avoir lavé le goût avec une rasade de bière.

"C’est vraiment de la bouffe à lapin ton truc. Je comprends que t’ais besoin de bière pour faire passer. Tiens, je compatis à ta douleur"

Il lui retendit la bouteille de bière, sa propre offrande. La rancœur était encore là, tapie, attendant le prochain bon moment pour resurgir mais en attendant, elle s’était effacée de son ton et de son visage. Un genre de trêve. Ça ne pouvait se faire que chez eux, quand il n’y avait personne autour, parce que les gens du village ne comprendraient pas leur fonctionnement, ne pourrais pas envisager qu’on puisse autant s’aimer et se faire autant de mal en même temps. Alors quand ils étaient en dehors ils s’ignoraient quand c’était possible ou bien restait purement civil, quoi que…Ça leur était arrivé plus d’une fois de s’engueuler en public (et de manière assez violente avec cela). Mais Grifith n’aimait pas ces sessions public, parce que c’était LEURS affaires, personne n’avait à mettre leur nez dedans. Oh, bien sûr, il savait qu’en habitant dans un petit village, tout le monde se mêlait du business de tout le monde, notamment les tenanciers aigris et pervers…

Il aurait pourtant voulu lui expliquer que ce n’était que par pur fierté masculine bafouée qu’il agissait ainsi. Parce que, sincèrement qu’elle couche avec un autre mec…D’un, c’était déjà fait, de deux ça avait beau ne pas lui plaire, il avait appris à faire avec. Elle avait décidé de le punir en allant batifoler de temps à autres avec Logan, c’est ainsi. Mais c’était le fait que ce soit Calvin qui le dérangeait. Oui, il se répétait et alors ? Plus sérieusement, il aurait voulu pouvoir s’expliquer plus clairement avec elle, mais il n’y arrivait pas. Allez comprendre. En attendant son épisode passait, mais il n’y portait déjà presque plus attention, se concentrant plutôt sur Colleen, l’observant, elle et ses réactions.

Bon, c’est vrai, quand elle faisait vraiment la cuisine, Colleen pouvait préparer des plats géniaux. Lui-même pouvait cuisiner de manière décente, mais ça n’équivaudrait jamais à ce que la jeune femme pouvait faire. Cette atmosphère le rassurait. Il aurait bien voulu que rien ne vienne la troubler. Le pire, c’est que c’était son esprit seul qui venait troubler cette paix. La plupart des gens évitaient leur maison sachant pertinemment qu’ils risquaient de tomber sur une de leur dispute voire pire. Ce qui voulait dire qu’ils avaient la maison pour eux, sans interruption aucune. Sauf sa fierté masculine bafouée et sa débilité qui semblait congénitale sur certains points.

Ca ne l’empêchait pas de voir les efforts que Colleen fournissait pour tenter de redresser la barre deleur couple. Sauf qu’à chaque tentative un peu trop visible, il se souvenait irrémédiablement de pourquoi ils se trouvaient dans cette situation. Tant et si bien qu’il avait envie de se mettre des baffes tout en faisant très fièrement la gueule à sa fiancée. Sauf qu’il n’y arrivait jamais longtemps. Soit il se passait quelque chose qui les poussait l’un vers l’autre, soit il s’attendrissait sans autres option que de pardonner à la brune ses erreurs. Même s’il se gardait bien de le lui dire soit dit en passant.

Comme là, elle voulait qu’ils se fassent un marathon Battlestar. Dans l’absolu, il n’aurait pas été contre, bien au contraire, mais si elle faisait des efforts, il fallait qu’il en fasse aussi s’il espérait pouvoir remettre en route son couple. Passant un bras autour des épaules de Colleen, il la serra un peu plus contre lui (et si elle n’était pas en train de manger, il se serait surement un peu plus affaler qu’il ne l’était actuellement l’entrainant ainsi avec lui) et poussa un soupire de contentement.

"Nan, si tu vas à la bibliothèque, le mieux serait que tu prennes un truc qui pourrait nous convenir à tous les deux. Un marathon Battlestar je peux toujours en faire quand tu te couches tôt ou que tu n’es pas là…"

Oh…Oh la jolie bourde…Et dire qu’elle était totalement inconsciente. Il n’avait pas voulu insinuer quoi que ce soit par cette phrase et pourtant…Peut-être qu’inconsciemment il lui reprochait encore d’avoir autant découché aussi bien que couché avec d’autres pendant ces derniers mois. Il se tendit, appréhendant la réaction de Colleen à sa dernière bourde…

Mais quel abruti ! Quel abruti fini ! Aurait-il été seul, Grifith aurait probablement cassé quelque chose tant il était énervé face à sa propre bêtise ; là il devait se contenter de se maudire intérieurement. Pourquoi ne pouvait-il pas réfléchir un peu plus avant de parler ? Sérieusement…Surtout qu’il venait simplement de briser l’un des meilleurs moments qu’il avait pu avoir avec Colleen depuis un bail. Dire qu’il y a juste deux minutes il tenait la femme qu’il aimait comme au bon vieux temps, aimant, en mode cocooning…Et tout s’était brisé. Son étreinte, bien que toujours présente, semblait factice, juste là pour lui donner une excuse pour jouer une scène.

Quand il tourna la tête pour voir Colleen, toujours collée contre lui, il put voir l’étendue des dégâts qu’il avait causés par une simple phrase alors qu’il n’avait absolument pas voulu cela. Le regard douloureux, la voix et les paroles. Tout faisait culpabiliser Grifith à un point…Comme s’ils ne s’étaient pas suffisamment fait souffrir jusqu’ici, il fallait qu’il en rajoute une couche. Oui, il savait parfaitement qu’elle n’aimait pas cela. C’est bien pour cela qu’il en avait usé et abusé lors de leurs disputes, parce qu’il savait l’influence que ça avait sur elle. Mais cette fois…

Refusant de laisser une chance comme celle qui s’était présentée passer, Grifith resserra son bras autour de sa fiancée, utilisant son autre bras pour poser l’assiette sur la table basse avant de l’enrouler lui aussi autour du corps de la brune. Hors de question qu’il la laisse partir, une fois de plus. Pour une fois, il allait agir comme un homme et dire franchement ce qu’il pensait.

"Je suis désolé. Je ne voulais pas en faire, sincèrement." Une légère pause, un baiser dans sa tignasse brune "Je pense que nos disputes récentes ont laissées des séquelles plus lourdes que je ne le croyais. Excuses-moi. Mais le fait est : même si je ne peux plus jamais me faire un marathon Battlestar, je préfère qu’on soit ici, tous les deux…"

Voilà, ça au moins c’était dit. Il ne restait plus qu’à voir comment Coco allait réagir à une telle révélation qui n’en n’était pas vraiment une. Ils le savaient tous les deux qu’ils préfèreraient rester chez eux, ensemble, plutôt que séparés à deux endroit du village à faire il ne savait trop quoi. Il voulait pouvoir étreindre Colleen sans peur que ça ne soit mal interprété, sans qu’il entende les gens dire dans son dos qu’il n’était qu’un « naïf compulsif de faire encore confiance à une trainée pareille » (si, si, il l’avait réellement entendu)…

FIN