Après sa conversation avec Logan et surtout l’arrivée plutôt contrariante de Colleen, la brunette s’était réfugiée vers l’endroit le plus sur du parc à savoir : l’environnement direct de ses parents.
Malgré son âge, Kathleen était toujours restée proche de monsieur et madame Wood et, aussi désagréables puissent-ils se montrer, leur proximité la rassurait toujours. Surtout les soirs comme celui-ci où rien ne semblait aller. Ce qu’elle voulait faire en réalité, c’était rentrer chez elle pour se terrer dans sa chambre durant les prochaines semaines, manger les bons plats préparés par sa mère et écouter son père parler de guerre qu’il n’avait même pas faites.
Malheureusement, c’était pour le moment impossible. Il fallait qu’elle patiente encore une petite heure avant de pouvoir s’éclipser en profitant de la mise en route du film qui accaparerait l’attention de tous.

Son père la ramena soudain à la réalité en lui demandant d’aller lui chercher quelque chose à boire. Il lui demanda évidemment une bière mais, par dessus son fauteuil roulant, elle pu lire sur les lèvres de sa mère que c’était un peu d’eau qu’elle devait aller leur chercher. Kathleen s’éloigna donc à contre cœur pour se diriger d’un pas lent vers le stand des boissons. Il allait falloir qu’elle fasse la queue et subisse les interrogations de ses voisins quant à son voyage pour New York. Elle aurait voulu pouvoir s’accrocher un panneau disant « NY était génial, merci, au revoir » autour du cou, mais ça aurait assurément fait polémique…
Un sourire amer étira les lèvres de la jeune femme à cette pensée.

« Hey Kathleen ! Ca va ? Comment c’était New York ? »

La jeune femme se raidit subitement en reconnaissant la voix de son interlocuteur. Dans un geste mécanique, Kathleen se retourna vers Grifith, les yeux ronds, la bouche ouverte.
C’était lui. L’adjoint du shérif qu’elle avait été contrainte de quitter pour s’exiler et s’amender de ses péchés… L’homme de qui elle était éperdument amoureuse depuis des années et avec qui elle travaillait. Celui qui ne semblait jamais la remarquer malgré ses efforts désespérés.

« Je…Hem… Bonsoir Grifith » bafouilla-t-elle en se ressaisissant « Oui, ça va. C’était très plaisant. Grand et… vraiment génial »

Elle esquissa un sourire mais se maudit immédiatement pour se laisser aller. Elle avait des dents de cheval, son père le lui répétait constamment ! Et elle était en train d’ouvrir sa grande bouche pleine d’horribles dents face à Grifith Armstrong ! Quelle gourde !

« Et…et toi, comment vas-tu ? » s’empressa-t-elle de reprendre, sentant ses joues s’empourprer pour parfaire son image de complète idiote

Quelque chose clochait. N’importe quel autre habitant de Grayson serait passé à côté des signes, mais pas Kathleen. Pas après avoir passé le plus clair de son temps à observer l’adjoint du shérif en coin et à avoir fantasmé de toucher chaque parcelle de son corps…
Son sourire était faux. Les pattes d’oie adorables qui avaient pour habitude de se former au creux de ses yeux parfaits et si pénétrants n’étaient pas apparues. Mentait-il en lui disant qu’il allait bien ou n’avait-il simplement pas envie de lui faire la conversation et sa simple présence l’agaçait-elle ? Si c’était le cas, pourquoi l’avoir abordée ?
Peut-être parce qu’elle avait disparu du jour au lendemain et cela pendant deux semaines pour passer du temps à New-York, ce qui était loin d’être dans ses habitudes. Kathleen était du genre routinière et s’envoler à des milliers de kilomètres de Grayson n’était pas son genre…
La jeune femme tenta de chasser toutes les encombrantes questions qui s’amoncelaient dans son esprit.

Elle-même lui adressa un sourire un peu figé lorsqu’il justifia son gâchis. S’il avait été là, son père lui aurait certainement mis un coup sur les doigts à l’aide de la petite canne dont il ne séparait jamais et qu’il n’utilisait qu’en de très rares occasions. Quand il s’agissait de frapper sur quelqu’un en fait.

« M-merci du conseil » bafouilla-t-elle en essayant de donner le change

Elle venait d’être assaillit par une image absolument abominable. Grifith occupé à passer une ‘mauvaise nuit’ et elle à son chevet, ou plutôt, postée dans la salle d’eau près de lui, en train de lui faire la lecture pour le distraire. C’était aussi stupide que répugnant…
Fort heureusement, Grifith enchaina.

« Eh bien oui » acquiesça Kathleen, se souciant bien peu de l’intérêt de la question du jeune homme dont elle buvait les paroles « Il paraît que c’est Charlie Doyle qui l’a choisi ce mois-ci. Je n’en avais jamais entendu parler avant mais avec un titre pareil, je suis certaine qu’il sera tout à fait approprié »

La standardiste n’avait pu s’empêcher de prononcer le nom de la caissière avec une certaine aigreur. Elle n’avait rien contre Charlie. Du moins, rien de valable à lui reprocher… Mais la jeune femme avait brisé le cœur de Grifith en le quittant après leurs fiançailles et ce n’était pas le genre d’agissements qu’elle pouvait pardonner facilement. Pas alors qu’elle était elle-même transie d’amour pour le bel adjoint…

« Vous et Declan êtes chargés de la sécurité je présume… ? » l’interrogea finalement Kathleen qui ne voulait pas déjà voir leur conversation prendre fin et savourait chacune des secondes de cet échange

Les joues de la jeune femme prirent immédiatement une teinte rosâtre face à la remarque de l’adjoint du shérif. Kathleen se maudit intérieurement de tant de faiblesse mais que pouvait-elle y faire ? Et puis y songer ne ferait qu’accroitre encore son malaise et empirer la situation. C’était ridicule. Grifith n’avait pas dit qu’elle lui avait manqué parce qu’elle était d’agréable compagnie, qu’il aimait sa conversation ou appréciait son parfum délicat. Elle lui avait manqué professionnellement, c’était tout. Il avait été obligé de la remplacer au standard et ses voisins et leurs déboires commençaient à le rendre fou. Kathleen connaissait cette sensation…
N’empêche qu’elle ne pouvait s’empêcher d’avoir envie de sourire. Si elle avait été seule, elle aurait même certainement poussé un petit couinement continu pour exprimer sa joie, n’étant pas une adepte des débordements bruyants.

« Je suis contente d’être rentrée moi aussi » finit-elle par répondre, baissant la tête en portant sa main à sa trop grande bouche pour dissimuler ses dents de cheval « Le travail m’a manqué… »

Ce n’était évidemment pas le cas, c’était Grifith qui lui avait manqué durant ces deux longues semaines ! C’était à lui qu’elle avait pensé du matin au soir (ou presque) et pas au retard qu’elle accumulait dans le classement de ses dossiers.
Kathleen était certaine de retrouver un joyeux bazar en remettant les pieds au bureau lundi, mais peu lui importait. Il s’agirait du bazar de l’homme de ses rêves. Elle se voyait déjà s’asseoir sur sa chaise inconfortable…chaise sur laquelle il s’était certainement installé pour prendre les appels et la remplacer. Il était du genre tactile et il avait certainement tripoté tout ce qui se trouvait sur son bureau. Ses posts-it, crayons, sa latte, son agrafeuse, ses tiroirs… Elle était folle. Complètement folle…

« Et…et comment va Colleen ? » s’obligea-t-elle à demander, bien qu’elle l’ait croisé un peu plus tôt dans la soirée

D’ailleurs…il était étrange de voir la postière souhaiter s’entretenir avec Logan Redd. Cela dit, elle avait été absente deux semaines et un tas de choses étaient sans doute arrivés à Grayson durant ce laps de temps.

« Je l’ai vue avec Logan Redd tout à l’heure. Elle avait quelque chose d'important à lui dire visiblement » ajouta-t-elle, souhaitant inconsciemment (ou non) semer le trouble entre les deux amants…

L’éducation qu’avait reçu Kathleen lui criait de s’éloigner immédiatement de ce malotrus au regard brillant de colère et possiblement dangereux. Une jeune femme de bonne famille se devait d’éviter ce genre de personnage, surtout alors qu’il était censé incarner la droiture et l’autorité…
Sauf qu’il s’agissait de Grifith Armstrong. Et si, certes, ce changement soudain de comportement l’inquiéta et la surpris, la petite brune ne pu empêcher les battements de son cœur de s’accéléré sous l’excitation. L’adjoint du shérif était en train d’insulter Colleen, sa fiancée. C’était assurément un comportement lui ne lui ressemblait pas, même s’il n’avait jamais parut transi d’amour non plus. Ce qui était logique du point de vue de la standardiste, puis qu’ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre et que l’homme lui était destiné. Elle seule pourrait le rendre heureuse, Kathleen s’en était persuadée.

Cela dit, elle se garda bien de laisser paraitre le sourire qui tentait de percer la barrière de ses lèvres. Elle se mordit l’intérieur de la bouche avec force et tenta de ne rien laisser paraitre. Elle chercha quelque chose à répliquer mais Grifith la devança, réclamant qu’il change de sujet.
Pour sa part, elle aurait préféré qu’ils continuent sur cette voie et que l’adjoint se confie à elle. Visiblement, elle avait manqué un épisode. Un épisode fort intéressant !
Oh bien entendu, quelque part, elle était attristée pour Colleen qui était victime des foudres de son fiancé (ex-fiancé très certainement !) et encore davantage pour l’homme de ses rêves qu’elle ne supportait pas de voir souffrir. Mais le bonheur qui l’envahissait à l’idée d’une rupture prenait le pas sur son empathie habituelle.

« Je…Non, ce n’est pas un souci. J’ignorai que vos rapports avec Colleen étaient à ce point tendus… Il faut dire que je n’ai pas vraiment eu le temps de me mettre à jour, je viens seulement de déposer mes bagages » répondit-elle en essayant de paraitre chagrinée par toute l’affaire « Madame Pietsky a bien essayé de m’interceptée mais je n’avais pas le cœur à tout cela ce soir et l’ait évitée. Je suis navrée si je vous ai blessé d’une quelconque manière que ce soit en abordant ce sujet, Grifith… »

Elle prit une inspiration en ravalant un sourire avec difficulté, pour finalement le laisser paraitre discrètement.

« Vous avez raison ! Changeons de sujet » enchaina Kathleen avec un dynamisme qui ne lui ressemblait pas vraiment

D’ailleurs, depuis quelques secondes, elle était envahie par un étrange sentiment qui ne lui ressemblait guère… L’assurance. Colleen écartée de son chemin, elle voyait là une chance pour elle de prendre un peu plus d’importance aux yeux de Grifith, d’entrer dans son monde.

« A moins que vous ne préféreriez… Je fais du très bon café parait-il » reprit-elle dans un sourire charmeur, ses yeux brillants d’un éclat nouveau « Si vous voulez, je peux vous en préparer une tasse et vous l’apporter. Encore que je ne suis pas certaine qu’une absence d’une quinzaine de minutes nuise réellement à la fête… »

Encore une réplique qui ne lui ressemblait pas le moins du monde, elle qui était toujours si sérieuse. Elle pourrait toujours dire que c’était son voyage qui l’avait un peu transformée, lui avait permis de s’épanouir. La vérité était simplement qu’elle jouissait du malheur de Colleen qui venait très certainement de commettre la plus grosse erreur de sa vie de postière en blessant Grifith…

« Qu’en dîtes-vous ? »