La limite avait été inéluctablement franchie ce soir.
Comme beaucoup de soir, mais une fois de plus, elle l’avait été en tout cas.
Et sans aucune raison en plus ! Du moins, aucune en particulier. Rien de fâcheux n’était arrivé aujourd’hui, du moins pas plus fâcheux que les autres jours. Pourtant Logan buvait pour oublier comme beaucoup de sale pochard. Aujourd’hui il n’avait rien de spéciale à oublier mais il avait réussi à l’oublier quand même.
C’était bien ça qui foutait la merde. Tout cet affreux vide qui lui aspirait le cerveau. Parce qu’il fallait bien trouver quelque chose qui allait mal quand rien n’allait spécialement mal. Ni spécialement bien.
Des excuses et des justifications pitoyables. Rien de moins.
La vérité c’était qu’il aimait juste bien se bourrer la gueule. Pourquoi ? Pour oublier.
Tout ça n’avait pas de sens. Surtout lorsqu’on était vraiment très saoul et que plus rien n’avait de sens, surtout pas soi-même.

Et puis il s’était perdu aussi.
Dans Grayson, il fallait le faire. C’était juste très drôle comme idée et quand il avait réalisé que sans aucun doute, il n’arriverait jamais à déterminer où il était, il avait rit. Il était même mort de rire vu qu’il avait fini par s’écrouler dans un coin (oui cet endroit avait des coins). C’était le meilleur suicide qu’il n’avait jamais fait parmi tous ceux qu’il avait déjà tentés.
Quelque chose lui disait qu’il n’était pas totalement mort car il était toujours là où il ignorait être, mais il n’en était pas très loin. Pas loin de la mort donc, pas de l’endroit où il ignorait être vu qu’il y était, et pas à côté.

Oh et quelle bénédiction de ne plus l’entendre marmonner des choses à son oreille. Ca aussi c’était une bonne raison de boire jusqu’à mourir de rire dans un endroit X. Elle se la fermait enfin.

En réalité je n’ai juste rien à ajouter, tu fais le travail tout seul.

« ‘ferme » marmonna Logan à l’ogre.

Après un court silence, des sanglots résonnèrent. Apparemment il l’avait vexé et elle pleurait maintenant. Ca n’était jamais arrivé avant tiens…
D’ailleurs, à bien y réfléchir ça n’arrivait pas maintenant non plus. Les sanglots qu’il entendait ne venaient pas de sa tête, mais bien d’une autre bouche que la sienne où de l’ogre qui vivait dans sa tête.
Il ouvrit un œil, et il lui fallut quelques secondes pour se rappeler de quelle position il adoptait.
Il était couché sur le dos, les bras en croix. Et même si l’un de ses yeux était ouvert, il n’y voyait pas plus clair. Pourtant, ce noir parfait qui planait au dessus de lui s’évertuait à tourner et tourner encore.
Le jeune homme roula sur le côté, essayant de distinguer à qui pouvait bien appartenir cette voix qu’il continuait d’entendre. Elle lui était si familière pourtant…

Logan roula sur le côté pour avoir plus de force. Il se redressa en position assise et plissa ses yeux brouillés sur le décor d’un noir profond.
Depuis combien de temps était-il ici ? Quelle heure pouvait-il bien être ? Minuit ? Quatre heures du matin ? Il n’en avait aucune idée.
Il tâta le terrain autour de lui et sentit un buisson. Ce contacte leva enfin le voile d’obscurité qui pesait devant son regard et toutes les formes qu’il voyait aléatoirement se dessiner dans le noir prirent enfin un sens. Le monde reprit son juste sens, même si il persistait à gigoter et tourner devant lui.
Il avait tout de même reconnu le kiosque. Ce n’était pas trop tôt.

Le dernier mystère qu’il restait à élucider était cette voix. Hagard, il se redressa tant bien que mal et prit appuis contre l’un des poteaux du kiosque, puisque c’était là qu’il était depuis le début : il s’était écroulé de rire dans les buissons qui bordait le kiosque du village. Chose très étrange d’ailleurs lorsqu’on savait que sa maison était de l’autre côté du village… mais passons !
Oui parce que, une fois debout, et maintenant que ses yeux avaient enfin pu faire le point et identifier ce qu’il voyait, il avait reconnu la voix, et le corps qui allait avec.

En fait il avait surtout reconnu les cheveux bouclés et le châle de grand-mère. Et son parfum aussi. Divin parfum de fleur. Où alors était-ce les buissons ? Peu importe, elle sentait bon.
Quant à sa voir ce qu’elle fichait là et pourquoi elle pleurait, c’était une autre histoire.

« Bonsoir Kathleen » articula le jeune homme avec toute la dignité dont il était capable.

Mais sa voix sonnait étrangement pâteuse, et fausse, comme si elle provenait d’autre part que de sa bouche. Surtout qu’il n’avait pas toute sa concentration vu qu’il avait entreprit de la rejoindre, et que pour cela, il fallait marcher, et que c’était difficile.

Comment était-il possible que même dans le noir, après voir manifestement pleurer, Kathleen reste la plus belle fille qu’il ait jamais vue ? Même saoul comme il était, il pouvait le voir. Elle lui semblait presque trop belle pour être vraie.
A chaque fois il s’étonnait de la même manière. Comme si il la redécouvrait à chaque fois qu’ils se croisaient. Chaque fois ça lui faisait le même effet, l’air lui manquait. Mais pas comme si il suffoquait, plutôt comme quand on passe la tête par la fenêtre grande ouverte d’une voiture qui roule très vite. Il y a tellement d’air qu’on sait plus comment respirer.
Plus ivre encore maintenant qu’elle était dans son champ de vision, Logan décida qu’il était plus sage de s’assoir avant toute chose. Le jeune homme se traina donc jusqu’aux petites marches du kiosque, se rapprochant ainsi de Kathleen.
Il se laissa choir sur le petit escalier de bois, puis enfin, releva son regard vers la standardiste.

Elle était très loin d’être idiote, et tout comme elle qui pouvait être belle dans le noir, il était indéniable qu’il avait l’air saoul, même dans le noir…
Chacun sa spécialité. Il aurait préféré la rencontrer sobre évidemment, mais le fait est qu’il ne l’était pas, alors tant pis. Il était toujours un peu mort de honte devant elle, même quant il était dans son état normal. Pour une fois il avait une excellente raison de se sentir plus bas que terre.
Il essayait de ne pas s’angoisser sur ce qu’elle allait en penser. Même lorsqu’il n’avait pas bu, il avait l’air d’une larve à côté d’elle, ça ne différait pas tant que ça.
Les histoires de princesses et de grenouilles, ça n’arrivait que dans les histoires justement. Dans la réalité, les princesses se mariaient avec des princes, ou des barons, ou des stars de cinéma.
Et il ne savait même pas pourquoi il pensait à ça, parce que de toute façon elle lui avait posé une question et qu’il avait l’air d’un attardé mentale à la fixer de la sorte.

« Je… j’étais venu… hem » commença-t-il en essayant d’échafauder une histoire qui pourrait justifier de son état et du lieu.

Mais rien ne lui vint. Pas un mot plausible. C’était ridicule d’essayer de rattraper le coup. Il était complètement grillé voilà tout. Sauf qu’elle allait sans doute avoir peur de lui, trouver n’importe quelle excuse pour s’esquiver, le trouver pitoyable tandis qu’elle rentrait chez elle, et ensuite, elle allait soigneusement l’éviter jusqu’à la fin des temps en lui lançant tout un tas de petits regards en coins plein de pitiés pour le pauvre garçon qu’il était…
C’était horrible. Mais c’était ce qui allait se passer. Ca aurait bien finit par arriver un jour ou l’autre.

Il ne termina donc pas sa phrase et préféra partir d’un petit rire mi amusé mi amère.

« Tu vois… »

Il essaya vaguement de lui sourire, mais de toute évidence elle n’était pas d’humeur, et de toute façon ce n’était pas drôle du tout. Il abandonna donc bien vite l’idée et transforma son rire en soupir lourd de sens.

De toute façon, ce qu’elle allait penser de lui n’était pas important. Logan l’avait entendu sangloter et il se demandait bien sûr pourquoi. Sauf qu’il n’osait pas vraiment le lui demander. Elle allait sans doute éviter de se confier au type saoul et vautré sur le kiosque devant elle. Elle allait peut-être même se mettre en colère contre lui d’être aussi indiscret. Surement même était-elle déjà en colère contre lui de l’avoir ainsi surprise à pleurer.
Il brûlait pourtant de lui dire qu’il était près à égorger la personne responsable de ses larmes. Mais c’était le meilleur moyen de la faire fuir en hurlant.

« Est-ce que… tu vas bien ? » dit-il timidement à la place.

Si elle allait bien ? Est-ce qu’il était en train de se moquer d’elle ? Bien sûr que non, elle n’allait pas bien ! La jeune femme avait l’impression d’évoluer dans un mauvais film d’horreur depuis quelques temps et ne savait plus à quel saint se vouer pour soulager sa conscience.
Il devait tout de même se rendre compte que son visage était trempé, ses yeux horriblement bouffis, que sa voix déraillait complètement. Sans compter qu’elle avait fait un bruit monstre en sanglotant comme une enfant un peu plus tôt. Comme pour confirmer ses dires, la jeune femme hoqueta bruyamment.

« Oui, tout va bien » mentit-elle alors ouvertement

Elle savait pertinemment que son mensonge ne prendrait pas et en même temps, elle trouvait la question tellement déplacée… Surtout de la part de Logan. Celui qui était à l’origine de son mal être. Celui qui l’avait fait trahir les siens, l’avait fait trahir Grifith.
Kathleen ne pu retenir une exclamation amusée qui se transforma en un petit éclat de rire. Ses yeux s’humidifièrent et elle fit porter son regard en direction du ciel nuageux qui dissimulait l’astre nocturne. Toute cette scène était grotesque, cette mise en scène cruelle. Pourquoi avait-il fallu qu’elle tombe sur Logan ce soir, alors que son sentiment de culpabilité était à son point culminant. Pourquoi lui faire subir cela ? La réponse, Kathleen la connaissait évidemment : parce qu’elle le méritait.
Son rire se transforma bientôt en sanglot et ses épaules se secouèrent à nouveau tandis qu’elle portait ses mains à son visage pour le dissimuler tant bien que mal.

« Non, ça ne va pas bien du tout, Logan » éclata-t-elle en demeurant immobile, à quelques pas du kiosque « Je suis vraiment navrée que tu assistes à ça, je…je suis désolée »

Bien sûr, elle ne précisa pas qu’elle était désolée de lui en vouloir et de le juger responsable de son malheur. Responsable de sa trahison envers l’amour de sa vie. Il ne comprendrait pas et d’ailleurs, personne n’en serait capable…

Il n’y avait pas de mot pour décrire le déchirement qu’il avait ressentit en la voyant ainsi fondre en larme. Pas de mot pour décrire le mal aise et cette impression étrange de poids dans son estomac, et de pression sur sa poitrine. Sans parler des battements de son cœur qui ne cessaient de s’accélérer et de sa respiration un peu courte. Il se sentait terriblement mal. C’était le spectacle le plus triste et le plus éprouvant qu’il ait vu depuis longtemps.
Il avait beau la savoir et la sentir sensible, il ne l’avait jamais vu craquer à ce point.
Il l’observa pleurer quelques longues secondes avant de réagir, ses sourcils crispés dans une expression de surprise et de tristesse mêlée.
C’était une vision étrange. Elle était là, debout devant lui, seule et tremblante dans le noir, au milieu de nulle part. Enfin pas totalement seule puisqu’il était là. Était-ce un mal ou un bien ? Il n’en savait rien. Sa pire peur à présent était ce qui allait suivre.
Il ne savait pas exactement comment réagir. Il savait bien sûr ce qu’il avait envie de faire, mais il ne faisait pas trop confiance à cela vu son état. S’attendait-elle à ce qu’il la réconforte ? Lui parle ? Ne dise rien ?
Ne rien dire, il savait le faire, c’était facile, il était comme ça. Il ne parlait rien, ça évitait de trop décevoir puisqu’on savait à l’avance qu’avec lui, il ne fallait rien attendre.
Pourtant c’était Kathleen. Sa Kathleen. Et elle commençait seulement à s’apercevoir qu’il existait.
Il était terrifié à l’idée d’agir contre ce qu’elle désirait et de ruiner ses chances de pouvoir se rapprocher d’elle, ne serait-ce qu’un tout petit peu.
Et le pire c’est que toutes ces hésitations le rendaient fou et que pendant ce temps les secondes passaient toujours et qu’il n’avait pas encore esquissé le moindre mouvement ?
La jeune femme allait finir par penser qu’il s’en fichait, alors que c’était tout le contraire !

Et avant qu’il ait pu arriver au bout de ce résonnement vraiment très long, tortueux et chiant, il s’était levé, s’empêchant de titubé en se maintenant à l’un des poteaux du kiosque.
Deux pas plus loin à peine et il se retrouvait juste devant elle dont le visage était enfuis dans ses mains fines, ses longs cheveux ondulés pendant devant ses doigts de fées.

Il ouvrit la bouche une ou deux fois, tendit la main mais se ravisa, balaya le décor du regard en quête d’aide et d’inspiration mais ne vie rien d’autre qu’un paysage très sombre et qui continuait de danser et d’onduler sous les effets de l’alcool.

« Je… j’suis désolé » articula-t-il avant de fermer les yeux, honteux. C’était naze ! Était-il possible d’être plus maladroit et plus saoul encore ? « J’veux dire, désolé qu’tu sois… pas bien »

Après un soupir pour se donner du courage, il avança de nouveau une main vers elle dans l’intention très sobre de la poser sur son épaule dans un signe de compassion tout à fait commun qu’il se révéla tout de même incapable de faire.
C’était Kathleen, il avait du mal avec l’idée de la toucher. Il avait l’impression qu’elle le prendrait immédiatement pour un pervers qui essaye d’abuser d’elle dans un coin sombre et glauque d’un village qui l’est tout autant. Nathaniel lui répétait sans cesse qu’il était malsain, il craignait que Kathleen ne se mette à penser la même chose.

« C’est… c’est pas grave que tu me voix pleurer… non… hum que je te vois pleurer je veux dire, parce que j’suis saoul !... j’veux dire par là… c’est la honte aussi ! » sourit-il d’un ton qu’il espérait encourageant avant de se rendre compte que c’était très maladroit « Pas que tu sois honteuse, j’te trouve pas honteuse du tout ! Enfin j’te trouve… j’te trouve pas honteuse » répéta-t-il « Et… et toi p’tètre que t’as honte mais… faut pas. Moi ça m’dérange pas que tu pleure, enfin si… parce que c’est triste mais… tu vois ? Et… enfin si tu veux me dire ce qui ne va pas… t’es pas obligée. Mais tu peux…»

Ca n’avait aucun sens et il se sentait encore pire maintenant qu’il avait dit ce qu’il voulait lui dire.

Kathleen releva son regard embué de larmes en direction de Logan lorsque ce dernier pris la parole. Une fois encore, son cœur se pinça douloureusement. Sa maladresse l’avait toujours touchée et maintenant qu’elle était au plus mal, cette gêne qu’il éprouvait face à elle l’atteignait davantage encore. Les Redd n’étaient pas réputés pour être très sensibles et Logan avait la réputation d’être un asociale flegmatique incapable d’éprouver le moindre sentiment.
Mais la jeune femme savait que c’était faux. Elle regrettait d’avoir mis autant de temps à s’en rendre compte mais se félicitait chaque jour d’avoir pris le risque d’approcher le garçon. Du moins, c’était ce qu’elle avait pensé les premiers jours. Aujourd’hui, elle n’était plus certaine que l’approcher ait été une si bonne idée… Elle avait franchie une limite avec lui de laquelle elle n’aurait jamais dû ne serait-ce que s’approcher. Et bien sûr, il n’y avait plus aucun moyen de faire marche arrière à présent.

La petite brune renifla le plus discrètement possible et essuya ses yeux sommairement, calmant ses pleurs le temps d’observer Logan près d’elle. Sa vue commençait à s’habituer à l’obscurité et parvenaient à percer la noirceur épaisse de la nuit pour discerner vaguement sa silhouette et l’expression de son visage. Il paraissait épuisé et semblait peiner à demeurer immobile. Kathleen savait évidemment que ce n’était pas de la fatigue, Logan l’avouait lui-même : il était ivre.
Elle ne comprendrait sans doute jamais ce besoin de boire que ressentait certaine personne, ce besoin de se détruire… Quoi que ce n’était pas forcément vrai… Après tout, elle avait Grifith. Sa dose de bonheur personnelle, une dose destructrice qui lui faisait le plus souvent plus de mal que de bien. Sauf qu’à présent, elle ne pensait plus le mériter. Et c’était en partie à cause de Logan et de ce moment d’intimité qu’ils avaient partagé dans la cabine de projection.

« Tu…tu es tellement gentil » finit-elle par murmurer d’une petite voix s’apparentant à un couinement

Elle aurait voulu pouvoir lui expliquer le sens de ses mots, lui expliquer que tous les autres avait tort, qu’il n’avait rien à voir avec l’odieux personnage que leurs voisins décrivaient tous. Qu’elle s’en voulait horriblement de le rendre responsable de ses erreurs et de ses sentiments contradictoires. Qu’elle s’en voulait de s’être attaché à lui et d’avoir cherché à le revoir ce soir-là. Si elle ne l’avait pas fait, rien de tout cela ne serait arrivé ! Mais ce n’était en rien SA faute. Kathleen en avait conscience et pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de le blâmer, pour pouvoir mieux assumer sans doute.
Mais au lieu de lui expliquer tout ça, elle recommença à pleurer de honte, malgré le discours du jeune homme. Sans vraiment savoir ce qu’elle faisait, Kathleen s’avança soudain vers Logan pour venir se blottir contre son torse.
Il sentait l’alcool, le tabac, ses vêtements étaient froids et leur contact désagréable, son sentiment de culpabilité s’intensifia encore et pourtant, elle resta là, à pleurer contre sa poitrine. Elle fit glisser ses mains sur ses épaules, le front appuyé contre son tee-shirt. Il restait parfaitement immobile, rendu certainement mal à l’aise par leur soudaine proximité. Elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ça aussi, c’était une réaction naturelle…

Kathleen était dans ses bras.
Il avait beau se répéter cette phrase, il avait quand même du mal à y croire. Pourtant c’était vrai, elle était dans ses bras. Elle avait posé ses deux mains sur ses épaules et son front contre son torse.
Peut-être même qu’elle pouvait entendre son cœur battre la chamade de là où elle était.
Le jeune homme espérait que non en vérité, il essayait tant bien que mal de ralentir son rythme cardiaque effréné mais c’était impossible. Pas alors qu’elle était si proche, qu’elle le touchait !
Jamais, de toute sa vie, et ce depuis toutes ces années à l’observer de loin, il ne s’était imaginé une telle proximité avec elle, un tel rapprochement.
Peut-être que si il n’avait pas été aussi ivre, il aurait éprouvé moins de difficultés à appréhender ce qui était entrain d’arriver. Ou peut-être que ça aurait été pire et qu’il se serait évanouis comme un débile. Quoi qu’il en fût, son cerveau était en plein blocage. Et plus il essayait de réaliser la chose moins l’information semblait logique.

Et puis c’était faux, il avait déjà pensé à se rapprocher de Kathleen. Il ne l’avait plus fait depuis des années mais lorsqu’il avait eut 15 ans, son intérêt pour la jeune femme avait changé.
Avant ça, il en était déjà amoureux, mais comme un garçon de 12 ans peut l’être. Puis la puberté était arrivée en même temps que la notion de relation amoureuse telle que les plus grands la conçoivent.
C’est d’ailleurs à cette époque que Nathaniel avait remarqué son attirance pour la petite Wood. Ca n’avait pas été difficile, c’est à cette époque qu’il avait commencé à la dessiner. Sans parler des longs regards fixes qu’il lui servait lorsqu’elle passait à proximité. Son cousin étant d’un naturel observateur, il avait vite repéré son manège.
A cette même époque donc, Logan s’était imaginé tout un tas de scénarios, il s’était construit tout un tas de discours pour aborder sa belle. Il s’était même imaginé quoi dire au père de la jeune fille pour qu’il accepte qu’elle sorte avec lui. Chose qui n’aurait jamais fonctionné, mais ça ne l’avait pas empêché d’y penser.
Pourtant, son cher cousin s’était à de multiples reprises chargé de lui rappeler que les filles comme Kathleen ne s’intéressaient jamais à des garçons comme lui. Et à force de lui répéter il avait finit par y croire dur comme fer. C’était devenu sa réalité et il avait cessé d’espérer le moindre rapprochement avec la fille de ses rêves, résigné à ne faire que l’observer de loin pour toujours.

Maintenant qu’elle était dans ses bras, un affreux doute venait l’envahir. Et si Nathaniel lui avait rentré ça dans le crâne alors que c’était faux ? Et si il avait perdu des années à ne pas osé l’approcher alors qu’en fait, elle aurait n’aurait pas demandé mieux ?
Non peut être pas jusque là, mais si elle était dans ses bras maintenant, c’était bel et bien un rapprochement n’est-ce pas ? Le doute était légitime. Non ?
Ou peut-être était-ce l’alcool qui le faisait trop gamberger, qui lui faisait voir des choses là où il n’y avait en fait qu’une jeune fille triste qui trouvait un torse sur le quel pleurer, sans plus.
Mais peut-être pas. Il se voyait mal formuler la question à voix haute. Pourtant le doute était là, et le seul moyen d’avoir une réponse, c’était d’oser. Même rien qu’un peu.
Ca tombait bien parce qu’il était saoul et qu’il n’y avait jamais que dans ses cas là qu’il retrouvait ce qui lui servait de couilles.

Et fort de cette pensée très poétique, il décida donc après cette courte minute de réflexion intense mais agitée de venir poser ses deux mains dans le dos de Kathleen.
Il n’arrivait toujours pas à y croire. Ses mains étaient dans le dos de Kathleen, et elle n’était même pas entrain d’hurler au viol. Et il se maudissait d’y croire aussi. Et d’y voir un signe pour quelque chose de plus. Il savait qu’inévitablement il serait déçu, alors pourquoi son esprit s’évertuait-il à lui envoyer des pensées contraires à cette certitude ? Pourtant pas moyen de s’en empêcher, pas alors qu’il avait ses deux mains sur son dos, les siennes sur ses épaules, son visage enfuit dans son tee-shirt. Pas alors qu’il pouvait se pencher d’à peine quelques millimètres pour humer le parfum magnifique de ses cheveux soyeux. Cette odeur le rendait fou. C’était comme si elle lui possédait le cerveau, comme une main invisible.

Il aurait voulu que cet instant dure pour l’éternité, il aurait voulu que tout se fige à jamais et pouvoir rester dans cette position parfaite pour toujours.
Se rendait-elle seulement compte de ce qu’elle était entrain de lui faire ? Non, sûrement pas, comment l’aurait-elle put ? Pourtant, c’était à la fois une vraie torture et une bénédiction.
Une torture puisqu’elle était dans ses bras, mais pas pour les raison qu’il aurait voulu, des raisons qui ne deviendraient jamais réalités. Une torture parce qu’elle allait finir pas s’écarter à un moment ou un autre, d’ici peu sûrement, et que cette étreinte prendrait fin pour sans doute ne jamais plus se reproduire. Cette idée était horrible parce que maintenant qu’il y avait goûté, il se demandait comme faire pour supporter l’idée que ça n’arriverait sans doute plus jamais.
Une bénédiction parce que simplement, il existait un peu pour elle, et qu’en plus, elle le trouvait gentil. Et c’était mieux encore que tout ce qu’il s’était imaginé vivre avec elle depuis longtemps.
C’était tout simplement la parfaite torture.

Un frisson parcourut le corps déjà tremblant de la jeune brune qui se blottit un peu plus contre le torse de celui qu’elle avait tant maudit. Il lui avait fallut un long moment pour le faire, mais le comptable du garage avait finit par l’enlacer avec maladresse. Elle lui en serait éternellement reconnaissante.
Personne ne l’avait étreinte de cette manière depuis des années… En règle générale, les garçons n’attendaient qu’une chose d’elle et quand venait le moment de pleurer, ils étaient loin. Et c’était justement ça le problème. En vérité, c’était la première fois qu’un homme la tenant de cette manière (son père mis à part puisque lorsqu’elle était enfant, il était le premier à la prendre dans ses bras en cas de gros chagrin).

Cette proximité soudaine qui s’était créée lorsqu’il l’avait entourée de ses bras la calma quasiment immédiatement. Ses yeux mouillés s’écarquillèrent soudain dans l’obscurité et elle retint son souffle, n’osant plus bouger. Kathleen resta immobile, comme paralysée par la lumière trop vive des phrases d’une voiture lui arrivant droit dessus à pleine vitesse, alors que son cœur subissait une soudaine accélération.

Cette scène était complètement surréaliste. Il y a moins d’une semaine encore, ils en étaient presque encore à se vouvoyer, n’avait jamais échangé plus de quelques mots, pas mêmes des phrases entières (du moins ne s’en souvenait-elle pas). Et ce soir, elle était venue déverser sa peine au kiosque, tenté d’oublier Logan et ce moment qu’ils avaient partagé dans la cabine, et elle tombait sur lui. Et maintenant, il la serrait contre lui, tentant de la consoler alors qu’il aurait dû la haïr…
Elle l’avait maudit des heures durant, avec manqué de déchirer le dessin qu’il lui avait très aimablement offert, et maintenant, elle se laissait étreindre. Quelle hypocrite !

A contrecœur, Kathleen se força à mettre fin à ce contact pourtant très agréable et ô combien rassurant. Il parut vouloir la retenir une seconde mais elle se dégagea de son emprise sans grande difficulté et essuya ses joues une fois encore, espérant que ce soit la dernière. Elle épousseta ensuite sommairement ses vêtements et réajusta son châle sur ses épaules. Kathleen se dégagea ensuite la voix, essayant de garder la tête haute…

« Je suis vraiment désolé de t’infliger mon humeur, Logan. Tu sembles avoir d’autres problèmes à résoudre pour l’instant et… enfin ça ne se reproduira plus, tu as ma parole ! » s’exclama-t-elle en essayant de paraitre ferme

Bien sûr, elle se dégonfla très rapidement, mais ne se remit pas à pleurer pour autant. Le choc qu’elle venait de subir l’avait apaisée pour un moment.
D’un ton plus doux, elle reprit.

« Est-ce que… est-ce que toi tu veux me dire ce qui ne va pas ? » se risqua-t-elle à lui demander, sans savoir si elle allait trop loin ou non

Logan ne comprit pas immédiatement la question.
Mais rien à voir avec son état déplorable ou un manque de précision de la part de Kathleen.
Après tout, il venait de la prendre dans ses bras et maintenant qu’elle s’était écartée, il se sentait fébrile, et tout retourné.
Le jeune homme avait du mal à en revenir. Il avait prit Kathleen dans ses bras et il était incapable de passer à autre chose en aussi peu de temps. Son cerveau restait bloqué sur cette information et sur le sentiment de déchirement qu’il avait ressentit lorsqu’elle s’était finalement écartée de lui.
Tout avait été si parfait que l’appréhender en devenait presque douloureux. L’air semblait lui manquer, et il dut avoir l’air singulièrement absent durant quelques secondes.
Il parvint tout de même à se remettre en pilot automatique et arracha son cerveau à l’image sublime d’elle et lui enlacés, cette image qui semblait rayonner avec autant de force qu’une enseigne lumineuse au centre de Las Vegas.
Un problème ? Non sûrement pas, il allait magnifiquement bien. Il n’avait de toute sa vie jamais été aussi bien que maintenant. Pouvait-elle seulement savoir à quel point il était heureux à ce moment précis ? Heureux mais déjà plein de regrets. L’instant étant passé, le jeune garagiste avait l’impression de ne pas en avoir profité assez.

C’est vrai, tu devrais profiter d’elle, il n’y a personne aux alentours.

Du moment, bien entendu. Il n’avait pas assez profité du moment. Et tout avait été trop vite, ce contacte avait été trop court. Logan n’avait rien eut le temps d’assimiler et une fois encore il réalisa que son cerveau était bloqué sur cette pensée, et qu’une fois encore il devait avoir l’air singulièrement absent.
Il tenta à nouveau le pilot automatique et obtint enfin plus de résultat.

Elle voulait savoir s’il avait un problème. Comment aurait-il pu avoir un problème ? Tout allait super bien et il ne comprenait même pas pourquoi la jeune femme venait de lui poser cette étrange question.
Ou alors, et c’était sûrement l’explication la plus logique, elle associait le fait d’être saoul avec un quelconque problème particulier…

« Oh » fit-il, fermant les yeux lorsqu’enfin la pièce tomba dans la tirelire de son cerveau vide « Hem… »

La question était la suivante maintenant : quelle réponse le ferait paraître le moins lamentable, le moins pathétique ? Le souci étant qu’il n’y avait pas vraiment de réponse, et que toutes les réponses étaient à peu près valables en même temps. Sauf qu’elles étaient toutes lamentable et qu’il ne pouvait pas se permettre de les dires de toute manière.
En vrai, il ignorait totalement quoi répondre donc. Il se contenta de sourire vaguement et de porter une main à ses longs cheveux qui pendaient mollement sur son front.

« Les impôts » répliqua-t-il donc, étonné de son propre culot « la guerre et tout ça » articula-t-il encore vaguement.

Immédiatement il chassa ses propres remarques d’un geste de la main, souriant à la bêtise profonde et a l’imbécilité de ses paroles. Elle allait croire qu’il se fichait d’elle, c’était faux.

« Non, j’ai pas d’problèmes… j’ai pas besoin de problème pour voir… hem boire. P’tètre que c’est ça mon problème note ! »

Comment était-il possible de lâcher de telles énormités ? Horrifié par ses propre propos, Logan leva les yeux au ciel. Il réalisa alors à quel point les étoiles étaient superbes.

« Oh… J’viens de réaliser que les étoiles c’est superbe »

Ca n’était pas la première fois bien sûr, mais il étai toujours bon de faire profiter de son avis sur la beauté des étoiles. Surtout à Kathleen qui était la plus belle d’entre elles. Sa petite danseuse.

« Hey tu veux regarder les étoiles avec moi Kathleen ? » lui demanda-t-il avant de s’assoir –ou de se laisser tomber- dans l’herbe grasse.

Kathleen fronça les sourcils, la mine incertaine. Elle écouta le discours de son interlocuteur avec doute, essayant de ne pas y accorder trop d’attention. Après tout, il était ivre et ne savait probablement plus ce qu’il disait ; elle ne pouvait pas lui en vouloir.
Prenant un air important, la jeune femme se redressa, essuyant une dernière fois ses joues pour être certaine de paraitre assez digne pour pouvoir lui faire la leçon. Encore que ce n’était pas vraiment dans ses plans... Elle aurait été bien hypocrite si elle s’était mise à lui reprocher quoi que ce soit. Et puis elle n’était ni révoltée par son comportement, ni déçue, simplement un peu inquiète, attristé de comprendre qu’il avait besoin d’en arriver là pour… et bien elle ne savait pas trop pourquoi et vraisemblablement lui non plus. Quoi que c’était un garçon, en général, les garçons n’aimaient pas s’épancher sur leurs soucis.
Et puis de toute manière, à quoi bon perdre sa salive ? On ne pouvait pas raisonner avec des personnes ivres, elle en avait fait l’expérience par le passé.

Alors qu’elle allait lui répondre que de toute manière, ça ne la regardait pas et qu’elle avait eu tort de le lui poser une telle question, il enchaina en lui parlant des étoiles.
Prise au dépourvue, la brune ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt en reniflant discrètement. L’offre était vraiment tentante… Elle avait toujours aimé regarder les étoiles et y avait souvent la tête. Sa mère le lui reprochait depuis que Kathleen était enfant et elle l’avait même surnommée la fille de la lune. La vieille femme lui avait même dit un jour qu’elle n’était pas certaine qu’elle soit sa fille, qu’une étoile était sans doute venue la pondre en elle pendant son sommeil, et que c’était pour ça qu’elle avait toujours la tête ailleurs.
Cette remarque avait fait pleurer la petite brunette pendant des heures…

Mais présentement, ce n’était plus le moment de chouiner ou de s’apitoyer. Etait-ce le moment de regarder les étoiles, couchée sur l’herbe humide du kiosque en compagnie d’un Logan ivre ? Kathleen n’en était pas vraiment certaine… S’ils s’installaient et que Logan n’était plus capable de se relever ? S’il s’endormait sur place, que ferait-elle ? Elle ne pourrait décemment pas le porter. Si elle faisait appelle à quelqu’un, elle terminerait de ternir la bien piètre réputation du garçon. Si elle se contentait de lui apporter une couverture, on le retrouverait au matin et ce serait le même combat.
De toute façon, la question ne se posait plus puisque le comptable du garage de Grayson venait de se laisser tomber dans l’herbe, son regard brillant pointé dans sa direction dans l’attente d’un mouvement de sa part.

« Oh et bien… Pourquoi pas » finit-elle par répondre avec hésitation

En revanche, elle ne s’installa pas dans l’herbe mais préféra s’asseoir sur la petite marche menant à l’intérieur de l’abri près duquel ils se tenaient. Un silence s’installa tandis qu’ils levaient tous deux la tête en direction du ciel nuageux.
Finalement, sans qu’elle comprenne d’où ça lui venait, Kathleen se sentit obligée de reprendre la parole, abordant le sujet qui la tracassait depuis des jours.

« J’ai lu ta déposition, Logan. Je sais que c’est contraire à l’étique et je pourrais avoir des problèmes pour ça mais… je n’ai pas pu m’en empêcher » débita-t-elle rapidement, son cœur cognant dans sa poitrine « Je ne sais pas ce qui m’a pris de faire ça mais… enfin voilà : j’ai lu ton formulaire et… j’ai été forcée de constater que tu avais menti. Ou du moins, que tu avait tues certaines choses. Je voudrai comprendre pourquoi, Logan… »

Le jeune homme avait du mal à comprendre comment ils étaient passés des étoiles à sa déposition et eu la désagréable impression d’avoir raté un épisode mais il n’en laissa rien apparaitre.
Il ne voyait pas bien où elle voulait en venir de toute façon. Il n’avait rien tus du tout, il n’avait pas mentit en tout cas, il avait juste laissé de côté quelques détails chiants et sans importances.
Surtout par flemme d’en mettre plus. Les Redd et les Spelling ne s’étaient jamais magnifiquement entendu et comme Nathaniel détestait cordialement son beau frère le très Saint Declan, Logan avait tendance à ne pas vraiment le supporter non plus. Du coup, tout ce qui avait trait à cette enquête débile et inutile l’emmerdait au plus profond.
La seule bonne chose qu’il y avait au post de police était et resterait la petite réceptionniste qui lui servait de compagne pour la soirée, pour son plus grand plaisir.
Pourquoi parler de sujet aussi ennuyeux que la soirée cinéma pleine air ? On se fichait pas mal de ce qui s’était passé dans la maison des Donnelly. Logan pensait sincèrement que c’était bien fait pour eux. Ils l’avaient cherché en débarquant en conquérant et en se permettant de foutre tous leurs gros pieds dans le plat.
Il s’en fichait de toute manière. Cette histoire ne lui faisait ni chaud ni froid et il ne se souciait guère de ce qui arrivait à cette bande de fouineur de la ville qui ne leur apportaient que des problèmes depuis leur arrivée à Grayson.
Kathleen aurait du faire de même et garder son esprit loin de son travail.
Et si elle voulait absolument parler de la soirée pleine air alors il aurait préféré qu’elle aborde le sujet du dessin. Peut-être que l’expérience lui avait plu et qu’elle aurait voulu recommencer ? C’était son cas à lui en tout cas. Il y pensait plusieurs fois par jour depuis cette soirée, et ces pensées occupaient bien entendu plus de place que cette déposition stupide ou que la mise à sac de la maison Donnelly.

Après un soupir, ses yeux sombres contemplant toujours le ciel, il haussa vaguement une épaule.

« J’en sais rien moi Kathleen, j’pas mentis » dit-il vaguement, déjà profondément lassé du sujet.

Sur ces mots, Logan s’allongea et fit reposer sa tête sur l’une des petites marches de bois du kiosque, les deux mains dans sa nuque.

« J’ai lu un bouquin une fois sur les consp… constellations et les signes là… comment on dit ? Le zodiaque, comme les bateaux. Je suis scorpion parce que j’suis né en Novembre, j’étais un peu déçu parce que c’est vraiment moche et flippant ces trucs-là. Et j’ai vu aussi qu’en fait y’en a pas que douze, y’en a treize, mais ils en ont laissé tombé un… mais j’sais plus trop pourquoi, et si ils l’avaient pas laissé tombé, je serai celui-là, tu me suis ? Mais c’est un serpent, alors j’sais pas ce qui est le mieux entre le scorpion et le serpent… ça craint un peu de toute manière. Et toi comme t’es née en Octobre t’es Balance. J’sais pas pourquoi je retiens c’genre de truc parce que ça sert à rien. T’y crois, toi ? » questionna-t-il la jeune femme en arrachant enfin son regard du ciel pour le poser sur le visage harmonieux de son interlocutrice.

Il avait déjà oublié tout de la précédente question de la jeune femme et du sujet de l’enquête, il préférait connaître son avis sur les constellations, pour sûr.

Kathleen pinça ses lèvres dans une expression frustrée. Elle s’était préparée à toutes les réponses possibles concernant sa question, même à celle qu’il avait formulée. Seulement elle n’avait pas prévu qu’il enchaine ne lui parlant des constellations. Certes, c’était un sujet très intéressant et qui lui tenait à cœur, mais ce n’était pas vraiment le moment adéquat pour l’aborder.
La brune tenta de faire le vide dans son esprit et de prendre sur elle pour faire preuve de patience. Logan était ivre après tout et il allait falloir qu’elle fasse avec maintenant qu’elle avait décidé de ne pas le laisser en plan.
Inspirant profondément donc, la standardiste du bureau du shérif leva à nouveau ses yeux chocolats vers le ciel parsemé d’étoiles. La brune tenta de se concentrer sur ce qu’elle voyait et de mettre de côté ses sentiments, ses doutes, mais c’était un travail laborieux…

« Oui, je pense que j’y crois Logan » lui répondit-elle après un instant de silence

Il parut satisfait par sa réponse et Kathleen le laissa s’adonner à son exploration silencieuse de la voute céleste. Il avait l’air si calme, si apaisé… c’était extrêmement déroutant. La jeune femme n’arrivait pas à savoir si son état de plénitude était dû à l’alcool ou au simple fait de regarder les étoiles. Une petite voix lui souffla odieusement que c’était le fait d’être avec elle qui le mettait dans un tel état, mais elle la chassa rapidement. Non, ça ne pouvait pas être ça. Elle n’était assurément pas le genre du jeune homme !
C’était très certainement un mélange des deux autres solutions : il avait l’alcool heureux. Ce n’était pas si rare, mais elle n’en avait pas l’habitude, son père étant du genre à avoir l’alcool méchant et à basculer dans une vulgarité sans nom quand il avait un coup dans l’nez.
Kathleen s’arracha à la contemplation du visage de son interlocuteur pour contempler le ciel à nouveau. Elle se sentait bien peu de chose face à cette immensité, bien laide par rapport à ces étoiles scintillantes qui paraissaient si proches et en même temps si lointaines, belles et intouchables, magnifiques et dangereuses…
Le calme environnant lui laissa malheureusement l’occasion de ressasser sa soirée et Kathleen finit par tordre sa bouche dans une grimace ennuyée. Il fallait qu’elle en ait le cœur net. Il fallait qu’elle sache pourquoi Logan avait omis quelques détails dans sa déposition. Elle avait besoin de savoir…

« Tu n’as pas dis à Declan que je m’étais absentée, Logan » lâcha-t-elle très vite, le cœur battant « Tu ne lui a rien dis et pourtant, je suis partie assez longtemps. Assez longtemps pour aller… faire cette chose horrible… Je veux dire… je pourrais l’avoir fait et pourtant tu n’as rien dit ! Tu ne t’ais pas rendu compte que j’avais été si longue ou bien tu as… essayé de me couvrir ? Je suis désolée de t’ennuyer avec mes questions, surtout alors que… enfin tu n’a pas l’esprit clair, mais c’est important, je dois savoir » conclut-elle, sentant sa gorge se nouer et ses yeux s’embuer à nouveau

Ses yeux sombres encore rivés sur le tapis d’étoile qui brillait dans le ciel de nuit, Logan fronça légèrement les sourcils. La première fois, il avait allègrement éludé la question quant à sa déposition plutôt vague qu’il avait rendue au shérif. Puis il avait changé de sujet. Pour lui, cette histoire, c’était déjà du passé. La vie était déjà bien assez chiante et il ne voulait pas gâcher ses moments avec Kathleen à parler de cette soirée.
Pourtant, même saoul, il ne pouvait pas nier le ton qu’empruntait Kathleen. Il ne pouvait pas passé à côté. Elle avait l’air tendue. Sans compter bien sûr, qu’il l’avait trouvé entrain de pleurer à chaude larme. La jeune femme s’était depuis calmée, mais elle restait préoccupée il pouvait le sentir sans mal.
Et tout bien réfléchi, il se fichait pas mal des étoiles et encore plus des constellations et des signes zodiacales. Il avait dit ça comme ça. L’humeur de Kathleen et les sujets qui lui tournaient en tête étaient bien plus importants pour lui que n’importe quoi d’autre, sur terre, ou pas.
Elle avait toujours été sa priorité, ça ne changerait pas.

C’est pourquoi le jeune homme arracha son regard de la voute céleste pour venir le poser sur celui de la jeune standardiste. Il l’observa quelques secondes, puis, ôtant ses mains de derrière sa nuque, il prit appuis dans son dos pour se redresser chaotiquement, accompagnant son effort d’un grognement significatif.
Tant bien que mal, essayant de contrôler au mieux ses gestes maladroits, il vint s’assoir tout à côté de Kathleen et se remit à l’observer.
Dans un soupir, il dégagea son visage de quelques mèches de cheveux qui semblaient lui avoir déclarés la guerre et s’évertuaient à venir lui barrer les yeux.
Maintenant qu’il avait la vue dégagée, il plissa les yeux pour essayer de mieux la discerner dans le noir. Elle avait l’air préoccupé, et plus il l’observait, plus il constatait que la jeune femme avait quelque chose sur le cœur. Et plus il l’observait, plus il s’approchait, et plus il s’approchait, plus elle reculait, et plus elle avait l’air d’avoir quelque chose sur le cœur.
De la gêne peut-être, d’être ainsi dévisagée…

Réalisant qu’il penchait vraiment en avant, Logan se redressa comme il put, décrochant son regard di visage si parfait de Kathleen pour cligner des yeux avec force.

« Ecoute, ce truc je l’ai rempli en trois minutes, j’ai rien à dire à c’mec moi. C’est juste… j’sais pas. J’ai dis ça comme ça… enfin j’ai pas dis ça plutôt. Tu vois ? A un moment j’suis parti pisser, j’l’ai pas dis non plus. On s’en fou. S’il veut des détails, ben… j’lui dirai que j’suis parti pisser et il sera content. » balança-t-il sur le ton qui mec qui pensait vraiment ce qu’il était entrain de dire, à savoir : qu’il s’en fichait vraiment pas mal.

« La vache, j’ai soif… » enchaîna-t-il sur le même ton puisque ça aussi, il le pensait vraiment « ‘fin, j’veux dire, pas de truc qui saoule, plutôt un truc qui saoule pas du genre hum… » il claqua à plusieurs reprises sa langue contre son palais, comme si il essayait de déterminer ce dont il avait besoin.

« De l’eau ! Tu as de l’eau Kathleen ? J’ai une envie incoercible d’eau du robinet ! Faut que je rentre !»

Kathleen bafouilla une réponse incompréhensible face à la requête soudaine de Logan. Elle l’observa tenter laborieusement de se remettre debout sans y parvenir, un mélange de pitié et de critique dans le fond de ses yeux bruns encore rougis par ses larmes. Elle n’arrivait pas encore à décider de l’attitude qu’elle devait adopter avec le jeune homme à propos de son comportement. Devait-elle le materner, le traiter comme s’il était malade, fragile et l’aider ou devait-elle au contraire sévir, lui faire comprendre que ses actes pouvaient avoir de terribles conséquences. Qui était-elle pour le juger après tout ?
Le problème était qu’elle s’attachait de plus en plus à Logan et que, plus elle en apprenait sur lui, plus elle se surprenait à s’imaginer créer de solides lien d’amitié avec lui. Mais voulait-elle d’une base telle que celle-ci ? La standardiste ne pouvait décemment rester sans réagir face à de tels comportements. Elle ne voulait pas d’un ami ivre du soir au matin… d’autant que Logan pouvait se montrer si intéressant, si délicat même. Il pourrait être un ami fidèle, sur qui elle pourrait compter… malheureusement, il ne semblait pas avoir les épaules assez solides pour ça.
Evidemment, elle acceptait les failles des autres, mais le voir se détruire de la sorte la mortifiait. Kathleen se sentait impuissante, terriblement égoïste et idiote pour couronner le tout. Pourquoi fallait-il toujours qu’elle soit indécise ? Pourquoi rien n’était simple ?

Après une bonne minute passée à méditer sur son triste petit sort, la jeune femme décida enfin d’agir. Elle se redressa elle-même et s’approcha de Logan qui était à quatre patte sur l’herbe mais ne paraissait pas se décourager. Assurément, il avait vraiment, vraiment très soif…

« Laisse-moi t’aider » décréta-t-elle d’un ton ferme

Elle saisit alors le bras du jeune homme et l’aida à se redresser. Logan se laissa faire, un peu trop même. Son regard braqué vers elle au travers des mèches de ses cheveux brunes lui tombant devant les yeux, il avait cessé d’essayer de se relever, la laissant faire tout le travail.

« Logan, je n’y arriverait jamais si tu n’fais pas un petit effort » s’essouffla-t-elle

Le comptable réagit enfin et une poignée de secondes plus tard, il était sur ses jambes. Il s’appuya sur elle le temps de trouver son équilibre et de se stabiliser, puis elle sentit son poids s’envoler. Il resta cela dit près d’elle, son bras passé autour de ses épaules. Il l’observait en souriant d’un air étrange, un peu niais…
Kathleen l’observa, lui adressant un sourire plein de gêne.

« Je vais te raccompagner jusque chez toi pour que tu puisses boire un verre d’eau et prendre une aspirine, d’accord ? »

Cette soirée était fabuleuse et il ne regrettait plus du tout d’avoir échoué près du kiosque sans savoir où il était.
Son bras était passé autour des épaules de Kathleen. Presque comme les couples. Si quelqu’un était arrivé maintenant, c’est sûrement pour ça qu’il les aurait prit. Un couple dont le représentant mâle est gravement éméché.
Ou un mec bourré raccompagné chez lui par une gentille fille…
Personnellement il préférait et de loin la première solution. Il y croyait presque lui-même pour l’instant. Kathleen y croyait beaucoup moins que lui, c’était plutôt évident. Même ivre, il ne pouvait pas le rater. Pourtant elle était tout de même là pour l’aider. La plus part des gens s’enfuyaient presque lorsqu’il leur arrivait de le trouver dans cet état.
Seul Nathaniel se chargeait de le ramener chez lui lorsque Logan trouvait le moyen de l’appeler à l’aide, ou qu’il soit.
Et il n’avait pas à craindre de vomir dans la voiture de Kathleen. D’abord, parce qu’elle n’en avait pas et qu’ils étaient à pieds, et ensuite parce que, même si ils avaient été dans la voiture de la jeune femme, elle ne lui aurait pas retourné une droite en trouvant ses sièges arrosée d’un rhum ayant déjà été bu au moins une fois…

Tu t’égare, ça en devient indécent.

Non c’était parfaitement cohérent, mais il était tout de même heureux de ne pas avoir dit tout ça tout haut. D’ailleurs maintenant qu’il y pensait, qu’il parle ou pas, il apprécierait bien moins cette soirée demain matin une fois sobre. Pour l’instant, il appréciait pleinement les choses, de son état, à sa compagnie. Demain, il serait sans doute horrifié d’avoir été dans un tel état en une telle compagnie. Kathleen ne l’avait jamais vu saoul, ils avaient à peine parlé, ou du moins, eu de vraies conversations. Ils étaient loin d’être proche. Après ça, si jamais il avait encore espéré quelque chose d’elle, il venait de griller ses chances pour toujours.
De toute façon il n’en avait pas, alors rien ne servait d’avoir envie de se pendre à cette idée. C’était ce qu’il avait envie de faire, mais le motif n’était pas suffisant vu qu’il n’en était pas vraiment un.
Ca n’était pas très clair et le jeune homme douta de se comprendre lui-même. Pourtant en même temps, il savait très bien ce qu’il voulait dire, et il était d’accord.
Le contraire aurait été un comble…

« Tu sais Kathleen, j’suis désolé d’être saoul » avoua-t-il d’un ton concerné ou se mêlait une petite touche d’angoisse.

Et tandis qu’ils marchaient plus ou moins laborieusement mais à bonne allure vers le village, il tourna son regard un peu vague vers la jeune femme aux traits fins.
Il balaya une fois de plus quelques mèches sombres de son front.

« Si tu me vois pas cette semaine, c’est parce que je me cache d’accord ? Me cherche pas. C’est moi qui reprendrai contacte avec toi quand j’aurai trouvé les dix millions de dollars pour la rançon » articula-t-il, très sérieux, se contentant de rire intérieurement puisqu’il était trop concentré sur sa marche.

« Non c’est pour rire, j’ai pas autant d’argent. T’es fâchée sur moi ? » termina Logan sur un ton égale.

Kathleen n’osa pas croiser le regard de son voisin et préféra l’écouter s’excuser en regardant où ils mettaient les pieds. Les routes de Grayson n’avaient plus été refaites depuis bien trop longtemps et les nids de poule étaient nombreux. Elle ne voulait pas avoir à ramasser Logan par terre ou chuter elle-même. Bien sûr, éviter de se casser une jambe dans cette obscurité étouffante n’était pas la raison principale de son manque apparent d’attention pour le discours du jeune homme.
Une fois encore, le doute l’envahissait et la standardiste ne savait pas comment réagir. Devait-elle laisser parler son cœur et essayer de rassurer Logan ou devait-elle lui faire comprendre que se mettre dans un tel état était ridicule et tenté ainsi de le dissuader de recommencer. Oh bien entendu, elle ne pensait pas que son opinion sur la question de la boisson aurait un quelconque impact sur lui, mais peut-être avait-il tout de même besoin de l’entendre.
Après quelques instants de silence, tandis qu’ils remontaient la 169 pour rejoindre Madison Street, Kathleen consentit à lui répondre, pesant ses mots avec le plus grand soin.

« Je ne suis pas fâché contre toi, Logan Redd » déclara-t-elle d’un ton assuré qui pouvait laisser penser qu’elle tentait de mettre les choses au clair sur ce point ou qu’au contraire, elle lui faisait un reproche déguisé

Elle continua sa progression à ses côtés, tenant toujours le bras de Logan passé autour de ses épaules, son autre main glissée dans son dos sans qu’elle en ait vraiment conscience. La jeune femme avait déjà assez de choses en tête sans commencer à s’embrouiller avec des histoires de proximité indécente ou non. Après tout, Logan était ivre et elle lui venait en aide, de quoi pourrait-elle avoir honte ?
D’un tas de choses à vrai dire… Mais d’une en particulier… La cause de sa venue au parc, de ses larmes et de son apitoiements incessant ces derniers jours.

« Si tu veux tout savoir… je suis vraiment très loin d’être parfaite moi-même et c’est moi qui devrait disparaitre cette semaine » finit-elle par lâcher à voix basse, sentant sa gorge se nouer de nouveau

Kathleen n’avait pas remarqué jusqu’à alors que leur allure avait diminuée et ne le réalisa que maintenant qu’ils étaient à l’arrêt, à quelques pas du premier bâtiment de Madison Street : le bureau du shérif. Son lieu de travail, celui dans lequel elle pénétrait maintenant à reculons, avec honte. Celui qui lui donnait envie d’hurler, de pleurer chaque fois qu’elle se devait d’y pénétrer et était contrainte à croiser le regard de ses collègues…

« Logan,… il faut que je t’avoue quelque chose » chuchota-t-elle, incapable de se maitriser, sentant ses mains trembler et son cœur battre avec force dans sa poitrine « Quelque chose que j’ai essayé de taire trop longtemps et qui pèse sur ma conscience depuis cette fameuse soirée où nous nous sommes retrouvés tous deux dans le cabanon. Quelque chose d’horrible qui pourrait bien te convaincre que c’n’est pas à toi de rester terrer cette semaine… »