Sur la toute dernière chaise du tout dernier rang, Charlie guettait l’entrée du parc où s’étaient installées Casey et Suz’ qui tenaient le guichet. Elle tournait donc complètement le dos à l’écran encore vide qui trônait devant les quelques rangées de sièges dépareillés. A genoux sur sa chaise de jardin en plastique, les deux mains crispées sur le dossier, elle plissait ses yeux effilés pour essayer de repérer l’une ou l’autre tête blonde dans la foule… enfin la foule… il n’y avait jamais qu’une ou deux poignées de gens encore debout puisque le film ne tarderait pas à commencer, mais il faisait sombre puisque la nuit tombait lentement mais sûrement.
A ses côtés, le vieux Monsieur Pinkman lui jetait des regards un peu indignés, apparemment très incommodé par la position étrange de la jeune femme. Cela dit Charlie s’en foutait pas mal, elle ne comptait pas passer sa soirée devant un film qu’elle adorait, certes, mais qu’elle avait déjà vu environs quinze fois. Et pour cause, c’était elle qui l’avait choisi ! Chose incroyable d’ailleurs, parce que c’était une grande première qu’elle soit désignée pour cette mission.
Chaque fois qu’un cinéma en plein air était organisé, elle espérait que son tour viendrait et songeait à quel film elle aurait pu choisir si on le lui avait demandé. Et bien entendu, à chaque fois c’était quelqu’un d’autre qui était choisi, et elle ne manquait jamais de râler à ce sujet.
Cette fois par contre, elle avait apparemment eut de la chance, et c’était à elle qu’était revenu la tâche de choisir un film.
Et bien entendu, elle n’avait pas su quoi choisir et s’était creusé des heures pour trouver un titre de film. Elle s’était tellement prit la tête qu’elle avait même songé à abandonner cette mission et laisser le Maire choisir tout seul.
Puis elle avait réalisé qu’il était stupide de s’en faire pour un tel sujet. Elle s’inquiétait surtout de ce que les gens allaient penser d’elle. Si elle choisissait un film qui ne leur plaisait pas, elle redoutait les retombées. Mais en même temps… quoi qu’elle fasse, il y avait toujours quelqu’un pour venir critiquer la moindre de ses actions. Ils l’avaient prit en grippe, que pouvait-elle y faire ?
Alors elle avait choisi de se faire plaisir et de choisir un film qui collerait parfaitement avec l’ambiance de Grayson. Qu’ils aillent au diable.

D’ailleurs c’est ce que semblait se dire Monsieur Pinkman lui aussi. Il ne cessait de faire claquer sa langue contre son palais (dentier) et de lui jeter des regards en coins qui en disaient longs.
Elle lui adressa l’un de ses grands sourires un peu niais et plein de dent qui lui donnait l’air innocente, avant de reprendre une moue des plus sérieuses pour continuer d’observer l’entrée.
Il fallait dire qu’elle était sacrément contrariée. C’était dans toutes les bouches, Aidan avait attaqué Nathaniel et lui avait fait des menaces de morts. Dans la bouche de ses voisins, Aidan apparaissait comme un vrai petit démon. Sauf que Charlie avait l’habitude de ce genre de chose, elle aussi avait l’air d’une démone lorsqu’on parlait d’elle. Pourtant ça n’était pas le cas. N’empêche qu’elle allait exiger le fin mot de cette histoire. Elle était certaine qu’Aidan avait eut une bonne raison d’agir de la sorte, ou en tout cas, on l’y avait poussé. En tout cas elle l’espérait !
Pour ce qui était de Nathaniel, Charlie ne savait pas trop quoi penser. C’est vrai que toute la famille était bizarre. Surtout Nathaniel d’ailleurs, qui avait l’air de sortir d’une version horreur de Pleasantville. Et puis combiné à toute cette histoire de suspicion de meurtre… les choses prenaient un autre angle. Sauf qu’il manquait trop d’information à la jeune caissière pour comprendre ce qui se passait réellement.
Samuel lui avait promis qu’il viendrait ce soir, et même si elle n’avait aucune envie de se prendre la tête avec lui, elle allait devoir lui demander des explications.
Elle en avait assez d’être laissée dans le flou.

« AHAH ! » s’exclama-t-elle en se redressant subitement tel un lémurien en colère.
A ses côtés, Monsieur Pinkman avait porté une main à son cœur et ses yeux vitreux sur sa turbulente voisine.
« Oh… DESOLEE MONSIEUR PINKMAN !! JE VOUS LAISSE,… BONNE SOIREE ! » fit-elle d’une voix forte.
Le pauvre vieux était sourd comme un pot, elle se demandait pourquoi il continuait de venir aux séances cinéma d’ailleurs. Surement pour la compagnie, même si la sienne n’avait pas l’air de l’enchanter des masses.

Mais bref ! Elle venait d’apercevoir Allie. Ce qui était ironique puisqu’elle était celle qui ressortait le moins dans le noir…
Et si elle était là, alors le reste de la troupe aussi. Charlie se leva donc et ramassa son sac pour ensuite s’éclipser discrètement et s’éloigner des sièges. Elle observa la meute de Donnelly pour s’apercevoir bien vite d’Aidan était absent. Pas étonnant. Elle se serait cachée elle aussi.

« Pauvre chou » soupira-t-elle avant d’enfin poser ses deux prunelles sur Sam.

Ce qu’il était mignon avec ses cheveux tout ébouriffés, et sa tête de gros matou de gouttière. La jeune femme se mordit la lèvre, se sentant se dégonfler comme un vieux ballon d’anniversaire.
Comme d’habitude, toutes ses belles convictions s’envolaient lorsqu’elle était devant le fait accompli. Surtout un fait accompli à qui elle avait plutôt envie de glousser dans l’oreille plutôt que d’avoir cette discussion complètement morbide sur leurs parents !
Peut-être qu’elle devrait remettre ça à plus tard ? Oui, mais plus tard quand ? Pourquoi fallait-il qu’elle soit si lâche ?!
Et il était trop tard pour tergiverser maintenant, parce que Sam venait de lui aussi le repérer et s’éloignait déjà de sa meute de blondinet pour venir la rejoindre.
La jeune femme accrocha donc ce fameux sourire innocent et plein de dents dont elle avait le secret pour avoir l’air décontractée.

« Hey » dit la brunette en levant une main, un peu déstabilisée. Puis pour se donner de la contenance, elle se pencha sur le côté pour adresser un autre signe de main à Allie.
Et du coup elle n’avait aucune idée de comment enchainer… Dieu qu’elle pouvait se détester quand elle était aussi gourde !

Discuter hein ? Voilà qui était surprenant de la part de Sam, il fallait l’avouer. Généralement, pour lui, discuter signifiait ‘mettre ma main sous ton tee-shirt’. Sauf que là ils étaient en public et que la chose risquait d’être vraiment, vraiment très mal vue. Même Samuel pouvait se rendre compte de ça. Alors quoi ? Il voulait vraiment discuter ?
Encore une fois, il y avait ‘discuter’ et ‘discuter’, et Charlie doutait que Sam ait les mêmes sujets de conversations en tête que lui !
Quoi qu’il avait déjà réussit à l’étonner alors qu’ils n’étaient ensemble que depuis trente secondes, alors elle lui laissait tout de même une chance et ne jugeait pas trop vite ce que Sam avait réellement en tête. Il avait du pot, Charlie était la reine des secondes chances et du bénéfice du doute. Même un peu trop. Beaucoup trop d’ailleurs, si l’on prenait en compte l’entièreté de son histoire personnelle où elle n’avait cessé de se faire rouler dans la farine à cause de multiple seconde, voir, dernières chances peu méritées qu’elle avait accordé…

Elle n’en n’était pas encore là avec Sam. Pour l’instant, il pouvait encore avoir toutes les secondes chances qu’il voulait, aussi longtemps qu’il ne dépasserait pas les bornes de trop loin du moins.

Elle lui sourit donc, contentée par la proposition que venait de lui faire le jeune homme.
Pour toute réponse, elle se contenta donc d’acquiescer et d’apposer ses lèvres sur les siennes dans un rapide baisé plutôt tendre avant de le laisser aller chercher leurs boissons.
Une fois cela fait, il revint pour lui tendre son verre qu’elle agrippa avec gourmandise. Sam l’entraina ensuite vers un arbre imposant tout à côté des festivités.

Charlie se laissa guider avec plaisir sans décrocher ses grands yeux bruns du visage du garçon. Elle passa vivement le bout de ses doigts fins dans les cheveux blonds du jeune homme, remarquant qu’il avait prit la peine d’y passer un peigne avant de venir.
Lorsqu’ils arrivèrent aux racines imposantes de l’arbre touffus, la jeune femme trempa ses lèvres dans son verre pour en boire une première gorgée bien fraiche, puis revint se coller à son petit ami pour le gratifier d’un nouveau baiser teinté de l’amertume de la bière.

Elle lui adressa un nouveau sourire avant d’enfin reprendre la parole.

« Bon ! Assieds-toi ! » lui somma-t-elle ensuite de but en blanc, apposant une main ferme sur l’épaule musclé du jeune homme pour l’obliger à s’assoir sur la racine derrière lui.

Elle vint rapidement prendre place à ses côtés, se collant à lui avec entrain.

« Tu sais ça tombe super bien que tu veuille discuter, je suis contente. J’avais envie de discuter moi aussi alors ça me soulage un peu que tu aborde le sujet » fit-elle dans un nouveau sourire.

Bon il n’avait pas vraiment abordé de sujet en vérité, mais chut. Il voulait discuter alors autant en profiter !

« Enfin voilà ça fais pas si longtemps que vous êtes ici à Grayson alors j’veux pas avoir l’air de faire ma mêle-tout et ma curieuse en posant un millier de questions aux quels t’as peut-être pas vraiment envie de répondre. J’suis pas vraiment quelqu’un qui me mêle des choses d’ailleurs, je suis plutôt du genre à pas trop me poser de question. Enfin si, je me pose beaucoup de question à moi-même mais pas vraiment aux autres parce que je sais que moi, j’aime pas vraiment les questions trop personnelles. Encore que ça dépende avec qui parce que lorsqu’on est proche d’une personne c’est important de partager ce qu’on à sur le cœur. Bref tu vois sûrement où je veux en venir, tu as une grande famille. Tout ça pour dire que je comprends que tu sois réticent à me raconter certains trucs mais en même temps, Aidan vient souvent à la maison ces temps-ci, j’suppose que tu le sais et qu’il t’en parle, ou alors peut-être pas. Bref, c’est un mec vachement cool, je l’adore, mais de temps en temps, je sens bien qu’il déraille un peu et j’ose pas vraiment lui demander parce qu’il à l’air tout… tu sais… à cran. J’ai peur de faire une gaffe et d’aborder un sujet qui craint, et de réaliser que j’aurai du me taire parce que j’ai fais pire que bien et que je l’ai enfoncé plutôt que de l’aider. Ca m’est arrivé des centaines de fois et du coup, je fais attention à ce genre de chose. Mais je me dis aussi qu’il vient chez moi parce qu’il s’y sent bien et je le connais pas encore par cœur, loin de là, mais je pense que ça l’aiderait si j’en savais un peu plus, histoire de pouvoir lui répondre autre chose que ‘mais t’inquiète pas ça va aller’ avec un regard de truite morte. Et je veux pas que tu crois que je me sers d’Aidan comme excuse pour en savoir plus, il m’a déjà dit plusieurs fois qu’il me raconterait un jour. Je pourrai lui demander directement si je voulais mais comme je t’ais dit, j’ai peur de faire pire que bien. Puis en même temps je me dis que peut-être ça te contrarierais si c’est lui qui me le disait, parce que t’aurais l’impression qu’il déballe son linge sale, donc le tiens aussi, pendant que t’es pas là et je voudrais pas créer encore plus de tension entre vous et…Tu vois ? Provoquer une dispute… enfin, bref, voilà… » termina-t-elle enfin avant de prendre une inspiration un peu plus profonde.

Elle allait déjà le laisser répondre à ça avant d’enchainer. Elle n’aurait pas voulu tenir le crachoir trop longtemps…
Charlie reprit une gorgée de bière pour désaltérer sa gorge sèche, décidemment bien contente que Sam ait envie de parler.

Charlie sourit discrètement à la dernière remarque du jeune homme, mais ne réalité c’était plus pour la forme. Pas que l’humour de Sam ne la fasse pas rire, que du contraire, mais pour l’instant elle était bien plus focalisée sur ce qu’elle avait en tête et sur son propre discours que sur les réponses intermédiaires du garçon. Elle avait également écouté ce qu’il lui avait répliqué, mais si elle s’était interrompue dans son monologue c’était juste par politesse, ou juste pour ne pas avoir l’air d’être une affreuse bavarde qui ne respire même pas entre les phrases.
Elle avait une idée précise en tête, un but dans son discours, et maintenant qu’elle s’était autorisée à ouvrir les vannes il était bien compliqué de réussir à tarir le flot de parole qui semblait vouloir s’échapper de sa bouche sans permission.

« En fait à bien y regarder c’est pas vraiment que j’ai besoin de te poser des questions. Enfin si mais, si j’avais du écrire ce que j’ai à dire, je ne sais pas exactement où j’aurai mis le point d’interrogation » reprit-elle avec empressement.

Elle avait la mine concentrée, les sourcils légèrement froncés, pas par mécontentement mais parce qu’elle se sentait tout terriblement investie dans cette conversation et qu’elle devait faire un effort considérable pour mettre de l’ordre dans toutes les idées qui lui venait en tête.

« Bref, je ne sais pas si tu te souviens mais, quand on s’est rencontré, enfin, au début, quand je t’ais demandé ce que tes frères et toi veniez faire à Grayson, tu m’as répondu un truc vague du genre que c’était une réunion familiale, un genre de séjour pour se rapprocher les uns des autres. Au départ je me suis pas trop posée de questions parce que j’avais pas à le faire. On se connaissait très peu. Mais depuis il y a eut toutes ces histoires avec le garagiste et puis ce truc qui s’est passé dans votre maison le mois dernier pendant la séance, et la bagarre de ce matin, tu imagine bien que tout le monde est venu m’en parler. Et pas parce qu’ils avaient envie de me parler mais parce qu’ils savent qu’on se voit souvent et je crois qu’ils espèrent que je leur fournisse des détails parce qu’ils se figurent que je sais mieux qu’eux de quoi il retourne ! C’est pas le cas et même si ça l’était ils pourraient tous allés rôtir en enfer. Sans oublié qu’Aidan m’a raconté certains trucs aussi, et il m’a parlé de vos parents. Pas beaucoup, mais il en a parlé. De toute manière même si lui ne l’avait pas fait, quelqu’un d’autre s’en serait chargé. D’ailleurs des dizaines d’autres s’en chargent tous les jours ! Je connais même le prénom de tes parents à force, alors que la plus part du temps, j’ai de la musique sur les oreilles et je fais semblant d’écouter leurs histoires. Et puis il y a eut ces sales gamins qui venaient tagger mon allée de jardin parce que tout le monde semble voir d’un mauvais œil qu’on se fréquente. J’ai du allé voir l’adjoint du shérif pour qu’ils me fichent la paix. Et je te rappel que l’adjoint su shérif me déteste parce que je n’ai pas voulu me marier avec lui ! J’ai parfois l’impression d’être l’une de ces traîtresses qui couchaient avec des Boches pendant la secondes guerre mondiale et qui finissait complètement chauve. En résumé, j’entends constamment parler de toutes ces histoires, et le seul qui ne m’en parle pas, c’est toi »

La jeune femme prit le temps de boire une gorgée de bière, à la fois pour se désaltérer parce qu’elle avait beaucoup parlé, mais aussi pour se camoufler l’espace de quelques secondes bénies, parce que même si elle ne disait rien de mal, elle craignait tout de même un peu les réactions de Sam.

« Enfin, tu vois, c’est pas vraiment une question… je me demandais juste si tu ne pouvais pas me faire une update par rapport à la version de la réunion de famille » conclut-elle enfin dans un faible soupir.

Puis elle reporta son attention sur le jeune homme dans un petit sourire, dans l’attente d’une réponse à ce qui était définitivement trop long pour être une question.

Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Le sujet était trop épineux pour qu’elle se permette de lui en vouloir. Mais il fallait avouer qu’elle était plutôt frustrée de la réponse qu’il venait de lui fournir. Même Madame Pietsky avait été plus explicite que lui dans ses explications. D’ailleurs Charlie avait eut droit depuis des jours et des jours à tout un tas de théorie plus conspiratrices les unes que les autres, de la part de tout un tas de gens.
D’accord, parler de ce sujet devait être terrible pour lui, et elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’il pouvait bien ressentir puisqu’elle n’avait pas de parent, et pas de famille. Mais elle avait beau retourner la situation dans tous les sens, Charlie n’arrivait pas à en démordre. Elle méritait plus que ça. C’était trop plat et trop impersonnel comme réponse.
Pourquoi avait-il autant de mal à comprendre. Ils couchaient ensemble depuis un mois maintenant, et se tournaient autour depuis à peu près le double de temps. Elle méritait d’en savoir plus que Madame Pietsky ! Comme le disait si bien Samuel, tous le monde les détestait sauf elle. Elle avait toujours été correcte et gentille avec eux, accueillante et généreuse, elle avait été patiente et compréhensive, elle ne s’était pas montré trop curieuse, ni invasive. Pourtant ce matin, une bagarre assez violente avait eut lieu et elle se sentait terriblement frustrée de ne pas être autorisée à avoir plus de détail que n’importe quel bouseux du coin.

Néanmoins la jeune femme ne laissa pas vraiment paraitre toutes ces émotions sur son visage, elle s’était contentée de sourire, voir même de rire un peu de la dernière remarque du jeune homme, histoire de ne pas lui mettre de pression inutile. Charlie ne cherchait pas la dispute après tout.

« Vous êtes venu pour connaître la vérité » répéta-t-elle en niant tout de même tout ce que Sam avait bien pu dire d’autre « C’est plutôt vague. On dirait… tu sonne un peu comme un agent du FBI qui parle d’un dossier top secret ou quelque chose comme ça » rit-elle à nouveau, tout en étant incroyablement tendue.

Nerveuse, elle porta ses lèvres à son verre de bière et ne les décolla plus jusqu’à ce que celui-ci soit à moitié vide. Et pas à moitié plein parce que pour le moment elle n’était pas assez positive pour ça.

« Je veux dire… corrige-moi si je me trompe mais tes parents ont eut… un accident c’est ça ? De voiture. » Questionna-t-elle de manière rhétorique, le prenant à témoin « Ok. Donc… enfin je suis désolée, je suis pas entrain de… bref, je veux dire… quelle autre vérité pourrait-il bien y avoir là-dedans ? Pas que je doute de ce que tu dis. C’est juste… je me pose la question, c’est tout. Il y a beaucoup d’accidents de voitures ici. Les routes sont dégueulasses mais… bon, si je combine ça avec… tu sais toutes ces histoires avec les Redd. Et les Redd sont garagistes depuis, j’en sais rien. La nuit des temps au moins. Et puis toutes ces rumeurs que j’entends… enfin… quoi… ça veux dire quoi ? » lança-t-elle en s’armant d’un sourire qui respirait le doute, l’incompréhension, le manque d’assurance avec un soupçon d’angoisse (une pincée de sel et des pepperonis…)

Elle savait bien ce que ça voulait dire, elle l’avait entendu à peu près 14 millions de fois déjà. Sauf que ça n’étaient que des rumeurs et elle était bien placée pour savoir que d’une brindille, on faisait une forêt dans le coin. Pourtant force lui était de constater qu’apparemment les rumeurs étaient plus ou moins dans le bon ! C’était du sérieux. Les Donnelly pensaient vraiment que les Redd, et plus précisément Nathaniel puisque le garage était à lui, avait tué leurs parents…

La chose était complètement flippante, et elle n’était pas certaine à cent pour cent d’avoir envie de se frotter à ce genre d’histoire complètement glauque. Mais imaginons juste deux secondes que ça soit le cas. Quel aurait bien pu être le motif ? Ca… c’était une excellente question. Mais elle n’était pas certaine d’avoir le cran de la poser tout haut. De ce fait, elle garda le silence et décida qu’elle en avait déjà assez dit.
Pour les trente secondes à venir.

A vrai dire, Charlie en avait déjà un peu marre de ce sujet si sérieux et si compliqué. Après tout ils n’étaient pas là pour se prendre la tête sur la mort tragique et suspect des parents Donnelly ?! Ca n’était même jamais le moment de se prendre la tête sur ce genre de sujet. On était bien obligé parfois, voilà tout. C’était le monde extérieur qui obligeait les gens à se prendre la tête.

Non, ok, Charlie était de mauvaise fois. En vérité elle était complètement restée calée sur le « Tu pourrais même venir avec nous » de Samuel. Maintenant c’était de ça qu’elle avait furieusement envie de parler. Il ne lui avait pas fallu plus de quatre seconde en tout et pour tout pour se faire le film d’une vie.
Elle se voyait déjà follement heureuse avec son pseudo motard de Cleveland pour les 60 ans à venir, avec deux bambins… ou, non, mieux valait ne pas pousser, peut-être seulement un seul, un garçon qu’ils auraient appelé Paul - puisque MacCartney. Sans oublier le chouette job et une énorme famille de blond tout autour d’eux, puis surtout Aidan comme beau-frère. Elle et Allie seraient devenue de supers amies et leurs enfants joueraient ensemble autour du sapin pour Thanksgiving.
Ce qu’elle crevait d’envie de lui répondre c’était « D’accords, partons demain ! » puis de lui enlever son tee-shirt, de se coller à lui et de lui faire l’amour sous leur arbre, là, devant tout Grayson. Elle s’en fichait elle n’allait plus jamais les revoir !
Et dire qu’elle avait cherché à fuir Grayson sans y parvenir depuis des lustres, sans savoir qu’un jour, l’homme de sa vie viendrait l’y chercher.
C’était trop parfait, trop symbolique, c’était obligé que ça se passe comme ça, c’était obligé que ça arrive parce que cette simple phrase donnait enfin tout leur sens aux années de galères passées.
Ca ne pouvait être que le destin. Et le destin elle y croyait dur comme fer malgré toute son indécrottable poisse. Elle en avait la preuve maintenant ! C’était pour ça qu’elle n’était jamais arrivée à rien, c’était pour ça qu’elle avait toujours été contrainte de venir se réfugier dans les jupes de sa grand-mère, faute d’endroit où aller. C’était pour ça qu’elle n’était jamais tombée que sur des manches à balais, des connards incapables de la rendre heureuse, et des voleurs par-dessus le marché ! C’était pour ça qu’elle avait refusé de se marier avec Grifith, pour ça qu’elle avait ruiné ses chance de s’unir au seul type qui avait tenu la distance avec elle. C’était pour Samuel !

Tout ça n’avait duré que quatre secondes. Quatre magnifiques, quatre intenses, quatre splendides secondes durant les quelles elle s’était enfin sentie tirée d’affaire. Durant les quelles elle s’était enfin projeté dans un avenir un peu plus glorieux que la caisse de l’épicerie miteuse de Grayson.
Quatre seconde où elle avait été terriblement amoureuse et soulagée. Quatre seconde qu’elle aurait volontiers passé collée à Sam pour l’embrasser autant qu’elle le pouvait entre d’hystériques « merci, je t’aime, je t’aime, merci »
Puis son pessimisme avait reprit le dessus. Du pessimisme ou peut-être pire encore, du réalisme.

Samuel avait 24 ans, il était jeune, et c’était un garçon qui, d’après ce que lui en avait dit Aidan, n’était pas du genre à se poser facilement. Ensuite, il avait clairement lancé ça comme ça, avant de reprendre sur le meurtre de ses parents et le village. Peut-être qu’il ne l’avait pas vraiment pensé, peut-être même qu’il regrettait ce qu’il venait de dire. Et sûrement qu’il n’envisageait pas vraiment la portée de ses mots. Ce qu’ils pouvaient signifier pour elle. Se rendait-il seulement compte de ce que cela impliquait ?
Et puis de toute manière elle ne pouvait pas se permettre de se laisser à aller à rêver de la sorte parce qu’elle devait se préserver de la déception horrible qui risquait bien fort de lui tomber dessus. Elle ne devait pas laisser son imagination et ses envies de se caser et de se casser voiler la vérité. Ils n’étaient vraiment ensemble que depuis un mois, ils ne se connaissaient même pas encore totalement, loin de là même. Sortir ensemble et vivre ensemble, fonder son avenir ensemble, c’était des choses totalement différentes. C’était une expérience qui n’était à tenter qu’avec quelqu’un de vraiment proche, en qui on avait totalement confiance. Elle s’était laissé avoir bien trop vite dans le passé, ça n’arriverait plus. Charlie se l’était promis, et malgré l’expérience et les promesses faites à elle-même, elle n’arrivait pas à s’empêcher de rêver. D’espérer et de prier pour que tout ça arrive tout de même.
Et en même temps, elle s’imaginait déjà la scène : Elle, écroulée sur son lit, seule dans sa petite chambre pour pleurer toute les larmes de son corps et plus encore une fois que les Donnelly seraient repartit de Grayson en l’y laissant toute seule. C’était insupportable.
L’image était d’un tel réalisme qu’elle avait presque envie de déjà en pleurer.

Elle n’arrivait même pas à réfléchir sur la dernière question de son petit ami. Grayson était bizarre bien sûr. Mais elle avait toujours détesté se trouver ici, et elle avait l’impression d’observer l’endroit à travers un verre déformant. Le verre déformant de son envie d’être ailleurs. Elle maudissait Grayson, pas pour ce qu’il était, mais plutôt pour ce qu’il n’était pas. Ce qu’elle n’y trouverait jamais.
Un brin mélancolique, elle se racla la gorge et déposa doucement sa bière sur le sol, contre la racine sur la quelle ils étaient assis. Charlie passa ensuite un bras sous celui de Sam pour venir se coller à lui, appuyant sa tête sur sa large épaule.
Elle balaya le parc d’un regard un peu triste et poussa un faible soupir.

« J’en sais rien. Les accidents de voitures ne m’ont jamais frappé plus que ça. Que je sois à Grayson ou ailleurs, il y a toujours plus ou moins quelqu’un pour mourir dans un accident de voiture. C’est tellement commun comme mort… ça en fait justement… j’sais pas… ça peut être une bonne manière de dissimuler un crime, c’est vrai... Mais et la police dans tout ça ? Je veux dire… ils ont des méthodes pour savoir ce genre de chose. Comme on voit à la télé. Ils enquêtent. Ils font des rapports… et une autopsie des corps aussi. J’y connais rien, j’ai juste vu des films policiers. M’enfin, avec les méthodes d’aujourd’hui je vois mal comment Nathaniel Redd aurait pu dissimuler un truc pareil. Surtout que… pour tuer, il faut un motif. Et… tes parents c’étaient… des gens normaux je suppose. Sans rien de vraiment particulier à voler ou… » elle haussa vaguement une épaule « Pourquoi se donner tant de mal à duper la police en faisant croire à un faux accident pour n’en retirer aucun bénéfice ? Il est un peu bizarre parfois mais… tout de même »

Elle plissa les yeux, la tempe toujours posée sur l’épaule du jeune homme.

« Cela dit… y’a plus d’une seule chose qui cloche à Grayson. Mais ça n’a rien à voir avec l’accident de tes parents » termina Charlie.

Monsieur voulait changer de conversation. Monsieur ne s’amusait pas assez à son goût. Ou en tout cas le sujet avait déjà duré trop longtemps à son goût. En vérité, la conversation était bien, bien loin d’être terminée, elle venait simplement d’être ajournée par Sam sans que celui-ci ne lui demande vraiment son avis. Pourtant Charlie ne fit aucune remarque, il s’était montré plus coopératif qu’elle ne l’avait espéré, et le sujet était loin d’être léger. Elle avait désormais plus d’élément pour essayer de cerner la situation qui plus est, et même si elle restait gourmande de détail, elle savait qu’aller les chercher de force n’était certainement pas la bonne méthode avec Sam. Ca n’était la bonne méthode avec personne, c’était bien simple.
Ce qui était marrant c’est qu’il l’invitait – plus ou moins- au prochain débriefing comme si il s’agissait d’un parc d’attraction fun où il lui donnait rendez-vous. Dans sa bouche ça sonnait comme une activité sympa, hors l’aperçu qu’elle venait d’en avoir était plutôt moyennement comique…
Déjà, ils faisaient des débriefings, ça aussi elle l’ignorait jusqu'à présent. C’était carrément du sérieux si toute la bande des Donnelly faisaient carrément des réunions pour parler de leur pseudo enquête. Pas si pseudo que ça finalement. C’était un peu étrange aussi.
Elle les imaginait déjà avec un grand tableau blanc barbouillé d’un plan de Grayson au marqueur effaçable, avec des croix et des flèches rouges par-ci par-là, style plan d’attaque militaire. D’ailleurs elle voyait carrément bien Aahron porter l’uniforme et tapoter son tableau gribouillé avec une baguette pendant qu’Isaac faisait l’inventaire des pansements.
En tout cas c’est le genre de plan qu’elle s’imaginait lorsqu’on lui parlait de débriefing. C’était vachement formel comme manière d’en parler.

Lorsqu’elle allait ouvrir la bouche pour demander à Sam si elle allait devoir se présenter en tailleur kaki, celui-ci reprit la parole en faisant planer une aura de mystère intense au fond de ses yeux bleus.

L’image stupide qui lui avait surgit en tête, ainsi que leur précédente conversation s’envola aussi tôt que le jeune homme eut lâché le morceau.
Elle avait haussé les sourcils et ouvert la bouche en un « oooh » enjoué mais muet. Puis elle enchaîna d’un gloussement lorsque les lèvres du garçon virent se poser dans son cou. Charlie fut parcouru d’un frisson agréable et tourna ses grands yeux noisette vers le blondinet.
Elle vint poser ses deux mains sur les joues de Sam, puis déposa quelques baisers hâtifs sur ses lèvres.

« Non j’ai pas d’idée, mais fais-moi une liste Monsieur-quart-de-siècle. » sourit-elle en descendant ses deux mains dans la nuque du jeune homme « Bizarrement j’ai l’impression que ça va être une toute petite liste et que je sais déjà ce que tu vas demander » pouffa la caissière.

Puis se redressant soudainement, elle vint légèrement bousculer Sam, feignant un petit air outré.

« J’arrive pas à croire que tu me le dise que maintenant ! On s’est vu il y a deux jours et tu m’as pas prévenue ! J’aurai pu organiser quelque chose, j’aurai pu te faire à manger où t’acheter un vrai cadeau. On aurait pu aller quelque part ! Maintenant je vais en être réduite à te chanter ‘Happy birthday Mister President’ de manière sexy. Je sais que je suis très sexy mais j’aurai aimé faire plus. C’est un peu mince t’es bien d’accord avec moi ! »

Elle se pencha rapidement vers sa bière pour la ramasser et en boire une gorgée ou deux, puis revint se blottir contre le jeune barman.

« Par contre si tu espère te faire la belle avant la fin du film c’est râpé mon pauvre lapin, c’est moi qui l'ai choisi pour une fois, depuis le temps que je râle pour le faire, si je m’en vais au beau milieu, c’est fichu pour moi » expliqua-t-elle avant de déposer un dernier baiser sur les lèvres de Samuel « Bonne anniversaire » ajouta-t-elle plus doucement, ses yeux parcourant les siens avec tendresse.

Le regard clair d’Aahron se porta à nouveau sur l’assemblée, à la recherche de Samuel. Et après quelques longues secondes, ne l’ayant toujours pas repéré, l’ouvrier laissa un pli soucieux barrer son front alors que ses sourcils se fronçaient d’inquiétude. Où avait-il encore été se fourrer celui-ci ?
Le trentenaire continua ses recherches un moment, se baladant au milieu des habitants qui se pressaient de prendre place puisque l’écran s’était à présent allumé. Après quelques longues minutes, ayant à peine entamée son plat, il le laissa négligemment tomber dans l’un des grands sacs poubelles prévus à cet effet.
Son regard clair déviait de plus en plus souvent en direction d’Isaac qu’il se retenait d’aller déranger. Son cadet était en effet en plein conversation avec sa fiancée et, au-delà de cela, Aahron craignait de s’entendre dire qu’il s’inquiétait pour rien. Après tout, Samuel était un grand garçon et il savait se débrouiller… Ou presque.
Un soupir mêlant inquiétude et frustration vint faire gonfler les joues de l’ainé des Donnelly. Sammy était encore un gosse immature malgré ce qu’il tentait de faire croire à tout le monde depuis quelques temps, et il était aussi imprudent et aussi imprévisible qu’eux tous.

Aahron tiqua puis chercha Nathaniel et Logan Redd des yeux. S’il s’était écouté, c’est vers eux que l’ouvrier se serait dirigé, afin de leur faire payer ce qu’ils avaient fait subir à Aidan plus tôt dans la matinée. Sam avait peut-être eu la même idée.
Mais le grand blond aux yeux clairs finit par repérer les deux hommes. Mais toujours pas son frère.

Un nouveau soupir s’échappa des lèvres d’Aahron, accompagné d’un vague sourire qu’il fit rapidement disparaitre, jetant des coups d’œil prudents autour de lui. Il l’avait vu approcher Charlie en arrivant au parc. La réponse à ses inquiétudes était certainement aussi simple qu’elle paraissait l’être. Ils s’étaient éclipsés pour s’envoyer en l’air. C’était tout à fait le style de Samuel et la jeune caissière se laisserait certainement entrainé. Son frère savait y faire après tout…
Mais pourtant, Aahron n’arrivait pas à se convaincre et le doute continuait de persister.
Et si jamais quelque chose était arrivé ? C’était son rôle, en tant que grand frère de s’assurer que tout allait bien. SI jamais il découvrait par la suite qu’il était arrivé malheur à Sam alors qu’il le pensait en train de coucher avec sa copine, il ne se le pardonnerait pas. Et à Grayson, un accident était vite arrivé.

Mais alors quoi ? Allait-il se pointer au domicile de Charlie Doyle, sonner et attendre de la voir ouvrir en peignoir, les cheveux hirsutes ? Il se sentirait complètement débile et sa relation avec Charlie était déjà assez… compliquée comme ça.
Alors qu’i les faisait cette réflexion, il perçut du mouvement dans les arbres du parc. Ses sourcils se froncèrent immédiatement et les rouages de son cerveau se remirent en marche. Peut-être qu’ils avaient souhaité s’isoler du restant de la foule. Peut-être que Sam n’avait même pas pu se contenir jusqu’au lit de sa petite amie et lui avait proposé un plan dans les buissons. C’était tout à fait le genre de son frère…

La seconde suivante, Aahron se remit en mouvement, bien décidé à en avoir le cœur net. Et si jamais il les surprenait dans une position compromettante… eh bien il espérait que Sam en soit plus gêné que lui. Tant pis pour Charlie qui se retrouverait entre eux deux… Elle s’en remettrait de toute façon. Samuel, lui, s’en remettrait très vite, aucun doute là-dessus. Quant à lui-même… Peut-être qu’ils seraient assez bruyants pour qu’il se contente de les entendre et de rebrousser chemin avant de devoir se laver les yeux à l’acide.
Et ce fut le cas. Sauf qu’au lieu de les entendre s’envoyer en l’air dans les buissons, il reconnu simplement la voix de Charlie, en pleine conversation avec Samuel. Une conversation qui tournait bien entendu autour du sexe, pas besoin d’être Einstein pour le comprendre. Et les remarques de Charlie la firent remonter un peu dans son estime.

Après un court silence, se sentant idiot de rester planqué derrière un arbre à les écouter, Aahron se décida à sortir de l’ombre pour les rejoindre, son regard à présent teinté de colère braqué sur Samuel et Charlie.

« C’est ici qu’tu t’planques » lui reprocha-t-il immédiatement

En réalité, maintenant qu’il s’était avancé, il regrettait de ne pas avoir simplement fait demi-tour en les entendant. A quoi est-ce que ça rimait tout ça ?

« J’te cherche depuis tout à l’heure. T’aurais pu prévenir avant de jouer les aventuriers ! » l’accusa encore Aahron, sentant ses joues s’empourprer de frustration et de honte…

Charlie n’avait jamais eut ni sœur, ni frère, ni père, ni grand-père, ni oncle, ni tante, ni cousins, juste une grand-mère et un quart de mère. Et cette situation avait toujours tenu une place d’honneur dans sa longue liste de regrets.
Heureusement, depuis l’enfance elle avait eut Colleen et sa mère pour lui apporter un petit plus de chaleur et de relationnel. Même si des voisines et amies ne remplaçaient jamais les liens du sang, elle avait toujours considérée les deux postières comme faisant partie de sa famille… ou plutôt elle s’était toujours considérée comme faisant partie de la leur. Comme une cousine par exemple.
N’empêche qu’en termes de relation fraternel, elle était une complète débutante. Et la situation des Donnelly étant des plus compliquée pour le moment, elle avait du mal à comprendre et à pleinement appréhender ce qui était entrain de se passer entre Aahron et Samuel.

Un côté d’elle lui disait que finalement, ne pas avoir ce genre d’aîné sur le dos était une bonne chose. La caissière n’avait jamais vraiment apprécié que sa grand-mère vienne mettre son nez dans ses affaires. M’enfin c’était une grand-mère et elle s’était toujours montré plutôt chiante.
C’est pour cela que d’un autre côté, Charlie trouvait cette situation entre frangin totalement adorable. Avoir un grand frère pour venir faire les gros yeux aux sales mômes qui l’avaient souvent emmerdés au court de sa vie, ça avait toujours été l’un de ses rêves. Elle avait toujours été persuadé que la vie aurait été bien plus simple si ils avaient été deux. Elle avait souvent rêvé d’avoir une jumelle, mais le grand frère c’était un choix encore meilleur.
Alors même si Sam, elle le voyait bien, avait un peu de mal avec l’irruption brutale d’Aahron, Charlie de son côté, se sentait toute émue par tant d’attention.
Elle avait envie de porter les mains à sa bouche dans un « oooooh » typiquement féminin.

Elle se retint de le faire cela dit, car si elle n’y connaissait rien en lien fraternel, elle s’y connaissait un peu plus en matière de mec. Et elle savait que ces deux là n’étaient pas du genre à apprécier les « trucs mignons », surtout lorsqu’on parlait d’eux et qu’ils étaient deux doigts de s’engueuler. La fierté masculine transpirait par tous les ports de leur peau, elle n’avait certainement pas envie de mettre de l’huile sur le feu.

Charlie étouffa donc un petit rire derrière sa main, et pour couper court à une quelconque dispute naissante, se redressa un peu sur sa racine d’arbre et se racla la gorge.

« Bonsoir Aahron » articula bien distinctement la caissière en faisant un petit signe de main au jeune homme qui se tenait devant eux, l’air de dire ‘coucou, je suis là’.

Ca n’était pas la première fois qu’elle avait l’impression d’être invisible pour tous les Donnelly qui n’étaient pas Sam ou Aidan. Isaac et Aahron ne semblaient même pas la voir, même lorsqu’elle se tenait là devant leur tronche. Ils doutaient certainement de la viabilité de leur couple à Sam et elle, et du coup, ne prenaient généralement même pas la peine de vraiment lui parler… puisqu’elle n’allait faire que passer et qu’ils avaient des choses très importantes d’homme repus de vengeance à faire…

« Désolée si tu t’es inquiété. On s’est mit un peu en retrait pour éviter de subir tous les regards courroucés des vieux de Grayson » sourit-elle « D’ailleurs tant que tu es là, si vous n’avez rien de prévu pour l’anniversaire de Sam après le film, j’pensais le kidnapper jusqu’à demain… Et lui préparer quelque chose à manger » ajouta-t-elle en se tournant vers Sam avec dans les yeux écrit clairement ‘je vais cuisiner pour toi, tu n’as pas ton mot à dire’.

Si les remarques acerbes de Samuel ne firent qu’augmenter encore un peu sa honte et son irritation, Charlie, elle, avait su étouffer un peu ces sentiments négatif et le détendre. Aahron avait conscience d’avoir sauté les deux pieds dans le plat et que sa présence importunait son frère, mais il n’était pas forcé de le lui faire ressentir autant ! Il avait tous les droits d’être inquiet après tout ! Leur petit frère s’était fait agressé un peu plus tôt dans la journée par un homme qu’ils soupçonnaient d’être responsable de la mort de leurs parents. Ce même homme avait, d’après Aidan, menacé Isaac et Allie. Du moins avait-il fait comprendre à leur petit frère qu’il savait où ils s’étaient réfugiés ces derniers jours et qu’il les avait à l’œil. De son point de vue, c’était assez inquiétant pour qu’Aahron puisse aisément justifier cette entrée dans l’intimité de Charlie et Samuel...
Et puis de toute façon, c’était plus fort que lui ! Il était l’ainé, papa d’un petit garçon qu’il avait perdu de vu durant plus d’une heure il y a peu de temps, il était logique que la disparition soudaine de Sam le remplisse d’appréhensions.

« D’accord » finit-il par grogner, essayant de garder un air digne et détournant son regard de celui de son frangin pour le poser sur Charlie « On te l’laisse volontiers. Méfie-toi cela dit, il a un appétit d’ogre et très peu de manières » ajouta-t-il dans un sourire faux et mesquin

Samuel n’avait pas hésité à le ridiculiser, il n’allait certainement pas se gêner pour lui rendre la pareille. Et que Charlie soit là n’y changerait rien. Sam pouvait bien le détester, c’était pour le moment le cadet de ses soucis. Du moment qu’il était en un seul morceau…

« Aidan voulait organiser quelque chose dans les jours qui viennent par contre. L’anniversaire d’Allie a lieu peu de temps après celui de sa seigneurie » dit-il en désignant son frère d’un geste négligé du menton « donc il voulait faire d’une pierre deux coups et t’inviter. Il a dit qu’il préparerait sûrement ça avec toi si tu étais d’accord pour le revoir après ce qu’il a fait » expliqua-t-il, niant ouvertement son frère et enfonçant les mains dans les poches de son jean, signe qu’il comptait s’éterniser encore un tout petit peu en leur compagnie…

Ridicule. Tout cet échange était absolument ridicule et Aahron préférait penser que c’était son frère qui passait pour un idiot à réagir comme un gamin alors qu’il avait l’air de l’adulte responsable et inquiet. Et pour le coup, voir Charlie lui parler comme elle l’avait fait et lui sourire de cette manière le confortait dans cette idée. Et la faisait bien entendu remonter dans son estime.
Arborant un air blasé qui n’était cela dit pas complètement crédible, il écouta Samuel s’énerver tout seul et essayer de le provoquer avec cette histoire de tension et d’alcool. Pour couronner le tout, il avait également utilisé cette référence agaçante et déplacée à souhait à leur père et au fait qu’Aahron essaie de prendre sa place.

« Continue de me parler sur ce ton jeune homme, et je te consigne pendant un mois entier » fit-il mine de répliquer avec sérieux, avant d’étendre le bras vers son frère

Avant que ce dernier n’ait pu réagir, il passa sa main dans ses cheveux pour les frotter énergiquement et le décoiffer. C’était la punition la plus cruelle à laquelle il ait pu penser. Samuel avait passé une bonne heure à se pomponner dans la salle de bain, certainement en vue de son rendez-vous avec la caissière et c’était la meilleure manière de se venger de ses remarques.
Et à en croire le regard outré puis meurtrier que lui lança son frère, il estima que justice avait été rendue. Il ne lui restait plus qu’à fuir avant les représailles… Et une fois de plus, Aahron ne pu qu’apprécier la présence de Charlie qui servait de garde fou à son frère et l’empêchait sûrement de se jeter tête baisser sur lui pour lui asséner un bon coup de poing.

« Je vous laisse entre jeunes. Tâche de garder ton portable allumé et de le surveiller un peu mieux que la dernière fois » ajouta-t-il tout de même, reculant déjà de quelques pas, avant de donner son attention à Charlie « Bonne soirée et ne vous laissez surtout pas berner par son air de chien battu ou son sourire. Il n’est pas allergique au produit vaisselle ! »

Satisfait, le trentenaire se détourna enfin pour s’éloigner d’un bon pas et rejoindre Isaac et Allie, déjà installé devant le film qui avait débuté depuis un petit moment maintenant et captivait l’audience.