Aidan poussa un soupir qui fit gonfler ses joues en constatant qu’Aahron était encore occupé à discuter avec le même type que tout à l’heure. C’était d’ailleurs étrange de voir son frère passer autant de temps avec ce grand type sans lui avoir encore cogné dessus. Peut-être que c’était un touriste lui aussi, comme Zooey. Le jeune homme doutait que son ainé puisse converser très longtemps avec un habitant de Grayson sans lui mettre son poing sur la tronche… Encore que la dernière fois, c’était lui qui avait craqué le premier et s’était jeté comme un chien enragé sur Nathaniel. C’était lui encore qui avait finit par balancer une réplique froide et mauvaise à Casey.
Peut-être qu’il voyait le mal partout, que tous n’étaient pas bon à jeter ici. Après tout, il y avait Charlie. Évidemment, elle n’avait pas passée toute sa vie dans le petit village paumé du Missouri où ils se trouvaient actuellement, et c’était sans doute ce qui l’avait sauvée, mais tout de même. Ça prouvait bien qu’on pouvait habiter Grayson et quand même être cool.
Tout ça pour dire qu’il n’avait plus aucune envie de s’approcher de son frère. Peut-être qu’il attendait d’être secouru et qu’Aidan aurait pu lui trouver une excuse pour fuir sa conversation, mais il n’en avait pas envie. Ça lui ferait les pieds.

A vrai dire, il ne savait plus exactement ce qu’il faisait ici, au beau milieu d’une foule de gens qui l’espionnaient sans grande discrétion, du coin de leurs grands yeux brillants d’avidité et pleins de jugements.
Il avait pourtant ressenti le besoin d’abandonner Zooey et son fidèle compagnon à quatre pattes pour venir prévenir Aahron de ne rien accepter de la part de leurs hôtes. C’était stupide maintenant qu’il y repensait. N’empêche qu’il éprouvait encore cette gêne au creux de son estomac, sans pouvoir vraiment l’expliquer.
Il avait l’horrible impression que tous attendait que quelque chose se passe. Que d’un instant à l’autre, tous les habitants allaient se tourner vers eux cinq, les placer au centre d’un cercle fermé, hermétique. Aidan pouvait les voir s’approcher encore et toujours plus près, leur visage déformé par des grimaces inquiétantes. Ils porteraient sans doute des pagnes. Et ils les dévoreraient tout cru, comme dans ces tribus cannibales qu’on voyait à la télé.

Le jeune homme secoua sa tête blonde d’un air dépité. Il avait décidément besoin de se reposer les méninges et d’arrêter de penser, ça ne lui réussissait pas du tout, bien au contraire. Il devenait paranoïaque et stupide. N’empêche qu’il n’arrivait pas à se défaire de cette image qui se faisait de plus en plus obsédante, lui nouait la gorge et pesait aussi lourd qu’une brique dans son estomac creux. Avec tout ça, il avait oublié de manger et ne comptait certainement pas retourner au stand tenu par Casey et son frère pour se faire. Plutôt mourir !
Son estomac grogna à ce moment précis et Aidan préféra croire que c’était pour le soutenir dans son idée plutôt que pour protester…

Planté au milieu des passants, il sonda la foule à la recherche d’un visage familier. Après un long moment, il repéra enfin Allie et Isaac, installés au premier rang en train de discuter. Sans perdre un instant, le jeune homme fendit la masse pour les rejoindre, arborant un air maussade. Il se laissa lourdement tombé aux côtés de sa belle-sœur, poussant un lourd soupir. Les deux amants mirent fin à leur conversation et tournèrent leur regard vers lui.
Il les fit mariner un moment, laissant son regard azuré se perdre dans le vague avant de tourner lentement la tête vers la brune.

« J’ai faim » annonça-t-il solennellement
« Tu reviens du stand de restauration, non ? » le questionna Allie, un sourcil arqué
« Oui, mais j’ai pas mangé »
« Et on peut savoir pourquoi ? T’as pas pris une part de mon gratin ? »
« Quoi t’as pas vu le numéro époustouflant du karatéka qu’ils ont présenté ? » fit mine de s’étonner le garçon en se redressant sur son siège « J’en aurai bien mangé moi d’ton gratin mais ils l’ont confondu avec les briques utilisées pour le show du type ! Il devait les casser en deux avec sa tête et il y arrivait très bien ! …Jusqu’à ce qu’ils lui apportent ton plat par mégarde… le pauvre en est mort. Le gratin a été plus fort… mais t’en fais pas, j’leur ai pas dit que c’était toi qui l’avait fait ! Tu devrais pas avoir de problèmes, j’ai couvert tes traces » conclut-il dans un clin d’œil complice

Allie lui asséna un bon coup de poing dans l’épaule et Aidan l’encaissa en riant. Il la laissa échanger quelques mots avec Isaac, du style « tu vois comme il me parle ? Tu ne dis rien !? », étendant ses jambes devant lui en baillant puis s’étirant. Après un nouveau soupir las, il se rapprocha encore de la jeune femme et appuya son front sur son épaule en prenant un air désespéré.

« S’il te plait, va m’chercher quelque chose. Je me sens partir… je ne survivrai pas une minute de plus sans quelque chose dans l’ventre... quelque chose que t'as pas cuisiné et qui est au chocolat » pleurnicha le jeune homme « Sauve-moi… si tu m’aimes »
« Crétin »
« ...Oui, je sais, mais sauve-moi quand même. Je sais faire des cookies et je suis très beau »

Aidan releva son regard embué de larmes de crocodile vers elle et, après un lourd soupir, la brune se leva, non sans lui avoir asséné une dernière petite claque à l’arrière du crâne. Le petit blond lui adressa son plus beau sourire tandis qu’elle s’éloignait sous le regard médusé de son fiancé.
Une fois la jeune femme éloignée, le cadet se redressa pour prendre sa place et se rapprocher d’Isaac.

« Ton idée de faire ami-ami avec la population locale était très mauvaise, mec, je répète : très mauvaise » railla Aidan qui venait de retrouver son sérieux « C’est tous des barges ici »