02. You know I've seen a lot of what the world can do, and it's breakin' my heart in two [Allie & Donnellys]

Trisha avait concocté un délicieux repas, mais la bonne humeur n'était pas vraiment au rendez-vous. Même elle semblait pensive, perdue dans son assiette à triturer les boulettes de viande. Petey subissait l'ambiance maussade de la famille et n'osait pas prononcer un seul mot. Il avait bien tenté d'attirer l'attention, mais les regards restaient rivés sur la nourriture. Je relâchai ma fourchette qui brisa le silence ambiant en percutant la porcelaine et relevai la tête vers mes frères, Aahron en priorité. Je n'avais pas besoin de son accord pour faire quoique ce soit, mais tout de même, le fardeau que nous convoitions tous les deux et qui nous avait divisé avait bien besoin de quatre épaules pour le supporter en ce temps difficiles. Je crus apercevoir une étincelle d'espoir dans les prunelles d'Allie, elle aussi en avait plus qu'assez qu'on se morfonde sur nous-mêmes depuis la mort de nos parents. Il était temps d'agir, mais pour cela, encore fallait-il qu'on soit tous d'accord sur ce que nous devions faire.

« Ça suffit. C'est aujourd'hui ou jamais, on peut pas rester les bras croisés alors qu'ils viennent jusqu'ici saccager la maison. Je veux tout autant que vous connaître la vérité, mais on n'a pas avancé depuis qu'on est là. Il faut qu'on passe à l'action, merde ! Qu'on puisse rentrer l'esprit tranquille, reprendre nos vies. Allie est enceinte, on est sensés être déjà mariés ! Je compte pas rester ici assez longtemps pour me faire des amis, et de toute façon ça semble compromis vu comment ces gens sont accueillants... »

Je marquai une pause. Moi-même, je ne savais pas vraiment par où commencer. Des tas d'idées m'avaient traversé l'esprit, mais aucune ne paraissait appropriée à s'appliquer. On avait aucune réponse, ni comment c'était arrivé, ni pourquoi. J'en venais presque à me demander pour quelles raisons on était tous venus, puisque ça ne menait nul part. J'en avais assez d'être juste là, à me laisser berner et insulter par ces tarés, et mettre la vie d'Allie en danger. Mettre la maison sans dessus dessous n'était qu'un avertissement, et ça j'en étais certain. Alors soit on ripostait, soit on n'avait plus qu'à rentrer bredouille. Je n'avais certainement pas fait tout ce chemin, et avoir gaspiller tant de temps pour repartir comme ça.

« Ce que je veux dire, c'est qu'il nous faut un plan...Qu'on se mette d'accord. Celui d'Allie n'a pas fonctionné, faire ami-ami s'est révélé être un désastre - désolée, chérie, mais c'est vrai -, il faut quelque chose qui tienne la route, de l'offensive. Je parle pas d'incendier le village mais... »

Ok, ça m'avait traversé l'esprit ça aussi...Mon poing s'était refermé alors que la colère contenue des derniers jours explosait littéralement à la figure de mes interlocuteurs. On ne pouvait plus rester impassible à attendre qu'un autre soucis nous tombe dessus. Trisha reposa son verre, et glissa quelques mots à Petey, qui quitta la table et s'éclipsa à l'étage. Elle lui avait sûrement dit que c'était une discussion de grandes personnes. Je me sentais un peu coupable d'avoir craqué devant mon neveu...Je n'étais pas allé trop loin, heureusement. Mon ex belle sœur se retourna face à nous et prit la parole.

« Je suis d'accord. Je suis là pour vous aider, pas pour passer des vacances. Le plus tôt vous rentrez, le mieux ce sera pour tout le monde... »

termina-t-elle en soufflant.

Son regard se posa furtivement sur Aahron avant de revenir sur moi. Oh, elle n'était pas là que pour nous aider, elle était surtout là pour lui. Mais ça n'entrait pas en compte dans cette discussion. Allie devrait lui parler plus tard, entre filles, elles s'entendraient probablement mieux sur...qu'importe quel problème elles pouvaient avoir. J'observai tour à tour mes frères, espérant une réaction plutôt qu'ils se confondent dans ce mutisme devenu presque notre quotidien. Le seul à qui j'avais pu parler était Samuel, ce qui restait un comble. Je voulais les faire réagir, et surtout qu'on s'entende enfin sur notre voyage ici.

Aidan n’osa pas lever la tête vers Isaac pendant toute la durée de son discours sur leur passivité et leur besoin urgent d’élaborer un plan. Un plan autre que pénétrer par effraction dans le garage des Redd comme son frère l’avait suggéré quelques temps plus tôt, lors de la soirée cinéma. Mais peut-être qu’il n’osait simplement pas aborder ce sujet en présence d’une avocate…
Un silence pesant s’étira après la participation de cette dernière à la conversation. Pourtant, il y avait fort à parier que chacun d’eux avait beaucoup à dire sur le sujet. Trop sans doute pour trouver leurs mots et savoir par où commencer.

Aidan savait exactement par où il voulait commencer, mais avait conscience que s’il orientait la discussion dans ce sens, les conséquences seraient lourdes. Son regard azuré dévia inconsciemment vers Samuel, assis à côté de lui à la table du salon. Voilà par où il voulait commencer. Un interrogatoire en bonne et due forme. Un petit : « avant toute chose, je voudrai que Samuel nous explique ce qu’il faisait exactement au moment où tout ça est arrivé. Vas-y Sammy, explique-nous, et soit convainquant vieux… »
Ça ferait assurément tâche mais il ne pouvait s’ôter cette idée de la tête.
Un peu plus tôt dans la journée, il avait été trouver Charlie pour lui poser cette même question et une dispute avait manqué d’éclater. Elle avait évidemment été blessée par ses sous-entendus, et avait été plutôt froide avec lui. Il pouvait la comprendre et en même temps, il ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’elle lui avait menti.
Il voulait des réponses. Des preuves. Il voulait pouvoir faire confiance à Samuel et sa nouvelle petite amie et se sortir tous ces doutes de la tête. Aidan se sentait coupable de soupçonner son frère d’être l’auteur d’un tel acte. Et en même temps, il ne voyait pas pourquoi il ne le serait pas. Après tout, le benjamin de la famille n’avait jamais voulu venir, il était simplement là pour éviter il ne savait quel souci à Cleveland. Personne n’était dupe. Il n’avait aucune raison de rester et le jeune homme l’avait déjà surpris en train de faire sa valise. Et puis après tout, c’était somme ça que Sam réagissait toujours quand il perdait le contrôle : il fuyait. Sauf qu’il était coincé ici avec eux et maintenant que Charlie c’était entiché de lui, les choses n’étaient plus aussi simples pour monsieur le solitaire.
Et si Samuel avait cherché un moyen efficace de les faire partir, sans que la décision vienne de lui, sans être responsable et passer pour un lâche ? S’il avait trouvé une solution ? Et si cette solution consistait à leur faire peur ?
Après tout, les dégâts n’étaient que matériel. Celui qui avait fait ça ne s’était pas franchement foulé. Il n’y avait pas d’animaux mort cloué sur leur porte, rien de tout ça. Simplement quelques livres et aliments renversés et un canapé bon à jeter…

La poigne d’Aidan sur son couvert se fit plus forte, son regard devint plus dur et ses mâchoires se crispèrent. Il fixa son frère un moment, alors que ce dernier soutenait le regard d’Isaac. Le jeune homme détourna alors son visage pour en faire autant et pour ne pas prendre le risque de craquer en lâchant ce qu’il avait en tête. Il aurait l’occasion de questionner Samuel, mais il ne voulait pas le faire devant les autres. Pas tout de suite du moins.
Il se concentra donc sur le médecin et prit la parole d’une voix plus sèche qu’il ne l’aurait voulu.

Pourquoi est-ce qu’on devrait avoir un plan au juste ?

Ils savent tous exactement pourquoi on est là, tu l’reconnais toi-même, alors à quoi bon mentir ? Moi j’dis qu’on y va cash. On leur demande ce qu’on veut savoir, on les met au pied du mur et on verra bien c’qui s’passe ! Toute façon, ils vont nous voir venir à des kilomètres maintenant. Nous aussi on peut les menacer, non ?

C’est comme De Niro l’a dit dans le film de l’autre soir : on obtient plus de chose en étant poli et avec un flingue, qu’en étant simplement poli. Ou un truc du genre, on s’en fou

"Oui Aidan, ils savent pourquoi on est là, ils ne sont pas des bouseux sans cervelle contrairement à ce qu'on pouvait tous penser. On a fait des erreurs, j'ai fait des erreurs mais on doit passer à autre chose pour continuer."

"On est civilisé, je vous signale. On va pas se mettre à menacer les gens sans être sur de rien. Car à part des suppositions, pour le moment on a que dalle. Et même l'histoire de saccager la baraque, ca peut très bien vouloir dire qu'ils veulent pas qu'on reste là, c'est tout. Je pense le contraire, mais aux yeux de la loi on a que dalle ! Alors NON Aidan, on va pas prendre un flingue et les braquer un par un en jouant à la roulette russe. Et je te signale par la même que tu es toujours mineur, alors pas d'emmerdes."

"Voila ce que j'en pense, on y va en douceur... autant qu'on peut. Et même si je suis enceinte, je suis pas handicapée."

Un sourire moqueur étira les lèvres du jeune homme qui poussa une exclamation dédaigneuse.

Oh ouais, Allie ! Ça a tellement bien marché jusqu’à présent la douceur ! Continuons donc sur cette voie, histoire qu’ils nous entubent encore un peu plus et qu’on passe pour de gros cons masochistes

Il se savait injuste, peut-être même ridicule à réagir de la sorte, mais c’était plus fort que lui. Les mots jaillissaient de sa bouche sans qu’il ne puisse vraiment les contrôler. Il ne faisait qu’exprimer ce qu’il pensait, mais l’énervement et la fatigue l’empêchaient de ménager les autres et d’y mettre les formes.
Aidan avait toujours eu un problème avec ça. Il était trop franc et ne réfléchissait jamais vraiment avant de parler. Pourtant, avant les récents évènements, lorsque les sujets étaient sérieux, il arrivait à se faire violence et à rester maître de lui-même. Plus maintenant.
Il s’était passé trop de choses et il était trop épuisé, aussi bien physiquement que moralement. Il détestait voir sa famille en faire les frais, détestait l’être abjecte et jugeur qu’il devenait ces derniers temps. Aidan détestait soupçonner son frère et sa petite amie, il avait l’impression de trahir tous ceux à qui il tenait, tout ce qu’il était. Il s’entendait parler et se maudissait, sauf qu’il ne pouvait plus s’arrêter.

Le cadet fit voyager son regard de l’un à l’autre de ses frères. Il les observa tous et son estomac se nouait face à leurs expressions respectives. Ils étaient tous contre lui. Aidan le savait avant même qu’ils aient besoin de prendre la parole. Ses ainés trouvaient qu’il allait trop loin. Ils pensaient même peut-être qu’il n’avait plus toute sa tête. Ils allaient lui conseiller pour la cinquantième fois de la journée d’aller se reposer, de simplement fermer les yeux, de dormir. Qu’ils aillent se faire foutre, tous autant qu’ils étaient. Ils avaient foirés dès leur arrivée à Grayson et le cadet comptait bien le leur signaler.
Il n’y avait pas de manière douce qui tenait. Ils avaient essayés, échoués, mais Allie revenait tout de même avec ça et il était certain qu’Isaac la soutiendrait. Parce qu’elle le tenait en laisse, son brave Isaac.
Et Sam ? Il avait Charlie et il voulait se tirer, alors jamais il ne le soutiendrait de toute façon.
Quant à Aahron, maintenant que son ex, Miss Parfaite-sur-toute-la-ligne était là, il ne ferait pas de vague et s’écraserait docilement. Elle ne le laisserait jamais prendre le genre de décisions radicales dont ils avaient pourtant besoin pour parvenir à leurs fins. Pas alors que Petey était dans la pièce à côté…

Putain, ils sont entrés ICI ! Qu'est-ce qu'i vous faut d'plus !?

Ils sont entrés dans la baraque et ils ont foutu le bordel parce qu’on les a laissé faire ! S’ils avaient eu peur de nous, ça se serait jamais passé comme ça ! On n’aurait jamais dû jouer les gentils p’tits citadins venu se recueillir ! On aurait dû mettre les choses au clair tout de suite avec eux et leur faire comprendre EXACTEMENT pourquoi on était là ! Et personnellement, je ne suis pas là pour poser deux trois questions. Je suis là pour retrouver l’enfoiré de fils de pute qui a tué mes parents et l’éviscérer ! Je suis là pour leur faire mal, Allie, alors je vais certainement pas les ménager et agir en douceur

Tu crois qu’ils ont agit en douceur avec mes parents, hm ? Tu penses qu’ils sont morts sans souffrir, qu’ils n’ont rien vu venir et sont simplement partis, tué sur le coup et emporté dans une connerie de rivière ? Bah si c’est le cas tu t’trompes ! Vous vous gourez tous…

Ca me tuait de voir mon petit frère se déchirer comme ça. Il avait tellement de haine qu'il refoulait, encore et encore, pourquoi donc s'infligeait-il ça. Pourquoi nous l'infliger à nous. C'est comme s'il se sentait coupable de ce qui leur était arrivé, alors que ce n'était absolument pas sa faute. Il en voulait au monde entier, et il n'arrêterait pas même si on retrouvait qui avait fait ça. Trisha s'était tue, ne sachant quoi répondre alors que ce n'était visiblement plus de l'ordre de la stratégie mais bien une nouvelle querelle familiale. Elle nous observait les uns après les autres, mal à l'aise et préférant à cet instant être restée à Cleveland. Allie avait tenté de faire entendre raison à Aidan, mais c'était vain, il était plus remonté au fur et à mesure qu'on le laissait s'exprimer.
Quant à moi, ma tête me faisait mal. Quelque chose se cassait en moi alors qu'il allait toujours plus loin. Comment avions-nous pu laisser les choses aller si mal...On se doutait tous que c'était lui le plus fragile, qu'il allait avoir besoin de soutien plus que n'importe lequel d'entre nous, et pourtant ce devoir s'était perdu quelque part entre Cleveland et Grayson. Cette ville nous pourrissait tous, on allait finir cinglés comme eux si on n'en finissait pas au plus vite.
Mes yeux fixement plantés dans ceux d'Aidan, aucun son ne passa le barrage de mes lèvres scindées avant qu'il n'aborde nos parents et la manière dont ils sont morts. J'avais de plus en plus de mal à me contenir, surtout lorsqu'il prenait Allie pour cible afin de décharger tout ce qu'il avait sur le coeur.

« Ta gueule ! »

sommai-je en écrasant violemment mon poing sur la table et en faisant voler mon assiette qui se brisa contre un des comptoirs de la cuisine. Je me levai même de ma chaise, presque à bout de souffle, comme si jusque là j'avais retenu ma respiration.

« Parle encore une fois de papa et maman comme ça, et tu vas regretter d'être né. »

repris-je d'une voix froide.

Alors c'est à ça qu'il pensait quand il se rappelait d'eux, il les imaginait agonisant, à baigner dans leur sang, à s'étouffer avec, alors que l'un de ses tarés se tenait au dessus d'eux et riait comme si le diable l'habitait ? Mais il était encore plus barré qu'il le laissait penser !
Il puait la culpabilité à des kilomètres, c'est ça qui l'avait rongé petit à petit. Il s'en voulait de les avoir laisser partir. Mais c'est lui que ça allait finir par tuer s'il continuait comme ça. Non, on ne pouvait pas continuer à rester là les bras croisés, mais les cuisiner un par un dans une cave mal éclairée n'allait pas arranger les choses non plus. Même si on leur demandait, ils ne nous diraient pas la vérité. S'ils étaient tous aussi vicieux que Nathaniel au fond, chacun d'entre eux préférerait mourir plutôt que d'avouer. Alors on avait pas le choix que de creuser nous-mêmes. C'était comme ça ou rentrer. Encore que vu l'étendue des dégâts qu'avait généré ce voyage, peut-être qu'il valait mieux laisser tomber. Sauf qu'on était là, et que c'était trop tard pour faire marche arrière.
Je n'étais pas calmé loin de là. J'avais l'impression que mes rapports avec Aidan ne faisaient que s'envenimer, mais ce n'était pas qu'avec moi. A voir comment il s'adressait à Allie, il n'était plus à sauver.

« Tu veux qu'on se les fasse ? Tu veux qu'on leur vide les tripes tous un par un, jusqu'à ce qu'on le trouve ? Tu veux qu'on tente de jeter les gosses à l'eau aussi, pour voir s'ils flottent, tant qu'on y est ? C'est ça que tu veux ?! Oui ou non ?!! Tu crois qu'ils auraient été fiers d'entendre ça, tu crois qu'ils auraient été fiers de te voir agir comme ça ?! On est venus pour avoir des réponses, pas faire un génocide ! Tu te rends même pas compte de ce que t'es en train de dire Aidan. »

Je secouai la tête, posant enfin mes mains sur mes hanches alors qu'elles s'étaient violemment agitées tout le long de mon discours. Mon regard se baissa, pas pour fuir le sien, mais parce que c'était trop dur de continuer. Ce n'était pas mon frère. Ce n'était pas Aidan qui se tenait devant moi. Je ne le reconnaissais plus. Je n'avais plus la force de le faire revenir. Je me laissais retomber assis sur ma chaise, et cachai mon visage dans mes paumes quelques secondes. La tension était redescendue, même si mes mains tremblaient encore légèrement de la colère soudaine qui m'avait piquée. Je soupirai, et sans relever le menton repris :

« D'accord. On fera ce qu'il faut quand on l'aura trouver, mais d'ici là, promets moi de rester tranquille. »

Je relevai la tête, plantant mes prunelles dans celles de mon frère pour lui prouver que j'étais sincère.

« Si tu veux pas avoir quoique ce soit à voir là-dedans Trisha, on comprendra. »

sous-entendais-je en parlant de l'ultime illégalité de la chose.

Je n'osais même pas regarder Allie à cette seconde. Je n'en revenais pas moi-même de ce que je venais de dire. Les autres n'allaient sûrement pas approuver. Aahron n'était pas venu là pour ça...Enfin, je n'en savais trop rien en fait. Personne n'avait jamais soulevé la question de savoir ce qu'on ferait une fois qu'on aurait la vérité. Qu'est-ce qu'on allait devenir...

**Samuel D** Invité

« Ça va les mecs on se détend »

« On a tous envie de mettre la main sur… »

« Sur l’enfoiré de fils de pute qui a fait ça. »

« Et quand ce sera chose faîte, je serais le premier à lui rentrer dedans à cet enculé »

« Mais si on veut le retrouver et lui faire regretter cette intrusion et cette mise à sac, il faudrait, et je sais que ça sonne faux dans ma bouche, rester un minimum soudés et ne pas se rejeter la faute mutuellement quant à la méthode à adopter. Entre leur cirer les pompes et les massacrer tous, il doit bien y avoir un juste milieu »

« Vous êtes sacrément crétins si vous voulez tout savoir, vous êtes même des gros cons. »

« Sam peut-être un peu moins que les autres, car je pense aussi qu’il y a un juste milieu et on DOIT le trouver même si ça ruine vos plans de vengeance mafia-style. Je vous signale qu’on est au sein d’une communauté soudée et nous on a est 5 ! Enfin 6 avec Trisha. Si on fait un truc de travers, ils peuvent nous tomber tous dessus et on fera pas de vieux os, croyez-moi. »

« Aller fermez-la deux secondes et réfléchissez pour de bon. »

Les remarques de ses deux frères auraient nécessité quantité de réponses, allant de la réplique cinglante, aux plates excuses, en passant peut-être par un bon crochet du droit. Pourtant, Aidan demeura silencieux.
A quoi bon parler de toute manière, personne ne comprenait rien de ce qu’il disait. Ils interprétaient, imageaient ses remarques n’importe comment et pensaient tout savoir. Mieux que lui en tout cas. Quelque part entre Cleveland et Grayson, il avait dû oublier que son avis n’avait jamais compté, qu’il était encore considéré comme un gamin immature et irresponsable qui ne prenait que des décisions foireuses.
Il n’avait jamais parlé de torturer qui que ce soit, simplement de jouer franc jeu et d’enfoncer quelques portes. De montrer qu’ils étaient tout aussi capables que les villageois de s’énerver et de frapper du poing sur la table quand la situation l’exigeait.
Le jeune homme n’était pas contre un plan. Mais celui dont parlait Allie ne lui convenait pas. Ils l’avaient déjà testé de toute façon ! Rester gentil, calme et conciliant ne menait à rien. La preuve était encore sous leurs yeux, sommairement recouverte par une couche de peinture.
Qu’est-ce qu’il leur fallait de plus, bon dieu !?

De toute façon, après ce que venait de dire Isaac, Aidan n’avait plus envie de parler. Il n’avait même pas envie de rester assis à les écouter déblatérer pendant des heures. Le cadet n’aspirait plus qu’à s’enfuir, s’isoler pour pouvoir évacuer sa colère, sa frustration et tout le reste.
Il avait encore du mal à croire qu’Isaac avait osé évoquer ses parents de cette manière, osé lui dire que s’ils les voyaient, ils seraient probablement mortifiés par son comportement. C’était la pire chose qu’il pouvait lui dire.
Qu’est-ce qu’il cherchait au juste ? Il aurait pu utiliser d’autres mots pour le remettre à sa place, pourquoi avait-il fallut qu’il lui dise ça !?
Bon ok, il n’aurait peut-être pas dû s’en prendre de cette manière à Allie, mais au fond, ce n’était pas vraiment après elle qu’il en avait, Isaac devait bien le savoir, non ? Il était juste énervé et elle avait pris la parole, c’était tout. C’était injuste, mais il restait persuadé que la méthode de son frère avait été plus dure encore.

Aidan n’accorda pas vraiment son attention à Samuel lorsque celui-ci prit la parole, espérant détendre l’atmosphère. Samuel en redresseur de tort… Décidément, Grayson les déréglait tous !
Le jeune homme avait rattrapé sa fourchette et malmenait maintenant le contenu de son assiette sans vraiment y faire attention, plus pour occuper ses mains qu’autre chose. Une petite voix lui disait qu’avoir un outil pareil dans son état d’agacement était une mauvaise idée, mais il était trop concentré pour vraiment l’écouter elle aussi.
Le regard dans le vague, il repensa au cauchemar qu’il avait eu après la soirée du cinéma plein air. Pour la première fois depuis longtemps, il n’avait pas été un simple spectateur, il avait été lui-même. Il était toujours à Grayson, mais il était Aidan…

****

Assis sur un banc du parc, il observait la souche d’arbre près de laquelle Zooey et lui avaient discutés avant qu’elle ne disparaisse mystérieusement. Sob était à ses côtés, sagement couché, sa tête calée sur le bout de sa chaussure. Il lui tenait chaud, c’était agréable.
Deux mains c’était soudain posées sur ses épaules et ça lui avait paru la chose la plus naturelle du monde. Il n’avait pas sursauté à ce contact, n’avait pas eu la moindre réaction. Le petit blond était resté immobile un moment, avant d’ouvrir la bouche pour s’adresser à Margaret qui se tenait dans son dos sans qu’il ressente le besoin de se retourner pour la voir.

« Je crois que je deviens fou » lâcha-t-il simplement, sans pourtant ouvrir la bouche
« On le deviendrait pour moins que ça mon ange »
« J’ai crié sur Aahron et Isaac ce soir. J’ai failli faire du mal à Allie l’autre jour et Samuel… »

Il ne termina pas sa phrase et sa mère ne chercha pas à le relancer. Un silence nullement pesant s’étira et Sob en profita pour se lever et s’approcher de la souche d’arbre. Aidan le regarda renifler l’herbe humide avant d’attraper une photo entre ses mâchoires pour s’éloigner en trottinant et disparaitre derrière un arbre. Il reprit ensuite la parole sur un ton toujours aussi posé.

« J’ai plus l’impression d’être moi. J’ai pas l’impression que toi et papa me reconnaitriez si vous me voyiez comme ça »
« Tu sais bien que c’est impossible » répondit sa mère, un sourire dans la voix
« Je fais ça pour vous tu sais… La dernière chose que je veux, c’est vous décevoir »
« Bien sûr. Tu as toujours été un gentil garçon, nous le savons tous les deux »
« Oui mais j’en suis plus si sûr depuis qu’on est là… »
« J’ai confiance en toi. Une confiance aveugle, mon agneau » chuchota sa mère en resserrant sa prise sur ses épaules quelques secondes
« Tu es fière alors ? »
« Bien sûr, ton père et moi sommes très fiers de ce que tu es devenu »
« J’avais peur que…que c’que vous voyiez ne vous plaise pas »
« Ils ne te voient pas Aidan, tu sais bien »

L’intéressé se figea. Il entendait encore la voix de sa mère, sauf qu’il savait maintenant que c’n’était pas elle qui se tenait derrière lui, que ce n’était pas réellement sa voix qu’il entendait depuis tout à l’heure. Elle n’avait jamais été là. Et elle ne le voyait pas.

« Tu m’as pourtant vu faire, p’tit merdeux. Tu m’as bien vu leur manger les yeux… Je me suis assuré que tu le vois et je sais que tu n'en as pas manqué une miette ! »

****

La voix d’Allie arracha péniblement Aidan à ses souvenirs. Il releva ses yeux clairs vers elle et l’écouta s’emporter. Ça n’arrivait jamais souvent et lorsque c’était le cas, ça ne durait jamais très longtemps, tout le monde le savait. N’empêche que ça activait toujours une sonnette d’alarme dans son cerveau embrumé. Le signal qu’on avait été trop loin, qu’on avait été trop stupide.
Lorsque le silence fut retombé, Aidan se décida à reprendre la parole, déglutissant péniblement, la tête encore emplie d’images sanglantes.

J’veux…j’veux qu’on aille sur le pont. Là où ils disent qu’ils ont eu l’accident

Depuis cinq minutes déjà, Aahron observait les membres de sa famille se déchirer sans réagir de quelque façon que ce soit. Cinq minutes qui lui avaient parues affreusement longues et qui pourtant, lui avaient échappés à une vitesse et avec une simplicité franchement déconcertante.
Il n’arrivait pas à décider si son flegme était dû à un quelconque choc ou à la simple présence de son ex-femme dans la pièce et celle de son fils qui, il en était certain, ne perdait pas une seule miette de leur conversation.
Lorsqu’il avait aperçu son fils dans l’enceinte de la maison quelques heures plus tôt, la surprise l’avait d’abord envahi, rapidement remplacée par l’appréhension et un soupçon de colère. Une foule de questions s’étaient amassées dans son esprit l’espace de quelques secondes, jusqu’au moment où il avait aperçu Trisha dans l’entrée. Une vague de soulagement s’était abattue sur lui… comme au bon vieux temps. Sa bouée de sauvetage venait de lui être lancée, alors qu’il était prêt à couler.
Il avait bien essayé de chasser cette idée durant le restant de la journée mais s’en était trouvé incapable. Elle lui avait manqué à un point qu’il n’aurait pas soupçonné possible et il le réalisait seulement maintenant qu’elle était là.

Aahron tourna ses yeux clairs et brillants en direction d’Aidan qui venait de prendre la parole après un moment de silence qui avait permis à Samuel de détendre un peu l’atmosphère tendu de la pièce. L’ainé aurait voulu pouvoir trouver le temps de le remercier pour son intervention, mais les secondes s’écoulaient trop rapidement pour lui et il ne parvenait pas à suivre leur course. Il était largué. Complètement dépassé par cette situation qu’il voyait échapper à son contrôle sans qu’il ne puisse rien y faire.
Isaac en avait profité pour prendre sa casquette de meneur de troupe et lancer un débat qu’il n’avait malheureusement pas su gérer. Il ne s’était certainement pas imaginé que ses remarques feraient l’effet d’une bombe, qui aurait pu prévoir qu’Aidan réagirait de cette manière ? Lui ne l’avait pas imaginé en tous les cas. Oh bien sûr, il ne pouvait pas blâmer Isaac, il avait tenté d’agir lui au moins, de prendre le contrôle de la situation. C’était ce dont ils avaient tous besoin en ce moment : quelque chose à faire, un plan d’action pour occuper leurs esprits échauffés.
Malheureusement, dans cette famille, utiliser sa tête avant d’ouvrir la bouche était rare, même pour son médecin de frère qui se gaussait d’être l’expert de la famille dans le domaine du relationnel.

Poussant un soupir las assez bruyant pour s’attirer l’attention de ses frères, Aahron essuya lentement sa bouche avant de prendre la parole, les fixant chacun tour à tour. Seul Aidan garda la tête basse et se refusa à poser son regard sur lui.

« Je pense que c’est une bonne idée. Je pense même qu’on aurait dû commencer par là » lâcha l’ainé d’un ton calme qui l’étonnait lui-même mais ne sonnait curieusement pas faux « Je doute qu’il reste quoi que ce soit mais ce serait un bon début, une piste à explorer. Après tout, nous sommes venus obtenir des réponses, pas vrai ? Alors agissons comme des enquêteurs et commençons par visiter la scène du crime »

L’homme leva ensuite ses yeux clairs et perçants en direction de son ex-femme. Il détestait la savoir mêlée à tout ça mais ne pouvait maintenant plus faire marche arrière…

« Peut-être qu’après ça, on pourrait contacter les autorités compétentes pour obtenir le dossier de l’affaire. Tu pourrais nous aider avec ça, non ? Je ne sais pas si le shérif s’est chargé de ça ou s’il a refilé l’affaire à la ville d’à-côté, il faudrait se renseigner » ajouta-t-il avant de tourner la tête vers Aidan à nouveau, sans réussir à croiser son regard « Aidan a raison sur un point : ils savent tous très exactement pourquoi on est ici. Alors jouons cartes sur table et demandons-leur ce qu’on veut savoir. Et ce qu’on veut connaitre, c’est l’emploi du temps de nos parents, pas vrai ? Qu’est-ce qu’on sait déjà ? Qu’ils ont passé un moment au garage, qu’ils ont dîné chez les Redd, sont repartis à l’aube. On sait que la voiture était dans un sale état malgré les réparations que Nathaniel dit avoir faites. Je veux savoir à quel point. Je veux savoir si on peut retourner le voir en lui prouvant qu’il a été négligeant et le faire parler » poursuivit Aahron, ses mains croisées sur la table devant lui, son regard passant de l’un à l’autre de ses frères « On ne peut pas déléguer notre boulot à qui que ce soit. C’est à nous et à nous seul de poser les questions et aucun de nous n’a été formé pour ça, alors il va falloir être prudent et se maitriser. Je ne veux pas mêler le shérif à tout ça et lui demander son aide. Nous n’devons dépendre de personne. Moi non plus je ne leur fait pas confiance... »

Aidan leva enfin son visage fin et pâle vers lui, et leurs yeux se croisèrent enfin. Comme souvent ces temps-ci, la vue de ses traits tirés par le sommeil et de son regard perdu et coléreux le désarmèrent. Il avait l’impression que le plus jeune de ses frères rapetissait toujours plus, qu’il s’effaçait peu à peu sans qu’il ne puisse rien y faire. Et son « pétage de plomb » n’était pas pour le rassurer, au contraire, il venait confirmer sa théorie selon laquelle ils étaient en train de le perdre, dans tous les sens du terme.

« Qu’est-ce que vous en dîtes ?» finit-il par demander, cherchant surtout l’approbation d’Isaac « Tu pourrais nous aider Trish ? »

Elle avait eu des frissons dans le dos. Lorsque les Donnelly s'énervaient, ce n'était pas beau à voir. Elle avait connu quelques engueulades avec Aahron du temps où ils étaient encore mariés, mais ça n'était jamais allé très loin. Ses yeux bifurquèrent d'ailleurs vers celui-ci, pour tenter de trouver un peu de réconfort. Mais l'homme s'était enfermé dans un mutisme qu'elle lui connaissait bien, le regard fixe sur ses frères. Isaac s'était rassis, calmé, il avait même donné à moitié raison à Aidan. Peut-être parce qu'il en avait marre d'essayer de lui faire entendre raison, alors il avait cédé. Mais ce n'était pas la solution. Aidan était très en colère, et si on le laissait faire ça ne donnerait rien de bon. La haine qui le consumait le ferait faire des erreurs, et ils ne pouvaient pas se permettre ce genre de dérapages. Il fallait être méthodique, autant que ceux qui ont orchestré toute cette mascarade.

Si elle pensait que c'était un accident ? Trisha ne savait pas trop où se positionner par rapport à cette histoire, mais elle voulait aider à trouver la vérité. Elle avait une confiance aveugle en son ex-mari, et si son instinct lui disait que quelque chose clochait dans cet accident, alors il y avait quelque chose là derrière. Dans cette famille, ils avaient toujours eu une sorte de sixième sens, même Petey parfois la surprenait.

Aidan se ressaisit lui aussi, et proposa d'aller sur les lieux du "crime". Ne l'avaient-ils pas encore fait ? C'est exactement une des premières choses qu'elle aurait faite, elle. Il fallait se faire une idée du terrain, de l'environnement, des éléments extérieurs qui auraient pu intervenir dans l'accident, et plus précisément des circonstances. Peut-être qu'ils iraient là bas, et qu'ils se rendraient compte que tout ce qu'ils avaient pu rassembler jusqu'ici ne collait pas. Alors...Il serait temps de faire du rentre dedans, mais pas forcément de manière physique.

« Je suis d'accord moi aussi. J'ai souvent vu des enquêtes, et si vous voulez trouver quelque chose de tangible, le lieu de l'accident est le meilleur endroit pour ça. Laissez-moi passer au bureau du shérif pour tenter de lui soutirer le dossier, et je glisserai quelques questions sur le programme de vos parents lorsqu'ils étaient ici. S'il y a bien un homme qui devrait être au courant de tout ce qui se passe dans sa ville, c'est bien lui. J'ai cru comprendre que son adjoint était quelqu'un de plutôt honnête au cas où... Je ferais jouer mes charmes féminins, il faut bien qu'ils servent à quelque chose. » termina-t-elle avec un sourire suggestif.

Elle posa ensuite les coudes sur la table et se redressa sur sa chaise. L'atmosphère était quelque peu plus détendue qu'il y a quelques minutes. Ils pensaient, pour une fois, mettaient les choses à plat. Ils n'iraient pas loin en élevant la voix, et surtout les murs ne paraissaient pas très épais ici, elle ne voulait pas que Petey soit mêlé de trop près à cette histoire. L'emmener avec elle à Grayson était déjà risqué.

« Merci Trisha. »

« C’est vrai qu’on y est pas encore allé, on aurait dû faire ça en tout premier. »

« On y va quand tu veux Aidan. »

« On irai quand … sur le lieu de l’accident ? »

Aahron avait enfin exposé sa façon de voir les choses avec un calme déconcertant vu la situation. C'est peut-être bien là qu'on voyait que finalement, le rôle du sage lui revenait. Je n'avais pas su rester de marbre face à l'emportement d'Aidan et avais même fini par casser une assiette. Quel bon exemple j'allais faire pour notre enfant...J'avais encore un peu de temps pour apprendre à me contrôler heureusement, mais d'ici là il allait falloir bien se conduire pour espérer que la mère de l'enfant veuille encore de moi. Je n'étais pas au bout de mes peines.

La discussion tourna sur la question du lieu de l'accident. C'était la première chose que nous aurions dû faire en venant ici. Le garage avait été une mauvaise idée, et on s'en était tous rendu compte en rencontrant Nathaniel. Mais au moins on était fixé sur la santé mentale de ce type, ce qui n'était pas si mal que ça. Étrangement, la perspective de nous rendre sur la scène du crime comme le disait si bien mon frère aîné m'avait littéralement fait l'effet d'une douche froide. J'appréhendais atrocement de retrouver des traces du sinistre et pourtant cela nous aiderait bien pour comprendre ce qui s'était passé. Être sur les lieux et imaginer la voiture de mes parents finir dans l'eau n'était pas très plaisant comme vision. Pourtant c'était une étape obligatoire que nous avions choisi d'affronter en décidant de venir ici. Alors les choses sérieuses allaient commencer...

Trisha nous proposait son aide avec la meilleure des bonnes volontés. C'était dommage qu'elle ne fasse plus vraiment partie de la famille, même si pour moi, étant la mère de Petey, elle sera toujours liée d'une quelconque manière à Aahron. Je ne la voyais que très rarement puisque les seules fois où ces deux-là se voyaient en personne, c'était quand elle ramenait Petey chez son père. On s'était croisés quelques fois, mais ce n'était pas comme avant. Ils avaient de sérieux problèmes à régler, et aucun des deux ne faisaient le premier pas pour en parler. J'étais certain qu'Aahron ignorait encore complètement la raison pour laquelle elle l'avait largué, et pourtant il ne parlait pas de cela avec nous. On avait toujours observé de loin, mais on était pas cons. Surtout maintenant que je suivais ses traces, je comprenais bien mieux ce qui avait pu se passer entre eux. J'espérais juste que mon histoire n'aura pas la même fin que la leur, même si elle aurait pu être bien pire. Parfois, j'ai envie de les enfermer dans la même pièce jusqu'à ce qu'ils se parlent franchement, parce que quand on les voit ensemble, l'atmosphère des secrets sur un soupçon de complicité n'était pas vraiment très agréable pour un tiers, et même pas pour eux sûrement.

Je relâchai un soupir et glissai ma main sous la table pour tenter d'attraper celle d'Allie, mais elle la retira aussi sec en se cognant le revers. Je fis une faible grimace en surprenant le son sourd que le choc causa, ayant visiblement mal pour elle mais sans retenter l'expérience d'être repoussé. Elle était visiblement en colère contre moi, même si elle jouait très bien le jeu face aux autres.
Son regard posé sur Aidan ne me trompait pas pourtant, elle ne savait plus comment s'y prendre avec lui. Et en plus de cela, elle avait probablement pris la mouche pour mes paroles précédentes et mon comportement qui n'avait rien d'un futur père et d'un bon mari. Je ne m'en voulais qu'à moitié pourtant, parce qu'à la minute même où les mots étaient sortis de ma bouche, je les pensais avec autant de ferveur qu'on puisse avoir. Et pourtant, c'est vrai, ce n'était pas un comportement digne de ma situation. J'espérais pouvoir la calmer plus tard, lorsque nous serions seuls. D'ici là, je préférais agir comme si rien ne se passait. Après tout, il fallait se concentrer sur cette discussion, dont l'importance n'était plus à soulever.

« Demain, en fin de matinée. Autant régler ça tout de suite, on aura l'après-midi pour se demander quoi faire après. »

dis-je pour répondre à la question du quand.

Et c'était aussi pour ne pas avoir plus de doutes et de craintes. Sauter les pieds dans le plat ne faisait pas de mal parfois, ça empêchait trop de pensées parasites. Je ne voulais pas me défiler, alors plus tôt nous y serions, moins j'aurais à me soucier des idées de fuite qui pourraient traverser ma tête. C'était pour cela qu'on était à Grayson, affronter la vérité, il était temps de faire ce pour quoi nous étions venus.

Ok pour moi

Bien

Tout le monde sembla enfin se détendre dans la salle à manger et Samuel et Isaac se tassèrent sur leur siège quasiment en même temps. Allie, pour sa part, se leva et commença à rassembler les plats avec l’aide d’Aidan. Trisha et lui échangèrent un regard entendu et son ex-femme s’éloigna de la table pour rejoindre l’étage où Petey avait disparu quelques temps plus tôt.
Le trentenaire savait pertinemment que son fils n’avait rien manqué de leur conversation. Il était aussi curieux et entêté que pouvait l’être ses deux parents et les propos extrémistes de son plus jeune oncle ne lui avait certainement pas échappés. Aahron ne pu empêcher son regard coléreux et accusateur de se tourner vers Aidan qui disparaissait dans la cuisine, une pile d’assiettes entre les mains.
Il allait falloir qu’ils aient une sérieuse conversation tous les deux et ce, dans les plus brefs délais. Il était grand temps que quelqu’un lui remette la tête sur les épaules et ait une petite discussion entre quatre yeux avec cette tête brûlée. Depuis leur arrivée à Grayson, ils avaient laissés passer beaucoup de choses pour diverses raisons, mais il fallait qu’ils lui posent quelques limites avant que les choses ne dégénèrent vraiment.
Isaac avait ses propres problèmes à régler avec sa fiancée, tout le monde en était conscient ici et Aahron ne voulait pas lui donner cette responsabilité en plus. Quant à Samuel, même s’il fallait reconnaitre qu’il s’assagissait ces derniers temps et semblait avoir muri d’un coup, il restait d’une maladresse incroyable.
La tâche lui revenait donc de droit. Il était l’ainé après tout…

Une fois la table débarrassée, leur petit groupe se dissipa rapidement. Allie s’éclipsa à l’étage, Isaac sur les talons. Aidan étant sorti faire un tour dehors, il ne resta bientôt que plus que Samuel qui finit par saluer Trisha et Petey avant de grimper à l’étage, les laissant seuls tous les trois dans le salon.
Comme il s’y était attendu, son petit garçon n’avait pas l’air très bien. Il était pâlot et avait l’air épuisé. Il aurait pu s’agir d’une fatigue normale due au trajet qu’il avait effectué dans la journée, mais Aahron savait qu’il y avait autre chose. Pete était affecté par les récents évènements et par ce qu’il avait pu capter de leur conversation. Au moment de lui dire au revoir, sa mère s’éloigna de quelques pas pour leur laisser un peu d’intimité, et le trentenaire s’agenouilla devant son garçon en réajustant le col de son blouson d’été.

Hey, ça va aller bonhomme

J’aime pas quand vous vous disputez

On ne se disputait pas vraiment tu sais. On a élevé la voix mais ça ne veut pas dire qu’on est fâché les uns sur les autres… Je te l’ai déjà expliqué non ? Parfois, on te crie dessus parce qu’on est inquiet pour toi, pas parce qu’on est vraiment énervé, tu t’en souviens ?

Oui… Mais tu es quand même fâché sur Aidan

Aahron fut pris au dépourvu par la remarque de son fils et son air assuré. Il n’attendait aucune réponse, c’était comme s’il savait déjà.

C’est compliqué

Je sais. Maman m’a expliqué qu’il était triste à cause de papi et mamie qui sont morts et tout ça. Elle a dit qu’il voulait pas vraiment dire ça. Mais moi j’crois qu’il voulait l’dire…

Je le crois aussi…

Sois pas trop fâché sur lui

On se voit demain hein ? Avant que vous allez sur le pont ?

Oui, on se voit demain, chef

Ils se séparèrent ensuite et Aahron et Petey rejoignirent Trisha qui les attendait dans l’entrée et fit apparaitre un sourire sur ses lèvres. Son ex-mari n’était pas dupe et savait bien qu’elle tentait juste de donner le change devant leur garçon.
Il les raccompagna jusqu’à leur voiture et adressa de grands signes de la main à Petey en les regardant s’éloigner puis disparaitre sur la 169. Il avait fait promettre à Trish de lui passer un coup de fil dès qu’ils seraient arrivés à l’hôtel et l’ainé des Donnelly savait déjà qu’il allait passer la prochaine heure, les yeux rivés sur son cellulaire…
Mais avant, il avait quelque chose à faire.

Les mains enfoncées dans les poches de son jean, il fit le tour de la maison d’un pas décidé et se dirigea vers le fond du jardin de la propriété qu’ils louaient. Aidé par la lumière blafarde de la lune et les lumières intérieurs qui lui prodiguait une source supplémentaire de lumière, il aperçut rapidement la silhouette familière d’Aidan, assis sur le banc près des bois. Il s’en approcha, essayant de ne pas réfléchir à une phrase d’amorce pour rester le plus naturel possible et ne pas avoir l’air d’avoir répété son texte.
Une fois à sa hauteur, il s’installa sur le banc aux côtés de son frère qui tourna son visage pâle dans sa direction un instant avant de recommencer à fixer le vide. Aahron laissa le silence les envelopper une bonne minute avant de se lancer d’un ton aussi posé que précédemment, même si sa colère était maintenant perceptible.

La prochaine fois que tu parles de cette manière là alors que mon fils est dans les parages, Aidan… frère ou pas, je te casse la mâchoire

Une vague de malaise émana de son cadet qui fit mine de se lever. Mais Aahron réagit plus rapidement et appuya sur son épaule pour l’obliger à rester.

J’en ai pas encore terminé avec toi

Je vais te poser une question très simple et tu vas y répondre le plus honnêtement possible… Pourquoi t'es venu ici ?

Aidan ne prononça pas une parole, mais sa respiration s’accéléra et devint plus saccadée. Aahron le sentait trembler sous sa main mais n’était pas capable de savoir si c’était parce qu’il avait froid, était effrayé d’une quelconque manière ou était fou de rage et se contrôlait avec peine…

Est-ce qu’il t’arrive de voir plus loin que le bout de ton nez de temps en temps ? Hm ? J’te parle !

Ou…

Non

Tu ne penses qu’à toi depuis le départ et tu l’as brillamment prouvé ce soir ! Tu veux voir couler du sang, étripé celui qui a fait ça et alors quoi ? Tu as pensé aux conséquences ? A ce qui t’arriveras ensuite ?

J’ai…

Tu crois pas qu’on a envie de le voir payer nous aussi ? Tu penses que vouloir poursuivre ce type et le tuer fait de toi un meilleur fils ? Tu penses que c’est de cette manière qu’ils veulent être vengés ? Si c’est ça, alors c’est toi qui te goures complètement, Aidan ! On veut tous autant que toi que l’enfoiré qui a fait ça paye ! Seulement j’ai une famille, Aidan ! Un fils qui compte sur moi et de qui je sui le modèle ! Quel genre d’exemple je serai si je me mettais à frapper sur tout le monde, à tuer des types parce que j’suis en colère ? Isaac et Allie vont avoir un enfant aussi, tu crois qu’Isaac va mettre tout ça en péril ? Tu penses que tuer ce type et le torturer ramènera papa et maman ? Tu penses que ça va remplir le vide qui est apparu ? C’est c’que tu penses ?

Aidan resta désespérément silencieux, refusant toujours de regarder dans sa direction. Les secondes s’écoulèrent avec lenteur jusqu’à ce que soudain, il réagisse. Il se redressa d’un bond, échappant à son emprise et tenta de s’éloigner. Mais cette fois encore, Aahron réagit au quart de tour et il rattrapa son bras pour l’obliger à se retourner et lui faire face.
Il regretta son geste presque aussitôt mais il était trop tard et il ne pouvait plus faire marche arrière.

LÂCHE-MOI !! LÂCHE-MOI !!!

Tenant toujours le poignet de son frère entre ses doigts avec force, Aahron observa Aidan se débattre comme un forcené en hurlant hystériquement, comme s’il avait été en train de lui arracher le bras. L’ainé le regarda faire, stupéfié, et il fallut que son frère commence à le frapper de son bras plâtré pour qu’il bouge enfin. Encore sous le choc, il para un nouveau coup qu’il avait manqué de l’atteindre au visage et au prix de quelques efforts, il parvint à immobiliser Aidan en lui faisant une clé de bras. Ses crie de rage devinrent bientôt des couinements de douleur. Mais malgré ça, il continua d’essayer de lui échapper, lui répétant inlassablement de le lâcher.
Les yeux écarquillés par l’incompréhension, Aahron reprit difficilement son souffle, son autre bras entourant maintenant la poitrine de son frère pour tenter de le maîtriser.

Aidan ! Tu t'calmes ! Arrête ça, t’entends !? Arrête !!

Mais son frère continua de s’agiter et de crier un moment encore, avant de finalement éclater en sanglots. Il arrêta soudain de se débattre et se laissa aller contre lui, épuisé par leur affrontement qui n’en avait jamais vraiment été là. Peu à peu, Aahron relâcha la pression sur son bras valide qu’il maintenait jusque là derrière son dos, le tenant toujours contre lui.

Bon dieu, Aidan, qu'est-ce qui va pas chez toi…

Son frère continua de pleurer dans ses bras pendant un moment encore, reniflant bruyamment, les épaules secouées par ses sanglots. L’ainé n’osait pas le relâcher et pourtant, ce n’était pas l’envie qui lui manquait de fuir… Il n’arrivait toujours pas à réaliser ce qui venait de se passer. Comment les choses avaient-elles pu dégénérer à ce point ? Comment avaient-ils pu laisser les choses aller aussi loin tous autant qu’ils étaient !? C’était complètement surréaliste… Aidan avait toujours été un comédien et il aimait attirer l’attention des autres, mais là, c’était tout autre chose. Il était réellement en train de perdre pied. Il était en train de leur filer entre les doigts et la seule chose à laquelle il pensait, c’était comment il allait pouvoir le fuir.
Lui qui était venu le sermonner et de tenter de lui faire réaliser qu’il était un bon père et ne prendrait aucun risque, il envisageait d’abandonner son propre frère à son sort parce que tout ça lui paraissait insurmontable, trop dur à gérer.

Ça…ça va aller

On va rentrer, ok ?

Aidan ne répondit évidemment pas mais Aahron n’attendait aucune réponse de toute manière. Il le libéra lentement de son emprise et passa son bras autour des épaules de son cadet qui se laissa faire, poussant des sortes de petits gémissements de temps à autre. Il avait maintenant l’air plus endormi que réveiller et Aahron se demanda s’il ne s’était pas réellement endormi à un moment donné et s’il n’était pas en train de guider un somnambule…
Après quelques minutes de marches qui lui parurent une éternité, ils furent enfin à l’intérieur. Le trentenaire ne se risqua pas à grimper les escaliers et se contenta d’aider Aidan à s’allonger dans le sofa qu’il occupait lui-même habituellement. Il attrapa la couverture qui était rangée dans le buffet non loin et l’en couvrit. Son jeune frère se retourna pour lui présenter son dos et s’endormit immédiatement.
Poussant un soupir las, Aahron passa ses deux mains sur son visage, encore sous le choc. Il resta assis sur la table basse devant le canapé un moment, les yeux grands ouverts, la tête complètement vide.

C’est du délire

Le son de sa propre voix le tira de sa torpeur et après avoir jeté un dernier coup d’œil à la silhouette endormie d’Aidan, il se redressa en lui tapotant l’épaule. Lassé, il grimpa les escaliers avec lenteur et pénétra dans la chambre de Samuel après avoir frappé quelques coups à la porte.
Son cadet l’observa un moment, les sourcils froncés dans une expression interrogatrice. Aahron ignorait ce que les autres avaient entendu de leur échange mais une chose était certaine : il ne voulait pas en parler. Il ce soir, ni jamais. Ça avait été trop…délirant.

J’vais dormir ici cette nuit si ça t’fait rien. Ça a été une longue journée et j’ai l’impression qu’on remet ça demain… Tâche de ne pas ronfler, j’ai besoin d’sommeil

J’attends un coup de téléphone de Trisha mais j’sais que t’as l’sommeil lourd si j’me souviens bien…

Les bras croisés dans sa nuque, il contempla le plafond un moment. La journée risquait effectivement d’être très longue et malgré la fatigue, Aahron se demanda s’il ne ferait pas mieux d’éviter de s’endormir pour qu’elle n’arrive jamais…

to be continued (Isaac & Allie) / to be continued (Allie, Donnellys & Trisha)

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