02. Every step I take leads to one mistake [Allie & Isaac]

Le dîner était terminé et tout le monde était plus ou moins satisfait de la tournure qu'avait prise la conversation. Nous étions tous d'accord sur la prochaine étape : le lieu de l'accident. J'appréhendais de me retrouver sur la scène tragique où mes parents avaient disparu, où leur voiture avait été repêchée vide. Allie s'était éclipsée directement après le point final donné par l'un de mes frères. J'avais tenté de trouver un peu de soutien, ou de lui apporter le mien face à l'attitude d'Aidan qui semblait être pire au fur et à mesure que le temps passait - ne pas dormir n'allait pas le radoucir, c'était certain - mais elle avait décliné violemment mon offre. Je lui ai laissé un peu de temps avant de monter dans la chambre à mon tour, si tant est que c'était encore la mienne aussi. Elle était bien capable de me faire dormir dehors si la tornade n'était pas passée. Je me doutais de la raison pour laquelle elle était en colère, mais elle devait comprendre... Tout cela avait tendance à ronger mes nerfs à moi aussi, et peut-être m'étais-je laissé un peu emporter par les idées d'Aidan. Je voulais contenter tout le monde, autant mon esprit pacifiste dans la plupart des cas que les désirs de vengeance. Je n'allais pas lui mentir et lui promettre de traiter avec courtoisie le responsable de cet "accident", de le livrer sans conditions à la police et de tourner le dos pour rentrer à Cleveland. Je voulais aussi ma part de ce salaud.

J'entrouvris doucement la porte pour repérer la silhouette féminine de ma fiancée dans la pièce, puis entrai avec toujours autant de précaution. Je n'étais pas à l'abri de me prendre un coup sur la tête, ou tout objet non identifié pour qui elle aurait décidé son baptême de l'air.

« Bébé... Ça va ta main ? »

demandai-je en faisant référence au moment où elle s'était cogné en voulant tenter de m'échapper.

Je m'approchais avec prudence, m'asseyant sur le coin du lit, ni trop près, ni trop loin. Seule ma main chercha à créer un nouveau contact, venant lisser la surface de la couette pour en retirer les plis. J'en avais strictement rien à carrer des plis, c'était une technique d'approche en douceur pour ne pas l'énerver davantage. Je relevais les yeux sur elle et attendis qu'elle me dise ce qui n'allait pas.

« Désolé si j'ai dis quelque chose qui fallait pas...J'essaye juste de faire avec tout le monde, t'sais que c'est pas facile. »

anticipai-je.

Je sentais la claque à trois kilomètres et crispai légèrement ma mâchoire par anticipation, elle pouvait devenir violente parfois, mieux vaut s'attendre à tout. Ou peut-être qu'elle n'était plus en colère, et qu'elle en avait juste assez de moi alors elle ferait comme si rien ne s'était passé et ne me parlerait que le strict minimum pendant un moment. Sam' avait sûrement raison, je ne la méritais pas le moins du monde. Pourtant tout allait mieux à Cleveland, on se prenait la tête mais beaucoup moins souvent que depuis qu'on est arrivé ici. C'était si néfaste sur notre couple que c'était une raison de plus pour rentrer rapidement. Je ne voulais pas la décevoir et pourtant c'est ce que je faisais sans m'en rendre compte à peu près tous les jours. Je remerciais le ciel qu'elle n'en ait pas encore assez pour me quitter...

« Non ma main ne va pas du tout, ça enfle, j’ai mal et je suis énervée ! Tu m’énerves Donnelly, tu ne sors que des conneries ! »

« Tu me mets hors de moi Isaac ! Je t’aime, je suis vraiment folle amoureuse de toi et tu le sais mais qu’est-ce que tu es con ! »

« Je sais que rien n’est facile mais tu es un adulte ! Tu avais vraiment besoin de faire le caïd en disant que tu allais t’occuper du mec qui avait fait ça ? Le pire c’est que tu mens parce que tu ne le feras pas, tu veux juste faire plaisir à tout le monde en faisant la forte tête, le défenseur de la famille. Tu parles ! »

« Si quelque chose se passe, tu ne feras rien tu m’entends ? Tu veux savoir pourquoi ? Je vais t’expliquer Isaac… tu n’es pas tout seul, tu m’as moi, tu as un bébé en route et on a Aidan ! On est responsable de Aidan ! C’est chez nous qu’il vit, c’est nos noms sur les papiers le concernant depuis que vos parents sont morts ! Tu peux pas jouer avec la loi ou avec la vie des gens ! Ca marche pas ça. Putain mais t’es pas tout seul Donnelly, tu peux pas te mettre dans la merde ! »

Et c'était reparti. A croire que depuis qu'on était ici, chacune de mes paroles ou de mes gestes étaient répréhensibles. J'en avais marre de me faire gueuler dessus pour chaque bêtise. Que je pense ce que j'ai dit ou non, elle n'avait pas à sortir de ses gonds. C'était ma bouche, mes propos, elle était peut-être ma fiancée, la femme de ma vie, mais elle n'avait pas à m'imposer la censure. Je n'étais pas con, le bébé, le mariage, notre vie, oui tout ça c'était prévu. Et il n'y avait pas de raison que cela change. Mais j'avais aussi d'autres choses à régler, des affaires personnelles, et ce qu'elle pointait du doigt en était une. Qui avait dit que même si on se donnait tout entier à une personne, une partie de vous restera toujours bien à vous ? On était pas obligés de tout partager, et elle n'avait pas à porter ce fardeau. C'était le mien, et jamais je ne lui demanderai quoique ce soit de plus que ce qu'elle faisait depuis des semaines.

Je me relevai, passablement irrité à mon tour mais je choisis de rester calme afin de ne pas réveiller toute la maison. Ils en avaient eux aussi probablement assez de nous entendre nous engueuler à longueur de temps. Et demain était une grosse journée, tout le monde avait besoin de sommeil. Je baissai donc le ton, mais ne prévoyais pas pour autant de mâcher mes mots.

« T'as raison, Allie. Je suis un adulte. Alors occupe toi de tes affaires. Ça ce sont les miennes. Tu sais que je t'aime, je veux faire ma vie avec toi, et on partagera toutes sortes de choses mais ça...Ça c'est à moi de le régler, ça m'appartient. T'as donc rien à dire. »

Je marquai une pause pour la laisser encaisser, ce n'était certainement pas ce à quoi elle s'attendait. Mon ton avait été quelque peu cassant, mais il faillait qu'elle comprenne. Ce n'était pas comme me faire virer de l'hôpital, perdre son job c'était dur, mais c'était un domaine où nous pouvions envisager les choses tous les deux. L'accident, le deuil, la vengeance, c'était personnel.

« Je ne mens pas. J'ai pensé chaque chose de ce que j'ai dis toute à l'heure. J'en suis pas fier, et peut-être qu'il y a une semaine, même encore il y a deux jours, j'aurais jamais dit ça. J'en suis le premier surpris, et ouais peut-être qu'à force de m'inquiéter pour Aidan, il a fini par me griller le cerveau, peut-être qu'il est contagieux. Ce qui est sûr c'est qu'il est en colère, et je me dis que là c'est même plus que ça, et il doit bien y avoir une raison. Je ferais jamais qui ruine notre avenir à tous les trois, tu comprends ? Mais ne t'attend pas à ce que je ne fasse rien. Je peux pas, j'peux pas, ok ? Parce qu'au final, ça a fait beaucoup plus de mal que mes parents, et si on fait rien, ça sera de pire en pire. »

J'avais commencé à faire balancer mon poids d'un pied sur l'autre, la nervosité me gagnait petit à petit. Je perdais si souvent les pédales en ce moment, c'était comme boire dix cafés par jour, je tiquai à la moindre petite chose. J'étais persuadé que la nuit allait être très longue. Je ne dormirai probablement pas ou très peu. J'avais de plus en plus de mal à me calmer. Ça me faisait peur, j'avais peur de devenir quelque chose que je ne voulais pas devenir, et pourtant c'était en train d'arriver. Toutes ses rancœurs que j'avais mises de côté pour être un modèle pour mes frères, tout ça était en train de remonter à la surface. Peut-être que Grayson rendait les gens mauvais.

Je lui expliquais, mais avais très peu d'espoir qu'elle me comprenne et qu'elle accepte. C'était d'ailleurs pratiquement impossible. Quand vous dîtes à votre femme de se mêler de ses propres affaires, ça ne se terminait jamais bien. Elle allait tellement m'en vouloir...Pourtant, je ne pouvais pas continuer à me faire tout petit et à exaucer chacun de ses souhaits. J'avais eu mes torts, et les avais reconnu, mais cette fois-ci elle ne gagnerait pas. C'était pour moi. Et si elle ne pouvait reconnaître ça, alors peut-être qu'il valait mieux qu'on en reste là pour un moment.

"Tu m'as dit de venir ! TOI ! Tu m'as demandé de l'aide ! Je ne t'ai rien fait ! Je t'ai suivi docilement en fermant ma gueule ! Mais tu te prends pour qui avec tes tirades hein ?"

"Tu veux que je me mêle de mes affaires ? Mais comment tu oses me demander ça ? Je rêve ! Mais je rêve."

"Ca t'appartient cette histoire hein !? J'ai rien à dire ?! C'est du grand délire, t'es complètement malade mon pauvre ! A partir du moment où tu m'as supplié de venir et que j'ai mis les pieds dans cette maison j'ai des choses à dire, j'ai tout à dire si je veux c'est clair ?"

"Au fait, quand tu me dis que tu feras rien qui puisse nous nuire... je te signale que t'es en train, t'es en plein dedans, Donnelly."

Je l'avais senti monter en pression au fur et à mesure de mon discours, mais ces mots que j'avais dit, il fallait que ça sorte. J'en avais marre de devoir fermer ma gueule moi aussi, histoire de ne blesser personne. Elle n'était pas la cible de mes ennuis évidemment, et elle était d'une grande aide dans ce périple, mais elle avait une sacrée tendance à trop se plaindre en ce moment. Je ne pouvais pas la gérer elle, Aidan et tous ces fumiers qui nous pourrissaient la vie à Grayson. Surtout en sachant que j'avais moi-même mes problèmes à régler.
Et elle explosa, comme prévu. Ma mâchoire encaissa le choc de la gifle, alors que mon regard se perdait dans un coin de la chambre. Ma tête avait légèrement pivoté sur le côté sous l'assaut de ma fiancée pour me faire payer mes paroles. Je mis du temps à poser mes yeux sur elle de nouveau, ravalant ma colère pour ne pas oser faire quelque chose que je regretterai toute ma vie.

Je me relevai alors qu'elle se mettait à faire les cent pas, me crier dessus et me dire que j'avais tort comme d'habitude.

« Je veux que tu sois ici, avec nous. Mais imagine, que tes parents disparaissent du jour au lendemain, et que tu sois persuadée que quelqu'un est responsable de ça. Ne me dis pas que tu laisserais gentiment la police s'en charger, Allie, ne me dis pas ça, parce que tu mentirais. »

Je ne savais même plus pourquoi je gaspillais ma salive à essayer de lui expliquer mon point de vue, puisque de toute évidence, elle ne comprenait pas et ne voulait pas comprendre.

« Je ne ferais jamais rien qui puisse m'emmener en prison, ou pire. Je suis peut-être en colère, mais je suis médecin, j'ai décidé de sauver les gens, pas de les tuer. Allie...dis moi que tu comprends... »

Je soupirai, essayant de relâcher la pression. Je perçus le mouvement d'Allie, elle se tenait le ventre et cachai la douleur sur son visage. Ce n'était pas bon pour elle de s'énerver comme cela, elle allait finir par faire une chute de tension avec sa grossesse. Je baissai la tête, abandonnant pour ce soir. La discussion n'était pas terminée, je n'avais pas réussi à désamorcer la bombe, mais je préférai qu'elle reste en colère contre moi, plutôt que de la ramasser inconsciente par ma faute.

« Tu sais quoi, ça sert à rien. Je laisse tomber, je vais me coucher, tu ferais mieux d'en faire autant. »

Je fis passer mon T-shirt au dessus de ma tête, le mis en boule et l'envoya sur la pile de linge sale. Je quittai aussi mes chaussures, mes chaussettes et mon pantalon, puis m'installai sous les couvertures. Elle pouvait encore à tout moment me virer du lit, et je serais obligée d'obtempérer, non par courtoisie, parce que là elle pouvait se brosser, mais bien parce qu'elle était enceinte. Il n'y avait plus de places dans la maison, tous les meubles à peu près confortables étaient pris. Je n'allais pas risquer sa santé pour une histoire de fierté.
J'éteignis la lumière sans attendre qu'elle soit couchée, exprès pour l'emmerder encore un peu. Et une fois qu'elle fut à moitié assoupie, je soufflai un "désolé" sans être sûr qu'elle l'ait entendu.

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