« Est-ce qu'il en veut ? »

Doris fixa sa fille unique en souriant alors qu'elle découpait une nouvelle part de tarte aux orties.


« Pardon ? »


« Est-ce que Grifith veut manger aussi ? Il habite ici avec toi et puis... »


« Et puis quoi ? »


« Non rien. » Elle haussa le ton pour qu'il entende, avachi devant la télévision qu'il était. « Grifith, tu veux manger avec nous ? »

Colleen lança un regard noir à sa génitrice un peu trop gentille à son goût et tourna les talons pour se saisir d'une troisième assiette. Car il était évident qu'il allait accepter, rien que pour la gonfler et jouer au petit malheureux devant son ancienne belle-mère qui semblait encore le porter dans son coeur.


« Maman, on est séparés je te signale, et il est complètement cinglé. »

En fait c'était elle la cinglée vu la crise qu'elle avait fait en public quelques jours plus tôt. Kit Kat avait dépassé son niveau en hystérie mais tout de même, elle avait été plus que mesquine, ce qui n'était pas dans son habitude. Oui, elle était jalouse, il avait fallu qu'il drague la naïve de service et c'était de nouveau le chaos dans son esprit.

Son esprit avait toujours été chaotique depuis leur séparation mais elle pensait qu'elle devait juste passer à autre chose, que tout était fini. Tu parles... Elle avait été la pire des salopes juste pour le faire réagir.


« Tu veux une bière M'man ?

Un acquiescement discret et les deux Jefferson se turent un instant, l'une continuant de préparer le dîner et l'autre assise sur le plan de travail à siroter de l'alcool. Rien ne semblait changer en apparence.

« Hum ? » articula Grif.

Il lui fallut quelques fractions de seconde supplémentaires pour comprendre ce que Colleen venait de brailler. Il arqua un sourcil sous la surprise, chercha la télécommande à tâtons et mis l'appareil en veille. Est-ce que les ondes de la télé lui avaient grillé le cerveau ou il avait bien compris la proposition de son ex ? Non, il avait bien compris : ex-future-belle-maman offrait sûrement de le nourrir. il avait toujours bien apprécié cette femme un peu folle par moments. Elle était chaleureuse, généreuse et drôle et surtout, elle ne prenait pas systématiquement le parti de sa fille : elle voulait savoir avant. Une femme de qualité et surtout, pleine de bon sens.

« J'arrive ! » cria-t-il enfin.

Il se leva rapidement du canapé, remis son T-shirt assez droit, passa une main dans ses cheveux et afficha son habituel sourire ravageur. Autant jouer la carte de la séduction avec ex-future-belle-maman, peut-être qu'elle pourrait jouer en sa faveur dans la balance.
Il arriva à la table et, dans une courbette joliment exagérée, il salua les deux femmes. « Mes hommages mesdames. » Il prit une bière dans le réfrigérateur aussi et, en la décapsulant, tenta de trouver un sujet de conversation potable. il n'en avait pas, pas tout de suite.

« Dis Colleen, tu sais ce que je viens d'apprendre ? La forêt amazonienne n'est pas le poumon de la Terre en fait, c'est une grosse hyperbole. En réalité, on peut plutôt la comparer à une alvéole pulmonaire parce que les océans et toutes les autres forêts du globe travaillent eux aussi. C'est fou, non ? Ce que la vulgarisation de la science peut nous induire en erreur ? »

Et oui, il ne regardait pas que des émissions de voitures et de course-poursuites : les émissions culturelles le berçaient bien plus et c'était tout bénef en plus !
Il avala une gorgée de bière : elle était fraîche et bonne. Mais il n'en restait presque plus, chose qu'il avait constaté en la prenant du frigo.

« Dis-loi, tu as une liste de courses ? C'est à mon tour il me semble, j'irai sûrement demain alors n"hésite pas, si tu as besoin de quelque chose de particulier... »

Il surjouait, c'était bon ! Mais en même temps, il n'exagérait pas trop non plus : ils avaient toujours plus ou moins réparti les tâches dans la maison. Plus ou moins...

Non, ça devait être une grosse grosse blague. Il la prenait pour une conne ? Et sa mère aussi par la même occasion ? C'était quoi cette nouveauté de jouer au parfait petit homme de maison qui rend service ?


« Tu sais où tu peux te la mettre ma liste des courses ? »


« Colleen... »


« Quoi ? »

La brune se retourna pour fixer sa mère avec ses beaux yeux verts lançant des éclairs. Il jouait au faux cul, à l'hypocrite, non mais merde, il se croyait vraiment tout permit ? Après son coup de délire avec Charlie, puis son désir surpuissant de s'afficher avec Kathleen miss parfaite, il ramenait son parfait petit cul agrémenté d'une bouche en coeur dans la cuisine et se montrait utile. Connard.


« Non mais y'a que moi que ça choque ? A quoi tu joues là Grif' ? Tu t'affiches avec l'autre conne qui me traite de pute, tu veux la baiser tellement fort que c'est marqué au milieu de ton front et là tu joues au parfait gendre et coloc' ou petit ami ou je sais même plus ce qu'on est ! »


« Bon, je vais aux toilettes ! »


Non, mais ce n'était pas elle la fautive ! C'était lui ! Pas elle ! Et sa mère les abandonnait tous les deux, plus de tampon entre eux, ça allait exploser sauf si elle revenait à temps.


« En tout cas, on est pas amis ! Tu n'as pas à me demander de faire mes courses, tu n'as pas à me pourrir la vie comme tu le fais en t'affichant avec je sais pas qui, en te foutant de moi ouvertement ou à jouer avec mes sentiments parce que tu en as déjà assez fait tu ne crois pas ? »

La jalousie pointait son nez de nouveau et elle se détestait que tout soit aussi clair, il n'était pas stupide loin de là, il lirait dans son jeu. Elle but une longue gorgée de bière et se tourna pour fixer le plan de travail.


« En fait si, prend des tampons taille max et enfonce les profondément dans ton cul. »

Il ne put s'empêcher de sourire quand elle employa le mot "tampon". C'était un vieux truc dont il n'avait jamais réussi à se défaire : ce mot là le faisait rire, enfin, rire tant qu'il ne visualisait pas l'usage de cette chose. C'était déguelasse, il le savait, et Colleen ne se servait de ça que lorsqu'elle était vraiment en colère contre lui. Encore que là, le tampon dans le derrière, elle restait soft la jolie postière...

Il fit mine de prendre un crayon derrière son oreille et mima la création d'une liste de course, prenant un air concentré et sérieux : il s'amusait vraiment même s'il y avait comme un petit arrière goût.

« Vous prendrez bien autre chose mademoiselle ? Vous n'allez pas vous contenter de mon pourboire tout de même ? »

Il allait loin, mais c'était surtout un moyen pour lui d'esquiver le sujet "je joue avec les sentiments de Jefferson et je suis un gros con". Encore une fois, il lui faisait du mal. Il n'avait pas prévu de la croiser lorsqu'il avait invité Kathleen Wood à déjeuner, ça avait été un pur hasard. Et puis en même temps, Colleen n'avait pas été seule puisqu'elle aussi, elle avait été accompagnée. Accompagnée de ce connard de Redd...
Bref, la faute ne venait pas que de lui. Bon, celle de base, si, mais en ce qui concerne l'entrevue à quatre, non... Et puis la jalousie, c'était encore une fois bon signe, non ? Tout n'était pas perdu ? Il y avait encore ce petit espoir permis ?

Est-ce qu'il le voulait vraiment ? Oui, évidemment. Mais est-ce qu'il était prêt à risquer de la détruire à nouveau ? Il n'en était pas sûr. Il l'aimait. Il l'aimait comme un fou, il l'aimait au point de la laisser partir si c'était ce qu'elle désirait : c'était ça, le véritable amour. Il lui en avait fallu du temps pour comprendre à quel point il l'aimait mais c'était chose faite.

« Allez Jefferson, me regarde pas comme ça, pour une fois que je tente de faire quelque chose pour te rendre service, tu pourrais coopérer sans chercher la petite bête : je peux t'assurer qu'il n'y en a pas. Je cracherais bien aussi mais tu me tuerais après alors bon... »

Et son ex-future-belle-mère qui avait pris la fuite pour les laisser tous les deux... Non mais quelle idée ? Qui allait pouvoir arbitrer cette manche maintenant ? Qui ? Parce qu'en voyant le regard assassin de Colleen, Grif savait qu'il n'allait pas s'en tirer à si bon compte...

« Mais je ne veux pas que tu me rendes service bordel ! Je ne veux pas de ça ! Je veux que tu sortes de ma vie, que tu arrêtes de faire semblant tout le temps pour tout. Soit constant ! Soit tu es là pour faire de ma vie un enfer, soit tu es un petit agneau à la con et pour notre bien à tous les deux, tu décides de quitter cette maison. »

Elle était dure, peut-être trop mais la jalousie maladive qui la rongeait depuis l'incartade à quatre lui faisait trop de mal. Voilà qu'elle l'aimait encore bien trop et lui se riait d'elle, il ne savait faire que ça de toute manière. Se moquer d'elle et lui faire mal. Peut-être même qu'il en était conscient.

Sa mère avait décidé de ne plus trop s'en mêler, ne comprenant pas comment il était possible d'en arriver à ce point en si peu de temps. Et constatant par la même occasion que faire entendre raison à la chair de sa chair était quelque chose qui relevait du surnaturel.


« Fais ta vie, baise qui tu veux mais ne le fait pas sous mon nez, je ne mérite pas ça. J'ai peut-être merdé vis à vis de Logan au départ mais c'était en réponse à ce que tu m'as fait et je n'ai pas couché avec depuis de longs jours. Si je traîne autant avec lui c'est que je l'aime bien aussi bizarre que ça puisse paraître. Je crois bien qu'on est amis tu vois. »

Pourquoi fallait-il qu'elle lui raconte tout ça maintenant ? C'était peut-être la fatigue ou plus probablement la lassitude de ce conflit interne qui était plus que fatiguant à la longue. Il fallait que quelqu'un parte.


« La vérité c'est que je suis jalouse à crever de te voir avec Kathleen et je suis certaine que tu en es complètement heureux par ailleurs. Et je n'ai pas envie de retomber dans le même état qu'après notre rupture donc ménage moi. Je sais pas, met ça sur le compte d'une dernière volonté si tu m'as vraiment aimé un jour comme tu l'as prétendu. »

Colleen trouva même le courage de sourire doucement avant de porter sa bière à ses lèvres de nouveau.


« Mais les tampons dans ton cul ça tient toujours. »

Merde.
Il se sentait à nouveau minable. Minable comme la fois où elle lui avait parlé de sa tentative de suicide, minable comme lorsqu'il l'avait retrouvée ivre morte sur le canapé. Minable comme lorsqu'il avait vu Kathleen au bord des larmes la dernière fois... Et si en réalité Grifith était le pire connard de cette terre ? Bon, peut-être pas à ce point, mais il n'était pas un modèle de bienséance en tout cas. Il enchainait les conneries et faisait le mal autour de lui.
Pourtant, s'il était shérif adjoint, c'était bien parce qu'il avait décidé de rendre le monde plus juste, il avait voulu aider les autres et faire payer ceux qui faisaient du mal justement... Devait-il se faire payer lui-même ? Auto-flagellation... Il commençait sérieusement à y penser en fait. Comment ? En laissant Jefferson tranquille d'une part : ne plus la voir lui crèverait le coeur et permettrait à la jeune femme de se relever...
Parce que c'était bien ça : elle ne l'avait pas oublié et semblait encore au plus mal. Il ne s'était pas rendu compte à quel point il avait brisé la femme de sa vie : c'était ça, sa pénitence aussi, supporter la douleur de détruire celle qu'il aimait comme un fou.

Il laissa tomber les bras le long de son corps et regarda Colleen quelques secondes sans rien dire. Même lorsqu'elle semblait toucher le fond, elle restait sublime et drôle, drôle à en crever tiens. Il l'aimait pour tout ce qu'elle était et il avait été assez con pour la laisser filer, dommage pour lui. Dommage pour eux.
Il aurait pu lui offrir tellement ! Mais il lui avait tant pris avant ça. Il n'avait pas le droit de la faire souffrir encore plus. Mais il ne se sentait pas prêt à tout plaquer non plus. Il devait faire des choix et là, le premier était simple : rester encore un peu pour essayer d'arranger leurs rapports. Il était temps d'arrêter de jouer au gosse, de laisser tomber le jeu et d'enfin assumer ses actes et subir les conséquences.
Seulement, comment faire ? En l'écoutant et en essayant de la comprendre du mieux qu'il le pouvait. Logan était son ami ? Qu'elle le voit, qu'elle l'invite ici, il se ferait petit et accepterait. Ou presque, enfin, il essaierait de souffrir en silence au moins.

« Si c'est ton ami, prends-le pour manger un de ces quatre... » Ça sonnait moins bien que ce qu'il avait cru. il avait voulu être conciliant et là, il donnait surtout l'impression d'accorder une faveur à Colleen : non mais quel con. « Enfin... Je veux dire que je ne ferai rien pour le faire partir ou le mettre mal à l'aise quoi... » Peut mieux faire...

Mais en même, cette information sur l'amitié lui faisait du bien : Logan n'était pas un rival. Pas un allié, mais pas un ennemi non plus : il avait besoin de ne pas avoir d'obstacle sur sa route, que ce soit le chemin du coeur de Colleen ou simplement celui de son pardon.

« Et il n'y a rien avec Kathleen... » souffla-t-il doucement, comme s'il se sentait obligé de lui dire que lui aussi, il n'avait personne dans son lit. En même temps, elle n'avait pas dit qu'il n'y avait personne dans le sien : juste que ce n'était pas Logan qui zonait... Quel casse tête la réflexion...

La proposition d'inviter Logan la fit pouffer de rire avant qu'elle ne secoue la tête en retenant cette fois un bon fou rire. Mais quel idiot, toujours dans le trop, jamais dans la demi mesure, il en était incapable et elle aussi par ailleurs.

Logan et elle c'était un peu compliqué, pour le moment il était incapable de faire quoi que ce soit avec ses côtes cassées mais dès qu'il irait mieux, la postière se laisserait probablement aller dans ses bras. C'était du réconfort, rien de plus. Que Grifith le croit ou non.


« Non mais il ne voudra pas venir ici, tu rêves. »

Surtout après ce qu'il s'était passé entre eux quatre il n'y avait pas si longtemps que ça. Mais c'était ainsi, on ne pouvait pas être ami avec tout le monde. Surtout pas elle par ailleurs, trop spéciale pour de nombreuses personnes, même si elle attirait très facilement la sympathie des gens avec sa langue bien pendue.

Mais cela avait changé depuis que les ragots du coin se faisait sur elle et sa rupture avec Grifith, elle et Logan, et surement elle et Kathleen. C'était beaucoup d'attention pour la demoiselle qui s'en fichait quelque peu. Avoir sa petite vie simple et sans soucis lui allait parfaitement mais là, cela semblait loin, très loin.


« Et pour l'autre, j'espère bien que tu ne l'as pas touchée, elle m'a traité de pute ! Tu te rends compte ! Personne ne m'avait traité de pute avant, c'est quand même incroyable, surtout que j'ai pas couché avec tant de mecs dans ma vie. »

Colleen se rapprocha de son cher et tendre et lui donna un coup d'épaule en rigolant, c'était une sorte de pacte de paix qu'elle tentait de faire. Il s'était enfin montré lui même, loin du rigolo des dernières semaines, ou du connard blessant qui semblait heureux de la voir triste. Là il était bien, le vrai type dont elle était amoureuse. Manquait une toute petite point d'humour mais rien de méchant, surtout rien de méchant.


« En tout cas j'aurai jamais cru qu'elle puisse sortir ce genre de trucs du tréfonds de son âme de gentille fille... Je comprends si elle te fait bander, enfin le prend pas mal hein... »


« Je reviens, j'ai oublié de prendre mon jeu de tarot si tu veux toujours que je te tire les cartes après manger. »


« Merci m'man... »

La porte claqua immédiatement après tirant un rire à la postière qui quitta son poste côte à côte du shérif adjoint pour venir se blottir contre lui, son front contre son torse musclé qu'elle aimait tant comme oreiller devant la télévision.


« On la changera jamais hein... »

Bon dieu que ça faisait du bien de se retrouver comme ça sans se hurler des saloperies au visage.


« Tu ferais bien de prendre une douche baby. »

Colleen leva les yeux sur lui et s'appuya contre lui pour le fixer.

« Je suis comme toi, je sais pas d'où elle a sorti cette phrase. Je me demande si ce n'est pas le diable qui la lui a soufflé à l'oreille tiens. » Et il était sérieux. Sérieux parce que ça ne ressemblait en rien à Kathleen Wood d'insulter son prochain et que ça ne pouvait venir que de ce putain d'air de merde de cette ville foireuse. Point.

L'instant était chouette, les disputes semblaient en mode pause. Colleen s'était calmée et Grifith n'avait plus envie de jouer au petit malin à ce moment précis : il sentait qu'il fallait qu'il reste calme, qu'il en profite et qu'il montre à Jefferson que s'il faisait tout ça, c'était pour elle. Il avait merdait à fond et il fallait qu'il se rattrape sauf qu'il faisait n'importe quoi parce qu'il ne savait pas trop comment s'y prendre.
En vrai, s'il s'amusait à la mettre hors d'elle, c'était parce qu'il savait que Colleen détestait les relations planplans, qu'elle aimait tout ce qui avait du piquant. Tous les deux, ils ne s'étaient jamais ennuyés dans leur vie de couple et en agissant ainsi, il espérait rappeler à Colleen tout ce qu'ils pouvaient à nouveau avoir ensemble. Le hic, c'était qu'il devait d'abord se faire pardonner et pour ça, il était largué.

Il ne put que l'enlacer quand elle vint se coller tout contre lui. Ce qu'il aimait sentir son coeur battre contre sa propre peau ! Il aimait l'odeur de ses cheveux qu'elle lavait sans cesse avec des produits certifiés bios, l'odeur de ses vêtements cent pour cent coton pour la plupart. Il l'aimait toute entière, chaque parcelle d'elle, chaque petit détail, même sa capacité à le rendre fou. Surtout sa capacité à le rendre fou.
Il sourit face à la remarque cinglante mais ne releva pas : il allait lui proposer de partager la douche sauf que ex-future-belle-maman était toujours là et il la respectait pour de vrai. Il attendrait qu'elle file pour enfin aller se laver et entrainer Colleen avec lui. Enfin, essayer en tout cas.

« Tu sais... » Il s'arrêta. il allait commencer un discours plein de profondeur ou quelque chose dans le genre et il ne savait pas si c'était réellement une bonne idée. Il avait peur de la froisser à nouveau, de la blesser ou de se planter royalement. Tout ça à la fois quoi. Il passa doucement une main dans les cheveux de la postière tout en la fixant sans trop ciller. « J'aimerais vraiment pouvoir te dire qu'on peut être amis... Que.. que je suis capable d'être là pour toi comme ça tout le temps mais en vrai... Non, c'est juste pas possible je crois. Au début, j'y arriverais parce que je me dirais que ça peut toujours reprendre entre nous mais si je me rends compte que c'est vraiment fini... » Il inspira un grand coup. Il avait besoin de ça, et d'un peu de courage aussi. « ... et bien je partirai je pense, parce que je ne cesserai jamais d'essayer et ça nous tuera. »

Il ne savait même pas comment il en était venu à cette conclusion. C'était venu d'un coup, tout seul, c'était la première fois qu'il y pensait et il l'avait sorti de sa bouche en même temps que tout ça sortait de l'usine de sa cervelle. Mais merde, il aurait du la fermer. Il le savait, il n'aurait pas du dire ça, il était vraiment trop con quand il arrêtait de réfléchir.

Colleen s'était reculée pour le fixer après sa déclaration enflammée. C'était rare de l'entendre dire des choses aussi profondes sans aucune connerie derrière. C'était leur truc ça, de ne jamais être sérieux, de passer du rire aux larmes, d'une engueulade à une partie de jambes en l'air en un battement de cil.

Même sa demande en mariage avait réussi à la faire mourir de rire vu que c'était sorti de nulle part et qu'il n'avait rien préparé du tout. Ils étaient comme ça, et le voir soudainement se livrer à elle de la sorte, ça lui faisait un bien fou.

Donc ce n'était pas fini pour lui non plus, il ne la torturait pas pour le plaisir de la faire hurler ou de l'enfoncer plus bas que terre. Ils étaient dans la même situation en fait. Encore amoureux l'un de l'autre sans savoir comment faire pour que les choses remarchent entre eux deux.


« Je pense qu'il faut qu'on se donne un peu de temps. Tu vois ? Qu'on se considère comme plus vraiment ensemble et qu'on vive un peu chacun de notre côté et si on pense qu'on peut repartir sur des bases saines alors on fonce. Non ? »

Colleen releva ses yeux verts sur lui en mordillant sa lèvre inférieure, pas certaine que ce qu'elle disait avait du sens. Elle posa une main sur chacune de ses joues rugueuses et sourit doucement avant de l'embrasser avec tendresse.


« Avoue que la jalousie ca décuple ton envie de me manger toute crue. Ca peut être positif en fait... »

Ce qu'elle espérait maintenant, c'est qu'il l'embrasse aussi, qu'il accepte ce qu'elle disait sans trop grogner et qu'il la prenne sur la table du salon avant que sa mère ne revienne. Mais ce n'était probablement pas possible.


« Et t'as le droit de sauter Kathleen que si tu me le dis après. D'accord ? »

C'était maintenant qu'ils devaient se lâcher car s'ils se remettaient ensemble, plus d'écarts ne seraient admis.

Il la laissa l'embrasser, le toucher autant physiquement que sentimentalement. Il profita de ses lèvres sucrées, bien que possédant aussi un arrière goût amer du à la bière. Il la laissa faire, sans lui rendre réellement. Puis il l'enlaça pour lui rendre ce qu'elle lui donnait sans condition. Il la serra peut-être même un peu trop fort pour espérer pouvoir paraître aussi détaché qu'elle. Et il la relâcha quand elle parla de Kathleen.

Il serra les poings puis en abattit un un peu trop vivement sur la table à côté d'eux. Il n'était pas d'accord avec le côté "Carpe Diem et baisons avec d'autres". Pas d'accord du tout même. Il ne voyait pas en quoi s'envoyer en l'air ailleurs pourrait être bénéfique pour eux.
Sous ses airs de séducteur à deux francs, Grifith restait ce grand romantique touchant bercé par les mots doux d'Austen et des soeurs Brontë. Il restait ce jeune homme qui ne croyait qu'au sexe par amour : le sexe pour le sexe, c'était bien, d'accord, mais avec l'amour en plus, c'était l'osmose parfaite. Aussi, il ne comprenait pas en quoi ça pourrait être bon de coucher avec d'autres filles puisque c'était Colleen qu'il aimait. Et elle ? Pourquoi voulait-elle aller voir ailleurs ? C'était pour se faire encore farcir par Logan ? Est-ce qu'elle aimait ça autant qu'avec lui ? Est-ce que... est-ce qu'elle avait des sentiments pour lui ?
Il serrait les dents à cette idée. Il n'avait jamais songé à ça, au fait que Colleen puisse ressentir plus que de l'amitié pour Redd et là, ça lui venait en pleine gueule comme un bon crochet du droit. Sa main à plat sur la table, il appuyait de toutes ses forces en espérant transmettre au bois toute cette nervosité qui montait en lui : ils venaient de partager un moment vrai et ça n'était pas maintenant qu'il fallait tout gâcher.

« Ton idée me semble pertinente et... » Il se tut. il ne pouvait pas lui mentir, pas maintenant. Pas après ce qu'ils avaient réussi à faire là. « Non. Non, en réalité je trouve ça complètement con comme idée. Je ne vois pas en quoi ça pourrait nous aider. Je préfère qu'on décide de ne pas coucher ensemble avant d'être sûr de... Et puis merde, je sais que c'est toi et j'ai pas besoin d'aller voir ailleurs. » Il avait une furieuse envie de se tirer et d'aller courir ou grimper une montagne, lui qui détestait l'escalade. Le stand de tir lui paraissait aussi être une bonne idée. Et pourquoi pas tirer sur un poster à l'effigie de Redd ou de tout autre connard susceptible de poser ses mains sur Colleen ?

Elle le rendait fou. Fou amoureux, fou de rage, fou à lier... Et elle lui faisait mal. Parce que c'était ça : il avait mal. Il avait mal comme jamais il n'avait eu mal et elle l'avait achevé en juste quelques mots. Même la voir avec Redd ne l'avait pas autant blessé. C'était de savoir qu'elle pouvait ressentir quelque chose pour ce mec qui le tuait. Pour lui ou pour un autre. Il devait faire quelque chose pour fuir son regard alors il vida complètement sa bière et alla s'en chercher une autre.

Colleen avait sursauté quand il avait abattu sa main sur la table avant de la contredire sur ce qu'elle comptait faire. Enfin, leur faire faire à tous les deux.

Il était tout de même gonflé d'être soudainement si certain de lui. Si elle était partie, c'était à cause de lui et de son erreur avec Charlie. Comment pouvait-il être sur à ce point qu'il n'allait pas retourner ailleurs encore une fois ? Cette idée la rendait folle, vraiment folle.

Sa confiance en lui avait été durement ébranlée et quand elle revenait pour tenter de recoller les morceaux tout en était prudente et en lui proposant de prendre leur temps... il s'énervait. Typique.


« Merde Grifith ! Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu joues au mec compliqué ! Je te demande pas la mer à boire juste d'attendre un peu, qu'on commence à calmer le jeu et qu'on tente de voir si ça peut marcher. Je pense pas te demande le bout du monde. Et puis je te signale que y'a quelques semaines, t'étais pas bien certain que je sois la femme de ta vie. C'est justement CA le problème. Je suis pas capable de revivre ça encore une fois alors on ferait bien de prendre notre temps. C'est ça l'idée. »

Putain, ce qu'il pouvait être chiant. Il allait la rendre folle.

La postière recula de quelques pas et ferma les yeux quelques secondes en tentant de se contenir. Et dire qu'elle comptait faire la paix, il tentait de... peu importe.


« Tu veux aller plus vite que la musique, tu voudrais que je sois déjà prête, que j'ai tout digéré, que j'ai confiance en toi comme au premier jour mais je ne peux pas ! A part me chercher des poux et me pourrir la vie depuis que tu es revenu vivre à la maison, tu ne fais rien pour arranger les choses. RIEN ! Je t'aime, je t'aime comme une malade mais j'ai l'impression que tu vas me planter un couteau dans le dos dès que je vais me tourner et j'ai pas envie de vivre comme ça. J'ai déjà assez morflé je crois bien. »

Elle avait envie d'un joint, là tout de suite, pour oublier cette conversation qui s'envenimait et lui faire passer le coup de bile qui remontait le long de sa gorge. Colleen avait la nausée sans vraiment savoir pourquoi. Le stress sans doute.


« Je voulais juste qu'on fasse la paix Grifith... pourquoi tu peux même pas me donner ça ? »

Il n'arrivait pas à comprendre ce qu'elle cherchait à rendre naturel. Comment pouvait-elle avoir cette idée surréaliste en tête ? Justement, après tout ce qu'il s'était passé, pourquoi voulait-elle remuer encore et encore le couteau dans la plaie ? Voulait-elle juste qu'il souffre comme elle, elle avait souffert ? C'était légitime mais absurde : ils allaient à nouveau prendre le risque de tout faire éclater juste pour voir. C'était con, con con.

« Compliqué ?! Je suis COMPLIQUE ? C'est pourtant simple, non ? Je te veux toi, je ne veux pas qu'on joue les complications en faisant semblant d'aller voir ailleurs justement ! C'est toi qui complique tout bordel ! »

Il l'écoutait à peine, il cherchait juste à se contenir. Il ne voulait pas parler trop fort, il ne voulait pas hurler. Il avait besoin de montrer à Colleen qu'il avait évolué mais là, ce n'était pas gagné. Pas du tout même.
Il s'en voulait pour ce ton qu'il avait pris, il s'en voulait pour son refus. Il aurait tellement aimé pouvoir donner à Colleen ce qu'elle voulait, pouvoir agir comme elle le souhaiter mais il s'en sentait totalement incapable. Il ne se sentait pas capable de toucher une autre femme qu'elle désormais et encore moins capable de supporter l'idée qu'un autre la touche, qu'un autre pose ses lèvres sur les siennes, qu'un autre réussisse à la combler et à la faire prendre du plaisir.
Déjà, il était le seul à connaître parfaitement ses désirs, ses plaisirs. Il avait de l'expérience dans le domaine Colleen Jefferson. Il connaissait son corps par coeur, il connaissait chaque pont sensible, chaque réaction à son toucher. Et en plus de ça, il savait comment la surprendre et elle savait comme lui faire découvrir de nouvelles choses... Comment pouvait-elle vouloir autre chose ? Comment ?

« Tu crois réellement qu'en allant voir ailleurs on va faire la paix ? » demanda-t-il d'une voix calme, qui contrastait avec sa réaction précédente. « En tout cas, je n'y crois pas. Je n'y crois pas parce que j'aurais l'impression de te tromper... encore... » Il se tut.

C'était la première qu'il avouait que le baiser qu'il avait volé à Charlie s'apparentait à de l'adultère. Il ne l'avait pas accepté jusqu'à ce qu'il le comprenne. Il n'avait pas eu l'impression de tromper sur le moment mais là, alors que rien que le fait de voir Colleen se confier à un autre que lui lui était insupportable, il comprenait que ce baiser relevait de la trahison.
Il ne se sentait pas bien. Il sentait cette inégalité entre eux : Colleen ne l'avait pas trompé après tout, puisqu'ils n'étaient plus ensemble. Il ressentait la douleur d'une trahison mais il n'avait aucun droit de crier à l'adultère. Aucun. Alors que Colleen l'avait ce droit. Il se sentait minable et ses réclamations lui paraissaient déplacées... Mais il ne pouvait dire à Colleen qu'il acceptait qu'elle aille voir ailleurs. Il ne voulait pas non plus lui poser d'ultimatum. C'était un déchirement.

« On n'est pas ensemble donc tu es libre de faire ce que bon te semble. Seulement, si tu restes dans cette iddée, pour moi, ça sonnera comme un doute... Pas un doute sur ton amour. Un doute sur la suite : tu ne peux pas me dire qu'aller voir ailleurs nous permettra de nous remettre ensemble. Tu n'as pas le droit de mentir comme ça. »

Il le voyait comme un mensonge : si elle allait voir ailleurs, c'était qu'elle n'était pas sûre de vouloir se remettre avec lui et Grif ne voulait pas qu'elle lui donne de faux espoirs...

C'était une grosse blague. Toute cette histoire n'était qu'une grosse blague. Ils ne se comprenaient pas, c'était complètement inutile et une grosse perte de temps de tenter de se parler normalement.

Elle l'aimait, c'était plus que certain, il était l'homme de sa vie mais il lui avait déjà fait tellement de mal... se remettre ensemble la titillait bien plus qu'il ne pouvait l'imaginer mais il restait une petite voix dans sa tête qui avait bel et bien peur que tout recommence. Pendant encore combien de temps allait-il rester avec elle avant d'aller voir ailleurs ?


« Mais je ne te mens pas ! Pourquoi veux-tu que je te mente putain ?? Si on se remet ensemble maintenant, qu'est-ce qui me dit que tu ne vas pas te lasser dans un mois avant d'aller voir ailleurs ? J'ai peur que ça arrive encore et je peux pas vivre ça encore une fois, j'ai assez morflé pour les dix ans à venir ! Merci bien ! Je suis perdue, tu comprends ce que ça veut dire ? Je suis totalement paumée et je me sens minable, c'est chiant, ça me bouffe mais je suis incapable de penser positivement. Et par pitié ne va pas croire que je suis amoureuse de Logan ou je sais pas qui, ce serait totalement faux. Je te connais, t'es un jaloux qui le cache à la perfection, sauf à moi. Je t'aime vraiment Grif, vraiment ! Je suis juste paumée et se remettre ensemble tout de suite ce serait mauvais pour nous deux. Si tout foire ce sera ma faute, tu pourras me blâmer tout ce que tu veux. »

Elle pleurait, elle lui hurlait dessus et se sentait minable. Ils étaient au bord de la paix quelques secondes plus tôt et il avait fallu que tout explose encore une fois. Ils étaient deux gros nuls inutiles qui ne pouvaient pas mettre leurs différends de côté. Peut-être qu'ils ne devaient pas se remettre ensemble, qu'ils se prenaient la tête pour rien.

Et Colleen fut sortie de force de ses pensées par l'entrée de sa mère dans leur salon. Elle se tourna vivement pour essuyer ses larmes avant de se passer de l'eau sur les joues pour ne pas avoir l'air aussi minable. Pas un regard pour son ex' fiancé, c'était trop dur. Il la voyait encore craquer, c'était très mauvais pour son égo.


« Ca va ma puce ? »

Son éternel sourire sur le visage, Doris les rejoint et posa un panier sur un plan de travail avant de fixer sa petite fille puis celui qui serait un jour son gendre, elle le savait, elle l'avait lu dans les feuilles de thé.


« Tu pleures ? Grifith est-ce que tu peux me dire ce qui se passe ? Je ne peux pas vous laisser plus de cinq minutes seuls et vous vous sautez à la gorge ! »


« Maman c'est pas ça ! »


« Alors quoi ? Je suis fatiguée de vous voir dans cet état tous les deux, il serait peut-être temps de faire quelque chose parce que... »


« Arrête d'accord ? C'est pas ton problème alors laisse nous tranquille Maman je t'en prie ! »

La plus âgée des brunes se tut en regardant sa princesse qui avait bien grandi et qui ne lui avait jamais parlé de la sorte.


« Je veux dormir à la maison ce soir, ça te dérange pas ? »

Colleen n'attendit même pas de réponse de sa mère et préféra quitter sa maison pour se diriger tout naturellement vers un foyer plus agréable. Elle en avait assez vu pour la journée, qu'ils fassent ce qu'il veulent.