Aidan déglutit péniblement, sa gorge encore douloureuse ne lui facilitant pas la tâche. Il avait envie de se lever, envie d’arracher ses vêtements qu’il sentit peser une tonne sur lui. Ils étaient en feu. Il le savait aussi bien qu’il savait que c’était totalement irrationnel.
Ce n’était qu’un rêve. Seulement un rêve… C’était ce qu’ils s’évertuaient en générale à lui dire quand il se réveillait au beau milieu de la nuit. Oui, c’était facile à dire pour eux. Juste un innocent petit rêve, Aidan, ça n’a jamais tué personne. Sauf qu’il était certain qu’ils finiraient par avoir sa peau. Il venait d’être brûlé vif, nom de Dieu ! Il venait de brûler vif et on allait lui dire que ce n’était rien !? Qu’un putain de cauchemar parmi tant d’autres, qu’il n’avait surtout pas à s’inquiéter ? Alors de QUOI devrait-il s’inquiéter au juste !?
Mais le jeune homme savait pertinemment qu’il ne pouvait pas hurler ces mots au visage d’Isaac, même si l’envie ne lui manquait pas.

Pourtant cette fois, son ainé ne tenta pas de le ménager, de minimiser la chose. Il ignorait si c’était à cause des récents évènements survenus sur le pont ou s’il y avait quelque chose d’autre là-dessous. Et le jeune homme n’était pas certain non plus d’avoir envie de le savoir. Le souffle court et le cœur battant, il continua de fixer son frère durant un long moment, en silence.
Il voulait répondre mais les mots ne venaient pas à lui. Que pouvait-il décemment lui répondre après ce qu’il venait de vivre ?
La dernière chose que voulait Aidan, s’était se lancer dans une explication, décrire à son frère ce qui s’était passé et ce qu’il avait vu. C’était au-dessus de ses forces, il le savait. Il craquerait forcément et ne pouvait pas se le permettre. Physiquement et mentalement, il était au bord du gouffre et ouvrir la bouche l’y précipiterait.
Le jeune homme avait assez de mal à soutenir le regard d’Aahron depuis sa crise de l’autre soir comme ça. Il ne voulait pas en plus devoir éviter Isaac à présent, c’était trop dur. Mieux valait se taire.
Et c’est ce qu’il fit, pendant une bonne minute. Mais il avait toujours eu du mal à garder sa bouche fermée…

« Ils nous ont… J’ai…j’ai soif » bafouilla-t-il d’une voix rauque

Il s’éclaircit la gorge puis tourna son regard clair en direction du lit de Samuel, espérant que son frère comprenne qu’il voulait une des bouteilles d’alcool dissimulées au-dessous. Et ce fut le cas. Isaac ouvrit la bouche d’un air réprobateur mais il la referma bien vite, le dévisageant longuement.

« Juste… une gorgée » le supplia presque Aidan

Poussant un lourd soupir, son frère capitula et alla chercher l’objet de ses désirs sous le lit de son frère. Il revint avec une simple bière et le benjamin de la famille n’osa pas le renvoyer lui chercher quelque chose de plus fort. Il l’observa la décapsuler pour lui en se rasseyant sur une chaise qu’il avait installée là il ne savait quand, puis la lui tendit. Mais quand Aidan voulu l’en débarrasser, son frère la maintint fermement, un regard entendu plongé dans le sien. Finalement, après s’être bien fait comprendre, il le laissa l’avoir et retourna se caler dans le fond du siège pendant que le petit blond portait le goulot à ses lèvres. Il avala trois longues gorgées, grimaçant de douleur à leur passage. Il toussa une dernière fois puis essuya ses lèvres humides d’un revers de la main.
Même s’il était encore sous le choc et épuisé, Aidan se sentait un peu. Son cœur cognait moins fort dans sa poitrine et il pouvait à nouveau respirer sans avoir l’impression de faire pénétrer des aiguilles dans sa trachée.
Poussant un lourd soupir, il se redressa un peu et vint s’appuyer à la tête du lit, fermant les yeux une seconde. Ou toute petite seconde qui lui suffit à paniquer à nouveau. Se retrouver dans le noir complet même l’espace d’une seconde après ce qu’il venait de vivre était une seconde de trop. Il se redressa dans un sursaut et chercha à croiser le regard d’Isaac. Juste pour s’assurer qu’il était toujours là… Et c’était le cas évidemment. Son frère le toisait en silence, visiblement tendu, peut-être en colère, Aidan n’en était pas certain.

« À quoi ça t’avancera d’savoir c’que j’vois, hm ? » répondit-il d’un ton las « T’empêcheras mes cauchemars de revenir pt’être ? J'ai plus quatre ans, Isaac. J'y croirai pas »

Il n’y avait pas vraiment de reproche dans son ton. Encore une fois, il était simplement las, extrêmement fatigué et dépité.

Aidan retint son souffle pendant le discours d’Isaac. Une mauvaise idée puisque quand il recommença à respirer, accélérant le rythme pour récupérer l’oxygène dont il s’était privé, la tête lui tourna.
Il y a quelques heures, si Isaac lui avait tenu le même genre de discours, il se serait probablement énervé après lui, aurait crié au scandale et tenu des propos du genre : t’en a rien à foutre de moi, tout ce qui t’intéresse c’est les infos que j’peux t’apporter, blablabla. Le genre de discours pathétiques et égoïste qu’il tenait depuis la mort de leurs parents en fait. Mais le jeune homme avait réalisé hier à quel point lui-même avait été égoïste.
Oui, son frère avait raison, il leur cachait des choses. Des choses qui auraient pu leur être utiles sans doute. Sauf qu’aucun d’eux ne le croirait. Lui-même n’y croyait pas et pourtant, il vivait tout ça…
Il aurait voulu être capable de tout leur dire, sauf que la plupart du temps, il occultait ses rêves aussitôt après son réveil. Une sorte de sécurité pour éviter de péter les plombs. Sauf que ces derniers temps, Aidan avait du mal à oublier. Les images qui hantaient ses rêves se frayaient un chemin jusqu’à son subconscient en journée, durant ses nuits d’insomnies. Elles ne le lâchaient plus. Chaque fois qu’il fermait les yeux, les scènes atroces venaient se rejouer sous ses paupières.
Il ne voulait pas parler de ça à Isaac. C’était trop lui demander et il était trop fatigué. Pas encore.

Et pour une fois, il était content que son frère ne parle pas de lui. Il s’inquiétait pour Allie et ce qui lui était arrivé sur le pont. Bien sûr, Aidan n’était pas dans la tête de sa belle-sœur et il n’avait pas encore eu le temps de s’entretenir avec elle sur le sujet. Il ne pouvait donc qu’émettre des hypothèses. Des hypothèses complètements dingues…
Isaac était un garçon plutôt rationnel. Il avait l’esprit logique, c’était un scientifique. Il allait se foutre de lui. C’était certain, il chercherait à trouver une explication plausible à tout ça, à mettre des mots là-dessus alors qu’il n’y en avait pas vraiment. C’était comme ça qu’il fonctionnait et ça leur allait très bien. Mais il était l’une des personnes les plus mal placée pour le comprendre.
Et Samuel était en deuxième position. Lui qui ne croyait en rien.
Aahron le croirait peut-être lui, du moins il l’écouterait avec attention jusqu’au bout avant de prendre un ton paternaliste pour lui donner une ou deux leçon de vie et lui faire part de sa graaande expérience…
Allie, elle, le croirait.

Jugeant qu’il avait assez fait mariner son frère, Aidan avala une rapide gorgée de sa bière avant de prendre la parole.

« Je sais pas ce qui s’est passé exactement. Je te l’ai dis hier déjà »

Isaac rouvrit la bouche, certainement pour s’énerver contre son manque évident de collaboration, mais Aidan l’interrompit.

« Par contre, je peux faire quelque suppositions. Je…je sais que tu crois pas à tous ces trucs-là… Tu vas penser que j’suis fou et… Je suis pas fou, d’accord ? » le prévint-il avec le plus grand sérieux, son regard figé dans le sien « Déjà, pour répondre à ta question : oui, elle est en danger. On est tous en danger, Isaac. Maintenant… j’en sais pas assez pour savoir si elle se met elle-même en danger… »

En tout cas lui, était un danger pour elle. Cela dit, il n’était pas certain que lui raconter la manière dont il avait menacé Allie avec une hache allait vraiment améliorer leur rapport et permettre à son frère de l’écouter et le croire… Il allait juste lui mettre son poing dans la tronche, voire aller chercher une hache et le découper en morceau.

« Tout c’que j’peux dire… » Aidan marqua une pause et soupira, frottant ses yeux fatigués entre deux doigts avant de relever la tête vers son frère d’un air implorant « Fais la rentrer à Cleveland, Isaac. Rentre avec elle. Partez. Si tu veux qu’elle soit en sécurité, si tu veux vraiment la protéger alors reste pas là. Il n’arrive rien de bon à Grayson, c’est juste une illusion… Tout ça, c’est une illusion »

Le plus jeune avala péniblement sa salive, fixant son frère. Il était partagé entre le doute, l’envie et la lassitude. Parler. C’était simple dans le principe et il avait toujours été un incorrigible bavard. Il en disait toujours trop, était incapable de ralentir son flot de parole et faisait constamment des gaffes à cause de cela. Et depuis qu’on lui proposait de s’exprimer, il se murait dans son silence.
Un silence qui, comme le lui faisait remarquer Isaac, n’avait déjà que trop durer et causait du tort à tout le monde, lui le premier.
Aidan avait toujours été égocentrique. C’était un fait et il ne cherchait plus à le nier depuis longtemps. Au fond, peut-être qu’il avait simplement attendu qu’on le supplie, que tout repose sur ses épaules, que tous dépendent de lui. Non, il n’aurait pas été aussi loin. Le jeune homme chassa cette pensée aussi rapidement qu’elle lui était venue, ne parvenant cela dit pas à balayer ses doutes et ses angoisses aussi facilement.
Isaac lui promettait que quoi qu’il arrive, il serait toujours son frère, que jamais il ne le prendrait pour un fou… mais le plus jeune de la fratrie ne parvenait pas à en être totalement convaincu. Une part de lui voulait y croire, tentait de le raisonner. Si la situation avait été inversée, il aurait cru son frère, n’aurait jamais douté de lui ! Alors pourquoi eux douterait ? Charlie avait raison, il se tournait un peu trop autour du nombril, se sentait persécuté. Mais tout en sachant cela, il n’arrivait toujours pas à prononcer les mots qu’ils attendaient tous.

Aidan écouta son frère en tentant vainement de réguler sa respiration saccadée.
Le remord le submergeait peu à peu à mesure que son ainé poursuivait son discours, lui parlant de Petey, d’Allie et des autres. Oui, il aurait pu parler avant et essayer d’arranger les choses, peut-être qu’il les avait laissés aller trop loin déjà… Mais il aurait aimé l’y voir ! Et puis de toute façon, il ne voyait pas ce que ça aurait changé. Comme il l’avait signalé plus tôt, Isaac n’était pas capable de faire partir ses rêves. Personne ne le pouvait. Il devait vivre avec, tout comme il devait vivre avec la couleur de ses yeux, ses bras et ses jambes. Ça faisait parti de lui et il ne pouvait pas lutter contre ça.

« D’accord » répondit-il d’une voix rauque, quand le silence fut retombé dans la pièce

D’accord quoi au juste ? D’accord, je t’ai entendu mais ça ne change rien ; d’accord, je vais tout te raconter dans l’détail trois ou quatre fois ? D’accord, je te fais confiance et on peut en rester là ?
Aidn demeura silencieux une poignée de secondes encore, réfléchissant à la manière dont il allait enchainer. Une fois encore, les mots lui manquaient. Il ne savait pas ce que voulais vraiment entendre Isaac, s’il voulait encore garder certaines choses pour lui. Il ne savait pas si son frère voulait qu’il parle de lui ou qu’il lui parle d’Allie. En tous les cas, il avait l’air désespéré et son cadet ne pouvait rester insensible plus longtemps à son appel.
Après réflexion donc, Aidan décida d’aborder le dernier point. Au moins, le sujet « Allie sur le pont » ne le concernait pas directement ; ce serait sans doute plus facile pour lui d’en parler. Et encore…

« J’te l’ai dis, je peux seulement émettre des hypothèses sur ce qui s’est passé là-bas et…et si elle sait que j’t’en parle alors qu’elle t’en a visiblement pas parlé elle-même,… elle va m’tuer » déglutit-il en levant son regard inquiet vers son frère qui lui fit signe de poursuivre « Une nuit… »

Aidan marqua une pause, sentant déjà sa gorge se nouer sous l’émotion. Le sujet qu’il allait aborder était délicat. On ne peut plus délicat. Finalement, il n’aurait peut-être pas dû commencer par ici… Mais maintenant qu’il y était, autant y aller carrément.

« Une nuit, quand j’étais plus petit, je me suis réveillé après un cauchemar. J’avais vu Aahron tomber d’un échafaudage ou quelque chose comme ça, j’suis plus sûr. Enfin bref, maman…maman est venu dans ma chambre et elle m’a demandé de lui raconter mon rêve. Elle faisait souvent ça. Jamais devant vous parce qu’elle savait que… enfin tu sais… que j’aimais pas ça » murmura-t-il, le regard fuyant, avant d’avaler une gorgée de sa bière « Cette nuit-là, elle m’a dit que… quand elle était enceinte de moi… parfois elle voyait des choses. Elle m’a expliqué que c’n’était jamais vraiment clair juste… des images qui lui venait de temps en temps. Comme des…flashs. Et ça arrivait toujours juste avant…juste avant que quelque chose de mal arrive » ajouta-t-il dans un souffle à peine audible, relevant enfin ses yeux clairs pour observer les réactions de son frère « Elle m’a dit que ça lui était resté. Après ma naissance j’veux dire. En quelque sorte. Mais qu’elle pouvait juste… sentir quand moi j’avais un problème. C’était plus des images, juste… des certitudes. Des genres d’intuitions comme quand on sait qu’on a oublié d’éteindre le gaz » tenta d’expliquer Aidan, ayant retrouvé sa verve d’antan « Elle le sentait au fond d’elle et c’était à cause de ça qu’elle me croyait. C’est pour ça qu’elle a toujours pris mes rêves au sérieux et qu’elle m’a jamais engueulé parce qu’à huit ans j’mouillais encore mon lit parfois » ajouta-t-il… regrettant immédiatement d’avoir livré ce genre de dossier à son frère aussi facilement « Enfin… ça n’s’est pas arrêté pour moi, tu comprends ? Maman a téléphoné à Aahron pour qu’il n’aille pas travailler ce jour là, parce qu’elle avait un mauvais pressentiment et il l’a envoyé bouler. Et le soir même, il l’appelait de l’hôpital pour lui dire qu’il s’était cassé le bras en tombant d’une échelle… Personne ne l’écoutait jamais elle, alors pourquoi vous m’écouteriez ? …Enfin bref, j’pense que c’est à cause de moi que maman voyait ces choses. J’pense que c’est à cause du bébé qu’Allie voit des trucs » continua Aidan, très peu à son aise, le regard de nouveau fuyant « Tu…tu pourras rien faire. Les scanners te serviront à rien et tu pourras pas mettre de mot là-dessus, Isaac. Moi j’vis avec ça depuis je n’sais même pas quand et je peux toujours pas l’expliquer correctement… »

Il marqua une nouvelle pause, mordillant sa lèvre inférieure pour essayer de retenir le flot de larmes qui menaçaient de s’écouler depuis un moment maintenant.

« Alors si, Isaac, tu vois, j’suis tout seul. Vous pouvez pas comprendre. Même Allie peut pas comprendre » ajouta-t-il en hoquetant douloureusement « On était comme… reliés maman et moi. Elle nous aimait tous pareil mais… elle pouvait ressentir c’que j’ressentais, savoir quand ça n’allait pas, quand ça allait bien, et moi j’pouvais faire pareil avec elle. C’était comme… une partie de moi, tu vois ? » ajouta-t-il dans un reniflement, avant d’essuyer quelques larmes d’un revers de sa main « Et…et quelqu’un me l’a arraché. Ils ont arrachés une partie de moi, Isaac ! Qu’est-ce que tu peux faire pour arranger ça ? j’ai senti maman mourir. À l’intérieur ! » grinça Aidan entre ses dents serrées par le ressentiment, pointant l’index de son bras plâtré contre sa poitrine « Je l’ai senti MOURIR, tu comprends !? T’as pas voulu me croire quand j’t’ai dis cette nuit là qu’elle était morte ! Tu m’as dis que c’était juste un autre mauvais rêve ! Tu m’as dis que c’était rien et qu’on l’appellerait demain !! Tu m’as dis que c’était juste un rêve, Isaac, et c’était faux !! C’était pas juste un rêve, elle était morte et tu m’as pas cru ! Tu m’as pas écouté ! Personne ne m’a jamais écouté à part elle et ils me l’ont enlevée ! J’suis tout seul maintenant ! J’suis tout seul !! »

Et sans plus rien ajouter, il fit passer ses bras autour des épaules de son frère et se blottit contre lui en sanglotant sans retenue…

Il se sentait stupide. Ça lui arrivait très souvent et Aidan avait pour habitude de toujours se fourrer dans des situations pas possible. Comme la fois où il était bourré et avait coincé son pied il ne savait comment dans les cabinets. Ou cette fois pas si lointaine où il s’était évanoui dans son assiette… Bref, il avait malgré lui un potentiel incroyable à la stupidité. Mais là, pleurer comme une gonzesse devant son frère en lui parlant de sa mère qu’il avait senti mourir à l’intérieur de lui… vraiment, il faisait fort.
D’un autre côté, il ne pouvait pas s’en empêcher ou se contrôler. Il se trouvait méprisable, cramponné de la sorte à son frère qui le serrait contre lui avec force.
Et soudain, Aidan comprit. Il n’était pas le seul à craquer. Peut-être même qu’Isaac avait attendu qu’il le fasse pour se laisser aller lui aussi à relâcher la pression et ouvrir les vannes pour enfin se libérer de ses tensions. Son visage enfoui dans le creux de son bras contre l’épaule de son frère, il oublia qu’il se sentait idiot. Parce qu’Isaac était tout sauf un idiot ou une pleureuse. Et si son grand frère pouvait le faire, alors lui aussi avait le droit.

Après quelques secondes, Isaac reprit la parole et les doutes d’Aidan se confirmèrent. Sa voix tremblait légèrement sous l’émotion qui lui compressait la gorge sûrement autant qu’elle l’avait fait avec lui un peu plus tôt. Malgré ça, il garda sa dignité et lutta contre ses sentiments pour s’exprimer clairement.
Le flot de larmes qui avait envahi ses yeux s’estompa peu à peu, mais pas forcément parce que le jeune homme se sentait rassuré ou en confiance… Il aurait aimé que ce soit le cas, mais la seule chose qu’il pouvait ressentir c’était un grand vide. Son médecin de frère lui répétait qu’il l’avait compris, ne pouvait pas se mettre à sa place mais que blablabla. En bref, il lui disait ce qu’il imaginait certainement qu’Aidan avait envie d’entendre. Sauf qu’il tombait à côté de la plaque.

Le jeune homme s’écarta de son frère pour retrouver sa position initial dans le lit, tentant de masquer sa frustration. Il renifla une fois encore puis essuya ses yeux mouillés de ses paumes. Il n’osa pas croiser le regard sûrement aussi humide que le sien d’Isaac, préférant fixer son drap délavé sans vraiment le voir à travers le rideau de larmes qui obstruait son champ de vision.
Aider les gens ? Son frère lui proposait d’utiliser ses dons pour aider les gens ? L’avait-il seulement écouté ?
C’était trop tard ! C’était sa mère qu’il aurait dû sauver ! Son père ! Il aurait dû les empêcher de partir, les faire revenir immédiatement ! Il les avait vu mourir des jours, des semaines avant que ça n’arrive effectivement. En vérité, ses cauchemars avaient même démarré le soir de leur départ. Et Aidan n’avait rien fait. Enfin c’était faux, il avait tenté de convaincre ses parents de rentrer, mais les résultats n’avaient pas été éloquents. Il n’avait aidé personne, au contraire. Et maintenant c’était trop tard pour eux.
Il n’avait pas empêché Aahron de se casser le bras ; ni Samuel de se faire casser un genou par les types à qui il devait de l’argent. Le jeune homme n’avait été d’aucune utilité à Allie sur le pont hier et n’avait même pas prévu sa propre chute en caddie ! Il ne pouvait aider personne ! Ses rêves n’étaient pas une bénédiction qu’il pouvait utiliser pour éviter des accidents, ils étaient une malédiction. Il était condamné à simplement voir à l’avance quels malheurs allaient survenir dans sa vie. Il avait essayé de changer le cours des choses mais ça ne marchait jamais.
Isaac n’avait rien comprit.
Il faut dire qu’il n’avait pas toutes les cartes en mains…

Aidan n’avait fait que survoler le problème. Il ne lui avait pas parlé de toutes les autres choses. Des genres de flash back dans lesquelles il se voyait brûler vif ou défoncer le crâne de la sœur d’un autre à la hache. Pas plus qu’il n’avait évoqué l’épisode de la cave et d’Allie avec lui… Et il ne comptait pas le faire. Pas maintenant, ni demain. Jamais il n’aurait le cran de le faire.
Isaac ne pouvait pas comprendre parce qu’Aidan ne lui en donnerait pas l’occasion. Il jurait que jamais il ne le considèrerait comme fou, mais s’il savait ce qu’il avait fait,…

« J’suis fatigué » lâcha-t-il mécaniquement, relevant son regard maintenant sec et éteint vers son frère « J’veux…j’veux dormir maintenant »

C’était faux évidemment, c’était bien la dernière chose qu’il voulait. Mais après le malaise qu’il venait de faire, il savait qu’Isaac ne le tiendrait pas plus longtemps éveiller pour le questionner.