Il n’avait jamais été trop mal à l’aise avec les femmes. Beaucoup d’entre elles aimaient les garçons a l’allure négligée, ça tombait très bien pour lui. Il n’avait jamais vraiment à faire d’efforts et se contentait généralement de sa salopette les jours où il allait au travail, et le reste du temps, il mettait la première chose sur la quelle il posait son regard et qui n’avait pas l’air trop sale.
Il ne prenait pas non plus la peine de se coiffer, il avait les cheveux plutôt longs mais raides et ils n’étaient pas rebelles. Il ne mettait jamais de déodorant, d’after shave et encore moins de parfum.
Parfois, il pensait à se raser, quand son père lui avait tellement prit la tête qu’il décidait de régler la question pour qu’il lui fiche enfin la paix.

Mais comme il s’agissait de Kathleen cette fois, et pour la première fois même, son look lui avait posé tout un tas de problème.
Il ne voulait pas avoir l’air de s’être fait tout beau comme ces beaufs à la télé, avec leurs bouquets de fleures ridicules, mais il ne voulait pourtant pas sentir le tabac froid, où porter un pantalon tellement troué qu’il aurait été plus judicieux encore d’y aller en caleçon.

Au bout de très longues délibérations intérieures, il avait opté pour un long pull d’un bleu presque noir qui n’avait apparemment, et après longue inspection, aucunes tâches, et un jean, un peu usé mais entier, dont les tâches de peintures étaient dissimulées par la longueur du pull.
Il pouvait, de plus, dissimuler son bloc de dessin à l’arrière de son jean, qui disparaissait complètement grâce à la largeur du vêtement.

Lui qui avait espéré piquer un somme, il avait rapidement oublié l’idée. Le moindre détail déclenchait des montées d’angoisses qu’il savait ridicule mais dont il ne pouvait se soustraire. Le pire avait été le choix du portrait d’elle qu’il montrerait à Kathleen. Il en avait une flopée, aussi bien chez lui qu’au garage. Il n’avait même pas eu le temps de retourner sur son lieu de travail pour s’assurer que son choix était le meilleur, comme il en avait eu l’intention au départ. Il avait finalement opté pour un dessin qu’il avait fait presque trois ans plus tôt. Il représentait Kathleen – bien sûr- son visage et une partie de son buste. Il avait passé un long moment à s’attarder sur ses cheveux, boucles au vent, et sur l’expression de ses yeux dont il n’arrivait jamais à être satisfait.
Pour en arriver à un choix aussi définitif, il avait suivit tout un chemin éliminatoire des plus compliqués, et qui avait mit ses nerfs à rude épreuve.
Mais comme toujours, il avait la solution miracle. Lorsqu’il sentait la tension monter, il avalait un petit verre, fumait une clope, se massait la nuque, et respirait un grand coup, avant de terminer par un autre verre pour fermer la marche.

Ca fonctionnait toujours.
Au bout d’un moment pourtant, lorsqu’il avait enfin trouvé le dessin, il s’était redressé –puisque ses dessins étaient rangés sous son lit dans un bordel poussiéreux- et avait clairement sentit la tête lui tourner.
En d’autre temps, il en aurait été content, là, ça ne l’avait angoissé que plus encore.

Du coup, pour se calmer, il s’était avalé un tout dernier verre avant de se brosser les dents et de manger une banane. De un parce que l’odeur masquerait toute trace d’alcool, et de deux parce qu’il n’avait toujours rien avalé aujourd’hui et qu’il ne voulait pas de nouveau s’écrouler comme une lavette.

Après ça, il s’était mit en route pour regagner le parc où Kathleen l’attendait déjà sûrement. Le soir était presque complètement tombé sans qu’il n’ait l’impression d’avoir vu passer la journée.
A l’approche du lieu public, Logan pu percevoir déjà le murmure des conversations animées de ses voisins, réunis comme chaque mois pour la séance.
Une fois au coin, il s’arrêta deux secondes pour contempler le petit peuple de Grayson se mouvoir dans la pénombre naissante avec excitation.

GRENADE ! … TIREZ A VOLONTE !

Il aurait aimé, c’était certain, mais pour le moment c’était un autre combat qu’il devait mener…
Un combat contre lui-même et ses pieds qui refusaient de continuer à avancer.
Il se fit violence tout de même et rejoignit Charlie à la caisse.

« ‘lut Logan ! » lança-t-elle dans un sourire.
« Salut Charlie »

Elle tendit la main presque sous son nez, sûrement pour qu’il y dépose les 3 dollars 50 qu’il lui devait.
Il plongea une main dans sa poche et ébaucha un sourire qu’elle lui rendit de bon cœur.
Il l’avait toujours trouvé un brin bizarre, et pas vraiment de Grayson, comme ailleurs, tout en étant là, mais il avait essayé de la draguer une fois. Rien de bien méchant, mais il avait toujours eu un faible pour les grandes minces aux cheveux châtains…
Elle l’avait gentiment repoussé, lui avait rendu la monnaie de ses courses, comme elle lui rendait la monnaie de ses 10 dollars maintenant, et lui avait souhaité une excellente journée.
Ce genre d’approche pouvait faire des vagues à Grayson, mais elle ne l’avait apparemment raconté à personne et c’était tant mieux.

Après l’avoir remercié d’un petit hochement de tête et d’un sourire, il fourra l’argent dans sa poche et balaya l’assemblé d’un regard un brin inquiet.
Généralement, Nathaniel venait toujours le faire chier à un moment où l’autre de la soirée, de temps en temps, il croisait sa mère qui se sentait obligé de lui énuméré toutes les personnes avec qui elle avait eu une conversation, et c’était souvent Madame Pietsky malheureusement, parfois aussi, le Maire Ferguson se sentait obligé de lui parler et c’était pénible car ils ne pouvaient pas avoir encore moins de choses à se dire. Sans parler de Madame Pietsky, qui venait l’avertir chaque fois qu’elle croisait sa mère.
Pour ajouter au décor cauchemardesque, les Donnelly semblaient s’être carrément incrustés à la fête.

En plus d’être avec Kathleen, passer la soirée dans la cabine de projection allait lui éviter cette torture mensuelle. Que du bon.
Sans avertir personne de sa présence, il se dirigea d’un bon pas vers le petit cabanon, en retrait, derrière les nombreuses rangées de sièges.
Logan espérait y trouver Kathleen, il espérait qu’elle soit seule, que personne ne l’ait vu, et remerciait une fois de plus ce pull sombre qui le faisait passer relativement inaperçu.
Une fois dissimulé à la vue de tous, du moins il priait pour, il se stoppa tout net et fixa la poignée de porte comme si il essayait de la faire bouger par la simple volonté de son esprit.
Il prit sur lui, respira le plus profondément et le plus silencieusement possible, puis saisit la poignée, se souvint qu’il valait mieux frapper avant tout de même, lâcha la poignée, frappa deux petits coups, et enfin, reprit la poignée et la tourna.

Logan pénétra lentement dans la cabine de projection et fut soulagé d’y voir Kathleen, et seule, qui plus est. Epoustouflé que rien n’ait encore tourné au désastre, il étira ses lèvres en un sourire tandis que la jeune femme se redressai pour lui faire face.

Ce qu’il en disait ?
Ce qu’il en disait il valait mieux qu’il le taise, sinon il allait passer pour un fou.
Si il avait pu être franc, si il avait pu lui répondre vraiment ce qu’il avait envie de répondre, il se serait mit à hurler de joie et n’aurait rien articulé de très sensé.
D’ailleurs il du se faire violence pour ne pas avoir l’air trop heureux, pour rester en place. Et il dut se faire violence pour contrôler le ton de sa voix et les mots qui sortaient de sa bouche.

« Oui c’est… » il acquiesça vivement « Ok, c’est super ! »

C’est tout ce qu’il se permit d’articuler avant de se reculer pour s’assoir dans un coin de la cabane et de poser son bloc de papier sur ses genoux relevés devant lui.
Logan ne tenait pas vraiment à ce que Kathleen voit le dessin avant qu’il ne soit totalement terminé. En règle générale il n’aimait pas vraiment qu’on vienne se pencher par-dessus son épaule pour voir ce qu’il dessinait. Là, la pression était plus forte encore. C’était la première fois qu’il dessinait de cette manière, avec un modèle. Surtout que le modèle était Kathleen en personne et ce simple fait faisait pomper son cœur avec frénésie.
Ca ne rendait pas ses mains bien sûres, mais au fond il s’en fichait. Il l’avait dessiné des dizaines, non, des centaines de fois depuis 15 ans, il connaissait ses traits par cœur et aurait presque pu la croquer les yeux fermer.
Du coup, et comme tout s’était déroulé de manière parfaite jusque là, il doutait de rater cet énième portrait d’elle.
Surtout que le dessin, depuis le début, n’était qu’une excuse pour passer du temps avec elle. Il allait pouvoir l’observer autant qu’ile voulait sans que cela n’ait l’air bizarre.

Le jeune homme prit une profonde inspiration, observa quelques instants sa feuille blanche, puis releva ses yeux sombres sur Kathleen.
Elle n’avait pas l’air très sûre d’elle, il trouvait cela adorable.

« T’es pas obligé de… de rester totalement immobile ou… enfin mets-toi comme tu veux, tu peux bouger je veux dire » lui précisa-t-il pour ne pas qu’elle attrape une crampe à rester immobile comme une statue.

Ils échangèrent un bref sourire, puis elle détacha son regard du sien pour le poser sur l’écran.
Il s’accorda 30 brèves secondes avant de commencer à dessiner, pour bien réaliser ce qui était entrain de se passer.
Il était avec Kathleen, seule, elle n’était rien que pour lui, et le laissait la dessiner.

« Tu es parfaite comme ça » s’autorisa-t-il à lui dire.

Dès que le dessin serait terminé et même si le film n’était pas fini, il n’aurait plus de raison de rester dans la petite cabine de projection, il devrait partir, faire acte de présence – un minimum bien entendu- auprès des autres habitants, alors il voulait goûter le moment pleinement avant d’enfin se mettre à l’œuvre.
Et il n’avait qu’une hâte maintenant, retourner chez lui pour pouvoir se repasser encore et encore, et encore et encore toute la journée d’aujourd’hui. D’ailleurs, il en avait tellement hâte qu’il passerait peut-être même sur l’étape ‘faire acte de présence’ et rentrerait immédiatement chez lui.
Et dernière chose : il pouvait affirmer avec sûreté que c’était à peu près le plus beau jour de sa vie.

Une fois qu’il eut bien réalisé tout cela, il baissa la tête et commença à dessiner, un vague sourire permanant planant sur ses lèvres.

C’est fou comme tout était plus simple, et plus limpide maintenant qu’elle posait pour lui. Chaque traits coulait de source et c’était comme si sa main courait toute seule sur le papier.
D’ailleurs, tout était plus simple et plus limpide en règle générale.
Tous les problèmes du moment lui paraissaient bien vagues et dérisoire comparé a ce qu’il était entrain de faire.
Nathaniel, les Donnelly, Grayson, le reste. Et pour la suite, lorsque tout ses soucis reviendraient au premier plan, il suffirait qu’il repense à cette journée pour se souvenir que l’important, c’était surtout Kathleen, et que le reste n’était que le remplissage de sa vie.