La journée se termine, il est vingt heures. Le Commissariat est pratiquement vide, la lumière de mon bureau grésille. Il va falloir que je la change, ce n'est plus possible. Mes yeux sont fatigués et je ressens des douleurs dans mes épaules et dans mon dos. J'ai passé la journée à trier les Archives et les pièces à conviction, je suis claqué. Aujourd'hui, Dakota a demandé à finir plus tôt pour amener sa fille je ne me souviens même plus où. Bref, ce soir, elle est seule. Ca arrive parfois et presque exclusivement à chaque fois, nous en profitons pour nous retrouver entre nous. Chez l'un ou chez l'autre, on apporte de quoi manger, de quoi boire et on passe la soirée comme si nous étions deux adolescents. Généralement je m'endors le plus souvent sur le canapé, trop ivre pour prendre la route jusqu'à chez moi.
Mes doigts frottent mes yeux alors que mon téléphone vibre. Je le saisi afin de regarder de quoi il s'agit. La réponse de Dakota. Elle accepte qu'on se voit ce soir, je souris et lui réponds simplement « J'arrive ». Je me lève, je dénoue le noeud de ma cravate et je prends ma veste qui se meurt sur le dos de ma chaise de bureau. J'éteins mon écran d'ordi ainsi que ma lumière puis je ferme la porte de mon bureau. Il y a Greg, l'homme qui entretient nos locaux. Je lui souris en lui souhaitant une bonne soirée, puis je prends l'ascenseur afin de regagner le parking. Ma voiture est la seule ici présente, j'entre à l'intérieur, je me sens déjà un peu mieux. Je retire complètement ma cravate et j'allume le contact afin de quitter mon lieu de travail.
M'engageant dans la rue principale de Gower, je n'ai pas allumé mon auto-radio. Il pleut à fine goute, j'ai ma fenêtre d'ouverte. L'air frais et l'odeur de la pluie fraîche me chatouille les narines, ça me fait du bien.
Après quelques minutes sur la route, je trouve un magasin ouvert la nuit. Je me gare devant et entre à l'intérieur. J'ai ma plaquette d'Inspecteur qui pend à mon pantalon, les gens me regarde avec un respect propre. Celui que l'on donne, qu'on se donne, uniquement à la vue d'un uniforme, d'une plaquette en or ou en argent. Et on appelle ça le pouvoir?...
Je suis comme d'habitude, le visage assez fermé, je me dirige vers le stand des boissons. Je prends un Pack de bières puis une bouteille de vin rouge. Pour ce qui est de la bouffe, je verrai, comme d'habitude, ce qu'elle a dans son frigo et je m'ajusterai. J'ai faim, je meurs de faim même. Mais Dakota ne sait pas cuisiner et à chaque fois, c'est moi qui m'y colle.

Je paie, je regagne alors ma voiture, posant mes achats sur le siège avant. Je reprends la route et me dirige vers la résidence de mon amie. Il fait noir, la nuit semble calme à Gower. La pluie détend tout ce qui pourrait s'enflammer, ça fait du bien d'entendre ce bruit. Après quelques minutes, j'arrive enfin à destination. Je ferme ma voiture, après avoir prit mes courses, puis je me dirige vers la porte d'entrée de ma collègue. Je frappe doucement, elle m'ouvre. Je lui souris faiblement avant de déposer un tendre baiser sur sa joue, alors qu'elle m'invite à entrer.

« Encore une! » s’exclama la fillette, tapant de ses mains sur le matelas.
« C’est la troisième et il me semble qu’on avait négocié pour une seule histoire » protesta la mère en refermant le livre.
« Une dernière, s’il te plaîîîîîît » gémit-elle avec une moue suppliante.
« Range moi ces yeux larmoyants jeune fille, ça ne prend pas avec moi » plaisanta l’inspectrice avec un léger rire. « Tu te lèves tôt demain pour passer la journée avec les Baker et mieux vaut que tu sois en forme vu le programme que vous a concocté Penny. Alors je veux que tu fermes les yeux et que tu essaies de dormir maintenant. »
« Très bien » consentit Mimi en boudant un peu.
« Bonne nuit, fais de beaux rêves »

Et laissant une veilleuse allumée, elle quitta la chambre en fermant doucement la porte, se dirigeant vers la salle de bains pour prendre une douche bien méritée. La trentenaire avait presque oublié combien il était exténuant de concilier une vie professionnelle et un rôle de mère, bien plus que de se lancer corps et âmes dans des affaires en s’accordant quelques heures de sommeil par nuit avant de recommencer une journée de travail.
Sans compter ses journées doubles entre son travail au commissariat et l’aide apportée aux Donnelly pour leur enquête officieuse. La jeune femme laissa l’eau la débarrasser des tracas de la journée, ne traînant pas trop sous la douche. Une fois séchée, elle répondit au message de son coéquipier par l’affirmative, ne disant pas non à un bon verre ou deux.

S’habillant plus confortablement d’un jean et d’un haut léger, elle laissa ses cheveux sécher librement. Un coup d’œil à sa main, tremblante, lui fit ouvrir la pharmacie, prenant la boîte d’anti-dépresseurs, avant d’en avaler un. Elle ne prenait même plus la peine de les faire descendre avec de l’eau, question d’habitude. Une habitude que le médecin de Trimble lui avait fait passer depuis six mois maintenant, mais l’avantage à être flic était qu’on pouvait assez aisément contourner la loi et les prescriptions médicales. Drôle d’ironie.

Le temps qu’elle termine de mettre un peu d’ordre chez elle et quelques coups légers furent frapper à la porte. Elle ouvrit à la volée, un léger sourire flottant sur ses lèvres et le fit entrer. Un baiser sur la joue, qui la mit mal à l’aise, comme toute forme affective avec un homme, qu’il soit un parfait inconnu ou son plus vieil ami, et elle referma derrière lui, ne tardant pas à lui prendre le pack de bières.

« Et comme toujours il a pensé à tout » plaisanta-t-elle en se dirigeant vers la cuisine. Inutile de lui dire de faire comme chez lui, Fredrick le savait et elle ne se formalisait plus de ce genre de politesse depuis longtemps. Depuis qu’elle vivait seule en fait. Sans même lui demander d’ailleurs elle lui décapsula une bière, avant de lui tendre, faisant de même pour elle. Dakota trinqua, et but une longue gorgée, laissant échapper un soupir d’aise. « Pas de catastrophe au royaume de Gower en mon absence? » demanda-t-elle pour la forme, bien que le sujet travail déviait en général rapidement sur des faits moins sérieux et ennuyeux.

Rapidement, je me mis à l'aise, comme d'habitude. Ce qui me plaisait dans ma relation avec Dak' c'est qu'il n'y avait plus de chichis entre nous. On se connaissait depuis plus de 10 ans et on avait vécu pas mal de choses ensemble. Nous avions un lien très fort. C'était ma seule et unique véritable amie. On se racontait la plupart des évènements qui remuaient nos vies personnelles et professionnelles. On partageait beaucoup, les bons comme les mauvais moments. On se soutenait, on se comprenait, on s'acceptait. Dak' était comme la soeur que je n'avais jamais eu mais ça, je ne lui avais jamais dit clairement. Elle le savait, elle le voyait, elle le comprenait...
Je déposais ma veste dans son entrée, alors qu'elle me prit le Pack de bières, tout en se dirigeant vers la cuisine. Je la suivis et déposa la bouteille de vin rouge sur son plan de travail. Je souris à sa remarque et ne tarda pas à lui répondre :

« Tu m'as tellement habitué aussi... »

Je la regardais, histoire de voir si elle souriait à ma petite remarque humoristique, puis je remonta mes manches avant de trinquer avec elle. Je bus une longue gorgée puis déposa ma bière près de la bouteille de rouge. Me tournant, je me dirigeais vers le frigo de mon amie pour voir ce qu'elle avait de comestible. Je fouillais un peu et trouva mon bonheur. Des légumes pas totalement pourris et un reste de poulet, aller hop, je me démerderai bien avec ça ! Je lui lança alors :

« Tu songes à faire tes courses rapidement? »

Fermant la porte après avoir fait ma séléction, je commence alors à me saisir de tout ce qu'il me faut pour commencer à cuisiner. Elle est près de moi, me regardant faire. Je ne tarde pas à tousser dans mon épaule puis de répondre à sa question précédente :

« Tu n'as rien loupé, j'ai trié les archives toute l'après-midi, j'ai le dos en miette. L'année prochaine, c'est toi qui t'y colle. »

Je souris légèrement alors que je commence à éplucher les légumes pour ensuite les couper. Je cherche un fait-tout pour y mettre de l'eau afin de la faire bouillir. Il faudrait que je prépare une petite sauce pour agrémenter tout ça ! Je lève ensuite les yeux histoire de regarder le salon et remarque un silence étonnant dans la maison de ma collègue, je ne tarde donc pas à relever :

« Mim' dort? »

Ces petits moments étaient assez appréciables, comme une parenthèse dans son quotidien pas toujours rose. L’inspectrice s’était longtemps interdit de devenir trop proche de son coéquipier. Elle l’avouait même, cette dernière l’avait méprisé la première fois qu’ils avaient été présentés. Elle le trouvait chétif, manquant cruellement d’assurance, et savoir que c’était cet homme qui assurerait ses arrières lui avait fait craindre pour ses fesses. Et par respect pour Patrick aussi, parce qu’elle ne voulait pas qu’il se fasse des idées sur cette relation professionnelle.
Et puis Dakota lui avait donné une chance, et elle avait fini par apprécier cette personnalité si opposée à la sienne. Fredrick était le seul homme à qui elle faisait pleinement confiance et qui savait presque tout de sa vie. Presque.

Peu importe l’amitié qui les liait, certaines choses restaient terrées. La jeune femme ne parlait pas de son divorce, très peu de sa fille quand elle n’était pas avec elle et jamais de son fils décédé. Pas plus qu’elle n’avait révélé à son coéquipier qu’elle prenait encore des anti-dépresseurs. Il l’aurait secoué et fait la morale pour ça et elle en avait besoin pour tenir.
Mais exceptés ces détails sur des périodes douloureuses de sa vie, c’était celui qui la connaissait le mieux. Le voir fouiller dans son réfrigérateur et dans ses placards, plus au courant de son équipement culinaire qu’elle-même lui arracha d’ailleurs un sourire.

« Où est ton sens de l’observation collègue? Le troisième rayon regorge de plats cuisinés » rétorqua cette dernière avec malice. « Pourquoi je m’embêterais à passer trois heures en cuisine sur un plat alors que d’autres s’en sont donnés la peine et que deux petites minutes au micro-ondes m’assure le même résultat…ouais ou presque » consentit la jeune femme dans une grimace.

Elle l’avouait, ces fameux plats avaient souvent un goût de carton mais ses papilles gustatives avaient finis par s’y habituer.

De sa plainte elle se contenta de lui adresser une petite moue moqueuse, qui signifiait autant « pauvre chou » que « mauviette », avant de boire une gorgée de sa bière, bien installée sur un tabouret haut, face à lui. La paperasse ça n’avait jamais été son truc, ils le savaient tous les deux. Les rapports passaient encore mais le reste…
Elle laissa planer quelques secondes de silence, se retournant presque par réflexe vers le couloir, avant de lui répondre.

« Oui. Elle a une grosse journée demain » souffla-t-elle comme pour clore le sujet. Après tout elle aurait préféré passer la journée avec sa fille plutôt que la confier aux voisins, mais son travail ne lui permettait pas de prendre des congés comme elle le souhaitait, surtout ces derniers temps où les évènements semblaient aller de mal en pis. Et pour dévier vers un sujet moins prise de tête pour elle, la fliquette rebondit vers quelque chose de beaucoup plus léger. « Tu devrais aller voir la standardiste…pour ton dos. D’après Mike elle a des mains de fées et j’ai vu comment elle te regardait » sous entendit clairement Dakota avec un petit sourire moqueur, sachant qu’il n’était forcément très à l’aise sur le sujet de ses « amies ».