04. Ding doooong ! [Elizabeth & Kathleen]

previously (Kathleen)

Le soleil vient de se lever, on est heureux de retrouver... bah son mec... Après le dîner d'anniversaire qui s'est terminé comme il s'est terminé [ahem c'est à dire on verra bien...], Elizabeth avait temporisé quelque peu, mais il n'y a pas, son sherif préféré lui manquait. Oh bien sur, il n'était pas question de faire étalage - toujours pas - ni de s'enfermer dans le bureau pour tester le confort du plancher - quoique... Mais juste aller le voir, discuter un peu, tout ca tout ca... Bref, le côté adolescente mignonne, les mains dans le dos, se dandinant sur ses deux pieds, les joues roses et toute personne présente dans un rayon de 2 km faisant semblant de ne rien voir.

Idiot, mais mignon.

Elle savait que le reste de la journée serait consacrée à l'inventaire mensuel de l'épicerie, en tout cas une bonne partie. Si elle avait le temps, elle ferait le réassort immédiatement auprès des fermes du village. Sinon... Peut être essaierait-elle une nouvelle fois de "souhaiter la bienvenue" aux Donnelly. Un gâteau peut être... Si elle ne tombait pas sur Aarhon, elle espérait avoir une chance de s'en sortir grace à un sourire idiot et un "je crois qu'on est partis du mauvais pied" suave. Peut être...

En se dirigeant vers le bureau du sherif, elle jeta un coup d'oeil soucieux au ciel. Toujours aucun nuage à l'horizon, le soleil plombait déja l'atmosphère d'une chaleur presque palpable, que la nuit avait à peine réussi à atténuer. Une chaleur caniculaire telle qu'elle craignait qu'un jour, on en déplore un mort. Ou deux. Parmi les plus vieux, bien sur. A la réflexion, si Mme Pietsky pouvait passer l'arme à gauche à cause de la chaleur, personne ne la regretterait. Mais Elizabeth savait bien que la championne internationale de la tourte à la pâtée pour chat était aussi indévissable qu'un boulon rouillé : vous avez beau le passer dans le beurre, l'huile et la margarine réunis, rien ne le fera lacher. Et il continuera à vous saloper votre déco avec ses coulures de rouille disgracieuses... Mais n'empêche, chacune des personnes impliquées le savait, elle y compris, il fallait trouver une solution rapidement, ou les choses tourneraient mal pour les Graysoniens.

Elle poussa la porte du bureau et adressa un sourire chaleureux à la réceptionniste.

" Bonjour Kathleen ! Comment vas-tu ? "

Comment allait Kathleen ? La réponse était toute simple et tenait en un mot : mal.
La jeune femme avait passée une nuit épouvantable et ça n’était pas uniquement lié à la chaleur intenable de cet été caniculaire. Sa journée de la veille, celle qui aurait dû être la plus agréable de toute son existence, avait viré au cauchemar juste sous ses yeux. Et elle était forcée d’admettre que c’était en partie, en grande partie, de sa faute…
Elle s’était comportée comme une petite sotte et devait aujourd’hui en assumer les conséquences. Et Kathleen n’avait jamais été très douée pour ce genre de chose. Pleurer, roulée en boule dans sa couette fleurie ou devant un film de Meg Ryan, ça c’était facile, mais faire face à ses erreurs dignement… Mission impossible.
Après son déjeuner lamentable avec Grifith, elle avait été incapable de reprendre le boulot et s’était fait porter pâle, prétextant que le soleil l’avait un peu assommée et qu’elle avait besoin de repos. Une fois sa porte d’entrée passée, furieuse contre elle-même et le reste du monde, elle était montée prendre une douche glacée… et avait pleuré toutes les larmes de son corps sous le jet.

Sa mère s’était évidemment inquiétée de la voir à la maison aussi tôt et Kathleen avait dû prendre sur elle pour lui mentir. La standardiste du bureau du shérif avait faire croire que Declan lui avait laissé son après-midi pour la remercier des heures qu’elle avait passée à son poste juste après l’incendie. C’était passé comme une lettre à la poste.
Kathleen était ensuite monté recommencer à pleurer, se demandant si elle devait avoir honte de parvenir à mentir avec autant de facilité à sa propre mère. Mais elle s’était trouvé beaucoup d’autres raison de se sentir coupable.
La nuit était déjà avancée quand elle s’était enfin assoupie au-dessus de ses draps, épuisée, les joues humides et les yeux gonflés et rouges.

Bien entendu, elle avait fait un cauchemar qui l’avait arrachée à son sommeil réparateur et avait été incapable de se rendormir. Son père s’était mis à faire tinter sa cloche une bonne heure après cela, un peu trop tard puisqu’il avait déjà mouillé ses draps. Mère et fille avait donc passé l’heure suivante à gérer l’incident. La machine à laver avait refusé de fonctionner et la jeune femme s’était retrouvée penchée au-dessus de la baignoire à 4h du matin pour nettoyer, à la main, les draps et vêtements de nuit d’un Georges agité et honteux. Son père avait été insupportable après ça et lui et Tabata s’étaient disputés une bonne partie de la matinée, avant de réaliser l’apathie de leur fille et de finir par passer leurs nerfs sur elle.

N’en pouvant plus, la jeune femme avait finit par partir une heure avant le début de son service. Elle avait rattrapé son retard de la veille en une petite demi-heure. Declan avait été surpris de la voir débarquer aussi tôt mais n’avait fait aucun commentaire, se disant certainement qu’elle se sentait juste coupable de son absence de la veille.
Pour sa part, il avait été contraint de venir un peu plus tôt pour prendre la place de Grifith. L’adjoint avait dû passer la nuit au poste pour surveiller leur prisonnier, Isaac Donnelly. Le shérif était censé le relâcher le jour-même et semblait pressé de se débarrasser de ce poids sur ses épaules déjà affaiblies par les récents évènements.
Kathleen s’était laissée aller à pleurer quelques fois, profitant que son supérieur se trouve dans son bureau pour el faire en toute intimité.

Voilà comment elle allait ce matin. Mal, donc…
Elle essaya malgré tout de rendre son sourire à Elizabeth, s’apprêtant à lui mentir. Mais malgré elle et avec horreur, elle sentit ses lèvres se déformer en une grimace ridicule et ses yeux s’humidifier immédiatement. Et voilà, c’était reparti pour un tour.

Ça ne va pas très fort

Le sourire d'Elizabeth se figea dans une expression qui aurait pu être comique si Kathleen n'avait pas été en train de sangloter. Ses sourcils se levèrent d'un air soucieux et elle fut touchée par la détresse de la jeune femme. Laisser un moineau comme ca pleurer sans rien faire ? Ca ne rentrait pas dans la programmation de base d'Elizabeth. Aussitôt, elle en oublia son projet premier - a savoir papillonner allègrement avec son sherif d'amoureux secret - pour n'avoir qu'une chose en tête : tirer les vers du nez de Kathleen et peut être lui trouver une solution.
" Ca ne va pas très fort " était visiblement un doux euphémisme. Kathleen semblait aussi en forme que si son chat avait été écrasé sous ses yeux le jour de son anniversaire alors que son fiancé venait de lui annoncer qu'il était leucémique pendant qu'ils regardaient Titanic. En gros : la déprime était profonde. Et Elizabeth n'aimait pas la déprime. Elle était une adepte de la pensée positive - même si ses altermoiements amoureux devenaient de plus en plus durs à positiver - et n'aimait pas voir les autres au plus mal.
Les larmes de Kathleen provoquait donc la seule réponse sensée à son avis : l'aider dans ses problèmes.

" Que... " Elle regarda autours d'elle et finit par aviser une chaise tout aussi peu confortable que celle de la standardiste, mais ce n'était pas l'important. Elizabeth fit les quelques pas qui la séparaient de ladite chaise, et elle la traina pour la poser à côté de celle de la jeune femme. Avec toute la délicatesse qui la caractérisait, l'épicière s'installa en douceur sur la chaise, posa une main sur le bras de Kathleen, une autre sur sa cuisse et, avec un air de compassion non feinte, termina sa phrase : " Que se passe-t-il ma pauvre ? "

Kathleen pouvait être sure d'une chose : si Elizabeth prenait fait et cause pour elle, l'épicière pouvait bien être capable d'aller trouver le responsable de sa détresse et de lui réclamer des dommages et intérêts, lui bourrant le crane jusqu'à ce qu'il cède. Parce qu'elle en était sure, pour un résultat pareil, il devait y avoir de la testostérone dessous. Qui que ce soit, il risquait de passer un sale quart d'heure s'il s'avérait qu'il s'était comporté comme un goujat.

" Dis moi tout. On trouvera peut être une solution. " Et elle conclut avec un sourire plein de compassion et d'encouragements.

S’il y avait bien une chose que Kathleen détestait, c’était de se donner en spectacle. Et pourtant, pour la deuxième journée consécutive, c’était exactement ce qu’elle faisait. Elle avait déjà insulté Colleen en pleine rue, lui criant à plein poumon qu’elle n’était qu’une vulgaire « pute », devant témoins, et à présent, elle s’humiliait en craquant comme une idiote sur son lieu de travail. Heureusement que Grifith n’était pas là pour voir cela. L’adjoint du shérif en avait d’ailleurs déjà assez vu la veille.
Penser au jeune homme et à la façon dont s’était déroulé le repas ne fit qu’accroitre encore le loft de larmes qui sourdait de ses yeux rougis. Elle s’en voulait également de se sentir coupable alors que, de son côté, Grifith ne l’avait pas vraiment défendu dans un premier temps. Il n’avait pas vraiment pris la peine de nier que lui et Colleen avaient bel et bien couché ensemble la veille et la standardiste n’était pas aussi stupide qu’ils l’imaginaient. Elle avait bien senti la tension qui régnait encore entre eux et avait surtout entendu ses voisins répéter inlassablement qu’Armstrong et Jefferson étaient faits l’un pour l’autre et finiraient par se remettre ensemble.
Ce qui faisait d’elle le dindon de la farce. Pire, pour certains, elle devenait même la méchante de l’histoire, celle qui s’immisçait entre les deux amants…
A Grayson, c’était bien connu : Kathleen était l’éternelle célibataire, la vierge déjà vieillie fille à 24 ans. S’ils savaient ! Elle n’était pas aussi innocente qu’ils voulaient le croire.
Et Colleen l’avait découvert à ses dépends la veille.

La jeune femme tâcha de sécher ses larmes en vain. Et même si elle lui était reconnaissante de s’intéresser à son cas, la gentillesse dont faisait preuve Elizabeth ne l’aidait en rien à se calmer. Elle avait toujours apprécié l’épicière qui s’était toujours montrée compréhensive avec elle et ne lui avait jamais demandé quand elle comptait se dénicher un homme, contrairement au reste du monde…

Je suis vraiment désolée, ça ne m’arrive jamais

Elle tendit sa main libre vers le distributeur de mouchoirs dans lequel elle piochait sans compter depuis ce matin et tamponna ses yeux avant de le triturer nerveusement, n’osant plus croiser le regard de son ainée.
Si jamais Declan décidait de sortir de son bureau maintenant, elle se ferait virer, c’était certain ! Il n’avait jamais été très patient avec elle et la voir dans tous ses états le mettait généralement hors de lui.
Elle se souvenait encore de sa première semaine de travail. La vielle Madame Hopkins qui avait pour habitude de venir prendre le thé avec sa mère était morte paisiblement, dans son lit, et c’était elle qui avait répondu à l’appel de son époux. Kathleen avait pleuré en l’annonçant au shérif qui l’avait immédiatement remise à sa place avec fermeté. La jeune standardiste avait envisagé de démissionner mais n’avait même pas osé le faire, par crainte de le voir s’énerver sur elle…

Il n’y a pas de solution, le mal est fait et bien fait

Je me suis comportée comme une idiote, c’est tout. Je devrai avoir l’habitude, c’est ce que je suis, une idiote écervelée. C’est ce que tout le monde pense, je l’sais bien et le reste du temps je m’en accommode

La jeune femme se moucha le plus discrètement possible, jetant un regard anxieux en direction du bureau de Declan, toujours fermé.

J'ai agis sans réfléchir, encore une fois

Elizabeth ignorait l'étendue de l'histoire qui se cachait derrière ce gros chagrin, mais elle soupconnait que le problème était peut être plus profond que la dispute entre elle et Colleen qui lui était revenu aux oreilles, autours du comptoir de l'épicerie. Liz n'y avait guère prêté attention, mettant cela sur le compte des petites histoires entre filles. Mais à la réflexion, et compte tenu de l'état de Kathleen, il y avait peut être plus...

La détresse de la petite standardiste était touchante, et Elizabeth ne pouvait certainement pas rester insensible. Ce n'était pas son genre, pas dans sa nature. L'épicière avait toujours considéré Kathleen comme une gentille fille, mais elle réalisa soudain qu'elle n'était plus une adolescente : la jeune femme avait 24 ans. Pourtant à la voir comme cela, on pourrait croire à un chagrin d'amour après trois jours de romance avec le fils du voisin, au fond de la cave desdits voisins, à se tenir la main dans la pénombre, ceci suffisant à déclencher un orgasme palmaire. Pour finalement découvrir que le fils du voisin préférait celle qui habitait à l'autre bout de la rue parce que sa mère faisait de meilleurs cookies...
Pourtant, Kathleen avait sans doute aucun dépassé ce genre d'histoire... Et puis cela ne justifiait pas les mots tendres proférés par Colleen.

Elle caressa doucement le bras de Kathleen.

" Ne t'excuse pas, voyons. On a tous le droit d'avoir des chagrins, des problèmes... Personne n'irait te le reprocher, tu sais. " Elle ignorait l'intransigeance de Declan à ce sujet, et aurait-il reproché quoi que ce soit à sa standardiste qu'il aurait du essuyer le courroux de l'épicière : même au travail, on peut se montrer gentil et attentionné, et Elizabeth n'aurait pas toléré ce qui lui aurait apparu comme un manque de coeur flagrant.

" Allons, d'une manière ou d'une autre, il y a forcément une solution. " Elle lui fit un sourire encourageant. " Qui plus est, tu te trompes, tout le monde ne pense pas cela de toi " Elle marqua un temps. " Moi je ne pense pas cela. Mais si tu restes dans cet état à te contenter de subir, ce n'est effectivement pas très malin. " Elizabeth lui sourit doucement. " Tu n'as peut être pas envie d'en parler plus en détail... " Vu ce qu'elle avait entendu [oui oui...], elle ne pourrait pas reprocher à Kathleen de ne pas vouloir s'étendre. " ... Mais on peut peut être trouver quelque chose pour... réparer ? "

Elle appréciait la conviction que mettait Elizabeth à lui mentir, mais la standardiste n’était pas dupe. C’était fichu, irrémédiablement fichue. Après la manière dont elle s’était comportée, avec Colleen et Logan, face à Grifith… personne ne voudrait plus lui adresser la parole. C’était certain et cette pensée la peinait.
Toute sa courte vie, elle s’était pliée à la volonté de chacun, s’était mise au service des autres sans rien demander en échange, avait encaissé les messes basses sans broncher, n’avait jamais fait parler d’elle (en bien ou en mal d’ailleurs). Et à la première erreur, les enfers se déchainaient sur elle tout entier !

Kathleen se moucha, écoutant les paroles réconfortantes de la gérante de l’épicerie. Elle médita sur ses paroles un moment, cherchant au fond d’elle-même la force de réfléchir à une solution. Un moyen de réparer le mal qu’elle avait fait.
Et en même temps, une petite voix entêtante venait lui glisser que ce n’était pas forcément à elle de s’excuser. Qu’il fallait qu’elle envisage la possibilité que c’était les autres le problème et qu’elle ne devait pas rejeter cette possibilité. Surtout pas !

Je…j’aimerai bien que ce soit possible

Le silence s’étira encore un peu entre les deux femmes, méditatif. Elizabeth, contrariée et attentive restait à ses côtés dans l’expectative. Kathleen, pour sa part, se sondait pour savoir si elle aurait la force ou non de raconter à la brune ce qui s’était réellement passé.
Elle n’avait jamais vraiment eu d’amis à Grayson. Elle en avait eu dans sa vie, mais toujours en dehors du village et trouvait que c’était le mieux à faire. Ici, tout le monde la connaissait et malgré les années, elle ne savait pas vraiment à qui elle pouvait ou non faire confiance. Les rumeurs couraient vite par ici et les murs avaient des yeux et des oreilles…
Cela dit, d’aussi loin qu’elle s’en souvienne, la jeune femme n’avait jamais entendu l’épicière dire le moindre mal de qui que ce soit. Elle se montrait toujours très patiente avec ses parents, tout comme Charlie d’ailleurs.
Et puis Elizabeth se proposait de l’aider et semblait sincèrement chagrinée de la voir dans cet état. Peut-être qu’il était temps qu’elle s’essaye à se faire une amie à Grayson… Enfin c’était un grand mot pour le moment.

C’est à cause… C’est parce qu’en fait

C’est à cause de Colleen Jefferson

Je suis allé manger avec Grifith Armstrong hier et nous l’avons croisé sur le chemin du Leo’s Deli. Elle s’est montrée… agressive. Envers lui et envers moi. Elle a sous-entendus des choses…grossières

Je me suis un peu emportée, je l’ai insultée moi aussi. Au beau milieu de la rue, devant tout le monde

Le mieux serait d’aller lui présenter mes excuses. Ma conduite était inacceptable bien sûr, mais… mais la sienne aussi

Elizabeth se sentait un peu désemparée. Elle aurait bien aimé trouver LE mot qui permettrait de résoudre le probleme apparemment insoluble de la jeune femme. Par ailleurs, Elizabeth était aussi titillée par autre chose : une curiosité terrible la poussait à assaillir Kathleen de questions. Il y avait de quoi ! Savoir le pourquoi du comment, les détails, tout cela faisait partie d'elle. Elle aimait bien savoir les petites histoires. En prime, connaitre les secrets de chacun pouvait parfois se révéler utile pour leurs autres activités...
Mais au moins on progressait... A dire vrai, Elizabeth savait peu de chose de Kathleen. La jeune femme était très discrète, au point de paraitre invisible. Elle n'avait jamais fait de vague - contrairement à sa meilleure amie, la volcanique Charlie. Il est vrai que comparée à son employée, qui faisait jaser tout le village et particulièrement les commères de service, Kathleen ne risquait pas d'attirer l'attention.

" Bien sur que c'est possible. Rien n'est jamais insoluble, tu sais. Même si ca n'en a pas l'air comme ca, de prime abord ! "

Intérieurement, Elizabeth eut un sourire ironique pour elle-même. Elle pouvait parler ! Elle-même ne trouvait-elle pas insurmontable une certaine situation avec un certain sherif ? hum ? Tant qu'à faire, elle pouvait tout aussi bien appliquer ses conseils à elle-même.
Oui mais ce n'était pas toujours aussi évident qu'il n'y paraissait, et les solutions pas toujours à court terme. Dans son cas, les complications étaient multiples : Suzanna, Grayson, l'Autre, les Donelly... mais cela n'avait peut être pas autant d'importance.
Il était donc possible que le problème de Kathleen présente autant de circonvolutions que les siens. Mais avant de pouvoir l'aider, si elle le voulait, il fallait que Kathleen lui parle.
Elizabeth attendait donc qu'elle se confie. En attendant et à defaut, au moins pouvait-elle lui apporter son réconfort. Et puis finalement... elle se lanca.

Ainsi Elizabeth avait tapé juste. Qu'est ce qui avait pu pousser les deux jeunes femmes à se déchirer ainsi ? Juste une histoire d'homme ? Elizabeth soupconnait que Griffith était l'enjeu, mais qu'y avait-il bien pu se passer pour en arriver là ? Kathleen avait-elle des vues sur le fiancé de Colleen ?

" Je vois... Mais avant de penser à lui présenter des excuses, pose toi une question, et honnêtement : est-ce que toi ou Griffith, dans votre comportement, avez donné des raisons à Colleen d'être aussi virulente ? " elle haussa une épaule. " Vous travaillez ensemble, vous êtes amis. Il n'y a pas de mal à diner ensemble, à moins que vous n'ayez donné une raison à Colleen de penser ... autre chose... " Elle conclut avec un haussement de sourcils interrogateur.

Le flot de larmes qui menaçaient de dégringoler sur les joues de la standardiste se tarie presque immédiatement à la remarque d’Elisabeth. Elle renifla, son regard braqué sur la tenante de l’épicerie près d’elle. Peu à peu, inconsciemment, elle s’écarta d’elle pour la toiser avec un peu plus de dureté.
Alors elle aussi pensait que Grifith et Colleen allaient se remettre prochainement ensemble. Elizabeth faisait partie des gens qui la prenait pour une briseuse de couple potentielle venue semer la zizanie aux deux amants. Colleen avait jeté les valises de l’adjoint dehors… Il avait fini par revenir vivre chez elle mais ils n’étaient pas rabibochés, loin de là !
Ils se faisaient même la guerre d’après ce que Kathleen avait compris.

Alors pourquoi Kath ne pourrait-elle pas se rapprocher d’un homme charmant et célibataire avec qui elle entretenait de bons rapports ? Qui est-ce que ça pouvait déranger au juste ? Colleen ? C’était elle-même qui avait voulu virer son fiancé de sa vie et de leur habitation commune. Pourquoi devrait-elle se sentir gênée de manger au restaurant avec Grifith ?
Est-ce que la postière s’était gênée d’avoir Logan à son bras ? Au contraire, elle paradait fièrement avec lui et ils avaient été surpris en train de fumer de l’herbe tous les deux lors de la séance de cinéma plein air ! C’était Declan qui le lui avait raconté.
Et quand l’incendie avait éclaté, ils s’étaient fait la malle discrètement sans venir ne aide à qui que ce soit. Kathleen était certaine qu’ils avaient même couchés ensemble cette nuit-là pendant que Joshua risquait sa vie et que les pompiers luttaient pour maitriser l’incendie.
C’était une autre histoire bien évidemment, mais ça prouvait quel genre de personne était Colleen Jefferson selon la jeune femme. Une mauvaise personne.

Et pourtant, c’était elle que tout le monde défendait. La pauvre postière bafouée qui voyait son couple mis en péril par la secrétaire de son fiancé. Ils oubliaient tous de placer le « ex » devant… Curieusement.

Je n’ai rien fait de mal

Et quand bien même Grifith et moi étions ne train de nous tenir par le bras, Colleen, elle, s’affiche avec Logan depuis des semaines maintenant. Je n’ai entendu personne demander à Grifith ce qu’il en pensait ou si cette attitude le dérangeait. Et je le connais assez pour savoir qu’il est peiné par tout ça

Tout ça pour dire que nous n’avions pas à donner à Colleen des raisons de se montrer mauvaises. Elle a fait son choix, le montre clairement, et n’a plus à interférer dans la vie de son EX fiancé qu’elle traite comme un moins que rien

Jouer la provoc avait au moins eu l'avantage de tarir le flot de larmes de la jeune femme. Elizabeth s'autorisa un petit sourire lorsque Kathleen eut terminé son discours.

" Le fait que deux personnes soient séparés et que leur histoire soit apparemment finie ne veut pas dire qu'ils ne ressentent plus rien l'un pour l'autre. Tu le vois toi-même avec Griffith : la relation de Colleen et Logan le touche. Mais je ne pense pas que ce soit dans son caractère de s'emporter de la sorte. "

Elizabeth haussa les épaules. Rapporté à sa propre expérience, elle n'était pas dupe non plus : Declan n'avait pas tiré un trait définitif sur sa défunte épouse, et ne le ferait sans doute jamais. Qui pouvait l'en blamer ? Leur histoire n'était pas finie à proprement parlé. Mais cela n'empêchait pas une autre histoire, différente, de voir le jour. Il fallait juste l'accepter. Elizabeth savait que son histoire avec Declan serait différente qu'avec la mère de Suzanna, mais elle en avait pris son parti, d'autant qu'elle n'était de loin pas perdante. C'était Suzanna qui devrait sans doute intégrer cette notion.

Et le petit trio. Ou en tout cas Kathleen et Colleen.

" Le fait que Colleen l'ait fichu dehors et qu'elle vive une autre histoire ne veut pas dire qu'elle n'éprouve plus rien pour Griffith, à mon avis. " Elle leva la main en prévision d'une protestation. " Ca n'excuse pas son comportement ! Ca l'explique, simplement. Parfois, on a du mal à accepter que l'autre refasse sa vie aussi facilement. Un fond de jalousie mal placée, sans doute. Mais si vous n'avez rien fait d'ostensiblement provocateur, et qu'elle même ne se cache pas de poursuivre sa vie de son côté, je ne vois pas en quoi tu devrais te mettre dans un état pareil. "

Elle eut un nouveau sourire d'encouragement.

" Là où tu as pêché, c'est que tu lui as répondu sur le même ton. De là à dire que tu as commis à crime, ca me parait excessif. Tu as peut être eu tort, mais je ne crois pas qu'il y ait beaucoup à te blamer : tu t'es faite attaquée sans raison valable, tu t'es défendue, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. Vous devriez simplement vous présenter mutuellement vos excuses, tout simplement. " petit silence. " Et si tu as agi comme une idiote, elle aussi. Tu ne crois pas ? "

Les affres de la culpabilité refirent surface alors qu’Elizabeth reprenait la parole, du même ton conciliant que précédemment. Kath s’en voulu instantanément d’avoir méprisé l’épicière, allant même jusqu’à ressentir de la colère à son égard. Elle s’était sentie humiliée et avait besoin de quelqu’un d’autre qu’elle à blâmer.
Colleen était la proie idéale mais elle ne se trouvait pas dans la même pièce qu’elle et jamais la standardiste n’aurait le courage de venir l’affronter. Parce qu’au fond, Kathleen avait conscience que la meilleure des choses à faire était non seulement d’aller la trouver pour lui présenter ses excuses, mais également tâcher de mettre les choses à plat avec elle.
Parce qu’Elizabeth avait tout à fait raison : un couple ne se séparait jamais aussi facilement qu’il y paraissait. IL y avait les larmes, il y avait la colère et le déni, les mêmes étapes que le deuil. Le deuil d’un amour, d’une vie qu’on avait envisagée commune.

Les gens avaient du mal à croire que Colleen et Grifith n’étaient plus ensembles pour de bons parce qu’ils apparaissaient à tous comme le couple de l’année. Encore mieux que la version Charlie/Grifith qui n’avait clairement pas fait l’unanimité à l’époque…
Elle passait pour la méchante parce que les habitants voulaient qu’ils se laissent une seconde chance et qu’elle les en empêchait. Kathleen allait tout gâcher et c’était terriblement égoïste. Au fond, elle savait qu’elle n’avait pas sa place entre eux.
Si personne ne semblait en revanche en vouloir à Logan, c’était simplement parce que tout le monde le méprisait déjà. Il avait mauvaise réputation et personne n’en attendait moins de lui.
Alors qu’elle… Elle, elle les décevait tous. C’était comme si elle venait de se mettre entre les graysonniens et l’écran de télévision qu’ils fixaient tous, au moment crucial du show. Et dans une ville majoritairement composée de quarantenaire femmes au foyer ou retraités… ça n’était pas une place à laquelle vous vouliez vous retrouver.

Je ne suis pas certaine qu’elle soit prête à le reconnaître

En fait, elle n’a même pas été si odieuse. Quand je l’ai insultée, je me suis attendue à ce qu’elle me frappe, m’insulte en retour mais… rien. Elle s’est contentée de tourner les talons alors que je me sentais de plus en plus ridicule

La jeune femme se moucha une dernière fois avant d’attraper sa corbeille à papiers pour l’y déposer. Elle se débarrassa de toux ceux qui encombraient déjà son bureau avant de refaire face à son interlocutrice en soupirant à fendre l’âme.

Je me suis simplement donnée en spectacle mais il n’y a pas mort d’homme je suppose. Je crois que ce qui m’agace le plus là-dedans, c’est que j’ai moi-même gâché un repas qui aurait pu s’avérer très agréable, tout ça parce que…parce que j’ai été jalouse. Elle a sous entendu qu’elle et Grifith avaient…vous savez… qu’ils l’avaient fait le matin même, et je me suis sentie idiote d’être en train de me trimbaler à son bras sans le savoir, en m’imaginant des choses. C’était un simple repas entre collègues, comment ai-je pu être aussi stupide ? C’n’est pas Colleen qui a soupçonné autre chose que ce qu’elle avait devant les yeux, c’est moi !

Parler lui faisait un bien fou et finalement, elle ne oubliait presque à qui elle avait à faire. Elle oubliait presque qu’elle aurait à faire ses courses dès demain à l’épicerie Pryde…

Elizabeth grimaca. Forcément, les triangles de cette sorte ne peuvent pas avoir de route toute droite, sans incident. Il y aurait forcément un des trois laissé au bord de la route attaché à un arbre, et à Grayson, il n'était pas sur qu'il y aurait une âme charitable pour recueillir le laisser pour compte. Ou plutôt la, puisque Griffith serait le seul à bien s'en sortir quelle que soit l'issue, dans la mesure où il était l'enjeu, dans l'histoire. En plus, vu la relation orageuse de Kath et Colleen, il y avait très peu de chance de voir se réaliser la troisieme possibilité...

D'autant qu'apparemment, Kathleen était bien amoureuse de Griffith. Même si elle ne l'avait pas dit vraiment, cela paraissait évident. Liz se demandait si ses propres sentiments étaient aussi évidents. Vu que personne n'était encore venu lui reprocher de gâcher la vie de Suzanna ou de salir la mémoire de la regrettée Mme Spelling, elle supposait que non.

Mais pouvait-on en vouloir à Kath de chercher le bonheur, et de se refuser à voir ce qui pouvait paraitre évident ? Qui plus est, la relation entre les deux ex fiancés était loin d'être claire, et Elizabeth comprenait que la jeune femme ait pu penser qu'elle pouvait tenter un coup dans l'histoire. Elle n'était peut être pas sure de remporter la mise, mais est-ce que les évênements de la veille voulaient dire qu'elle n'avait plus de jetons en main ? Elizabeth n'était pas aussi sûre que Kath que le casino soit fermé.

" Non, je ne pense pas que tu aies été stupide. D'abord parce que, que je sache, ils n'ont pas réemmenagé ensemble. D'autre part, le fait qu'elle l'ait sous entendu ne veut pas dire qu'ils l'aient effectivement fait. " Elle haussa les sourcils d'un air entendu. " Tu oublies quelqu'un dans l'histoire en prime. Qu'a dit Griffith, de son côté ? Comment a-t-il réagit ? " Avant de tirer des conclusions, mieux valait savoir ce que pouvait ressentir ou penser même le responsable involontaire de la situation. Elizabeth imaginait que dans un coin de sa tête, Griff devait se demander ce qu'il avait pu faire pour mériter un tel traitement...

A nouveau Elizabeth reporta la situation de Kathleen à sa propre expérience, et elle se félicita que Declan n'attire pas d'autres regards. Liz ne savait pas trop comment elle réagirait si une autre lui faisait du rentre-dedans un trop ouvertement. Sans doute assez violemment... Et pour le coup, Mme Pietsky et ses complices n'auraient pas fini de jaser...

Elizabeth était en train de mettre un peu d’ordre dans l’esprit embrouillé de la standardiste qui commençait enfin à sortir la tête de l’eau. Elle y voyait enfin plus clair et voyait sa situation prendre un nouveau tournant depuis qu’elle abordait tout ce problème par un autre bout.
L’épicière mettait le doigt là où il fallait et l’aidait à démêler tout ça avec une facilité déconcertante. Presque frustrante d’ailleurs pour Kathleen qui, depuis hier, se pensait perdue à jamais… Sa mère avait sans doute raison, elle avait un goût prononcé pour la dramatisation de chaque situation.

Grifith s’est montré… plutôt provocateur je crois

Elle s’était repassé le film de cette horrible conversation tellement de fois qu’elle n’était plus certaine de vraiment se rappeler de la version originale. D’autant qu’au moment où elle avait vécut la scène, elle était en proie à bon nombre d’émotions et avait pu, déjà à ce moment, déformer certains propos, leur trouver un sens qui n’était pas le bon. En bref, elle avait pu péter les plombs, ni plus ni moins, voir rouge et se laisser dépasser par une situation qui aurait pu connaître un tout autre dénouement si elle avait pris la peine de prendre du recule.
Mais ce qui était fait était immuable. Il lui fallait avancer à présent.

C’est difficile à dire. J’étais plutôt concentrée sur Colleen, mais il est resté assez passif face à ses sous-entendus…

Ses suppositions précédentes étaient sans doute correctes. Tout paraissait plus logique maintenant qu’elle évoquait les évènements à haute voix…
Grifith n’avait pas réagit parce qu’il connaissait assez Colleen pour savoir qu’elle était simplement jalouse et ne souhaitait pas entrer dans son jeu. C’était sa façon à lui de la rendre folle et de lui rendre la monnaie de sa pièce. C’était bien connu, l’indifférence était la plus terrible des armes.
Et comme une idiote, elle avait pensé qu’il ne la défendait pas. Alors qu’au contraire, il avait carrément attaqué la postière, juste là où ça faisait mal…

Kathleen grimaça et frappa son front du plat de sa main. Elle aurait pu ponctuer son geste d’un « quelle idiote ! » bien senti, mais elle s’était assez dévalorisée depuis le début de cet échange avec Elizabeth. Une Elizabeth très patiente, certes, mais qui devait se lasser de la rassurer sur son QI.

La jeune femme poussa une petite exclamation contrariée avant de laisser quelques secondes son regard encore brillant se perdre dans le vide. Elle se tourna ensuite vivement vers la tenante de l’épicerie, son cœur s’accélérant dans sa poitrine.

Est-ce que vous pourriez excuser mon absence auprès de Declan ? Je dois…J’ai quelque chose d’important à faire

Il fallait qu’elle se presse tant qu’elle avait encore le courage d’aller trouver Grifith. Déserter son poste n’était absolument pas dans ses habitudes, mettre fin à une conversation aussi impoliment non plus, mais de toute façon, elle n’agissait plus vraiment comme à son habitude depuis quelques temps. Depuis son séjour à New York qui avait eu plus d’impact sur sa vie qu’elle aurait pu l’imaginer.

Je suis désolée de vous laisser et… Vous m’avez été de très bons conseils, Miss Pryde

Si vous aviez une plainte à déposer, je vous invite à en parler avec le shérif, il se charge toujours de vos affaires de toute manière et voudra encore le faire cette fois je suppose

Elle espérait que toute sa gratitude passait dans son regard encore rougis de larmes qui ne couleraient plus. Du moins l’espérait-elle…

to be continued (Kathleen)

Elizabeth se sentait bien plus que ses 29 ans. A moins que ce ne soit Kathleen qui faisait bien moins que ses 25 ans... En même temps, si la jeune femme n'avait jamais quitté Grayson... Grandir ici prenait plus de temps : le vase clos que constituait le village ne permettait pas forcément de faire des expériences susceptibles de gagner en maturité, les gens avaient autre chose à faire qu'à acquérir cette expérience devant un poste de télévision et en prime, Kathleen ne faisait pas partie des "heureux" élus qui tenaient la vie du village entre leurs mains. Elle avait donc été épargnée par cette pression supplémentaire que représentait cette responsabilité - et le groupe disparate et inquiétant qui constituait les héritiers des premiers sauveurs de Grayson.

Quoi qu'il en soit, Elizabeth s'autorisa un sourire un brin amusé en voyant la réaction de Kathleen. Visiblement, la jeune femme avait fait un lien qu'elle n'avait pas encore établi jusque là. L'épiciere était curieuse de savoir à quelles conclusions la petite standardiste était arrivée, mais elle se retint - fortement - de poser la question. Apparemment, Kathleen avait juste eu besoin qu'on l'apaise et d'aide pour voir les choses sous un autre angle. Et il semblait que cet angle neuf lui redonnait espoir, à voir son excitation. Tant mieux. Et Elizabeth n'était pas dupe sur la course urgente que Kathleen voulait absolument faire immédiatement, et cela la fit sourire plus largement.

" Ne t'en fait pas pour ca. " Elle haussa les épaules, amusée. " Si cela contrarie le sheriff, je prendrai ta place ! Mais je ne pense pas que ca posera problème. " A la réflexion, Elizabeth était même sure que Declan ne remarquerait même pas son absence : il serait trop occupé. Par contre, la derniere remarque de Kathleen lui fit piquer un fard. Est-ce que la relation qu'elle entretenait avec Declan était aussi peu discrète qu'elle ne le semblait en entendant la standardiste ?!

" Oh... heu... oui... Tu crois ? Il me semble... Enfin de toute facon Griffith n'est pas là, donc ca réduit les possibilités. " Elle eut un nouveau sourire en coin en reprenant contenance. " Allez sauve toi. Je couvre tes arrières ! " Kathleen n'avait pas idée à quel point...

Et alors que la jeune femme quittait le batiment, Elizabeth poussait la porte du bureau de Declan.

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