Julie poussa un lourd soupir et tourna sèchement la page du magazine qu’elle s’était procuré quelques heures plus tôt à l’épicerie. Il datait du moins de juin mais c’était ce que Charlie avait de mieux et la petite blonde s’était résignée à découvrir les tendances vestimentaires de cet été en plein mois d’août...
Au point où elle en était de toute manière, son été était déjà totalement gâché. Elle qui avait prévu de fêter l'obtention de son diplôme de fin d'étude dans une destination exotique en compagnie de son petit ami devait se contenter d'un coin paumé à la frontière du Missouri. Pire, elle ne reconnaissait même plus Aidan, ne partageait plus son lit auquel son frère était obligé de l'attacher pour éviter les ennuis et commençait à ne même plus vraiment avoir envie de passer la moindre minute seule avec lui...

Elle peinait encore à se concentrer quand un vrombissement familier se fit entendre sur la table de chevet à sa droite. La jeune femme y jeta un œil et vit le portable d’Aidan tourner sur lui-même en vibrant. Elle adressa un regard coupable à la porte fermée de la chambre, tendant l’oreille pour entendre le bruit de l’eau qui coulait dans la salle d’eau où se trouvait actuellement ce qui restait de son petit ami.
Sans tergiverser bien longtemps, elle referma son catalogue démodé et se pencha pour attraper l’appareil et décrocher, sans prononcer le moindre mot. Elle voulait que le correspondant s’identifie d’abord, au cas où il s’agirait d’une fille…

« Allô ? »

Bingo…

« C’est qui ? » demanda simplement Julie, faisant fi des politesses d’usage, déjà agacée
« C’est Suzanna. Aidan n’est pas là ? »
« Il prend sa douche. J’allais le rejoindre justement » glissa la jeune femme d’un ton entendu « Qu’est-ce que tu veux ? »
« Je voulais savoir si Aidan me retrouvais bien ce soir, comme convenu »

Julie ouvrit la bouche mais ne trouva rien à dire. Avait-elle bien entendu ? Aidan ne lui avait JAMAIS parlé d’un rendez-vous prévu avec Suzanna ce soir ! Ils avaient passé leur matinée à avoir chaud et à s’ennuyer à mourir et finalement, il avait proposé qu’ils prennent sa voiture pour aller faire un bowling ou un cinéma dans la ville d’à côté. Mais il n’avait pas été question de rejoindre Suzanna ou un autre membre de sa clique. Et un plan de ce genre c’était juste hors-de-ques-tion !

« Oh, il a dû oublier de te prévenir. On se fait une sortie en amoureux ce soir »
« Hin ! …En amoureux. L’idée n’est pas de lui je suppose » se moqua la jeune fille à l’autre bout du fil
« Qu’est-ce que ça veut dire ? »

Julie se redressa sur son séant, toute envie de fanfaronner l’ayant soudain désertée. Pour qui se prenait cette espèce de rousse débile !

« Rien, rien. Dis-lui que j’lui souhaite bien du courage. Il comprendra… »

Et avant que Julie ait pu protester, Suzanna avait raccroché. Julie fixa le portable de son petit ami durant un long moment, la bouche encore ouverte, les yeux écarquillés, choquée.
Est-ce qu’elle venait bien de vivre ce moment ? Est-ce qu’elle ne s’était pas assoupie tellement le magazine était inintéressant ? Mais elle n’avait pas besoin de se pincer pour savoir qu’elle était parfaitement éveillée et que cette garce de fille du shérif venait de se foutre de sa gueule sans gêne ! Elle ne perdait rien pour attendre cette fausse Sainte Nitouche !

« Tu vas voir, sale pétasse ! »

Julie pianota sur les touches du portable pour se rendre dans le journal d’appel et joindre le dernier correspondant. Mais alors qu’elle allait cliquer sur le numéro, un détail attira son attention. Le numéro avait été appelé plusieurs fois ces derniers jours… Aujourd’hui même également. Le numéro de Suzanna donc.
Intriguée, Julie cliqua sur la petite flèche pour descendre dans la liste des appels et remarqua que le numéro revenait fréquemment. Celui-ci et quelques autres, tous inconnus. Après un instant d’hésitation et avoir jeté un nouveau coup d’œil en direction de la porte de la chambre, Julie décida d’en appeler un au hasard.
Après plusieurs sonneries, le répondeur se mit en marche. Celui de Sacha, la rousse qui avait le feu aux fesses.

Julie raccrocha immédiatement, le cœur battant à tout rompre, la bouche sèche. Une poignée de secondes plus tard, elle recommençait déjà à pianoter sur le clavier du mobile, à la recherche des SMS à présent. La boite de réception était vide mais elle en trouva un dans celle des envois…

« RDV ce soir à l’endroit habituel. Tkt l’autre conne grillera rien, elle me retrouverait avec ta bouche au bout d’la queue qu’elle verrait que dalle et me servirait du ‘mon amour’ avec son air débile habituel ! J’ai hâte d’y être ! Marre des couinements surjoués de la blondasse ! »

Julie avait dû s’y reprendre à plusieurs fois pour lire le message, sa vue se brouillant à cause des larmes qui inondaient maintenant ses joues rougies par un mélange de colère et de honte.
Comment avait-il pu dire toutes ces choses ? Comment avait-il pu lui faire ça ? Quel genre de personne pouvait faire une chose pareille à sa propre petite amie ? Pire : quel genre de personne était assez stupide pour tomber amoureuse d’un type pareil !
Après tout ce qu’elle avait fait pour lui, enduré, sacrifié pour lui plaire, il la traitait de cette manière ? Bon sang elle était trop STUPIDE ! Comment avait-elle pu passer à côté de ça ? Il la détestait ! Il la détestait alors qu’elle l’aimait à en mourir depuis le moment où ses yeux s’étaient posés sur lui !
Ca ne devait pas se passer comme ça ! Ils devaient se marier, avoir de beaux enfants blonds aux yeux bleus et vivre heureux ! Aidan devait devenir une super star et elle, elle pourrait se voir dans tous les magazines branchés, pendue à son bras ! C’était comme CA que devait se passer ! Tout était prévu et il gâchait tout !
Ce n’était pas Suzanna qui était naïve, c’était elle. Elle, elle et cent fois ELLE !

Folle de rage et de chagrin, la jeune femme jeta le portable d’Aidan au travers de la pièce, en poussant un cri de frustration. Elle se dirigea ensuite vers la vieille armoire de la chambre et l’ouvrit d’un geste vif pour décrocher toutes ses robes et vestes des portes manteaux, enlever ses teeshirt des étagères pour les jeter pêle-mêle sur le lit. Elle sortit ensuite de la chambre, claquant la porte sur son passage, et alla récupérer sa valise dans le débarras.
C’est à cet instant qu’Aidan émergea de la salle de bain, une serviette nouée autour de sa taille, ses cheveux trempés tombant devant son visage inquiet.

« J’ai entendu crier je… Qu’est-ce qui s’passe ? » demanda-t-il en réalisant dans quel état elle se trouvait
« Ce qui s’passe ? Tu OSES me demander c’qui s’PASSE, espèce de SALAUD ! »

Et la seconde suivante, elle se vit foncer sur lui pour le rouer de coups bien senti qu’il encaissa tant bien que mal, protestant et couvrant son visage de ses bras pour éviter de se le faire lacérer.

« T’es qu’une petite ORDURE ! Quand j’pense que pendant que j’m’inquiétais, tu allais t’les faire ! TOUTES ! T’es qu’un fumier et de la PIRE espèce ! Mais c'est terminé tout ça ! La blondasse se tire, pauvre MERDE ! » hurla-t-elle encore, avant de pousser un cri aigu et de se détourner pour retourner chercher sa valise
« Mais enfin ! T’es malade ! Qu’est-ce qui t’prends ? C’est quoi cette histoire encore ? »
« VA T’FAIRE FOUTRE ! » s’époumonna-t-elle alors que des larmes continuaient de dégouliner sur ses joues, avant de renifler et de recommencer à pleurer
« Calme-toi enfin ! Dis-moi c’qui s’passe ! Viens t’asseoir, on va en parler calmement et trouv… »
« Y A RIEN A DIRE ! RIEN DU TOUT ! »
« Julie… S’il te plait… »

L’adolescent l’observa et, l’espace d’une seconde, en voyant son petit air désolé, son regard perdu et ses cheveux dégoulinant sur son front, elle faillit craquer. Elle avait été à deux doigts de lui laisser une chance de s’expliquer et de se faire pardonner, mais la colère était trop forte. La honte et la déception aussi.

« Tu t’es assez fichu d’ma poire comme ça ! C’est terminé ! T’entends ? Tu vas pouvoir aller retrouver ta précieuse Suzanna et la faire couiner de plaisir ! »
« De quoi tu parles ? Tu crois…tu crois que j’suis avec Suzanna ? » fit mine de s’étonner Aidan, un petit sourire moqueur apparaissant sur ses lèvres
« Oh, quel bon acteur tu fais, mon amour ! » minauda-t-elle avant de renifler bruyamment puis de se détourner

Elle attrapa enfin sa valise et retourna dans la chambre sous le regard atterré de son petit ami. EX, petit ami !

« Tu…tu t’en vas ? Pour de vrai ? » réalisa-t-il soudain
« Tu crois quand même pas que je vais rester ici et t’attendre sagement chez toi pendant que tu vas baiser toutes les putes de ce trou paumé ! »
« Mais putain, Julie ! Je baise personne enfin » fit Aidan avec exaspération, en lui emboitant le pas dans la chambre « Qu’est-ce qui t’prends tout à coup ? »

Elle jeta sa valise en travers du lit et entreprit de l’ouvrir. Mais ses mains tremblantes étaient gauches et elle dû s’y reprendre à plusieurs fois pendant qu’Aidan tentait de sauver les apparences.

« Julie, je t’assure que je n’ai jamais couché avec aucune fille ici. Il n’y a que toi, d’accord ? Il n’y a que toi et ça restera comme ça ! …Julie, regarde-moi. ...Bon Julie ! Regarde-moi putain ! Arrête de faire cette valise ! »

La jeune femme dégagea son bras et asséna une gifle au blondinet qui se recula de quelques pas, la main posée sur sa joue.

« Ne me touche plus JAMAIS ! C’est terminé ! Terminé pour de bon cette fois ! J’ai été trop CONNE de croire que tu pourrais changer ! Tu n’es qu’un merdeux, Aidan ! Un petit merdeux arrogant et égoïste à mourir ! Un merdeux complètement DINGUE par-dessus le marché ! T’es un gros malade, encore pire que toutes ces paysannes que tu culbutes dans leur grange ! »
« Ta gueule ! »
« TOI TA GUEULE ! Tu m’as rendu un fier service en fin de compte ! » poursuivit Julie en terminant de fourrer ses affaires dans sa valise « Dire que j’comptais me marier avec un type qu’on est obligé d’attacher à son lit pour ne pas risquer qu’il vous tue dans la nuit ! »

Cette dernière remarque sembla faire plus de mal à Aidan que tous les coups qu’elle lui avait portés et Julie n’en était pas peu fière. Il n’ouvrit plus la bouche et elle referma prestement sa valise avant de la soulever pendant qu’il continuait à jouer les gobeurs de mouches.
Finalement, il avait l’air complètement ridicule, planté là, en serviette, dégoulinant d’eau, ses yeux clairs cernés de noir et écarquillés. Même son corps faisait à présent plus pitié qu’envie à cause des kilos qu’il avait perdu récemment.

« Finalement, heureusement que ta mère est morte. Au moins elle a pas à voir quel sale type tu deviens » lâcha-t-elle avec froideur, avant de lui tourner le dos et de quitter la chambre en le laissant là

Elle ne se retourna pas une seule fois et ne prit même pas la peine de refermer la porte d’entrée sur son passage. Elle chargea sa voiture aussi vite que ses mains fébriles le lui permirent puis se glissa derrière le volant. Julie ne savait pas si c’était à cause de l’adrénaline, mais elle se sentait curieusement plus légère, soulagée, comme si un poids qu’elle n’avait jusque là pas senti venait subitement de s’enlever de ses épaules.
Elle se sentait libre et vivante pour la première fois depuis près d’un an…