Hm ! Très bonne question. C’était justement ce genre de chose qui lui taraudait l’esprit dés qu’elle pensait à son avenir. Devait-elle rester, devait-elle partir ? Une part d’elle ne souhaitait rien d’autre que de s’échapper de cet endroit insignifiant et perdu. Il n’y avait rien ici. Vraiment rien.
Enfin si, sa famille, ses parents et son frère, sa meilleure amie, son enfance et ses souvenirs, ses racines. C’était déjà pas mal. Mais était-ce assez pour rester bloqué ici toute sa vie ? Elle l’ignorait encore. L’adolescente avait surtout l’impression de n’avoir jamais rien vu et de ne rien connaitre du monde. Mais on pouvait remédier à ça sans réellement partir pour de bon, non ?
Cela dit, elle avait encore le temps pour répondre à toutes ces interrogations angoissantes. Ca ne l’aidait pas à savoir quoi répondre à Deena dans l’immédiat cela dit.

« Je… je me pose les mêmes questions en fait. Je crois que j’en sais encore rien » sourit-elle « Je crois que pour l’instant Grayson fait l’affaire » expliqua-t-elle dans un petit mouvement d’épaule avant de prendre une petite gorgée discrètement de son jus d’orange.

Elle lança un regard en coin à Demi et étouffa un sourire lorsqu’elle remarqua qu’il était proche de la lobotomisation. Ce genre de discussion n’avait pas l’air de l’emballer outre mesure…

Postposer ses projets d’avenir pour continuer son enquête sur la mort de son père, c’était un choix plutôt risqué. Plutôt irréfléchi selon Casey, un peu extrême. Pourtant celle-ci n’avait pas eu la malchance de perdre un parent et ne pouvait donc pas se permettre de juger l’impacte qu’un pareil deuil pouvait engendrer sur une vie. Elle n’osait surtout pas lui faire ce genre de remarque car elle subodorait que le jeune homme ne serait pas vraiment enclin à le prendre du bon côté. Ils se connaissaient depuis longtemps d’accord, mais ils ne s’étaient retrouvés que récemment, et vu le comportement qu’il avait avec sa mère, …

« Tu sais Demi, tu peux étudier et continuer de… » un bref regard alentours pour s’assurer qu’aucune oreille indiscrète ne trainait « … enfin avec ton père et tout ça. Qui sait dans combien de temps tu arriveras à tes fins ? »

Une manière délicate et polie de ne pas être trop catégorique. L’un n’empêchait pas l’autre.

« Enfin bref » reprit-elle dans un soupir ou venait poindre une pointe de malaise à présent « Moi aussi je voulais te parler d’un… d’un ‘truc’… à propos du journal »

Elle abordait le sujet calmement et l’air de rien, pourtant Dieu seul savait que c’était un sujet qui lui avait mit les nerfs à vif ces derniers jours. Sacha et Aidan étaient venus la voir chez elle pour lui demander son aide pour ce projet. Un projet dont Demi était l’auteur au départ, du moins c’est ce qu’on lui avait dit. Elle avait eu quelques réticences au début, et ce détail l’avait finalement convaincue de leur prêter main forte. Elle en avait donc parlé à son père, avec tact et psychologie comme elle savait le faire, et William avait consentit à leur accorder toutes les autorisations nécessaires…
Et a partir de là, elle n’avait plus du tout été incluse dans ce projet. On ne lui avait rien demandé de plus, et lorsqu’enfin, le journal était sortit, elle en avait été horrifiée. Des allusions mal venues, des critiques sur ses voisins, sur son village, des moqueries et des ragots, on pouvait dire que son père ne l’avait pas ratée et elle s’était sentie honteuse d’avoir permis à ce journal de voir le jour.
Elle en voulait énormément à Aidan qui s’était vraiment bien fichu d’elle, et un peu à Sacha, même si elle ne la connaissait pas vraiment. La rouquine l’avait embobinée avec du beau blabla et elle s’était laissé bernée comme l’idiote qu’elle était.
Sauf que Casey ignorait encore l’implication véritable de Demitri dans tout ça. Quoi qu’il en soit, elle en avait pleuré une matinée entière et se sentait encore bien ridicule de n’avoir rien vu venir.

« … ça m’a créé pas mal de problèmes » avoua-t-elle non sans difficultés « J’crois que c’est pour ça que mon père nous colle un peu… »

A vrai dire, Casey se sentait terriblement déçue. Dans sa tête d’idiote, elle avait diabolisé Aidan et blâmé Sacha, tout en évitant soigneusement de remettre la moindre faute sur Demitri. Parce qu’elle s’était mise en tête que cette soirée dans la cave de son ancienne maison avait comme rendu leur relation spéciale, privilégiée. Les découvertes qu’ils avaient fait, le décor, l’ambiance, ça avait été tellement comme dans un film, elle avait complètement idéalisé ce moment, et le garçon par la même occasion. Et comme il n’était pas présent le jour où Aidan et Sacha l’avaient ‘recrutés’ pour leur journal, elle l’avait mit à part. Et elle s’était trompée.

Ca n’était même pas qu’il la contredisait, s’énervait sur elle ou s’en fichait, c’est qu’il ne voyait même pas le problème. Il n’avait pas l’air de comprendre où était le souci.
Pourquoi les choses se développaient toujours dans le même sens avec elle ? Pourquoi était-elle toujours celle qui comprenait les soucis des autres mais jamais celle dont on comprend les problèmes ?
Elle ne se sentait pas coupable, elle se sentait idiote, et il venait d’en remettre une couche. En plus de ça il était bourré de préjugés sur son village. La partie ragot, c’était ce qui avait fait le plus mal. Les gens n’avaient pas du tout lu leur stupide feuille de choux pour ça, et ça les avaient choqués. Qu’est-ce qu’il croyait ? Que Grayson n’habitaient que des tueurs machiavélique et sanguinaire qui dissimulaient des cadavres dans leur abris de jardin ? Il y avait aussi des gens très bien, des gens corrects au village, et elle n’allait pas renier ça juste parce qu’elle le trouvait mignon et qu’il était puérile et irréfléchi.
Joshua avait raison, les gens étaient tous idiots. Il avait trouvé la solution lui, il s’isolait du reste du monde, et elle commençait à envisager de faire la même chose.
D’un air un rien plus pincé, elle porta ses yeux verts sur la silhouette de son père qui, comme sentant son regard peser sur lui, se détourna pour l’observer en retour.
Un bref soupir discret et le message était passé. Déjà, son père prenait congé au près du groupe avec qui il discutait pour traverser la pièce à leur rencontre.

« Peu importe » lança-t-elle de son ton neutre habituel « Mon père revient. Changeons de sujet »

Elle était un peu sèche et son expression fermée ne devait pas échapper à Demitri. Quoi que ? Elle venait de découvrir qu’il n’était pas si futé que ça en fin de compte.
L’instant suivant, William refaisait irruption à leur côté.

« Eh bien » soupira-t-il d’un sourire un peu énigmatique « Demitri, je pense que tu devrais consacrer une ou deux petites heures à une séance de dédicace, tu as de très nombreux fans dans la salle mon garçon »

Casey comprenait ce que ça voulait dire. Mais encore une fois, Demi allait-il en faire de même ? Pas si sûre.

Le louveteau montrait des dents, mais William n’en n’avait cure. Pour lui qui avait connu son père durant toute son enfance, et qui avoisinait la 40ène, Demitri n’était jamais qu’un gamin, plus jeune encore que son propre fils. Que connaissait-il du journalisme alors qu’il n’avait même pas encore quitté le lycée ? A peine avait-il quitté le berceau lui semblait-il. Il se revoyait encore, comme si c’était hier, visiter Jimmy et sa femme, fraichement revenu à la maison, leur nourrisson dans les bras, tandis que lui trainait deux bébés qui marchaient à peine tout seuls.
Comme il était loin, ce temps-là, et comme il était difficile de croire que ce grand adolescent, pratiquement un homme, était ce même bébé fripé, endormit dans les bras protecteurs de sa mère ?
Demitri devait à peine se souvenir de lui, mais pour le Maire c’était différent. Les années avaient passés à toute vitesse, et ce qui était toute la vie du garçon n’était qu’une petite page pour lui.
Et maintenant qu’il avait un corps d’homme ? Dieu comme il ressemblait à son père ! Les cheveux plus foncés, les yeux moins rieurs, le reste ne laissait aucun doute sur la paternité de Jimmy.

Mais rien de tout cela ne transparu sur ses traits burinés par le soleil de l’été aride qu’ils essuyaient. D’une nouvelle gorgée de champagne, il s’humecta les lèvres avant de répondre.
S’il était un fan ?

« T’ais-je demandé le moindre autographe ? » en reprenant le ton faussement innocent de son interlocuteur.

Question rhétorique qui ne demandait aucune réponse.
D’ailleurs la réponse était non. Dramatiquement non. Autant la nostalgie le prenait par vague parfois, autant la seule pensée de ce journal lui donnait envie de secouer le garçon – et de découvrir que ça sonnait creux.

« L’idée d’un journal local continue de me plaire, mais je songe à engager quelqu’un de réellement qualifié pour la tâche. Quant à toi et tes partenaires, j’ai un autre genre de rédaction à vous proposer : une jolie petite pile de lettres d’excuses. J’ai la liste des destinataires bien en tête. Le Sherif Spelling pour commencer, ainsi que ses collègues l’adjoint Armstrong et Miss Wood, notre très chère Madame Pietsky, sans oublier Lucinda et Logan Redd et- »
« Papa » s’étrangla Casey à mi-voix
« Et ces lettres d’excuses » continua William un ton plus haut pour couvrir la voix de sa fille « seront dument signées par Aidan Donnelly, ton amie Sacha, mes deux enfants et toi-même ainsi que par toutes les personnes impliquées de près ou de loin à cette vaste blague. Ce qui signifie que j’y apposerai mon cachet officiel »
« Papa… » chuchota Casey d’un air suppliant
« Comprenez bien tous les deux que c’est un service que je vous rends » trancha-t-il d’un ton sévère « Je dois faire face à un paquet de personne extrêmement mécontentes. Pas vous. Moi » leur rappela-t-il fermement « Et puisque j’ai choisi d’assumer mes erreurs, à savoir, vous donner l’autorisation d’écrire ce journal, j’estime qu’il est de mon devoir de calmer les esprits et de limiter les retombées négatives pour tout le monde, y compris vous. Certaines personnes ont émis l’idée de porter plainte pour diffamation. Tu es mineur d’âge Demitri, si une telle chose arrive, c’est à ta mère que la justice va demander de rendre des comptes. Est-ce que tu veux que ça arrive ? »

Effectivement, William choisissait l’attaque frontale. Mais il se disait que Demitri était un adolescent qui n’avait pratiquement pas eu de père et qui avait donc manqué d’autorité durant la plus part de ses jeunes années. Lui remettre les pendules à l’heure ne pourrait pas lui faire de mal.
Son air presque froid ne le laissait pas paraitre, mais il se sentait terriblement coupable de devoir faire endurer cette humiliation à sa fille, mais il ne mentait pas en leur disant que c’était pour leur bien. Et d’une manière telle qu’il ne pouvait même pas le leur dire. La plainte aurait été un moindre mal contre les foudres d’un Redd, ou pire… Ses foudres à Lui…
Ecrire ces lettres allait calmer les esprits. C’était le plus important.