Thomas Owensboro était doté d'une patience à toute épreuve. Lorsque sa fille, Callie, lui causait des soucis, il avait pour habitude de le prendre avec calme et de lui expliquer les choses en toute sérénité. Lorsque sa femme l'avait quitté en demandant le divorce, il s'était dit que c'était simplement la vie, bien qu'il soit très malheureux. Cependant, l'incendie qui avait saccagé une partie de sa bibliothèque cet été avait mis très à mal sa patience, et lui avait demandé beaucoup d'efforts pour ne pas céder au découragement devant l'ampleur des travaux.

À présent cela dit, il pouvait contempler avec fierté l'aile restaurée avec soin, où les bouquins s'alignaient à nouveau à la perfection sur les étagères. Les mains sur les hanches, Thomas resta planté là quelques instants avec un sourire satisfait. Son lieu de travail lui apportait la quiétude qu'il affectionnait tant, et le voir sans dessus dessous lui avait pesé lourd sur le cœur... Mais il pouvait mettre tout cela derrière lui maintenant, et savourer la nouvelle collection de romans qu'il avait commandé pour fêter la réouverture de la bibliothèque municipale. Et pour ne pas avoir à le faire seul, il avait passé un coup de fil à Calvin Douglas, le gérant du bar, qu'il savait mordu de lecture malgré l'évidente contradiction avec le reste du personnage. Calvin avait beau être brut de décoffrage parfois, probablement le métier, Thomas ne perdait jamais une occasion de partager sa passion avec quelqu'un d'autre, même si c'était quelqu'un comme Douglas. Il avait même réussi à apprécier l'homme une fois plusieurs séances passées. Leurs caractères respectifs n'avaient pas grand chose à voir, mais parfois le hasard faisait bien les choses.

Thomas entendit justement du bruit du côté de la porte principale, et se retourna au même moment où Calvin entrait dans la pièce principale, admirant lui aussi les travaux enfin terminés.

« Ce fut laborieux si tu veux tout savoir, mais le résultat en valait la peine. » rétorqua l'homme en souriant de plus belle.

Thomas repéra la bouteille d'alcool que Calvin avait apporté, et hocha la tête lorsque le gérant du bar mentionna qu'ils pourraient ainsi célébrer la réouverture. À vrai dire, ce n'était pas la première fois que l'homme apportait une bouteille avec lui pour célébrer quelque chose, mais Thomas ne s'en formalisa pas. L'occasion s'y prêtait pour une fois, et avec quelques signes du bras, il lui adressa de le suivre.

« Viens, je dois pouvoir nous trouver deux verres quelque part ! Je t'ai attendu pour ouvrir le carton, je n'ai encore touché à rien, même si je sais évidemment ce qu'il y a dans la boîte, puisque je les ai choisi. »

Le quadragénaire se dirigea vers une table où était disposé le dit carton. Il y avait là aussi une lampe de bureau afin de mieux éclairer les pages neuves qu'ils feuilletteraient probablement ce soir. Laissant Calvin s'installer, Thomas disparut dans l'arrière salle quelques secondes et revint, victorieux, avec deux pots de yaourt en verre vides qui feraient office de gobelet. Il n'était pas du genre à boire, mais un verre de temps en temps ne faisait de mal à personne. Et puis il ne voulait pas risquer de vexer Calvin, alors il préférait s'adapter.

« Comment vont les affaires ? » demanda-t-il dans un réflexe de courtoisie, et puis peut-être aussi pour faire durer un peu le suspens.