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Quelques pas sur le bitume du parking avant qu’elle ne stoppe sa lancée. Ce n’était pas une visite officielle et elle avait le parfait look de l’inspectrice en chef. Faisant demi-tour, la jeune femme rouvrit le portière passager de sa voiture et laissa tomber sa veste de costume de ses épaules, retirant ensuite l’étui dans lequel était rangé son arme de service, prenant soi de le cacher dans la boîte à gant, avant de verrouiller une nouvelle fois son 4x4 pour prendre la direction de l’entrée de l’hôpital.
À peine avait-elle quitté le village pour rentrer chez elle dans l’intention de reprendre son quotidien que Dakota avait reçu l’information d’un nouvel incident. Samuel Donnelly, le troisième de la fratrie, venait de se faire hospitaliser pour une raison qui lui était encore étrangère. Et parce que cette dernière n’aimait pas rester avec des questions sans réponses, elle avait naturellement décidé de rendre une visite à la famille pour obtenir les dites réponses.

C’était le matin mais elle avait déjà trop chaud et elle retira le bas de chemisier coincé dans son pantalon, lui donnant du même coup un air plus décontractée qu’à l’accoutumée. Pénétrant dans le hall du seul hôpital de la région, elle quitta ses lunettes aux verres teintés pour glisser une branche dans le décolleté de son vêtement, se dirigeant vers l’accueil pour obtenir le numéro de chambre de leur nouveau patient. La jeune femme prit appui sur le comptoir, patientant trente bonnes secondes avant d’appuyer son index sur la touche de tonalité de l’appareil téléphonique que tenait la standardiste, coupant ainsi son appel d’ordre privé.


• « Samuel Donnelly, il est arrivé hier soir. Quelle chambre? » demanda-t-elle posément avec un sourire faux. « Ne m’obligez pas à sortir ma plaque, ça ferait cliché » souffla-t-elle ensuite sur le ton de la confidence, avant de posséder l’information qu’il lui fallait.


Délaissant une jeune femme outrée et une ennemie en plus, l’inspectrice grimpa un étage à pied, détestant les ascenseurs, tombant sur la maternité de l’hôpital. Elle ne prêta d’ailleurs pas grand intérêt à la chose et ne l’aurait pas fait si une grande baie vitrée avec les nouveaux nés du bâtiment ne s’était pas trouvé sur son chemin. La trentenaire ralentit alors le pas, entendant les pleurs de certains alors qu’une infirmière veillait sur eux de l’autre côté de la vitre. Se postant finalement devant le lit le plus proche de celle-ci, elle se retrouva face à un petit « Matthew » sagement endormi et le visage sur le côté. Elle n’avait pourtant pas oublié. Pas oublié que c’était ici que sa vie avait basculé un an et demi plus tôt. Que c’était ici qu’elle avait perdu Garth. Elle ferma les yeux quelques secondes pour se reprendre, sentant sa main trembler alors qu’elle la refermait sur une petite gélule, qu’elle porta ensuite à ses lèvres pour l’avaler. Elle posa la paume de son autre main sur la vitre fraîche, fixant son regard sur le petit homme qui venait de naître, déglutissant avec peine, avant de détourner les yeux. Garth, pas Matthew. N’accordant plus un regard à ce qui l’entourait, elle tourna au prochain couloir et sortit rapidement du service pour se concentrer sur la vraie raison de sa venue ici et oublier ce qui venait de se passer, chose qu’elle maîtrisa à la perfection.

D’ailleurs, l’inspectrice n’eut pas besoin de chercher longtemps le numéro de chambre de Samuel puisqu’elle reconnut l’aîné qui refermait justement la porte de celle-ci, la quittant. Elle hâta le pas pour le rattraper avant qu’il ne sorte de son champ de vision, lui attrapant doucement le bras avant de se poster devant lui pour lui barrer la route.


• « Hey! » lança-t-elle sur un ton jovial, n’ayant jamais été très douée pour les entrées en matière subtiles. Elle laissa passer un moment de silence, alors que son regard se fixait derrière le jeune homme, sur la porte de chambre de son frère. « J’ai appris pour votre frère, je suis venue aux nouvelles. Comment va-t-il? » demanda Dakota en fixant de nouveau Aahron.

La première pensée qui traversa Aahron lorsque son regard azuré se posa sur le visage fatigué de l’inspectrice fut que finir sa journée en cellule n’allait pas l’arranger du tout. Il avait un millier de choses à penser, ses frères à réconforter et l’un d’eux à veiller. Il fallait encore qu’il fasse un aller retour à Grayson pour rassurer Aidan et Julie sur l’état à présent stabilisé de Sammy et qu’il ramène des vêtements pour Sam et un jeu de cartes pour l’occuper un peu si jamais il devait passer encore du temps à l’hôpital. Il devait aussi passer un coup de téléphone à Trisha pour la mettre au courant et le besoin d’entendre la voix de son fils à l’autre bout du fil se faisait plus pressant à chaque seconde…
Non, assurément, se faire passer les menottes pour violation de propriété privée n’allait pas l’arranger. Il pourrait toujours passer un coup de fil à son ex-femme avocate, mais n’avait pas envie de ce genre d’appel.
Mais alors qu’il hésitait entre prendre la fuite, l’attaquer pour gagner du temps et pouvoir se faire la malle ou la prendre en otage, Dakota Sallander pris la parole.

« J’ai appris pour votre frère, je suis venue aux nouvelles. Comment va-t-il ?»

La question le pris au dépourvu et pendant un long moment, Aahron resta simplement planté là à la fixer, son cœur cognant avec force dans sa poitrine, les bras ballants, le visage dénué de ses habituelles couleurs.
Il ouvrit la bouche une première fois puis la referma très vite, réalisant qu’il s’apprêtait à lui demander si elle était bien certaine de ne pas être là à cause de ce qu’Isaac et lui avait fait la veille…

« Il…Il dort. Les médecins disent que ça devrait aller maintenant, il est apparemment tiré d'affaire… Mon frère et ma belle-sœur sont avec lui » finit-il par réagir d'un ton mécanique, déglutissant péniblement

Le trentenaire espérait qu’elle mette sa gêne et son air coupable sur le compte du choc et qu’elle ne se pose pas davantage de questions… Il nota pourtant un léger froncement de sourcils de sa part et sentit son regard peser avec un peu plus de force sur ses épaules.
Incapable de le soutenir plus longtemps, Aahron poussa un soupir et pinça son nez en plissant ses paupières brûlantes, accompagnant sa grimace par un soupir las qui, il l’espérait, lui permettrait d’évacuer un peu son stresse.

Et pas seulement le stresse de trouver une inspectrice de police sur son chemin alors qu’il avait quelque chose à se reprocher, évidemment. Il venait de passer une soirée pleine de rebondissements, de montées d’adrénaline et était passé par toute la palette d’émotions possibles. L’appréhension face à ce qu’ils allaient faire, la satisfaction lorsqu’il avait réussi à ouvrir la porte, la curiosité, la colère en découvrant les documents falsifiés avec Isaac, la panique en entendant Allie leur annoncer que Sam n’allait pas bien au téléphone, l’impatience en attendant qu’un médecin accepte de venir leur parler, le soulagement, etc.
Il venait de prendre au moins un an dans les dents et était certain de se trouver quelques cheveux gris sur le crâne quand ceux-ci repousseraient un peu.

« J’allais chercher de quoi petit déjeuner à tout le monde » finit par reprendre l’ainé des Donnelly, désignant le couloir sur sa droite « Vous…vous avez quelque chose à faire ou vous passiez juste pour prendre des nouvelles de Sam ? » demanda-t-il, trouvant cette idée aussi étrange que réconfortante

…avant de réaliser qu’il n’avait absolument pas envie de passer plus de temps qu’il ne le fallait en sa compagnie, par peur de commettre un impair à cause de la fatigue accumulée ces derniers jours. Allait-elle comprendre qu’il l’invitait à le suivre pour chercher de quoi manger ?

Comme il l’avait craint, Aahron vit l’inspectrice débraillée lui emboiter le pas dans les couloirs aseptisés et glauques de l’hôpital. Il lui jeta un vague regard avant de se concentrer sur ses chaussures qui couinaient lamentablement sur le lino vert pâle de mauvais goût. Aahron aurait aimé pouvoir se mettre à couiner librement lui aussi pour exprimer sa frustration, sa lassitude, ses appréhensions.
Elle mit rapidement fin à sa torture en lui assurant qu’elle n’était pas là pour des raisons professionnelles, mais il préféra rester sur ses gardes. On n’était jamais à l’abri, il avait vu assez de film d’espionnage ou d’enquête policière pour savoir que les micro existaient et étaient bien utiles.

Alors qu’il lui jetait un regard encore chargé de méfiance, elle leva les bras au ciel et reprit la parole, lui assurant une fois encore qu’elle était digne de confiance et réellement venu prendre des nouvelles de Sam.
Aahron avait légèrement ralenti son allure et il finit par s’immobiliser dans le couloir et la jeune femme en fit autant, plaçant ses mains sur ses hanches, dans l’attente de sa réplique.
L’ouvrier pesa soigneusement ses mots, ses sourcils bruns toujours crispés par le doute. C’était plus fort que lui : séjourner à Grayson l’avait rendu paranoïaque… A raison puisque c’était la troisième fois que les Donnelly étaient admis au service des urgences de Trimble.

« Vous n’savez rien ? » demanda-t-il avec méfiance

Elle secoua sa tête de gauche à droite et demeura silencieuse, ses grands yeux braqués sur lui.
Une foule de question brûlèrent les lèvres d’Aahron qui se retint de les poser. Comment avait-elle su où ils se trouvaient dans ce cas ? Qui l’avait prévenue ? Qui d’autre était au courant ? Tout Grayson déjà ? De quoi étaient-ils au courant au juste ?
Mais plus important encore : est-ce qu’il pouvait lui faire confiance et la croire sur parole quand elle disait ne rien savoir ? Ne prêchait-elle pas le faux pour connaitre le vrai ? Avait-elle plus d’informations sur toute cette affaire qu’elle voulait le laisser croire ?
S’il se fiait à son instinct, l’ouvrier l’aurait cru volontiers en réalité. Il avait envie de la croire et aurait été trop vexé qu’elle le trahisse après ce qu’ils avaient partagé il y a des mois de cela…

Finalement, le jeune homme capitula. Frottant distraitement son sourcil de son pouce, il poussa un léger soupir et prit la parole d’un ton où pointait de la fatigue bien entendu, mais aussi un certain ressentiment qui n’était pas dirigé contre elle.

« On ne sait pas exactement ce qui s’est passé » dit-il en insistant sur le ‘exactement’ « Il était à la maison avec ma belle sœur, Aidan et sa petite amie en visite. Isaac et moi étions sortis boire un verre au drugstore, on ne savait pas qu’il fermait aussi tôt. A Cleveland, les bars de notre quartier ne ferment pas avant 2h du matin »

Il n’avait pas eu envie de lui mentir sur sa présence à la maison cette nuit-là, mais n’allait décemment pas lui parler de son escapade au garage des Redd. Au départ, ils étaient censé prétexter être allé à pieds chez David, mais ne sachant pas exactement ce que ce dernier pourrait raconter et trouvant l’histoire finalement abracadabrante, ils étaient tombés d’accord sur ce nouveau prétexte à servir en cas de problème.

« On s’est un peu baladé pour discuter de tout et de rien et le portable d’Isaac a sonné. C’était Allie. Sa fiancée… Elle nous a dit que Sammy avait mangé quelque chose et que ça l’avait rendu malade. On avait du mal à la comprendre, Aidan criait derrière. Elle a parlé de convulsion et de sang... On est rentré aussi vite que possible »

Sa voix faiblissait malgré lui alors que sa gorge se nouait sous le trop plein d’émotions.

« Il avait perdu connaissance quand on est arrivé. Il y avait du sang partout et Isaac s’est occupé de lui. Mon frère est médecin… je crois que je vous l’avais déjà dis… Enfin bref, on l’a amené à l’hôpital, j’ai dis à Aidan d’aller chez la voisine pour que lui et Julie restent pas tous seuls. Je crois que finalement c’est elle qui est venu et qu’elle a nettoyé le sang par terre… » ajouta Aahron d’une voix blanche

Si elle ne voulait pas de réponse poussée, elle devait être déçue. Mais c’était plus fort que lui, il ne pouvait pas s’empêcher de parler.

« Le médecin de garde l’a pris en charge très vite, il a été très bien… Samuel a été empoisonné » ajouta-t-il sur le ton de la conversation, son regard se faisant pourtant plus acéré, presque défiant

Le trait d’humour de la jeune femme permis à Aahron de se ressaisir un peu et de dédramatiser un peu sa dernière réplique qui était tombé dans leur conversation comme un couperet. Son cœur avait pompé avec un peu plus de force pendant son discours mais retrouvait à présent une allure plus régulière et posée.
Il acquiesça simplement lorsqu’elle répéta l’information récemment obtenue et se concentra sur le décor sans vraiment le voir. De toute façon, de son point de vu, quand on avait vu un hôpital, on les avait tous vu. Le décor importait peu de toute façon.

La couleur des murs et sols pouvaient sans douter jouer sur l’humeur, mais c’était assurément le vécu qui primait dans ces cas là. Pour lui, ce genre d’endroit faisait remonter à la surface les souvenirs heureux de la naissance de son petit garçon aujourd’hui âgé de 7 ans.
Pour Isaac et Allie, c’était leur lieu de travail et ils parvenaient à se détacher (certainement non sans peine) des drames qu’ils y vivaient au quotidien en se raccrochant aux souvenirs plus gais.
Aidan… Eh bien Aidan avait sans doute de très bonnes raisons d’avoir les hôpitaux en horreur.
Quant à Samuel, il n’y avait jamais été à l’aise, mais n’avait jamais hurlé pour qu’on le laisse sortir. Son frère se demandait quelle ressenti il aurait après ce passage à l’hôpital de Grayson…

Alors qu’ils évoluaient dans les couloirs d’un pas tranquille, peu pressés d’atteindre la cafétéria de l’établissement, l’inspectrice repris la parole. Aahron avait déjà répondu à toute une batterie de questions sur le sujet avec le médecin et savait qu’il devrait le refaire devant un représentant de l’ordre bientôt. Sauf qu’avant cela, il allait visiblement devoir s’entrainer avec Dakota pour interlocutrice.

« Oh on sait parfaitement ce qui l’a rendu malade » lui répondit le trentenaire sans chercher à dissimuler sa haine à l’égard du responsable

De LA responsable pour être plus précis. Il ne fallait pas être enquêteur pour deviner que c’était Lucinda Redd, leur charmante voisine qui était à l’origine de l’empoisonnement et que c’était Nathaniel Redd qui était derrière toute cette histoire.
Aahron ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait deviné, d’une manière ou d’une autre, ce qu’ils avaient prévu de faire la veille au soir. Il savait qu’ils comptaient s’introduire chez lui et s’était vengé d’une manière des plus vicieuses en s’attaquant à son cadet.
Mais il ne pouvait pas parler de ça à Dakota.
Il n’était même pas certain de pouvoir lui donner le nom de Lucinda à cet instant…

« Ma belle-sœur a cuisiné des muffins avec une des habitantes du village » enchaina l’ouvrier, toute cette histoire lui paressant encore abracadabrante « C’est elle qui lui a fourni tous les ingrédients. Quand Samuel en a mangé un… la réaction a été immédiate. Et violente d’après ce qu’Allie nous a raconté. On ne sait pas encore quel poison a été utilisé –ce qui d’ailleurs n’a pas facilité la tâche du médecin- mais il était clairement destiné à tuer ou au moins faire souffrir terriblement celui qui mordrait dedans… »

Aahron ne se sentait toujours pas prêt à répondre à la question de Dakota quant à l’identité de la responsable de l’empoisonnement de Samuel. Il voulait régler cette affaire lui-même, sans passer par la police. Lucinda ne pouvait pas tenter de tuer ses frères et s’en sortir aussi facilement. La prison n’était pas une punition assez sévère et il ne savait plus si l’état du Missouri continuait d’appliquer la peine de mort ou non.
Il voulait comprendre pourquoi. Aahron voulait savoir comment elle s’y était prise exactement.
Il voulait la questionner lui-même, lui arracher la vérité par la force de ses poings. Il voulait voir son menton se maculer de sang comme celui de Samuel. Il voulait lui faire mal et lui faire payer. Femme ou pas. Après ce que Lucinda Redd avait fait subir à son frère, prévu de faire subir à toute sa famille, il n’y avait plus de pitié ou de retenu qui tenait.
Il n’y aurait que du sang. Œil pour œil, dent pour dent.

Mais heureusement, avant qu’il se laisse dominer par la colère et n’ait besoin de mettre fin à la conversation (plutôt sèchement), l’inspectrice enchaina. Aahron croisa les bras sur sa poitrine et alla s’appuyer au mur derrière lui. Même s’il n’avait plus rien avalé depuis la veille, au moment du déjeuné, le trentenaire n’avait plus faim ni l’envie d’avaler quoi que ce soit.
Il avait entendu l’estomac d’Isaac protester quelques fois aussi mais savait que son cadet aurait du mal à manger. Ils forceraient Allie à s’alimenter à cause des bébés, mais s’en garderaient certainement.

« Allie a pensé à les prendre avant de partir. Pour les faire analyser et permettre au médecin d’identifier la cause de l’empoisonnement » répondit-il après un court silence, peinant encore à maîtriser son ton « Mais il n’y a pas de labo ici. Le budget a été revu à la baisse dernièrement il parait alors… Heureusement, le médecin a pu aider Samuel à temps »

En réalité, les choses s’étaient passées d’une manière un peu différente. Le médecin de garde avait été dépassé par les évènements et s’était arraché les cheveux en recherchant une solution. Aahron l’avait entendu réclamer un bouquin sur les empoisonnements à l’une des infirmières.
Mystérieusement, les symptômes de Sam avait disparus. Ses constantes étaient redevenues normales le plus mystérieusement du monde et il s’était même réveillé, le temps de demander au médecin s’il pouvait l’excuser auprès d’Allie à cause du muffin et promettre qu’il ne recommencerait jamais.
Le médecin était venu les rassurer juste après cela et leur avait raconté l’anecdote en pensant les détendre un peu... Allie avait éclaté en sanglots et il s’était rapidement éclipsé en se confondant en excuses.

« Je n’sais pas où ils sont… Allie les a confiés à l’une des infirmières il me semble. Elle les a peut-être jetés, peut-être pas, j’en sais rien. Quant à votre shérif » poursuivit Aahron en insistant sur son grade avec sarcasme « aucun de nous ne l’a prévenu et aucun de nous ne compte le faire. Je n’ai aucune confiance en lui et je sais d’avance qu’il protègera la coupable »

La remarque de Dakota sur la cause précise de la crise de son frère ne reçu qu’un haussement d’épaules accompagnant une moue boudeuse pour réponse. Il avait peur de comprendre où elle voulait en venir avec cette remarque et qu’elle ne prenne pas cela au sérieux.
Le médecin aussi avait parut sceptique quand ils lui avaient parlé de muffins maléfiques, mais sa méfiance n’avait duré qu’un temps face à l’urgence de la situation. Après cela, il avait été contraint et forcé de les écouter et d’agir avec le peu d’informations qu’il avait. Et finalement, le miracle s’était fait de lui-même et il n’avait plus reparler du dessert (à part pour répéter ce que Sammy avait dit).
Personne ne les croirait, Aahron en était persuadé. Qui accepterait de croire que des muffins préparé par l’adorable et pieuse Lucinda Redd puissent être empoisonné : c’était ridicule ! L’ouvrier en venait à regretter de ne pas avoir gardé les gâteaux en sa possession. C’était leur seule preuve…
Mais une fois encore, il ne comptait pas vraiment porter plainte et agir dans les règles.

Il sursauta presque en entendant la suite di discours de l’inspectrice.
Non seulement elle paraissait vouloir le croire mais en prime, Dakota lui parlait d’un labo qui pourrait les aider à prouver au reste du monde ce qu’ils avançaient.
Les sourcils d’Aahron se froncèrent tandis qu’il essayait de décrypter les messages qu’elle lui envoyait. Mais la fatigue ne l’aidait pas vraiment à être efficace et son temps de réaction fut assez long.

Est-ce qu’elle lui proposait vraiment de les aider sans passer par la case enquête officielle ? Mais alors les preuves seraient irrecevables si jamais… A moins qu’elle ne parle de mener cette enquête sans en souffler mot à Declan Spelling. Oui, c’était peut-être ça.
En tout cas, elle avait clairement sous entendu pouvoir demander à un labo d’analyser les muffins assez rapidement, et être fixés une bonne fois pour toute sur les causes de la crise. Aahron restait persuadé que Lucy était coupable mais le savoir officiellement et savoir comment elle s’y était prise au juste pour faire ça. Ses raisons ne l’intéressaient même pas et ne seraient jamais assez bonnes à ses yeux, bien entendu.

« C’est… Vous seriez prête à… nous aider ? » demanda-t-il finalement, comme si c’était l’idée la plus bizarre de la décennie, un sourcil arqué

Il faut dire qu’à Grayson, ils avaient perdu l’habitude d’être réellement aidés à quoi que ce soit… La seule chose qu’était prêts à faire les villageois, c’était préparer leurs valises à leur place et pousser leur voiture hors de leur précieux village.

Évidemment, elle comptait prévenir Declan. Le frère de Lucinda qui ne les laisserait pas s’en prendre à elle impunément et ferait tout pour classer l’affaire sans suite. Peut-être qu’il se déciderait même enfin à les chasser de son village par la force pour mettre un terme définitivement à tous ces rebondissements insensés et de plus en plus violents. Quelques bagarres, puis l’incendie, l’empoisonnement de Samuel…
Non en réalité, les choses avaient commencées par un acte violent. Violent et immonde, le pire qui soit : le meurtre de leurs deux parents.
Aahron en était à présent certain, c’était pour étouffer l’affaire qu’ils essayaient à tour de rôle de les faire partir. Elizabeth et Logan avaient tentés de les persuader de partir et finalement, étaient passés à la vitesse supérieure. Et tout le village avait suivi…

« Oui, elle les a confiés à l’une des infirmières » confirma-t-il à regret

Il aurait aimé pouvoir mentir mais à quoi bon ? Ça n’allait pas transformer la situation. Il ne savait pas à quoi elle ressemblait, quel était son prénom et encore moins si elle était du genre négligente et pouvait avoir laissé trainer le plat quelque part.
Il marqua une pause, cherchant à savoir à quel point il foirait avec cette réponse sur une échelle de un à dix.

« Monsieur Donnelly ? »

Aahron et Dakota se tournèrent d’un même mouvement en direction du Docteur Thibodeau qui les rejoignit d’un pas vif dans le couloir, l’expression entre l’inquiétude et la curiosité.

« Est-ce qu’Aidan… »
« Oh, il va bien ! » s’empressa de répondre le trentenaire en comprenant pourquoi l’homme avait l’air si contrarié « Aidan va bien, on est là pour mon autre frère, Samuel. Vous n’l’avez pas rencontré je crois »
« Ah, d’accord. Il va bien au moins ? »
« Oui, il va s’en tirer »
« Que lui est-il arrivé ? Si vous me permettez la question » s’enquit le médecin
« Empoisonnement alimentaire »
« Oh… Je vois. Qui l’a pris en charge ? »
« Hem… Je…je n’sais plus trop… Un p’tit jeune avec des lunettes qui a l’air de sortir de la fac »
« Oh, le Docteur Humphrey, oui. Il est très bien, il ne faut pas vous fier à son air… Enfin vous voyez de quoi je parle » conclut-il en paressant enfin remarquer la présence de Dakota « Oh, inspecteur ! Bonsoir… ou bonjour, j’ai un peu perdu la notion du temps » la salua-t-il dans un sourire franc, sa main tendue en avant

L’un des sourcils d’Aahron s’arqua lorsque le médecin appela Dakota Sallander par un autre nom que celui qu’il lui connaissait, et qu’elle ne nia pas. Son regard se posa presque immédiatement sur ses mains et il ne remarqua aucune alliance. C’était peut-être normal, elle était inspecteur après tout. Il avait connu un ami flic qui ôtait son alliance chaque matin en prenant son service, par peur qu’un des malfrats qu’il avait arrêté ne vienne s’en prendre à sa famille. Il la retirait également pour aller aux putes, mais c’était une toute autre histoire.
Le regard azuré de l’ouvrier se reposa ensuite sur le visage fermé de la brune à ses côtés. Elle paraissait tendue à présent et sa bouche s’agita d’un tic nerveux à deux reprises.
Pourquoi tant de mystère ? Pourquoi interrompre le Docteur Thibodeau ? Qu’avait-elle peur qu’il entende ?

Mais Aaron se jura de ne pas lui poser ces questions, même une fois le médecin éloigné. Ce n’était pas par manque d’intérêt à son égard, bien au contraire, c’était par respect. Si elle ne voulait pas le renseigner, alors il ne la mettrait pas plus mal à l’aise qu’elle ne l’était déjà en lui posant tout un tas de questions personnelles. Pas maintenant du moins.
Et puis il refusait de répondre à ses interrogations à propos de l’empoisonnement de Samuel, il ne pouvait pas se permettre de se montrer trop curieux, voire indiscret.

Le temps qu’il en finisse avec ses débats intérieurs, le médecin s’était éloigné, non sans lui avoir adressé un petit sourire encourageant qu’il s’évertua à lui rendre. Mais il ne parvint qu’à grimacer lamentablement.
Mais il n’eut pas à l’afficher très longtemps puisque Dakota redemandait son attention, qu’il lui rendit bien volontiers.

« Ouais… A ce propos… » lança-t-il en passant une main sur son crâne rasé avec soin par Allie une semaine plus tôt

Peut-être que c’était le moment finalement. Peut-être qu’il était temps pour lui de faire confiance à quelqu’un d’autre qu’un de ses frères. Quelqu’un avec un certain pouvoir et qui, jusque là, s’était montré juste et dont il n’avait pas vraiment eu à se plaindre.
Sauf que c’était possiblement juste une manière d’endormir sa vigilance. Peut-être qu’elle et Declan jouaient dans son dos au bon et au méchant flic. L’avis d’Isaac lui serait utile à ce moment précis, sauf qu’il était au chevet de Sammy…

Aahron poussa un lourd soupir, comme s’il cherchait à se vider entièrement de son oxygène en un souffle. Il en profita pour évacuer son stress et ses doutes. Et il espérait faire le bon choix.

« C’est Lucinda Redd. La sœur de Declan si c’qu’on a entendu est vrai » marmonna-t-il avec lassitude « C’est elle qui a préparé les muffins avec Allie. Vous comprenez pourquoi je ne peux pas débarquer au bureau du shérif et porter plainte pour tentative de meurtre ? Il va me renvoyer d'où je viens. Je commence à comprendre comment les choses fonctionnent ici... Tous unis contre les vilains étrangers, peu importe les circonstances, pas vrai, Inspecteur Sallander ? » ajouta-t-il, ne pouvant s'empêcher d'insister sur son nom de famille avec ironie

Une ligne blanche apparu autours des lèvres pincées par la rancœur d’Aahron, alors qu’il était en train de se mordre l’intérieur de la bouche. C’était bien plus efficace selon lui que de se contenter de tourner par sept fois sa langue comme sa mère le lui suggérait souvent de son vivant.
Comme elle le pointait du doigt elle-même, c’était ALLIE qui allait cuisiner avec Lucinda et il n’avait pas eu son mot à dire là-dedans ! C’était à Isaac de contrôler sa futur femme, mais quand il était dans son sillage, il agissait comme une parfaite fiotte et ne savait pas se faire entendre. Quand les jumelles seraient là, il ne donnait pas trois ans à son cadet pour faire une dépression nerveuse et avoir besoin de rendez-vous réguliers chez un psy. Elles a allaient le mener par le bout du nez et feraient de lui absolument tout ce qu’elles en voudraient.
Et puis c’était Sam qui avait mangé un des muffins, pas lui !
Enfin ce soir… Parce que les autres soirs, il en avait mangé, il devait bien le reconnaitre. Mais pas forcément devant Dakota. De toute façon, ça ne la regardait absolument pas ! Et puis, merde, l’erreur était humaine ! Est-ce qu’elle pouvait se vanter de ne jamais avoir commis d’imprudence ?
C’était que des MUFFINS, bon Dieu !

Lorsqu’elle baissa d’un ton et se montra plus conciliante, Aahron pensa qu’elle allait s’excuser pour ses remarques tout à fait déplacées, mais elle n’en fit rien. Au contraire, elle s’enfonça encore un peu plus en lui dictant la marche à suivre comme s’il était un enfant autiste particulièrement indocile.
C’était eux qui avaient déjà laissé couler trop de choses et pas l’inverse !
Quand ils avaient appris la disparition de leurs parents, ils auraient dû prendre leur voiture et foncer jusqu’ici. Il n’aurait pas dû se fier à ce que lui racontait Dakota… Peut-être que s’ils étaient venus tout de suite, s’ils avaient retournés tout le village à ce moment, ses frères et lui auraient retrouvés leurs parents bien vivant dans l’une des caves du village.
Sûrement celle des Redd. Dieu seul savait ce que ces malades leur avait fait subir avant de mettre fin à leurs jours… S’ils étaient morts, bien entendu… Mais espérer le contraire était naïf, il le sentait.

Et comme si elle avait lu dans ses pensées, Dakota aborda ce sujet, parlant sur le ton de la confidence en se penchant légèrement vers lui pour donner plus de poids à ses mots et son regard appuyé.
Toute la colère qu’il avait accumulée ces derniers instants sembla s’évacuer d’elle-même. L’ainé des Donnelly resta coi, ses yeux clairs plongés dans les siens, la bouche à présent entrouverte dans une expression de surprise un peu niaise. Elle venait de le prendre au dépourvu avec cette remarque...

Les secondes s’écoulèrent ensuite avec lenteur, rendant le silence qui s’était établi entre eux pesant, lourd d’attente. Aahron avait l’impression désagréable que son cerveau était en pause, l’empêchant de bouger ou de répondre quoi que ce soit de perspicace.
Et puis, lentement mais sûrement, la machine se remit en route et la barrière qu’il avait pour habitude de dresser autour de lui lorsque le sujet de ses parents était évoqué se dressa. Ses sourcils se froncèrent malgré lui et ses mâchoires se crispèrent un peu sous le doute qui l’envahissait peu à peu.
Est-ce qu’elle disait ça parce que c’était la stricte et pure vérité ou est-ce qu’elle pensait que c’était ce qu’il avait besoin d’entendre à cet instant précis ? Le disait-elle pour gagner sa confiance et mieux le manipuler par la suite, ou au contraire parce qu’il venait justement de la gagner ?
De quel côté se situait-elle ? Dans quel camp était-elle ? Qui considérait-elle comme ses alliés, ses ennemis ?
Qu’est-ce que le Docteur Thibodeau avait eu à dire de si gênant pour qu’elle ressente le besoin de l’interrompre ?

Mais Aahron ne comptait pas lui poser ces questions de front. Pas pour le moment, encore une fois. Finalement, il prit la parole d’un ton bien plus sec que précédemment.

« Bien » fit-il simplement, avant d’enchainer en détournant le regard « Ils vont se demander pourquoi je mets autant de temps à revenir avec le déjeuné et je ne veux pas qu’ils s’inquiètent davantage. J’ai un coup de fil à passer qui plus est, inspecteur, et je crois que vous avez-vous-même des choses à faire. Peut-être qu’on se recroisera tout à l’heure. Si vous voulez bien m’excuser en attendant »

Et l’instant d’après, il lui adressait un rapide mouvement de tête en guise de salut et s’éloignait déjà d’un bond pas, la plantant au milieu du couloir vide. Elle ne chercha pas à le rattraper, comprenant sans doute qu’il avait besoin de solitude ou du moins peu envie de poursuivre sa conversation avec elle pour l’instant.