02. It takes a lot to laugh, It takes a train to cry [Allie, Aidan & Isaac]

J'étais au bord de l'apoplexie, mais mon visage n'exprimait pourtant qu'une concentration sans failles et une certaine dose d'inquiétude. Le compteur de la Volvo affichait 95 mph, c'était rapide, mais mon pied semblait comme coller au plancher. Il ne manquerait plus que la faucheuse nous attendent au coin d'une rivière, et on aurait tout gagné. Je lançai de brefs regards dans le rétroviseur régulièrement, pour m'assurer qu'Allie était toujours consciente. Je ne savais pas ce qu'elle avait, et ne comprenais pas ces complications avec la grossesse. Et comment pouvait-elle savoir qu'elle avait perdu le bébé ? Peut-être que les mamans le sentaient, ce genre de choses...

Un panneau nous souhaitant la bienvenue à Trimble me soulagea passablement. Je ralentis un peu l'allure pour ne pas causer de dégâts avec le reste de la circulation. L'hôpital n'était plus très loin. Je me garai le plus près possible de l'entrée, occupant une place de stationnement qui n'en était pas vraiment une. Le PV de stationnement, j'en avais légèrement rien à foutre à ce moment précis.
J'ouvris la portière du côté d'Allie, et la tirai vers l'extérieur. Je gardai une main autour de ses hanches en la ramenant à l'intérieur, où elle fut presque tout de suite prise en charge après quelques paroles prononcées de façon exagérée. Enfin pour moi, il ne s'agissait en rien d'une feinte, j'étais vraiment très inquiet.

Je suivais le personnel médical qui l'emmenait probablement en salle d'examen, mais une infirmière me repoussa, me barrant le passage derrière les portes comportant l'écriteau "Authorized Personnel Only".

« Monsieur, vous devez patienter ici, nous devons lui faire passer des examens. »

Je forçai légèrement le passage en tentant de poser une paume sur la porte, mais elle réagit immédiatement en m'obligeant à reculer.

« Je suis médecin, je peux être utile. »

« Nous avons tout le personnel qu'il nous faut, veuillez reculer, Monsieur. »

Je fis quelques pas en arrière, à reculons, croisant mes doigts sur mon front en me faisant une raison. Tournant finalement les talons vers la salle d'attente, je me laissai tomber sur une chaise à côté d'Aidan. La tête entre mes mains, ce n'était plus seulement l'inquiétude qui m'accaparait maintenant. Une pointe de culpabilité ressortait comme une ombre derrière la peur d'avoir perdu le bébé, et de pouvoir perdre Allie par la même occasion. Je n'avais pas confiance en ces docteurs, si seulement nous avions été à Cleveland, elle aurait été traitée comme une reine à l'hôpital. Nous aurions dû être là-bas, et tout se serait bien passé. Nous n'aurions pas eu toutes ces engueulades, elle n'aurait eu de stress supplémentaires à supporter, et surtout à me supporter. J'aurais peut-être été un moins que rien, sans job et sans parents, mais ça aurait toujours été mieux que ce que je devenais ici.
Je relevai la tête vers mon frère, qui n'avait pas dit un seul mot depuis que nous étions arrivés ici. Je savais qu'il avait paniqué lui aussi, à répéter inlassablement que tout allait bien se passer. Il cherchait à s'en convaincre lui-même d'abord, et personne ne pouvait le blâmer après tout.

« Qu'est-ce qui s'est passé ? »

demandai-je, comme si seulement maintenant mon cerveau se remettait peu à peu en marche.

Les mains crispées sur le tissu rêche de son pantalon, Aidan tentait de réguler son souffle du mieux qu’il le pouvait. Il n’avait jamais aimé les hôpitaux. C’était le cas pour beaucoup de monde, sûrement parce qu’hôpitaux ne rimait pas avec guérison et naissance mais avec maladie, souffrance et mort. Mais pour le jeune homme, ce n’était pas qu’une question de connotation négative, il y avait autre chose. Chaque fois qu’il mettait les pieds dans un hôpital (et avec sa maladresse et l’insouciance naturelle, il avait souvent été contraint de s’y rendre) il se sentait mal. Physiquement mal.
Sa tête devenait lourde, douloureuse, comme si elle s’était trouvée dans un genre d’aquarium. Un aquarium duquel il ne pouvait pas se sortir, au travers duquel les voix et le décor lui paraissaient flous et dans lequel on avait mit une sono. Des pensées qui ne lui appartenaient pas s’entrechoquaient dans son esprit, sans qu’il n’en comprenne la présence ou ne puisse les identifier clairement. C’était juste du bruit, en continue dans son esprit.
Sa tête n’était pas la seule à sembler s’alourdir. Il se sentait comme écrasé, compressé. Comme si quelque chose appuyait sur ses épaules en permanence et tentait de l’enfoncer dans le sol.

La voix d’Isaac l’arracha à ses pensées et son cœur manqua un battement. Aidan leva son regard hagard et angoissé sur lui, se sentant transpirer. Il ne chercha pas à lui dissimuler son mal être, se disant que son frère penserait simplement qu’il était inquiet pour Allie. Ce qui était vrai, en plus du reste…
En revanche, il prit sur lui pour répondre d’une voix à peu près normale et ne pas se mettre à hurler hystériquement ou le supplier de le laisser sortir. Allie avait besoin qu’il soit là et quelque part, Aidan se doutait que son frère aussi préférait ne pas être seul en ce moment.

Comment j’le saurai ?

Il l’avait lu dans son regard au moment où Aidan avait voulu s’entretenir en privée avec sa fiancée sur le pont. Il le lisait encore actuellement dans son regard. Isaac voulait des réponses et il les voulait tout de suite. Pourtant, le jeune homme ne pouvait se résoudre à les lui fournir maintenant. Et au fond, est-ce qu’il savait vraiment ce qui était arrivé là-bas ?

C’est sûrement… le stress, non ? J’veux dire, ça arrive parfois… t’es bien placé pour le savoir

Il n'aimait pas les hôpitaux, Aidan était très mal à l'aise ici. Tout dans sa posture crispée et ses regards perturbés indiquaient son envie de fuir très loin. Mais pour une fois, il allait devoir gérer son stress tout seul, comme un grand.
Je haussai les sourcils dans une expression de surprise ponctuée d'agressivité, en l'entendant dire qu'il ne savait strictement pas ce qu'il s'était passé. Le stress, mon cul, et en plus de cela il se permettait de faire des remarques sur mon comportement.

« Tu te prends pour qui là ? Ou plutôt : est-ce que tu me prends vraiment pour un con ? »

J'avais craché les mots, furax et frustré de ne pas connaître le dialogue qui s'était déroulé à l'arrière de la voiture, lorsqu'il m'avait demandé de lui céder la place. Il avait eu l'air de savoir ce qu'il faisait pourtant, avant que la nouvelle concernant le bébé ne vienne déranger encore plus nos esprits. Mon inquiétude avait fait taire momentanément ma colère, mais maintenant qu'Allie était entre de bonnes mains - du moins, prions, toute cette rancœur éclatait au grand jour. Je réagissais probablement excessivement, mais j'étais incapable de me contrôler. La seule chose dont je mourrais d'envie à cette seconde, c'était d'apostropher Aidan au mur et de le secouer jusqu'à ce qu'il me dise ce qu'il croyait qu'il se passe. Si tout cela avait un rapport avec ses rêves...et qu'il me l'ait caché, je le tiendrai responsable. J'en avais rien à foutre qu'il me haïsse après ça, mais si Allie ou le bébé ne sortaient pas de cet hôpital en pleine forme, et que j'apprenais un de ces jours qu'il m'avait caché la vérité...Je ne donnais pas cher de sa peau.

« Tu vas me dire c'qui se passe que tu le veuilles ou non, ça j'te le jure. »

lançai-je comme une menace.

Je restais silencieux après cette brève altercation pleine de promesses, reposant mes yeux sur le sol d'un blanc cassé. Ma jambe sautillait nerveusement, sans que je ne puisse la contrôler. Une infirmière apparut sur le seuil de la salle d'attente et m'appela par mon nom en me demandant de la suivre. Allie avait passé les examens, ils attendaient les résultats. Ils allaient probablement lui faire passer une échographie à présent. J'espère qu'elle avait mise notre dispute d'hier de côté pour un moment, le bébé était plus important. Je n'avais même pas fait attention à Aidan, mais l'absence de pas derrière moi me laissait penser qu'il était resté en salle d'attente. Il valait peut-être mieux pour lui d'ailleurs...

"Nous allons maintenant passer à l'échographie."

"Est-ce que vous pourriez laisser mon mari le faire ? Je suis certaine que vous avez des tas de trucs plus sympa à essayer, on ne le dira à personne. Et personnellement, les échographies on s'y connaît vraiment !"

"Je peux vous laisser faire ça, vous êtes médecins aussi, ça change rien ! Je repasse dans quinze minutes."

"Ben vas-y, à toi l'honneur Donnelly."

Une interne devait réaliser l'échographie, avant que Allie ne la renvoie pour me laisser faire. Elle semblait plus détendue, stressée tout de même, mais plus maîtresse d'elle même que dans la voiture. Le fait d'être à l'hôpital la rassurait sûrement, ici, s'il lui arrivait quelque chose, il y avait plein de médecins pour s'occuper d'elle. Autre que son fiancé qui avait réussi à se faire suspendre. Je ne lui avais jamais posé la question : est-ce que tu me ferais encore confiance en tant que docteur ? J'avais eu trop peur sûrement de la réponse. Elle me connaissait, mon travail était important pour moi et cette erreur que j'avais faite, c'était... Non peut-être que c'était plus que ça.
Je passai un regard presque affolé d'Allie à l'interne, tentant néanmoins de me contenir en baissant les yeux. Ma fiancée me sortit de mon presque coma volontaire, afin de faire cette échographie. Elle avait son T-shirt relevé, prête à avoir les images de notre bébé, ou...de pire.

Je ne dis rien, attendant qu'elle brise la glace. J'avais peur de dire encore quelque chose de travers et qu'elle le prenne mal. Sa chute m'avait mise dans un tel état d'inquiétude - et ce n'était pas terminé - qu'elle pourrait me demander n'importe quoi, maintenant, tout de suite, même de sauter par cette fenêtre là-bas, que je ne me poserai même pas de questions.
Je gardai mon regard sur mes mains, étant consciencieux dans chacun de mes mouvements. A choisir, j'aurais préféré laisser faire l'interne. Je n'étais pas à l'aise, même si c'était une simple échographie. On m'avait suspendu, ce n'était pas pour rien. Je m'étais fait une raison, je ne toucherai peut-être plus jamais un bistouri ou un scalpel.

« J'ai pas besoin de te dire que ça va être un peu froid ? »

L'ombre d'un sourire passa sur mes lèvres, mais disparu bien vite. Ce n'était peut-être pas le bon moment pour rire. Surtout que c'était nul.

J'étalai la crème sur son ventre avec le plus de précaution possible, relevant quelques fois les yeux vers son visage pour mesurer son état de nervosité, et aussi pour savoir quand est-ce qu'elle daignerait me parler. Je pris la sonde en mains, et l'appliquai sur le ventre d'Allie, tournant cette fois mon regard vers le moniteur. J'avais peur de ce qu'on allait voir. Ça pouvait être la plus belle chose au monde, comme la pire. Je voulais que mon bébé soit en vie. Je voulais aussi que tout s'arrange avec Allie, et qu'on arrête de se disputer pour des conneries. Je voulais qu'on retourne à Cleveland et qu'on commence à organiser notre petite vie de famille. Je voulais trouver une grande maison, et recommencer à travailler au bloc. Grayson s'était donc emparé de tous mes rêves ?

"Ecoute, calme toi Isaac, je t'assure, tu dois te calmer. La sonde doit bouger assez doucement afin de capter les battements du coeur de bébé."

"Quoiqu'il arrive, j'ai besoin de toi ok ? Alors calme toi, s'il te plaît."

"Je t'aide d'accord ?"

Je sentais son contact rassurant autour de mon poignet, comme un filet pour m'empêcher de faire des erreurs. C'était pourtant si simple, rien à voir avec un mec qui s'était enfilé un poteau dans le thorax à la suite d'un accident de voiture. Pas de sang, pas de précipitation. Juste elle et moi, dans l'attente d'entendre les battements de cœur du bébé. La sonde glissait doucement sur son ventre, elle me guidait petit à petit. Lorsqu'un son salvateur emplit la pièce de son bip caractéristique, mes yeux bifurquèrent vers son visage. J'étais étonné et soulagé. Je savais pourtant à quoi m'attendre, mais le fait est que nous étions les principaux acteurs dans cette scène, et pas les médecins, rendait la chose plus surprenante. Je bougeai légèrement la sonde, découvrant un deuxième petit corps en formation. Je faillis carrément laisser tomber l'appareil sous le coup de la surprise.

« T'as vu ? »

demandai-je encore sous le choc, pour être certain de ne pas me tromper.

Question idiote cependant, puisqu'elle les avait sûrement vu bien avant moi. Alors il s'agissait de jumeaux. La sœur d'Allie en avait eu, et c'était assez fréquent dans sa famille. Deux Donnelly de plus ? De quoi rendre folle ma pauvre fiancée. Le regard braqué sur l'écran, je n'avais pas remarqué à quel point elle fut bouleversée par la nouvelle avant de l'entendre éclater en sanglot, puis relâcher ma main. Je me tournai brusquement vers elle, me penchant légèrement sur elle et posant une main rassurante sur sa joue. C'était à mon tour maintenant.

« Hé ma puce, ils vont bien, y a plus rien à craindre. Fausse alerte. »

lui parlai-je doucement en laissant échapper un sourire sincère.

Je l'embrassai sur la tempe et mes yeux vinrent encore une fois implacablement se poser sur l'écran. Ils étaient si petits, et paraissaient si fragiles. Je ne réalisais pas encore que dans quelques mois, nous les aurions dans les bras. Il allait falloir trouver grand, plus grand que je ne pensais. Je bougeai encore un peu la sonde pour capter successivement les deux battements de cœur réguliers. On ne pouvait pas savoir encore si la tendance était plus masculine que féminine, c'était trop tôt. Mais au moins, les images nous rassuraient. Je reportais mon attention sur Allie, et m'assis sur le tabouret devant les machines. Je passai un bras au dessus d'elle, pour lui montrer que j'étais là et que je n'irais nul part.

« Tu m'as fait peur. »

"Y'en a deux..."

"C'est deux bébés, va falloir plus grand, et je vais être deux fois plus grosse, et ça va être deux fois plus de boulot... mon dieu, je vais devoir arrêter de bosser au moins un an."

"T'arrives pas à voir si c'est des filles ou des garçons ? Une fille et un garçon ca serait génial !"

Allie séchait ses larmes, sa peur avait laissé place à la joie de voir ses bébés. Je souris plus franchement encore en la voyant aussi heureuse. Depuis combien de temps n'avions-nous pas partagé un moment comme ça, sans reproches et sans cris ? Je serrai sa main un peu plus fort avant qu'elle n'en ait besoin pour essuyer son visage souillé par ses sanglots. Elle voyait déjà l'avenir, Grayson était tellement loin maintenant, elle s'imaginait la vie que nous mènerions après la naissance des jumeaux. Je baissais la tête lorsqu'elle parla d'arrêter de travailler, un peu déstabilisé par le sens de la discussion puisque cela me ramenait directement à ma suspension.

« Hm tu sais... J'aurais sûrement plein de temps si l'hôpital me vire définitivement. »

fis-je seulement remarquer.

Je relevai le menton alors qu'elle enchaînait sur les pronostics fille-garçon, et après un rapide coup d'oeil sur l'écran, secouai la tête. Je ne savais même pas si c'était important de connaître le sexe des bébés, après tout, la surprise c'était bien aussi. Ça ne changerait rien à la manière dont nous allions nous occuper d'eux. Mais une fille et un garçon, c'était l'idéal pour Allie, alors ce serait le mien aussi.

« C'est encore trop tôt, on verra rien. Il faut attendre l'échographie du deuxième trimestre. J'espère qu'on sera revenu à Cleveland d'ici là. De toutes façons, c'est hors de question qu'on s'éternise des mois ici. On va plein de choses à faire, et toi et les bébés c'est plus important que de savoir ce qui est arrivé à mes parents. »

Je hochai la tête et rebaissai les yeux. Mon discours contrastait affreusement avec les mots que j'avais eu hier soir, lorsqu'on s'était disputés après le dîner. Je lui avais carrément dit de se mêler de ses affaires, alors que...elle était tout pour moi, j'avais été un vrai con. Je mettais donc fait une raison, repensant à ma conversation avec Samuel. Je ne laisserais pas Grayson me remplirent la tête de connerie et faire souffrir ma famille à cause de mon comportement déviant. Notre enquête terminée ou non, on rentrerait à Cleveland et j'espérais que les autres se fassent une raison eux aussi.
Avouer cela, c'était aussi une façon de m'excuser auprès d'elle. Et de la rassurer sur ma présence, quoiqu'il arrive. Je repris sa main dans la mienne et déposai un baiser sur son revers, appuyant du regard mes propos pour qu'elle ne doute pas.

"Même s'ils te virent, tu perdras pas ta licence de médecin, au pire on cherchera ailleurs ok ? Cleveland ou pas, on peut aller où on veut !"

"On va s'en sortir, on va déjà régler les problèmes ici et trouver qui a fait..."

"Ecoute Donnelly, on va déjà voir ce que ça donne et si jamais on s'éternise trop alors on partira... mais on peut encore tenir un peu."

"Tu t'attendais à ça toi ? Ca va, tu tiens le coup ?"

Je hochai la tête quand elle tenta de me rassurer sur mon avenir professionnel. Elle croyait que tout irait bien et que ma licence était sauve, mais il n'en était rien. J'avais tué quelqu'un à cause de mes erreurs, ils pouvaient très bien décider de me retirer ma licence. Et puis quel hôpital voudrait bien de moi après avoir été viré pour faute professionnel ? Alors Cleveland ou ailleurs, ce serait la même. Ce genre de choses, c'est comme un casier, ça ne s'efface pas en claquant des doigts. Je ne voulais pas la perturber cependant, elle pouvait enfin chasser les idées noires de sa tête et voir le positif, alors ce serait égoïste de ma part d'être pessimiste.

Ce qui me surprenait la plus, c'est qu'on avait étrangement échangé les rôles. Hier, on se disputait parce qu'elle en avait marre d'être ici, aujourd'hui elle voulait les réponses plus que moi encore. Qu'est-ce qui l'avait fait changé d'avis ? "Il n'y a eu pas d'accident ici". Qu'est-ce qui s'était exactement passé sur ce pont, et pourquoi était-elle tombée ?
Je reculai un peu pour qu'elle puisse s'essuyer le ventre et enlever tout ce gel qui collait à la peau. Elle se releva ensuite face à moi. Je relevai les yeux vers elle, ayant peur de lui poser la question que je savais très bien qu'elle éviterait. Mais ça ne coutait rien de tenter.

« Pourquoi tu veux rester maintenant ? Qu'est-ce qui t'est arrivé toute à l'heure ? »

demandai-je posément sans la brusquer. Je ne voulais pas qu'elle pense que c'était un interrogatoire. Si elle ne me donnait pas de réponses, je savais qui le ferait...C'est pourquoi je n'insisterai pas.

Lorsque le sourire revînt sur ses lèvres, je savais qu'elle repensait aux jumeaux qu'elle portait. Nous avions enfin vu le - enfin les - petit être qui grandissait entre elle. Ça paraissait si réel maintenant, plus de retour en arrière possible. Ce n'était pas comme si je l'avais envisager une seconde. Je pris à nouveau sa main dans la mienne et l'embrassai furtivement avant de la laisser retomber sur sa cuisse par l'effet de la pesanteur.

« Je m'y attendais pas du tout. J'avais déjà du mal à me faire à l'idée que j'allais être papa tout court. Maintenant j'vais devoir deux fois plus me préparer. C'est un peu soudain mais... C'est bien. »

J'esquissai à mon tour un sourire.

« Faut voir le bon côté des choses, quand Aidan sera chiant, on pourra l'obliger à être de corvée de couches ! »

On n'avait pas encore officiellement décidé de le garder avec nous, surtout pas maintenant qu'on avait deux bébés en route. Mais ça m'avait toujours semblé quelque chose de logique, de naturel. Sam n'était pas un candidat, Aahron avait ses problèmes, et il fallait à Aidan une figure maternelle. Il s'entendait à merveille avec Allie. Et l'envoyer à l'autre bout des pays chez des tantes et oncles qu'on ne voyait qu'une fois tous les dix ans n'était pas envisageable non plus. Ils ne restaient plus que nous. Et ça permettait de garder un œil sur lui.

« Ouai... ça va être dur c'est certain, tout ce qu'il nous faudra, c'est de l'organisation ! »

« Et un environnement calme pour que ce soient des petits anges, sauf si ce sont des filles alors là, on aura pas de soucis, ou alors ce seront des pestes ! »

« Je détestais les pestes à l'école, quelle horreur si on a ça ! Mais bon avec notre mix... au pire on aura deux garçons manqués buvant de la bière à six ans et se battant avec les garçons de CM2... Ou pire ! Des chochottes, je veux pas de chochottes ! Ô Isaac mon amour, qu'en penses-tu ? Et faut aussi qu'on réflechisse aux prénoms, deux de chaque et me dis pas que c'est trop tôt, j'ai besoin de penser à ça parce que... le temps passe vraiment vite.»

Elle avait évité la question de ce qui s'était passé sur le pont, mais c'était si prévisible. Je pouvais comprendre qu'elle n'était pas encore prête à m'en parler, ou à en parler à qui que ce soit...Je voulais simplement comprendre, et être là pour elle. Mais si elle ne me laissait pas faire, il m'était impossible de lui forcer la main. Je ne me le permettrai pas...ou plus. J'avais eu réellement très peur aujourd'hui, et cette prise de conscience n'était certainement pas faite pour qu'une fois sortis de l'hôpital, on recommence à se disputer à tout va et pour des bêtises. Je voulais qu'elle me parle, pour être certain qu'elle m'accordait encore sa confiance. Parce que comment élever deux bébés si on ne pouvait pas compter l'un sur l'autre comme au tout début, ou si des mensonges nous séparaient petit à petit. J'avais vu le mariage de mon frère se déchirer, et j'avais constaté le mal que ça lui avait infligé. Il vivait encore dans le passé, il n'y avait qu'à voir la façon dont il regardait Trisha lorsqu'il était persuadé que personne ne pouvait le voir. Je n'avais pas envie que ça se finisse comme ça entre Allie et moi. Je n'avais pas envie que ça se finisse du tout...

Je soupirai, et la laissait profiter du moment présent. J'obtiendrai mes réponses d'Aidan peut-être, ce soir. Je ne pouvais sûrement pas l'obliger à me dire ce qu'elle avait cru voir sur ce pont, mais le mieux à faire était encore de lui laisser tout le temps dont elle a besoin pour se familiariser avec l'idée qu'elle pouvait me parler de tout. Même de quelque chose dont elle avait peur. J'étais aussi là pour la rassurer, en tant que futur mari. Je devais être à ses côtés dans les meilleurs moments, comme dans les pires. C'était ça aussi, l'engagement.

Elle s'affolait en imaginant ce que pourrait devenir nos bébés. Encore un peu, et elle allait me faire un infarctus. Le stress, c'était pas bon dans son état. Je souris néanmoins, attendri par tant d'impatience de sa part. Car ce n'était autre que ça, son excitation, ses petites angoisses, elle avait envie de toute cette vie. Heureusement pour moi.

« Ne t'inquiète pas, on prendra le temps de bien choisir l'endroit. Il faut que tout soit parfait... »

Je le pensais vraiment. J'avais envie de lui offrir le meilleur, à elle et aux bébés pour qu'ils puissent grandir sans se soucier d'avoir à subir un environnement tel que Grayson. Les gens ici n'étaient pas un bon exemple à inculper à mes enfants. Je mourrais d'horreur si l'un d'eux devenait comme Nathaniel.

« Hm...J'ai pas de préférence, tu sais c'est pas comme si on pouvait choisir. Mais une fille et un garçon c'est pas mal, comme ça on pourra tous les deux transmettre nos précieuses capacités, toi la cuisine, enfin faudra que tu progresses avant...et moi la bière et les bastons, même si ça je l'ai déjà promis à Sam'. »

dis-je pensif, sous-entendu avec ironie le machisme de mes mots.

« J'ai pas encore réfléchi aux prénoms non plus. Avec tout ce qui se passe ici...Enfin bon, ça va nous faire de l'animation pour le chemin du retour. L'allée était pas vraiment fun... »

Je marquai une pause en baissant la tête, revivant presque à l'instant ce que j'avais ressenti lorsque je l'avais vu chuter sur le pont, et l'effroi sur son visage lorsqu'elle pensait avoir perdu le bébé.

« Je viens de trouver un autre point positif à la grossesse... »

Un sourire en coin m'échappa, sentant la tarte venir, devant la future connerie que j'allais sortir.

« T'auras de plus gros seins ! Nan décidément, c'est un argument de poids. »

Je me préparais à esquiver sa main qui allait probablement chercher à me taper l'arrière de la tête tout en m'efforçant de ne pas éclater de rire. C'était de l'humour évidemment, ses seins étaient très bien comme ils étaient. Mais bon...en tant que futur papa, c'était un avantage à ne pas négliger pour un homme normalement constitué.
La porte s'ouvrit sur l'interne qui nous avait cédé sa place un quart d'heure plus tôt. Elle s'approcha en souriant, nos mines l'avaient probablement rassuré vu les têtes qu'on tirait toute à l'heure.

« Vous avez terminé ? J'espère que c'est une bonne nouvelle, mais à voir vos sourires, je me doute que c'est le cas. »

"Oui oui, tout va bien, on va y aller..."

"Premièrement mon Donnelly, niveau cuisine c'est toi qui leur apprendra tout et moi, je m'occuperai des bastons et de l'alcool car tout le monde sait que je me bats mieux que toi et que je tiens bien mieux la tequila que ton joli minois."

"Deuxièmement, la perfection est ennuyante, il nous faut un joyeux bordel ou on s'ennuiera vraiment trop et ça on y survivrait pas... tu vois ce que je veux dire ?"

"Merde... on a pas imprimé une seule image de l'écho pour montrer aux autres et je voulais les envoyer à la maison... tant pis, dans quelques semaines on y repasse de toute manière."

"Et ça c'est pour tes remarques a deux balles sur mes seins, ils sont superbement proportionnés comme ça et je suis pas sûre que les deux ballons de basket qui vont me pousser incessamment sous peu seront vraiment sexy..."

"Je t'aime Donnelly."

"Te fou pas de moi, mets ça sur le compte des hormones culcul la praline."

On retrouvait notre complicité d'avant Grayson, et c'était tellement agréable. J'entrouvris la bouche lorsqu'elle parla d'échanger les rôles, dépité qu'elle puisse se croire plus forte que moi à la boisson. Enfin, ce n'était pas tout à fait faux, elle m'avait battu à plusieurs reprises. Mais la vie de médecin était bien plus épuisant que celle d'infirmière...Enfin du moins, c'était que je me disais pour empêcher mon égo de trop souffrir. Nous nous mettions à la suite de la file pour les sorties, il allait encore falloir récupérer Aidan dans la salle d'attente, à moins qu'il ne nous rejoigne de lui-même en nous voyant. Je n'étais même pas certain qu'il soit encore ici, peut-être qu'il s'était sauvé. C'était tout à fait son genre. Je n'avais pas spécialement envie de le voir, là tout de suite qui plus est. J'avais trop peur de m'emporter parce qu'il aurait fait une remarque qui casserait ma bonne humeur, et il en était capable. Je ne pouvais pas gâcher ce moment à Allie en refaisant le portrait de son petit protégé.
J'acquiesçai lorsqu'elle expliqua qu'on s'emmerderait bien moins avec un petit bordel que des enfants et un cadre de vie parfaits.

« Je sais, mais je crois qu'on a pas à s'en faire pour le bordel, y en aura bien assez. On arrive déjà à merder tout seul parfois, alors à cinq, ça risque d'être... épique. »

Oui nous n'avions pas imprimé des photos de l'échographie, mais c'était tellement cliché. Je n'avais pas besoin de photos pour me souvenir qu'elle était enceinte, et que j'allais bientôt être papa. Mais ce n'était pas le cas de tout le monde, si Maman était encore en vie, elle m'aurait probablement remonter les bretelles pour ne pas lui avoir ramener les photos de ses petits-enfants...c'était trop tard de toutes façons, elle ne les verrait jamais. Ma mine s'assombrit une fraction de seconde avant qu'Allie me fasse atterrir en me marchant sur le pied.

« Aïe ! »

répondis-je presque hilare alors qu'elle n'avait pas le même enthousiasme que moi en parlant de ses seins.

« Ouais bah en tout cas promets-moi que tu vas pas me priver de nuits torrides dans quelques mois en prétextant que c'est pour le bien des bébés, on sait tous très bien que c'est une excuse de nana. »

J'allais finir par m'en reprendre une.

Elle se blottit contre moi et mes bras passèrent instinctivement dans son dos pour l'enlacer. Allie s'excusait presque d'avoir une poussée d'affection du genre, mais elle n'avait absolument pas à le faire. Ça nous avait visiblement manqué à tous les deux. Je baissais le menton vers son visage avec un sourire mi-moqueur, mi-malicieux, mon regard ne pouvant s'empêcher de faire des allées-retours entre ses yeux et ses lèvres.

« T'en fais pas, rien à voir avec toi, c'est moi qui suis irrésistible. »

Je me penchai pour l'embrasser, et pas furtivement comme elle avait pu le faire quelques instants plus tôt. J'y mettais de la conviction, il fallait dire qu'être fiancé avec un canon pareil, ça laissait souvent rêveur. Et quand elle avait ce sourire radieux sur les lèvres, elle était plus belle que jamais.

Un raclement de gorge se fit entendre, et je me détachai doucement d'elle, prolongeant le contact visuel avant de me tourner vers la source du bruit. Une jeune femme derrière son bureau paraissait apparemment mal à l'aise devant ce débordement de "sentiments", et me tendait un stylo sans oser capter mes yeux plus de deux secondes. Je m'avançai et signai le formulaire avant de lui rendre l'objet. Tournant les talons, je passai un bras derrière le dos d'Allie et l'entraînait vers l'extérieur. Sur le chemin, je vérifiai la salle d'attente mais il n'y avait plus de traces de mon frère. Il était sorti, c'était presque évident pourtant. Il ne perdait rien pour attendre, les réponses il me les donnerait, quoi qu'il en coûte.

Hey oh ?

Aidan sortit de ses pensées dans un sursaut, tournant son regard azuré vers la jeune femme qui se tenait à ses côtés. Il ne l’avait pas entendue approcher et il lui fallut quelques secondes pour se rappeler où il était et pourquoi il y était.

Ça va ?

O-oui

Cool ! Parce que j’allais appeler la sécurité

La…pourquoi ?

Leur signaler qu’un des patients s’étaient fait la malle

Haussant négligemment les épaules, la jeune femme se laissa tomber sur le banc à ses côtés. Aidan l’observa porter une cigarette à ses lèvres avant de jeter un coup d’œil aux alentours. Le va et vient était permanent aux portes de l’hôpital et pourtant, avant cet instant, il n’avait rien remarqué du brouhaha alentour. Après une seconde, il redonna son attention à la brune au visage singulier qui venait de croiser ses jambes l’une sur l’autre.

J’suis pas un patient

Curieux, t’as pourtant l’air d’un leucémique

Sans vouloir te vexer

Aidan ne trouva rien à répondre à cela et la jeune femme enchaina, tendant sa main libre dans sa direction.

J’m’appelle Sacha

…Aidan

Qu’est-ce qui est arrivé à ton bras ?

J’ai fais une mauvaise chute

Outch… C’est pour ça qu’t’es là ? Pour ton bras ?

Non plus. J’suis là pour ma belle-sœur elle a eu…un genre de malaise. Elle est enceinte

Sérieux !?

Ben… ouais

Ma sœur est obstétricienne ! Elle bosse ici alors… si ça s’trouve, ta belle-sœur est avec ma sœur en ce moment… et moi j’suis avec toi

C’est cool

Ouais… sans doute…

T’es sûr que t’es pas malade ?

T’as une sale tête et t’as l’air… et bien… lent

J’dors pas beaucoup ces temps-ci

J’suppose que ça explique certain trucs, ouais. Le sommeil, c’est vital

Il parait, oui

Un ange passa tandis qu’il fixait le bout de ses chaussures, méditant sur l’importance de ce sommeil qui lui manquait.

T’en a une pour moi

Une ?

Clope

Sûr !

Et l’instant d’après, elle la lui allumait avant de fourrer à nouveau son briquet dans son sac. Aidan en observa le contenu un instant et reprit la parole en soufflant un nuage de fumée.

Tu suis des cours de quoi ?

Des cours de lycée

Oh… j’te pensais plus vieille que ça

Super

Et toi ?

J’suis musicien. Sauf que j’peux plus jouer avec ça

Merde, c’est moche… Tu fais quoi du coup ?

Rien. Je mange, j’me lave, j’me traine, je mange, je zone, j’m’ennuie

Et t’accompagne ta belle-sœur à l’hosto sur ton temps libre

Ouep

Ok, tu gagnes : ta vie a l’air plus naze que la mienne

Ravi d’l’apprendre

J’fume pas normalement

Alors qu’est-ce que tu fais avec ça ?

J’sais pas trop. J’aime pas le goût qu’ça a, ni l’odeur et j’déteste l’idée de dépendre de quelque chose, tu vois ? D’être… possédé par un truc

Mais j’imagine que ça n’a plus trop d’importance maintenant

Maintenant que ?

Hein ?

Maintenant que quoi ?

J’sais pas… J’sais pas trop de quoi je parle si tu veux tout savoir…

J’ferai mieux d’les retrouver avant qu’ils commencent à me chercher et aient vraiment envie d’me tuer cette fois

Pourquoi ils voudraient te tuer ?

Mon frère pense que j’ai quelque chose à voir avec… ce qui est arrivé à ma belle-sœur

Et tu as quelque chose à voir ?

J’en sais rien… C’est possible

Je vois…

Si c’est l’cas, alors j’serai ravi que tu partages tes informations avec moi

J’te la laisse

J’espère que ça ira pour ta belle-sœur et toi, Aidan

C’est gentil… Bonne chance avec ta vie

Sacha lui répondit par un sourire et un signe de la main, avant de détacher son regard de sa silhouette. Le petit blond l’observa quelques secondes encore avant de se détourner pour retourner à l’intérieur de l’hôpital. Fort heureusement, il n’eut pas besoin de le faire. Alors qu’il allait passer la porte automatique, celle-ci s’ouvrit, laissant apparaitre Isaac et Allie.
Si la jeune femme eu l’air soulagée en le voyant, son frère, lui, le fusilla du regard. Mais Aidan n’avait pas vraiment envie de s’appesantir sur ce sujet, quelque chose d’autre le préoccupait pour le moment. L’état de la future mère et de l’enfant qu’elle portait.

Alors ?

Vous…toi et le bébé, ça…ça va ?

« Ca va, je te jure ça va ! »

« Tout va très bien et c'est assez surprenant et vraiment, tout va bien. »

« T'as fait quoi ? Tu draguais un peu ? »

« On devrait rentrer et appeler les autres pour leur dire que tout va bien... je suis vraiment désolée... je sais pas ce qui m'a prit mais tout va bien donc c'est super et on peut rentrer. »

« Bon, on y va ? »

« Debout Blondie. »

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02. It takes a lot to laugh, It takes a train to cry [Allie, Aidan & Isaac]

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