Jeanne rentrait lentement chez elle après sa journée au pique-nique organisé par la ville. Ce fut un événement relativement calme, sans débordement. Mais elle ne savait pas encore si c'était une bonne ou une mauvaise journée. Peu de choses l'avait dérangé, et malgré l'ennui passager, la journée était rapidement passée. Cependant, sa rencontre avec le frère Johansson ne l'avait pas laissée indifférente, et elle ne savait pas quoi en penser. Ce gars était vraiment renfermé sur lui même, du genre presque coincé. Mais il avait quand même d'autres atouts en sa faveur... C'est avec cette pensée qu'elle rentra chez elle, et elle eut la surprise de trouver la porte non verrouillée. Ezra laissa alors la place à l'image de Liam dans son esprit. Son mari devait être à la maison, et c'est donc sans grande joie qu'elle entra chez elle.

Elle déposa son sac dans l'entrée et se dirigea vers le salon. Elle chercha son mari, qui ne devait pas être bien loin. Avec sa carrure il ne passait pas inaperçu alors avec un seul coup d’œil elle sut qu'il n'était pas dans leur salon. Elle entra dans la cuisine. Elle le remarqua tout de suite, lui tournant le dos et faisant elle-ne-savait-quoi. Il ne se retourna même pas pour la regarder, se doutait sûrement que c'était elle qui rentrait. Pour ne pas être entrée dans la pièce pour rien, elle décida d'aller prendre un truc dans le frigo. Elle ne savait pas quoi, mais bon... Elle détailla le contenu du frigo : des yaourts, une salade, des bières... Alors qu'elle faisait ça, elle ne sut pas pourquoi mais elle ouvrit la bouche :

« J'ai vu Redd aujourd'hui... Nathaniel... »

Allait-il lui répondre ou passer sous silence cette information des plus capitales ! De toute façon elle n'avait pas dévoiler tout et elle continuerait à parler jusqu'à ce qu'il lui fasse un signe, n'importe lequel...

Liam lui fit un vague bruit, n'ayant pas l'air des plus intéressés par ce que sa femme lui racontait. Elle prit une bière dans le frigo, et chercha un décapsuleur dans un tiroir. Alors qu'elle fouillait, son mari lui adressa une phrase, bien complète. Enfin c'était une question, à propos de ce sécateur... Elle essaya alors de se remémorer ce que Redd lui avait raconté. Il fallait dire qu'elle n'avait écouté qu'à moitié ces banalités. En cherchant dans sa mémoire, elle trouva le décapsuleur, et ouvrit sa bière. Une fois ouverte, elle se dit qu'elle aurait peut être pu en proposer une à Liam... Se rapprochant un peu de son mari, elle vit ce qu'il faisait. Lui ouvrir une bière maintenant n'aurait peut être pas été utile, il avait les mains occupées apparemment...

« Il en a encore besoin je crois... »

Elle but une gorgée au goulot de sa bouteille, en regardant son mari. La seule chose qu'elle pouvait bien faire à vrai dire. Elle aurait bien sur voulu faire plus, mais elle n'osait pas. Elle n'osait pas toucher son mari... Ça aurait pu être drôle si ça n'était pas aussi triste. Alors elle ne profitait de son corps qu'avec ses yeux.

Pendant quelques secondes elle n'ouvrit plus la bouche, et il ne fallait pas compter sur Liam pour briser le silence. Leur échange aurait très bien pu s'arrêter là, sur une banalité à en pleurer. Mais comme à son habitude, Jeanne ouvrit sa grande bouche. Parfois ne rien dire lui pesait plus que les engueulades. Elle préférait que son mari s'énerve, hausse la voix contre elle plutôt qu'il l'ignore. Alors, encore une fois, elle fit partager ses doutes quant à Nathaniel. Elle n'aimait absolument pas que son mari côtoie cet homme. Seulement voilà, il était borné et ne l'écoutait pas...

« Tu sais... Redd n'est pas forcément...  » Elle avait commencer sa phrase elle allait devoir la finir... Il fallait juste trouver les bons termes pour ne pas trop froisser son mari... « Y'a un truc qui cloche chez ça type-là... »

Elle sentait chez Nathaniel un truc louche. Quoi ? Elle ne savait pas, mais elle était toujours mal à l'aise en sa présence. Et savoir Liam parler avec lui n'arrangeait rien...

La réaction de Liam ne se fit pas attendre. Certains sujets de dispute étaient tellement répétés entre eux que Jeanne savait à quoi s'attendre en disant une énième fois ses doutes quant à la sincérité de Nathaniel Redd. C'est donc sans surprise que son mari s'énerva, haussa la voix, lâcha ce qu'il faisait et se tourna vers elle d'un air furieux. Elle commençait à bien connaître ce regard qu'il lui lançait, et avait même parfois l'impression de ne voir que celui-là. Elle ne se rappelait même pas de la dernière fois que Liam l'avait regardé avec tendresse... Bien sur, elle se souvenait qu'à un moment de leur relation, il n'y avait que de l'amour et de la complicité entre eux, mais quelque part dans leur vie commune, tout cela s'était fané, et elle ne savait pas quand. Il lui semblait que c'était il y a une éternité qu'elle embrassait son mari quand elle rentrait, qu'ils riaient devant un bon repas, et qu'ils finissaient leur soirée nus dans une pièce ou une autre... Une éternité ! Et ce n'est pas ce soir qu'ils allaient retrouvés ça...

La dispute était lancée, et c'est seulement maintenant qu'elle s'en voulait d'avoir ouvert sa grande gueule ! Parfois elle devait vraiment passer pour une piètre psychologue. Quand elle bossait, elle se taisait, se faisait compréhensive pour aider son prochain. C'était son rôle, et elle le comprenait très bien. Mais une fois à l'extérieur de l'hôpital, elle redevenait elle-même. Et encore plus chez elle. Si elle ne pouvait même plus s'exprimer sous son propre toit et à son mari...

« Je te dis juste ce que je pense. De toute façon, tu ne tiens pas compte de mon avis alors ça ne sert à rien que tu t'énerves ! »

Elle tentait tant bien que mal de ne pas hausser la voix, de rester plus ou moins calme. Si elle s'énervait, cela accentuerait sûrement la colère de Liam et c'est fâchés qu'ils iraient se coucher. Quoique cela ne changerait sûrement pas grand chose. Ils feraient chambres à part que ce serait pareil !
Elle ne bougea pas de son coin de cuisine, continuant de regarder son mari. Allait-il se calmer, ou alors s'énerver de plus belle ?

Liam venait de se mettre en colère en moins de deux minutes, ce qui était assez rare en fait. Il s'évertuait souvent à ne lui répondre que par monosyllabes. Mais cette fois aussi, Jeanne avait commencé fort... Elle avait directement attaqué le sujet qui fâche, et elle s'en mordait les doigts maintenant. Son mari oscillait entre s'occuper les mains ou pas... Il se rapprochait d'elle, s'éloignait, alors qu'elle ne bougeait pas d'un pouce. Serait-il violent ? Dans ses propos peut-être, mais physiquement, elle ne pensait pas. Elle n'imaginait pas Liam l'a frappé, même si parfois il lui faisait peur. Mais malgré cette peur, et la colère qui émanait de l'homme, elle ne s'avouait pas souvent vaincue.

« C'est seulement une intuition. Une sale intuition qui me dit que ce type n'est pas clair et qu'il cache quelque chose ! »

Elle n'en démordrait pas. Son avis était fait, et personne ne le lui enlèverait de la tête. Il y a des personnes comme ça que l'on ne peux pas voir en peinture. Mais la c'était encore plus profond, ça lui prenait aux tripes. Se faisait-elle des idées ? Son jugement était-il obscurci par autre chose ? Peut être...

« A moins que je le déteste parce que tu passe plus de temps avec lui qu'avec moi... »

Cette phrase avait été prononcée lentement, calmement, mais avec une pointe d'animosité, de rancoeur. Elle avait détourné le regard, se sentant presque honteuse de ressentir cette jalousie, et surtout de la dire. Parce que oui, elle était jalouse. Si elle devait fracasser le crâne de Redd pour avoir son mari alors elle courait tout de suite au jardin chercher une pelle... Mais plus que honteuse et en colère, elle était triste. Elle ne pleurerait pas, ayant épuisé son stock de larmes par le passé, mais sa tristesse n'en était pas moins la, la tiraillant chaque jour. Mais c'est sa colère qui bloquait ses larmes, ou peut être sa fierté... Tant de sentiments la tourmentaient à ce moment-là : colère, tristesse, honte, rancoeur... Et c'est de Liam que dépendait la suite des évènements, à savoir lequel prendrait le dessus sur tout les autres. Personnellement elle parierait sur la colère...

Elle aurait du se douter que ça allait tourner comme cela. Ça tournait toujours comme ça de toute façon. Liam l'accablait elle de toutes les fautes, et de son coté, Jeanne faisait le contraire, et collait la faute à son mari. Elle aurait dû parier tiens... Bien qu'elle se sente blessée par les propos de son époux, elle était surtout en colère de ces remarques qu'elle trouvait injustes. Le pique nique aurait été une excellente raison pour qu'ils passent du temps ensemble, mais elle ne l'avait pas vu de la journée. Il aurait très bien pu la rejoindre pour qu'ils mangent ensemble à midi, mais la encore, elle ne l'avait pas vu. Au lieu de passer du temps avec son mari, elle avait fait la discussion à des inconnus. Mais ce n'était pas lui le fautif, loin de la ! C'était elle qui s'était éloigné de la maison, et donc de lui... Jusque la, elle n'avait pas vraiment élevé la voix, mais la, elle ne se retint pas, et cria presque...

« Des mondanités ? Des... Mondanités ? Tu crois que ça m'amuse d'aller passer du temps avec ces... gens ? De discuter avec des inconnus ? Ou de me balader toute seule dans ce foutu parc ? »

Sa main se resserra autour de la bouteille de bière. Elle avait à peine bu quelques gorgées, mais elle n'avait plus soif maintenant. Elle préféra poser brutalement la bouteille sur le comptoir plutôt que de continuer à la serrer aussi fort. Et puis si ils continuaient à se disputer – ce qui serait probablement la cas malheureusement – il valait mieux qu'elle n'ait pas quelque chose à briser par terre, ou pire, à balancer au visage de son mari.

« De capital ? Absolument rien !  » Elle souriait à présent, mais elle ne savait pas pourquoi, parce que la situation n'avait vraiment rien d'amusant... « Mais imagine que je sois restée à la maison, tu crois qu'il se serait passé quoi hein ? » Les mains sur les hanches, elle le regardait, le défiant de répondre. Ils savaient tout les deux ce qui se serait passé, c'est-à-dire rien ! Lui aurait sûrement fait un travail sur la maison, et elle aurait attendu le déluge sur le canapé... Alors qu'elle soit sortie ne changeait pas vraiment la donne. Son argument n'était même pas valide !

Maintenant que Jeanne s'énervait bien comme il faut, Liam décida de se calmer, enfin au moins en apparence. Sa voix était posée, mais ses paroles n'avaient rien d'apaisantes. Au contraire, il énervait encore plus sa femme. Il était passé au pique-nique, et il n'était même pas venu la trouver. Et alors qu'il pense que ce genre d'activités était futile, il lui reprochait de ne pas lui avoir demander de l'accompagner... C'était le monde à l'envers, et Jeanne n'en revenait pas qu'il soit aussi calme !

« La c'est toi qui te fout de moi ! Y'a deux minutes, c'était des mondanités sans intérêt, et maintenant tu me dis que tu y es allé ! Tu aurais au moins pu me retrouver ! Maintenant je pense que c'est toi qui ne veux pas passer du temps avec moi ! »

Elle pointa un doigt sur lui. Il lui faisait des reproches, mais on ne pouvait pas dire qu'il était blanc comme neige... Au fond, ils avaient tout les deux des efforts à faire mais là, ce n'était pas la principale pensée qui venait en tête de la psychologue. Elle ne savait plus vraiment comme réagir. Devait-elle se calmer, puisque lui avait l'air de pouvoir contrôler ses émotions, continuer sur le ton de la colère, ou plus simple, prendre la fuite ? Ce n'était pas vraiment son genre, mais si ça dégénérait elle n'hésiterait pas à quitter la pièce.

Des idées pour passer du temps ensemble ? Elle en avait quelques unes en effet. Et pas elle ne pensait pas à jouer au scrabble ! La seule chose à laquelle elle pensait, quand il s'agissait de passer du temps avec son mari, ne nécessitait pas de grand chose, et surtout pas de vêtements ! Mais elle n'allait peut être pas lui dire... Peut être que cette révélation apaiserait quelques tensions, voir même les ferait disparaître, mais pensait-il à ça lui ? Elle lâcha un soupir et ne put s'empêcher de murmurer tout de même : « Tu n'imagines même pas... » Et un peu plus fort : « Il y a des tas de choses qu'un couple puisse faire, encore faut-il que les deux parties soient d'accord... »

A peine eut-elle dit sa dernière phrase que Liam traversa la cuisine. A la grande surprise de Jeanne, ce n'est pas vers la porte qu'il se dirigea mais vers elle. Quitter la pièce n'aurait pas forcément arranger les choses, mais au moins ça aurait coupé court à la conversation qui se dégradait au fil des secondes. Liam savait que sa femme ne s'avouait pas souvent vaincue, alors c'était plus souvent lui qui stoppait net leur échange... Mais au lieu de ça, voilà qu'elle était collée contre le frigo avec son mari à quelques centimètres d'elle. Au début, surprise par ce mouvement, elle resta droite comme un i contre le frigidaire. Et puis, elle se détendit, les yeux rivés sur ceux de Liam. Elle ne vit plus qu'eux pendant un instant. Plus que ses yeux chocolats, qu'elle connaissait chaleureux et doux. Elle rapprocha alors son visage du sien, sans le toucher pour autant. Elle sentait son souffle sur son visage, et elle imaginait déjà embrasser ses lèvres. Cela faisait un moment déjà qu'il n'avait pas été aussi proche, et elle avait du mal à savoir quelle démarche adoptée... Elle avait réellement envie d'aller bien plus loin qu'un simple baiser, et rien que cette pensée la fit frissonner. Mais une partie d'elle cherchait une excuse, une façon de se détourner de son mari. Pourquoi ? Pour un tas de raison, sachant déjà que l'embrasser ou s'envoyer en l'air n'arrangerait pas tout. Peut être serait-ce un premier pas vers une possible réconciliation, mais le chemin était long et semé d’embûches. Jeanne n'était pas sure de vouloir l'emprunter. Elle n'était pas prête, pas après ce qu'elle avait fait... Elle resta pourtant planter la, le visage à quelques centimètres de celui de Liam, attendant sa réaction.

Jeanne n'avait pas quitté Liam des yeux. Elle avait fait le premier pas, même si elle n'était pas sûre de vouloir le faire. Si tout pouvait être effacé par un seul baiser, elle se serait sûrement jeté sur ses lèvres. Mais on n'était pas dans un conte de fées, loin de la. Et de toute façon, elle n'avait pas couvert toute la distance qui les séparait. Seulement quelques centimètres entre leurs deux visages, mais cela ne semblait pas suffire. Son mari se releva, reformant le fossé entre eux. Pendant ces secondes, qui lui avaient parues très longues, elle avait eu l'impression de retrouver un peu son mari, enfin au moins sa présence auprès d'elle. Leur corps se touchaient presque, elle avait senti son souffle chaud sur son visage, et la chaleur de ses bras près d'elle. Maintenant qu'il se tenait un peu plus loin, il lui sembla avoir froid.

Il lui lança une remarque, comme quoi elle ne savait pas ce qu'elle voulait, et elle aurait très bien pu trouver un truc aussi cinglant à répondre, mais elle n'en avait plus vraiment envie. Elle avait douter, mais au fond d'elle elle avait espéré que Liam fasse le dernier pas, elle aurait voulu qu'il l'embrasse. Et maintenant qu'il s'était éloigné, maintenant qu'il était trop tard, elle se rendit compte qu'elle en avait envie plus que tout. Intérieurement elle se maudissait d'être aussi conne.

Jeanne regarda son mari lui tourner le dos, et se diriger vers la porte. Sans réfléchir, elle lui attrapa le bras. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle avait fait ça. Le retenir dans la pièce n'était sûrement pas une bonne idée. Le besoin de le toucher peut être ? Avoir été si proche de l'embrasser, et qu'il ne se passe rien, l'avait frustrée. Son désir s'était soudain réveillé, elle lui avait mis l'eau à la bouche, et Liam venait de lui retirer le plat principal de sous le nez... Il lui fallait quelque chose à se mettre sous les dents, même des miettes. Ou alors, il fallait le faire taire, brutalement si possible, histoire qu'il la ferme pendant un moment. Liam se retourna à demi, pour voir ce que sa femme lui voulait sûrement, et en lui lâchant le bras, elle lui retourna sa question :

« Et toi, qu'est ce que tu veux ? »