Casey détestait cela, s’énerver. Elle avait l’impression d’en dévoiler trop sur elle, et perdre le contrôle de ses nerfs lui donnait souvent l’affreuse impression d’être toute nue sur une scène devant tout un auditoire. Du moins c’était le cas après coup, une fois que ses si brefs et rares moments de colères étaient passés. D’un autre côté quel autre choix les deux garçons lui avaient-ils donnés ? Aucun ! A se toiser de haut, à jour les gros bras qui n’ont peur de rien, qui règlent leurs différents par la violence. Elle détestait ce genre de comportement. Pour elle c’était une preuve de bêtise. Le manque de contrôle lui-même était une preuve de bêtise ! Et ces deux crétins lui avait fait perdre son sang froid en lui donnait l’air aussi bête qu’eux.

Une fois encore, quel autre choix avait-elle eut ? Demander calmement qu’ils arrêtent de rouler des mécanique ça ne fonctionnait pas ! C’était comme avec les animaux, c’était à celui qui crie le plus fort et qui montre le plus de dents. Elle trouvait ça puéril et désolant, surtout venant de son jumeau qu’elle savait intelligent, et d’Aidan qu’elle appréciait envers et contre tout. C’était juste typiquement masculin, ce besoin de gonfler la poitrine à la moindre provocation. Joshua s’était comporté comme un mâle qui protège son territoire et même s’il avait voulu bien faire, Casey refusait de cautionner. Ne lui en déplaise. Après tout c’était lui qui avait lancé les hostilités. Et elle ne parlait pas de cette incartade avec Aidan, mais bien d’eux deux, et de ses secrets…

Une fois qu’il se fut éloigné d’un claquement de porte coléreux, la tension redescendit aussi brusquement qu’elle était montée. D’un long soupir, Casey se laissa tomber assise sur son lit pour couler vers le jeune homme un regard à la fois scandalisé et désenchanté.

« … Tu peux juste pas t’en empêcher hein ? Chaque fois c’est la même histoire Aidan » souffla-t-elle d’un ton pourtant de nouveau maitrisé. Il n’y avait pas réellement de jugement dans son ton cela dit, simplement une bien triste et enrageante constatation « J’voudrai qu’on puisse se croiser au moins une fois sans que ça tourne au vinaigre comme ça. Qu’est-ce qui t’as pris avec cette boîte enfin ? Mon frère va me faire la tronche maintenant » déplora-t-elle en désignant la porte.

A vrai dire, Casey ne savait pas trop comment prendre les confidences du jeune homme. Il lui avouait sans détour qu’il était fréquent qu’il perde la mémoire, qu’il avait ‘des blancs’ comme il appelait ça, mais franchement la révélation était un rien dérangeante et l’adolescente n’était pas bien sûr de la réaction qu’il convenait d’avoir. Fallait-il avoir l’air inquiet ? Oui ça certainement, mais inquiète pour qui ? Pour lui ou pour elle-même ? Elle se retrouvait tout de même seule dans sa chambre avec un garçon manifestement caractériel ou presque, et qui avait des épisodes bizarres. Il en fallait déjà pas mal pour l’impressionner pourtant cette fois il faisait fort, elle était mal à l’aise. Et en même temps elle était intriguée bien sûr.

Comment ne pas l’être après tout ? Surtout lorsque comme elle on affectionnait les histoires et les romans. Aidan était là pour découvrir ce qu’il était arrivé à ses parents et Demitri à son père, et aucun des deux garçons ne croyait ni à la thèse de l’accident ni à celle du suicide. C’était un peu beaucoup pour une coïncidence. Surtout que les deux croisaient sa route à elle. Pourquoi elle ? A force de se résigner, de s’empêcher de rêver de grandes choses, de se contenter de les vivre à travers ses histoires, elle s’était plus ou moins faite à l’idée que les choses intéressantes ne lui arriveraient jamais que par l’imagination, qu’il ne lui arriverait jamais rien de bien sensationnel en vrai. Est-ce qu’elle s’était trompée ou alors était-elle simplement entrain de prendre ses rêveries d’adolescente idiote pour des réalités ? Elle détestait ce genre de comportement et faisait fort d’avoir la tête sur les épaules, alors se laisser avoir de cette manière…

Comment savoir ?
Et de toute façon si la situation s’était limitée à deux suspicions de meurtre, elle aurait encore pu le concevoir. Après tout, les drames et les affaires sordides n’arrivaient pas qu’aux autres, et n’arrivaient pas non plus que dans les histoires. Ca arrivait à plein de gens, tous les jours, qui s’étalaient ensuite dans les journaux. Un meurtrier sévissant à Grayson depuis des années, dans l’ombre ? … c’était dur à croire mais parfaitement possible. Elle savait que son village recelait quelques recoins sombres après y avoir vécu toute une vie.

Mais c’était sans compter sur cette soirée dérangeante au parc, qui avait fait fuir Demitri. C’était sans compter sans le discours étrange et flippant d’Aidan cette nuit-là, sans compter sans ses trous de mémoires bizarres et ses absences répétées… c’était ces choses-là, très spécifiquement, que la plongeait dans le doute et l’incompréhension, l’empêchaient de croire. Que devait-elle croire de toute façon ? … que Jimmy avait réellement parlé au travers d’Aidan ? …
Non. Ca non. Ce n’était pas qu’elle n’avait pas envie, justement elle en mourrait littéralement d’envie. C’était ça qui la faisait douter, forcément, elle se laissait aveugler, parce que de telles choses n’étaient tout simplement pas possible. Point.

Et pourtant…
Pourtant chaque fois qu’elle posait son regard sur Aidan, comme là maintenant… elle avait l’impression de savoir. Vraiment savoir. Et c’était trop troublant pour qu’elle sache quoi faire de toutes ces pensées et émotions contradictoires.

Continuait d’observer le jeune homme assit à coté d’elle, Casey mua son expression pensive en mine presque penaude. Se rendait-il seulement compte du bazar qu’il fichait dans sa tête ? S’il se fichait d’elle, il devait le lui dire, maintenant.

« Aidan… sincèrement … » débuta Casey « Est-ce que tu t’moque de moi, … ou est-ce que c’est sérieux tout ça ?... »

Elle n’avait pas dit ‘s’il te plait’, mais les mots se lisaient clairement dans ses yeux verts. Elle voulait pouvoir avancer avec tout ça, et s’il la faisait tourner en bourrique elle devait le savoir. D'ailleurs quoi qu'il réponde, elle déciderait quoi croire dès maintenant.