Ç’avait été un bref discours avec un nombre raisonnable de remerciement et d’annonces, plus concis que ce à quoi James s’attendit somme toute. Un tel évènement pour une municipalité miniature de la sorte aurait dû solliciter l’aide de tous les commerçants de la région ou presque en une coalition de commanditaires arrivant à peine à payer le système de son, mais les peu nombreux impliqués dans ce piquenique en particulier semblèrent suffirent étonnement.

Il eut quand même droit à un carrousel d’inconnu aux rôles qu’il ignorait et fit de son mieux pour s’intéresser à la vie isolée que semblaient mener les habitants du coin, tentant de retenir les noms mentionnés, les réactions des personnes concernées et des autres autour d’eux. S’il fut un nouveau venu dans une grande ville, jamais tout cela ne l’aurait préoccupé, encore moins si son tourisme n’avait rien à voir avec des questions policière, toutefois, dans cette communauté étrangère d’apparence soudée et solidaire, l’homme se sentait pratiquement intimidé par la foule relative. Il était en retrait, et pourtant il avait l’impression d’avoir un enseigne en néon au-dessus de lui le pointant et indiquant à tous qu’il était un martien à trois tête ou quelque chose du genre…

Chose certaine, une fois la petite présentation terminée sur la scène, la population sembla résister à l’idée de se disperser, le nombre de gens quittant l’endroit demeurant très bas, et leur vitesse de croisière montrant que très peu étaient pressés. James poussa un soupir et imita ces derniers : il se détacha lentement de l’arrière de la foule et se mit à rôder nonchalamment sur un sentier, observant distraitement et à distance les stands qui parsemaient cette section du parc. L’homme de loi en aperçu un qui, selon les affiches, fixées au planches de la construction, serait bientôt dédié à la vente de boissons alcoolisées ou non.

« Justement ce qu’il me fallait… » Songea-t-il en jetant un regard rancunier au soleil de plomb qui cuisait vif les habitants du village, se servant de sa main comme d’une visière mais se retrouvant tout de même à demi aveuglé par la clarté.

Il y avait plus que cela avec l’astre solaire : sa position rappelait que ce n’était que la matinée, un drôle d’heure pour prendre un verre. Il serait l’étranger le plus fraîchement arrivé dans la région en plus d’être l’ivrogne du comté à coup sûr, comme s’il avait besoin d’une telle réputation avant même d’être connu par plus de trois personnes. Quoi que, n’étaient-ce pas les organisateurs de l’évènement qui prônèrent à profusion une bonne hydratation tout au long de la journée?
James ignora malicieusement la voix de la sagesse lui soufflant mentalement que l’alcool avait pour effet de déshydrater plus rapidement – exhibit A : les gueules de bois- et se dirigea lentement vers le stand.

Un homme et une femme allèrent et vinrent une ou deux fois avant que James soit à proximité, probablement à préparer l’ouverture du petit commerce festif. Cependant, au moment où il fut enfin à une demi-douzaine de mètres, les deux s’étaient éloignés en même temps, probablement pour récupérer des stocks quelconques.

« Ça n’ouvre pas avant une demi-heure de toute façon… » songea Parker, agacé.

Plongeant les mains dans ses poches de jeans, il fit un tour sur lui-même –ignorant les regards qu’un trio de quinquagénaires lui lançait d’un banc à une dizaine de mètre de là- à la recherche d’un endroit où se poser en attendant. Ne voyant aucune table ou siège assez isolé à son goût, il se résolu à aller s’adosser contre un jeune feuillu projetant son ombre sur le stand à boisson pour s’abriter des rayons ardents du soleil. Il ne manquait plus que la patience pour survivre à ces minutes vides titillées par le bourdonnement des discussions parvenant de la foule devant la scène.

James poussa un soupir, laissant ses paupières se fermer alors qu’il s’enfonçait dans ses pensées.

Le discours du maire venait de se terminer. Jeanne n'avait pas vraiment prêtée attention à ce qui se disait, elle compris juste les grandes lignes. Elle remarqua quand même que c'était court et concis, surement histoire de ne pas tenir les villageois accroché à la scène pendant trop longtemps, surtout par cette chaleur. Malgré tout, beaucoup de personnes restèrent la où ils étaient une fois le maire descendu de son piédestal. On limitait les efforts, il faisait assez chaud, pas besoin d'en rajouter. Et puis, la température vous assommait presque, vous enlevant toute force, toute envie de faire quoique ce soit. On ne pensait plus qu'à s'asseoir au frais et ne plus bouger. Pendant quelques instants, Jeanne resta aussi sur place. Elle regardait tout ces gens, qu'elle connaissait de vue pour la plupart, et essayant de faire abstraction de la chaleur. N'empêche, elle ne pouvait pas rester une minute de plus sous ce soleil de plomb. Elle sentait la pression de l'air chaud. Et puis, quel était l'intérêt de rester debout la, sans rien faire ? Elle s'éloigna lentement de la foule. Elle ne savait pas vraiment ce qu'elle allait faire pour le moment... Peut être recherché un coin d'ombre... Pour le moment, elle marchait sans trop savoir, regardant le peu de personnes qu'elle croisait, espérant tomber sur quelqu'un qu'elle connaissait.

Bien vite, elle fut sur le chemin du stand de boissons sans vraiment s'en rendre compte. Elle le voyait se rapprocher, et se disait que ce n'était peut être pas raisonnable de commencer déjà à boire... En même temps, on les avait prévenus de s'hydrater tout au long de la journée ! Par contre, pas sure qu'ils parlaient de l'alcool... Mais à ce moment la, elle n'aurait pas dit non à une bonne bière bien fraîche ! Rien que d'y penser elle eut encore plus soif... Mais une fois devant le stand, elle se rendit compte qu'il n'ouvrait pas encore... Elle allait devoir patienter pour sa bière. Elle jeta un coup d'oeil alentour pour trouver un endroit abrité du soleil pour se poser en attendant. A quelques mètres d'elle, un homme était adossé à un arbre. Elle décida de s'approcher de lui, entamer la discussion peut être. Le temps paraitrait moins long avec de la compagnie. Pour lui faire savoir sa présence, elle lui demanda en indiquant la buvette :

Vous attendez que le stand ouvre ?

Il se laissait toujours porter par le fil de ses pensées, pas entièrement serein mais suffisamment calme pour pratiquement oublier sur le coup où il était. Un faible brise agita à peine les feuilles au-dessus de lui et parvinrent à peine à le rafraîchir, faisant monter en lui une certaine frustration : ils étaient au Midwest, cette région n’était-elle pas des plus venteuses au pays? Un vent assez fort aurait été assez pour rendre la chaleur plus soutenable, franchement!

Un subtil froissement de vêtement et de pas dans l’herbe sèche sonna l’alarme et James prit conscience du fait que quelqu’un se tenait à proximité : il se redressa et ouvrit les yeux, pratiquement au moment même où une voix féminine s’éleva tout près. L’ancien homme de loi fut momentanément ébloui par la clarté du jour et la réflexion des rayons du soleil sur des vêtements pâle lorsqu’il tourna le regard vers la femme qui l’aborda.

Il s’écarta du tronc et porta sa main en visière, mais, du peu qu’il pouvait voir alors que ses yeux s’ajustaient, de la figure de forme agréable bordée de cheveux sombres et de cette silhouette gracile, Parker se prit à jouer aux charmeurs pour répliquer :

« En effet. Mais je vois que je ne suis pas le seul attiré par l’alcool comme un papillon de nuit vers une flamme… » Blagua-t-il en retour avec un sourire en coin malicieux aux lèvres.

Quoi que, bien vite, la nature de ses mots le rattrapa et il comprit qu’il commit une erreur. Bravo, le stand offrait plus que de l’alcool : comme ça, maintenant, en sautant directement à cette conclusion, il renvoyait l’image d’un ivrogne projetant ses envies de boire sur les autres et tout! Une première impression nettement positive exactement comme il voulait refléter, songea-t-il avec sarcasme, se retenant de peu d’écraser une main sur son visage avec affliction devant sa propre bêtise.

Surtout qu’une fois ses yeux pâles réajustés à la lumière vive, il put mieux détailler la personne se tenant devant lui : une femme d’un âge difficile à déterminer, encore jeune mais aux airs matures et vive d’esprit. Ses vêtements la mettant en valeur mais demeurant simple et légers lui conférait une certaine classe pouvant tout aussi bien cacher une certaine témérité savamment contrôlée.

« Mais bon, ce n’est peut-être que mon cas : à voir l’atmosphère qui semble régner, le pique-nique ne devrait pas pousser un membre de la communauté à boire avant midi… »Ajouta-t-il en tentant de sauver la face, retirant au moins l’allusion qui aurait presque pu paraître comme une insulte.

Définitivement, ses premières paroles semblaient être une insulte à y repenser. James s’en serait mordu les doigts.

Jeanne s'était permise de déranger l'homme qui se tenait contre l'arbre, afin de faire passer le temps. Mais surtout, elle ne l'avait jamais remarqué avant... En tout cas, son visage ne lui disait rien. Elle connaissait tout de même presque tout le monde dans le coin. Elle habitait Grayson depuis quatre ans, et travaillait à l’hôpital de Trimble, elle avait donc tout les moyens pour reconnaître certains visages. Mais ce gars-là, elle ne l'avait encore jamais vu... C'était donc le moment pour faire connaissance. Et puis, elle n'allait pas rester sous le même arbre sans dire un mot ! La prise de contact n'eut pas pour effet de le faire fuir, puisqu'il répondu à la femme. Enfin... Il glissa un sous-entendu qui ne plut guère à la psy, mais comme il se rattrapa vite fait, elle laissa couler. Bien qu'elle était en effet la pour une bière, il venait à peine de la rencontrer qu'il insinuait que dès le matin elle était en quête d'alcool. De toute façon, elle n'avait même pas la force de s'énerver alors elle passa à autre chose.

Je ne parierai pas la dessus. Les gens d'ici ont toujours tendance à vous surprendre !

lui répondit-elle, un sourire aux lèvres. Dire que les habitants de Grayson ne consommeraient pas d'alcool avant midi s'était ne pas très bien les connaître ! Jeanne avait pris l'habitude de ne pas sous-estimer les graysonniens qui étaient sûrement des gens tout à fait uniques dans leur genre. De plus, l'atmosphère était des plus tendus depuis quelques temps. Certains avaient sûrement pris le pli de s'alcooliser soit pour prendre du courage soit pour avoir une bonne raison de ne pas se mêler de ces affaires-là. En tout cas, à la fin de la journée, Jeanne ne serait pas surprise que la bière aurait été plus rentable que l'eau.

Au fait, je m'appelle Jeanne.

Les gens ici pourraient le surprendre? James ne croyait cela qu’à demi, malgré le sourire avenant de la femme qui aurait pu en convaincre entièrement plus d’un. Une petite ville de campagne, comme on en comptait par milliers au pays seulement : bien sûr les habitants sont sûrement capable de faire preuve de qualité exceptionnelle, comme les films hollywoodiens ou les faits divers des journaux le laissent savoir plusieurs fois par années lorsqu’il y a un manque de nouveaux sujets d’actualité. Les habitants de St-Andrews dans le Wisconsin se cotisèrent pour reconstruire la maison de la doyenne centenaire du village qu’un feu avait malencontreusement détruit, une association de citoyens de Hickory Flats dans le Sud réussirent à convaincre le County et l’État de déplacer le tracé d’une future autoroute de quelques mètres, suffisamment cependant pour sauver l’église du village… Pour ce qui est des exemples au contraire peu reluisantes de surprise de la part de villageois, James ne se serait pas même lancé dans l’énumération.

Non, l’ancien policier accueillait plutôt comme un fin jeu d’esprit la déclaration de la femme, plus comme une formule pour mener la conversation qu’autre chose… Ou alors craignait-elle qu’en bon étranger, il avait plutôt laissé échapper des propos désobligeant sur sa petite communauté. Il se refusa d’y réfléchir plus longtemps cependant.

Il adressa cependant un grand sourire sincère à la douce inconnu –Jeanne, en toute évidence- et la salua d’un signe de tête respectueux mais joueur à la fois :

« Enchanté, moi c’est James. » Fit-il en retour.

Tant qu’à être ici et attendre sans rien faire, autant bien embarqué dans le jeu et tenter d’entretenir une conversation, songea l’homme. Il reprit donc aussitôt la parole sur un sujet parallèle à leur précédent, décidant d’explorer la vie communautaire malgré le fait qu’on lui en avait déjà parlé au moment où on l’informa du pique-nique :

«J’ai justement assisté au discours d’ouverture à l’instant, et je dois avouer que voir autant de visages jeunes sur scène m’a quelque peu étonné. Dans le cas de monsieur le maire surtout… Mais dites-moi, avec des organisateurs aussi dynamiques, ce genre d’activité communautaire est souvent organisé par ici? » Demanda-t-il finalement sur un ton léger.

L'homme qu'elle avait en face d'elle, et qui se présentait donc sous le nom de James, n'était pas d'ici, comme elle l'avait supposé. Il ne semblait pas connaître la communauté, et Jeanne se demandait ce qui avait bien pu le pousser à venir dans le coin. Le tourisme n'était pas vraiment développé, la ville n'était pas très connue. Enfin, si il était la, il devait avoir une bonne raison. Elle-même qui venait de St Louis, n'aurait jamais pensé finir psy dans une bourgade comme celle-là. En tout cas, le jeune homme semblait charmant. Il fallait tout de même se méfier des apparences, les Donnelly sont aussi de beaux parleurs. Pourtant ils n'ont pas très bonne réputation dans le coin. Bref, tout les inconnus ne sont pas comme ça. James sembla partit pour faire la conversation, ce qui ne déplut pas à Jeanne.

On ne manque pas d'activités, ça c'est sur !

Loin d'elle l'idée d'une quelconque critique sur Grayson et ses habitants, mais il ne fallait pas se voiler la face. Quand elle était arrivée, la petite ville semblait calme, mais depuis quelques temps, rien ne va plus ! Bien qu'elle ne veut pas se mêler à ce genre d'affaires, Jeanne se tenait au courant de ce qui se passait près de chez elle. Même si beaucoup de personnes voyaient cette petite fête d'un bon œil, d'autres devaient l'ouvrir pour éviter certains... « débordements ».

Vous n'êtes pas d'ici alors ?

Sur le ton de la conversation, Jeanne essaya d'en savoir un peu plus sur ce James. Le village était gagné par la folie et voyait en tout les étrangers une menace. La psychologue ne voulait pas entrer dans cette paranoïa, mais il était vrai qu'on lui avait toujours appris à se méfier des inconnus. Elle préférait être trop prudente que pas assez. Allez savoir pourquoi cet homme était dans les parages...

Que la ville ne manquait pas d’activité? James y croyait maintenant, cette Jeanne n’était pas la première à lui affirmer la chose. Bien entendu, l’homme demeurait de la même opinion sur ce fait et ne manqua pas de glisser quelques mots à ce sujet, autant par politesse que parce qu’il sentait que ces louanges devaient bien être faites :

« Ça je n’en doute pas. J’trouve ça vraiment bien que les gens ici prennent la peine de participer aussi, on ne voit pas ça partout au pays, ça non! » Répondit-il, un sourire franc étirant le coin de ses lèvres.

La femme accueilli ses dires avec un sourire à son tour, puis poursuivi avec une question qu’il attendait presque depuis le début de leur conversation. Après tout, avec son attitude et ses propres interrogations, c’était pratiquement tout comme s’il criait sur tous les toits qu’il n’était pas de la région. Bien sûr il ne le ferait pas réellement, se corrigea-t-il mentalement, puisque trop attirer l’attention sur lui-même n’était jamais bon, peu importe les circonstances. Pourtant, il ne pouvait tout de même pas non plus tenter de faire croire aux gens du village qu’il était un des leurs : la supercherie serait mise à jour en deux temps trois mouvements et, pis encore, on le considèrerait comme étant un mythomane, mentant sans la moindre raison sur un sujet aussi anodin. Ce comportement se révèlerait absolument inexcusable, une façon de faire que seulement les journalistes sans scrupule de mauvais films hollywoodiens adoptaient pour on ne sait quelle fantaisie de leur scénario.

D’un autre côté, cela n’empêchait pas le fait qu’il taisait bien son ancien métier et le but de ses visites répétées dans le village d’une façon frôlant ce dernier schéma fictif. Mais ces pensées il les chassa rapidement, ses justifications au sujet de la poursuite de criminels nuisibles excusant automatiquement les duperies auxquelles il se limiterait.

James décida donc de livrer sa petite histoire pratiquée quelques fois déjà, prenant une mine faussement boudeuse pour répondre à la remarque de la femme :

« Ouais, c’est vrai que je ne fais pas dans la subtilité comme ça. Mais vous avez raison, je ne fais que jouer au touriste de temps en temps, quand j’en ai l’occasion. J’habite à Edgerton en fait, mais je me suis arrêté dans le coin il n’y a pas si longtemps et on m’a tout de suite invité à ce pique-nique pour me faire connaitre un peu la région… »

James chassa aussi de ses pensées sa première rencontre avec l’épicière Pryde et les conversations qui suivirent l’invitation. Le malaise qui flotta temporairement alors avait failli le décourager de venir à cette festivité communautaire ce jour-ci, l’envie d’éviter la femme lui eut passé par l’esprit brièvement.
Il ne laissa cependant pas cette pause s’étirer plus longtemps et ajouta sur un ton faussement grave et emplis de plaisanterie :

« Ça a suffi comme agence touristique improvisé, et maintenant j’attends seulement de voir comment les choses se déroulent. C’est la réputation de Grayson qui est en jeu! »

Jeanne ne savait pas vraiment si c'était une bonne chose que les gens de Grayson prennent la peine de participer à ce genre d'événement. C'était un moment opportun pour les troubles fêtes, qui n'avaient aucune gêne pour mettre le bordel là où ils passaient. Et puis, même si ce pique nique partait d'une bonne intention, la plupart voyait cela comme une façon de rassembler des gens autour du partage, ou d'on ne sait quel autre sentiment niais qui n'existait pas d'habitude dans le coin. Dans les petits villages, ce qu'on aime c'est les ragots, les rumeurs, dire du mal sur les autres, se tirer dans les pattes à tire larigot ! Cette fête ne faisait que faire ressortir le coté faux-cul de tout les habitants...

Ils ont sûrement une bonne raison qui les pousse à participer. L'envie de partager un bon moment avec les voisins peut en être une...Ou pas pensa-t-elle.

En tout cas, elle avait bien raison, il n'était pas d'ici. Il était assez rare de voir un touriste dans le coin alors on les repérait vite ! Et puis essayer de s'intégrer dans la communauté graysonnienne était une épreuve de force que même les plus aventureux n'aimeraient tenter ! Elle-même et son mari avaient eu du mal à se faire accepter dans la petite ville... Aujourd'hui bien sur, elle pouvait passer pour une habitante de Grayson, mais parfois, certains ne se gênaient pas pour lui rappeler qu'elle était une étrangère...

Edgerton ? Ce n'est pas très loin...

Elle n'avait pas souvent mis les pieds dans cette ville. Son temps se partageait surtout entre Grayson et Trimble à vrai dire. Apparemment, quelqu'un avait voulu ramener du monde à la petite fête, peut être de peur que personne ne vienne !
La jeune femme laissa un sourire se dessiner sur son visage après la plaisanterie de James. Sur le même ton elle lui demanda :

Comment s'en sort-on pour le moment ?

L’envie de partager de bons moments entre voisins… Cet esprit communautaire l’avait toujours un peu désarçonné il devait se l’avouer : ces microsociétés des champs tout autant que ces banlieues privées et fortifiées chics, cette solidarité presque forcée pour certains, mais frôlant la religion pour d’autres. Et James qui ne connaissait que les proches voisins de son quartier de la banlieue étendue de Cleveland, la petite bande de jeune garnement maintenant dissolue et les quelques vieillards d’à côté qui détestaient le voir lancer des pierres dans leur piscine hors-terre… Il se voyait mal organiser et participer activement à des banquets ou des célébrations avec tout un village.
Mais bon, si des gens sont habitués à une telle vie de groupe, l’ancien policier s’imagina qu’une telle existence n’était pas aussi contre nature ou surréelle qu’elle lui paraissait.

Et non, Edgerton n’était pas loin du tout, pensa James sans pousser le sujet sur lequel cette Jeanne commenta, du moins si on comparait avec son point d’origine réel. Hé, mais cela la femme ne spécifia jamais qu’elle voulait connaitre l’histoire de sa drôle de vie : laisser les gens s’imaginer qu’il venait du compté même pouvait peut-être le rendre plus sympathique et moins étranger que ce qu’il était en réalité!

La femme réagit positivement à sa plaisanterie et cela encouragea du coup James à poursuivre. Il afficha un sourire railleur dévoilant en partie ses dents blanches puis pris un air hautain et se prêta au jeu une fois de plus, en imitant cette fois le ton pompeux et suffisant d’une critique d’art:

« Pour l’instant, comme je vois que presque toute la peuplade locale est rassemblée dans ce parc, on peut envisager un score acceptable pour la participation. Pour ce qui est de la présentation, si la tendance se maintient, le pointage final pourrait s’approcher de la catégorie ‘au-dessus de la moyenne’ » Il laissa le sourire regagner son visage pour ajouter : « Je dois cependant avouer que la fête pourrait être surévalué : il est difficile de demeurer impartial avec un tel comité d’accueil. »

Conclut-il en laissant l’insinuation planer sans prendre la peine de la diriger vers sa cible plus qu’il put le faire déjà. Si Dieu existe il le pardonnerait bien : Parker ne pouvait s’empêcher de faire quelques charmes d’usage et sans gravité à une telle paysanne en ravissante robe d’été.
Il n’insista cependant pas pour éviter de donner l’impression qu’il était un pervers fini, préférant plutôt préciser un peu plus sérieusement sans toutefois sacrifier sa légèreté et son sourire –quoique cette fois plus sage :

« À dire vrai mon avis compte que pour très peu : c’est la première fois que j’assiste à ce genre d’évènement. Mais les gens semblent bien réagir si tôt dans la journée, et le programme ne semble pas si mal… Vous ne tenez pas de stand quelconque je crois, non? » Fit-il sur le ton de la conversation.

James continua sa plaisanterie et imita très bien un critique, avec un ton hautain. Certains auraient pu se vexer d'être pris de haut par un étranger venu d'on-ne-sait-où. Mais cela fit surtout rire Jeanne. Elle ne continua pas pourtant, la tentative de charme stoppa là la petite blague. Si elle avait poursuivi, elle aurait peut être dépassé quelques limites, et depuis quelques temps, elle les franchissait déjà assez. Elle se contenta donc de sourire. Et lui non plus n'insista pas. Il continua la conversation sur la fête.

Non je ne tiens pas de stand, je n'ai pas de talent particulier en fait...

Quoiqu'elle aurait pu être bénévole pour faire autre chose, mais l'idée ne l'enchantait guère. Passer sa journée à devoir faire bonne impression, mais surtout devoir rester sur place jusqu'à la fin. La au moins, si elle s'ennuyait, elle pourrait toujours rentrer chez elle !

Vous avez déjà prévu de faire certaines activités ?

Tant qu'à être sur le sujet, autant continuer... Certaines animations pouvaient être intéressantes. Elle avait cru voir que l'un des habitants pouvait faire des portraits de vous ! Il y avait aussi une initiation à l'équitation... Bref, il y en avait pour tout les goûts ! Jeanne n'avait pas encore décidé de ce qu'elle allait faire, et allait prendre les événements comme ils venaient. Elle n'avait rien de plus intéressant à faire de toute façon...

« Aucun talent particulier? Ça reste à voir… Mais, si vous le dites… et pour vous consoler, c’est la même chose pour moi, sauf si on compte le don pour se mettre les pieds dans les plats comme un talent bien sûr… » Railla-t-il en retour.

Quels talents faillait-il pour s’exposer à cette fête de toute façon? Cela devait être relié aux arts, sans aucun doute, choses dans lesquelles peu de gens d’une population normale se démarquaient de toute façon. Ce n’était donc pas un défaut ni pour lui ni pour cette Jeanne, songea-t-il en haussant mentalement les épaules.

S’il avait prévu de faire certaines activités? Que répondre, il ne savait que peu de chose sur ce qui devait se dérouler sur les lieux avant tout : il ne s’était que superficiellement informé sur cette fête de village! Il évita cependant de démontrer l’ampleur de son ignorance de peur de paraitre réellement suffisant dans sa réplique :

« Oh, et bien je comptais surtout rôder par-ci et par-là et regarder comment les gens se débrouillaient avant de participer à quoi que ce soit. Je crois que je vais surtout de suivre les mouvements de foule : je risque de ne rien rater ainsi. Sinon je pense qu’il y aura de l’équitation aussi, j’ai cru voir une de ces remorques servant à transporter des chevaux plus loin. Ça pourrait être pas mal. Une journée relaxante en perspective… » Sourit-il.

« Quant à vous, vous aviez un parcourt déjà tracé pour aujourd’hui, ou vous irez où le vent vous porte comme moi? »

Jeanne sourit aux paroles de l'homme. Si il voyait le fait de mettre les pieds dans le plat comme un don, alors en fin de compte, il se pourrait que Jeanne ne soit pas sans talent particulier ! En ouvrant trop vite la bouche parfois, elle disait ce qu'elle pensait et donc se retrouvait dans des situations peu confortables... Mais bon, elle faisait avec ! Du moment que cela ne se produisait pas au travail... Quand elle commencerait à envoyer paître ses patients elle s'inquiéterait de ce trait de caractère. Pour le moment elle s'en sortait plutôt bien, alors pourquoi changerait-elle ?

Pas de chemin tracé non plus. Je vais voir ce que mon parcours entre les différents stands me réserve !

Elle allait sûrement croiser quelques visages familiers, discuter avec ses voisins, voir faire de nouvelles connaissances comme avec James. Elle prendrait la journée comme elle viendrait, sans prise de tête. Mais pour la relaxation il faudrait sûrement repasser... Sous ce soleil de plomb, la seule relaxation qu'elle entrevoyait était de s'enfermer dans un frigo ! Elle n'en rajouta pas plus quant au pique-nique, et laissa quelques minutes son regard observer les alentours.

Au bout de quelques minutes, la psychologue regarda sa montre. Sa gorge commençait à être sèche, et elle aurait donné beaucoup pour avoir un verre d'eau ! Pour ne plus y penser, elle tenta de refaire la discussion avec James :

Dites moi, vous faites quoi dans la vie, James ?

‘’Vivre la vie de Bohème! J'approuve totalement la philosophie! ’’ ironisa-t-il en haussant les sourcils, de beaucoup plus blagueur que caustique.

Le mot d’ordre était « pourquoi pas?».
Oui, d’accord, peut-être parce que soutenir une conversation banale comme si c’était tout naturel et souhaitable, avec une femme entièrement inconnue ou presque de surcroît, avait un côté surréel et grotesque d’une certaine façon. D’un autre côté c’était elle qui l’aborda en premier et non le contraire! Ça annulait en partie ce petit quelque chose qui l’aurait fait paraitre encore plus comme un dragueur intraitable exaspérant toute personne qu’il rencontrait. En gentleman amateur, il ne répondait qu’à la politesse, s’excusa-t-il mentalement.

Et puis le temps s’égrainait à une telle lenteur qu’il fallait bien tout faire pour tenter d’oublier ce détail! C'était rendre un service à tous deux que de participer et tenter de faire paraitre les minutes menant à l'alcool bien moins longues.

Il eut un bref silence pas malaisé pour autant où, James le croyait du moins, chacun fut plongé dans ses pensées jusqu’à ce que Jeanne reprenne parole. Bien sûr, c’était inévitable que deux adultes se posent la question en se rencontrant, l’ancien flic n’était pas même sur la défensive quand le sujet surgit dans ce contexte. Il ne s'en fit pas et y alla donc de ses semis-vérités habituelles en répondant avec le sourire aux lèvres et tout le naturel possible :

« Pour certains je suis un flic raté, pour moi, je fais ce que je peux en attendant de trouver mieux… » Il fit une courte pause puis précisa : « Je suis agent de sécurité, dans un musé voisin en fait. Je ne m'appitoye pas vraiment sur mon sort, mais il faut avouer que ce n'est pas tout à fait excitant comme boulot, n’est-ce pas?"

Il poussa un court ricanement, guettant les réactions de la femme pour quelques secondes de plus avant de retourner la question:
"Quant à vous, vous avez un gagne-pain particulier? » Fit-il à son tour, quelque peu curieux lui-même.

La compagnie de James n'était pas désagréable, mais pourtant le temps avait décidé de ralentir. Jeanne commençait à avoir vraiment soif, et il lui fallait patienter encore un peu. Parler avec cet inconnu lui procurait donc un moyen de penser à autre chose, et elle faisait plus civilisée que si elle avait squatté le même arbre que lui sans lui adresser la parole.
Après un silence, la psychologue tenta d'en savoir un peu plus sur ce gars, à commencer par son métier. Un ancien flic reconverti en agent de sécurité. Pas étonnant comme changement ! Au fond, il était toujours dans sa branche, même si, comme il le disait, cela n'avait rien de très excitant... Surtout que dans le musée du coin il n'y avait rien de spécial à volé, donc pas de chance qu'il y ait un cambriolage pour venir casser la routine...

J'avoue que passer de policier à agent de sécurité doit vous changer !

En rien cela n'était une critique ! Elle ne savait pas pourquoi il avait changé de boulot au fond... Bien sur elle pouvait imaginer qu'il avait commis une faute et avait du en payer les conséquences en se retrouvant coincé dans un village perdu au milieu du Missouri... Mais il y avait bien d'autres raisons qui pouvaient pousser un homme à changer de métier...

Je suis psy, à l'hôpital de Trimble.

Allait-elle avoir encore une remarque sur le courage qu'il faut avoir pour travailler avec des « fous » ? Elle y avait le droit presque à chaque fois, alors une de plus ou de moins... Seulement ce n'était pas le cas. Elle ne traitait pas des fous, enfin pas souvent. Elle avouait que certains étaient vraiment dérangés, mais d'autres faisaient aussi face à des problèmes qui concernaient le reste de la population comme elle, et lui...

Woah, non, ça ce n’était pas le genre de chose qu’il voulait répandre comme cela, pas aussi vite et aux premiers venus du moins : il ignorait comment elle avait pu lire cela entre les lignes de sa dernière déclaration, mais il devait rapidement la corriger pour protéger ses intérêts :

« Non, malheureusement vous me surestimez : je n’ai jamais fait policier en fait, j’ai toujours été gardien, j’utilisais seulement l’argument classique que les flics se servent pour nous narguer! Pour avoir déjà bossé dans une tour à bureaux de nuit et fait affaire à eux, ils me le faisaient toujours savoir : quand on leur laisse le dessus pour une histoire de vols d’ordinateurs ou un truc du genre, ils nous reprochent d’être que des fainéants. Et quand au contraire on tente de prendre des initiatives pour régler le problème, ils nous accusent de vouloir faire leur boulot à leur place sans avoir la formation pour autant. Mais peu importe, j’imagine que dans certains cas ils ont raison : j’ai côtoyé plusieurs mecs en sécurité qui se prenaient pour Dirty Harry ou Starsky et Hutch quand ils venaient en paire… » S’empressa-t-il de mentir dans un léger rire amusé, s’inspirant d’histoires vraies pour rendre sa défense plus crédible.

Après une courte pause, c’est Jeanne qui lui révéla plus au sujet de son emploi. Psy dans un hôpital ? Il les connaissait ceux-là, du moins de loin : par plusieurs reprises on avait envoyé des victimes de crime de son secteur à quelques séances qu’il soit lorsqu’un programme d’aide aux victimes les prenaient en charge. Lui-même eut droit à une ou deux entretiens avec le vieux psychologue de l’hôpital où il fut soigner après son altercation avec les hommes de Diouf, avant qu’on ne l’envoi plutôt chez le psy du syndicat policier, puis qu’on lui coupe carrément les séances une fois son badge perdu.

Avoir les mains plâtrées et les bras lacérés pratiquement inutilisables, les côtes qui faisaient presque toutes souffrir le martyr, la tête lourde des antibiotiques et de la commotion cérébrale, être cloîtré à un lit et surveillé presque en permanence par des collègues... ce n'était pas du tout plaisant comme expérience, alors avoir en plus un psy tentant de lui disséquer le cerveau et de violer son esprit l'avait pratiquement traumatisé.

Résultat, devant cette révélation, il se trouvait déchiré entre deux sentiments : l’acceptation pour les services que ces professionnels rendent aux victimes désemparées, mais aussi la grande méfiance envers ces types convaincus que James était cinglé, obsessif ou peu importe… Reconnaissant, mais ne pouvant pas s’empêcher de se sentir comme un chat qu’on tenait au-dessus d’une baignoire remplie d’eau.

« Waw, c’est génial. Trimble c’est à côté non, presque aussi petit qu’ici : vous êtes souvent sollicitée malgré tout ? » Fit James, tentant de paraitre nonchalant et de cacher cette partie de lui qui s’hérissait par la seule présence d’une psy.