01. We won't take no for an answer [Donnellys & Nathaniel]

L

Je ne rentre pas déjeuner

Je peux vous aider messieurs ?

Mes paupières clignèrent plusieurs fois pour tenter de s'habituer à la lumière matinale qui baignait la chambre dans un atmosphère légère et fraiche. Autour de moi, aucun bruit ne perçait les murs, seule la respiration régulière d'Allie parvenait à mes oreilles. Hier soir avait été plutôt mouvementé entre nos ébats passionnels et l'arrivée des garçons. Je crois bien que je n'avais pas été le seul à essayer de dormir sans succès.
Je me redressai légèrement, décollant ma tête de l'oreiller qui en avait pris la forme et guettai par dessus mon épaule. Elle était paisiblement endormie, ses traits semblaient détendus, son visage rayonnait. Me tournant face à elle, je caressai délicatement ses cheveux avant de l'embrasser sur le front. Je ne connaissais pas la raison pour laquelle elle était si troublée ces derniers temps, l'enquête avait requis toute ma concentration mais ce n'était pas une excuse pour oublier qu'elle aussi pouvait avoir des soucis.
Je décidai de me lever, prendre une douche ou tout du moins se contenter de l'eau glacée que celle-ci nous accordait. Il devait y avoir un problème avec le chauffe-eau, c'était une vieille bâtisse. Après un bref petit-déjeuner et quelques mots échangés avec Aahron, nous nous étions mis d'accord pour commencer nos recherches au garage où la Ford avait été réparée avant de se retrouver au fond d'un lac. Le tenancier en était un certain Nathaniel Redd, c'était probablement la dernière personne a avoir vu nos parents en vie, si tant est qu'ils le soient encore. Je ne voulais pas me laisser aller à croire à leur mort, pas encore, même s'il y avait très peu de chances que ce soit le cas. Je ne voulais surtout pas que les autres perdent espoir en me voyant douter...

Nous quittions donc notre refuge temporaire pour nous rendre en ville. Il était presque neuf heures, les commerces devraient lentement se tenir prêts à accueillir leurs clients. Étrangement, il n'en était rien à Grayson, la plupart des portes indiquaient 'closed'. Peut-être avions-nous trop l'habitude de nos horaires de ville et de notre train de vie assez soutenu de citadins pour nous rendre compte de ce qui se passait ici. Aahron gara la voiture dans l'allée du garage et nous en sortions tous les quatre.
Je lançai un regard autour de moi, observant les environs qui paraissaient encore endormis. La porte du garage restait irrémédiablement fermée à mon plus grand désarroi. Le propriétaire semblait absent.

- Bon...On a plus qu'à attendre

annonçai-je en sonnant confiant.

A l'intérieur, un tout autre dilemme se jouait. Obtiendrons-nous vraiment les réponses à nos questions ici ? Nous avions découvert lors de nos recherches que de nombreuses disparitions se produisaient inopinément à Grayson. L'explication la plus logique consistait à pointer du doigt les habitants. Soit ils étaient directement à l'origine de ces mystérieux drames, soit ils étaient au courant de quelque chose mais ne le révèleraient pour rien au monde. Et surtout pas à des inconnus. Plus le temps passait, et plus un mauvais pressentiment s'installait dans tout mon être, me frigorifiait de la tête aux pieds sans que je ne puisse l'élucider.

Le son caractéristique d'une voiture en approche résonna à mes oreilles et mon regard se releva pour suivre l'avancé de ce que je supposais être Nathaniel Redd. Il s'immobilisa non loin de la Volvo, puis s'adressa à nous aimablement à première vue. Il avait le visage marqué et ses cheveux arboraient quelques boucles brunes. Une silhouette harmonieuse en apparence, à part pour les quelques rides d'expression et les faibles cernes qu'on discernait à peine. Un visage qui prêtait à accorder confiance, ou peut-être pas. Quelque chose dans ses yeux inspirait à se méfier, une sorte de chose malsaine que l'on ne peut identifier.
Je m'avançai de quelques pas vers lui et pris la parole.

- Monsieur Redd ? Je suis Isaac Donnelly et voici mes frères,

dis-je en désignant les trois autres quelque peu en retrait.

Vous vous souvenez peut-être d'un couple qui est passé ici il y a quelques semaines pour faire réparer une vieille Ford ?

Je lui laissais quelques secondes de répit pour se remémorer de ses clients, et en particulier nos parents. Quoique Grayson n'avait pas l'air d'avoir beaucoup de voitures à réparer, et encore moins beaucoup de touristes à qui facturer au prix le plus fort en raison de la large distance avec les autres garages. S'il vous arrivait le malheur de tomber en panne par ici, vous n'aviez d'autres choix que de compter sur Monsieur Redd, ici présent, pour réparer votre auto. En espérant évidemment, que vous ne disparaissiez pas après cela.

- Vous savez peut-être que la voiture a été repêchée dans le lac sans ses occupants ? Nous aimerions savoir ce que vous avez fait exactement sur cette voiture, des changements de pièces, autre chose...N'importe quoi qui pourrait expliquer l'accident.

Il n'y avait pas de menaces voilées dans mes propos. J'avais usé d'un ton neutre pour bien prendre garde de ne porter aucune accusation, mais sans avoir l'air du fils désespéré de comprendre ce qui était arrivé à ses parents. Je demandai des explications logiques, purement rationnelles, quelque chose qui nous mettrait sur la voie.
Nous aurions peut-être dû nous vêtir en agents des assurances, et nous faire passer pour des experts. Je n'étais pas certain à cette minute que le propriétaire du garage soit si enclin à nous éclairer sur l'accident, ou à nous dire la vérité. Je savais qu'Aahron allait bientôt intervenir, le dialogue était ouvert à présent. Je l'avais peut-être devancé cette fois-ci, mais nos pseudo-rivalités devaient s'arrêter ici. Il n'était pas question de nous ici, mais de notre famille, de nos parents disparus. C'était important, et peut-être bien plus dangereux qu'on ne le croyait...

Woh-oh

Du calme mon vieux, prenez le temps de respirer, et laisse-moi le temps d’assimiler… j’en ai pas l’air mais je viens de me lever

Je m’souviens effectivement de cette voiture…et de vos parents bien sûr

Des gens charmants je dois dire. Ils m’ont fait une grande impression. Surtout la femme

Quelle était la question déjà ?

La nuit avait été courte, et le repos loin d’être profitable. Aahron avait eu beaucoup de mal à s’endormir, et il savait bien que l’inconfort du canapé n’y était pour pas grand-chose. C’était néanmoins l’excuse qu’il tenait tout prête à servir, au cas où ses yeux encore bouffis et ses bâillements intempestifs trahiraient son manque de sommeil. Mais personne n’avait vraiment envie de parler, ce matin-là, et cela semblait arranger tout le monde. Le petit déjeuner fut bref, et personne ne semblait trop avoir le cœur à manger. Aahron jeta un coup d’œil attentif à Aidan, mais ce dernier semblait aller bien, enfin, aussi bien que quelqu’un qui n’avait pas du beaucoup dormir durant les jours précédents. Mais l’aîné n’eut pas vraiment le temps de poser de questions à Isaac sur leur cadet, vu que celui-ci semblait bien décider à prendre à sa charge la suite des opérations. Docilement, l’aîné le laissa faire : de toute façon, trouver le garagiste, ce Nathaniel Reed, était la piste la plus logique à suivre.
Allie avait décidé de rester à la maison, et Aahron lui en fut gré. Même s’il ne parlait pas souvent avec la jeune femme, il avait le sentiment qu’elle était vraiment quelqu’un de bien, et qu’elle convenait parfaitement à Isaac. Il ne lui était pas nécessaire d’en apprendre plus, de toute manière. Qui plus est, la façon dont la jeune femme s’intégrait dans leur petit groupe le laissait plutôt admiratif : sans chichis, sans prise de tête, elle était parvenue à se faire aimer et respecter de toute la famille, et il n’en fallait guère plus pour conquérir le respect d’Aahron.

Toute leur petite troupe se glissa dans la voiture, et la route jusqu’au garage se fit sans un mot. Tout était fermé quand il arrivèrent : les commerces, les volets, à croire que Grayson se la jouait ville morte, enfin, encore plus que ce qu’ils avaient vu jusqu’à maintenant. Isaac décréta qu’ils devaient attendre, et Aahron poussa un long soupir, bien audible par ses frères. Bon sang, ce qu’il détestait attendre ! Rien que pour ça, il détestait cette ville ! Il avait l’impression que celle-ci prenait un malin plaisir à les faire languir, à retourner leurs pensées et leurs sentiments tellement ils devaient attendre, immobiles et surtout inutiles. C’en était presque arrivé au stade de la torture psychologique, pour Aahron qui détestait plus que tout l’inactivité.
Ce fut avec un soulagement perceptible que l’aîné vit arriver une voiture, qui s’avéra être celle de Nathaniel. Mais la tension qui semblait tous les habiter ne se relâcha pas pour autant quand le bonhomme s’avança à leur rencontre, un sourire aimable aux lèvres. Un sourire qui semblait aussi grand et joyeux que celui de la tenancière du bureau de poste, comme s’il était lui aussi ravi d’accueillir les quatre frères au sein de la ville. Décidément, entre l’attente insoutenable et l’accueil chaleureux des habitants, Grayson était vraiment un ville étrange. Enfin, un patelin étrange, bizarre et chargé d’ondes négatives, quoi, songea Aahron après réflexion. Isaac s’était avancé et entama les présentations, tandis qu’Aahron, pour sa part, haussait les épaules.

Il n’était pas vraiment d’accord avec l’entrée en matière de son frère, mais bon, une dispute aurait été stupide à cet instant. Isaac savait ce qu’il faisait, du moins il en donnait l’impression, et l’aîné se tint coi, prêt à venir à la rescousse quand même. Hé, dans l’histoire, il était Kirk, le capitaine de l’Enterprise ! Isaac n’était que…heu… Mr Spock ? Donc, il se tenait prêt à filer un coup de main, même si en attendait, il laissait Isaac mener son interrogatoire. Car c’était un véritable interrogatoire, nul doute là-dessus… même pas pour Nathaniel, qui se défendit mollement et tourna les talons, invitant les quatre garçons à le suivre à l’intérieur du garage. Après un échange de regards, ils s’avancèrent vers l’entrée de la bâtisse, même si Aidan semblait rester en arrière. Aahron comprenait : il avait la vague impression de s’apprêter à perdre le ciel de vue à tout jamais, et c’est avec une alerte rouge clignotante dans la tête qu’il entra dans le bâtiment. Le ciel lui manqua immédiatement, mais Aahron ignora délibérément sa mauvaise intuition. Il n’était plus un gosse, quand même, pour avoir peur de se faire manger tout cru en entrant dans l’antre du loup, n’est-ce pas ?
Nathaniel reprit la parole, et Aahron serra les poings quand ce dernier glissa sa dernière phrase. Il y avait quelque chose de malsain dans ces paroles, d’incroyablement mauvais, et l’aîné n’avait qu’une envie : laisser parler ses poings. Mais Isaac gérait la situation, et il ne pouvait décemment pas taper sur tout ce qui bouge : que la police se mêle du truc n’arrangerait pas leur affaire. Le jeune homme respira à nouveau profondément, inspirant l’air qui sentait le renfermé. Cela ne calma pas sa colère devant cet homme qui se permettait de traiter avec tant de nonchalance ses parents, mais au moins, il en donnait l’illusion, et c’était toujours ça de pris. A peine remarqua-t-il qu’Aidan s’était glissé à ses côtés, tandis que Nathaniel allumait les néons et demandait d’un ton mielleux quelle était la question. Un bref instant, Aahron éprouva la pulsion de lui faire rentrer son sourire horrible dans la gorge, mais il se reprit rapidement, se contentant de faire un pas en avant. Un pas menaçant, à n’en pas douter, et ses paroles n’étaient pas tellement plus amicales quand il répondit, devançant Isaac, alias chef de file de leur petit groupe. Kirk reprenait le commandement !

Qu’est-ce que vous avez fait à la voiture, c’était ça, la question. Elle fonctionnait très bien avant leur départ, et mon père bichonnait cet engin. Seulement, après que vous vous en soyez occupé, la voiture a plongé dans le lac. D’où la question : Est-ce que l’on pourrait savoir quelles… réparations vous avez effectués ?

Demanda Aahron, avec légèrement plus de hargne qu’il ne s’était résolu à mettre. Il avait butté sur le mot réparations, et cela n’avait sans doute échappé à personne. Franchement, il n’y connaissait pas grand-chose en mécanique, mais le constat était accablant : la Ford était en forme, avant que Nathaniel ne prétende s’en occuper.
Bon, si l’on voulait être tout à fait honnête, elle était tombé en panne avant l’intervention du garagiste, mais ce n’était qu’un détail, n’est-ce pas ?

**Invité** Invité

« Quand vous me disiez d’être subtil, vous vouliez donc dire éviter ce genre de trucs les mecs? »

« Vous pouvez arrêter de sourire, c’est vraiment flippant vous savez? »

« On veut juste des précisions. On sait d’après leur dernier appel qu’ils ont eu une panne, se sont arrêtés dans votre garage et on eu leur malheureux accident. On ne sait même pas à quoi était dû la panne. Batteries? Moteur? Courroies? Je m’y connais un peu en mécanique alors quelques réponses seraient les bienvenues »

Et bien messieurs… laissez-moi vous dire que je vous trouve bien présomptueux !

Une chance pour vous que j’aime le franc-parler ! Je peux vous assurer qu’un autre que moi vous aurait déjà mis dehors à coup de plomb et vous aurait fait passer l’envie de porter d’aussi perfides et dangereuses accusations sur un honnête travailleur… c’est qu’on ne badine pas avec les bonnes manières par ici…

Comme je vous le disais, je me souviens bien de vos parents et de leur voiture. Enfin voiture… le terme n’est sans doute plus approprié depuis une bonne décennie, si vous voulez l’avis d’un pro. Parce que, oui, messieurs, malgré vos nombreux sous-entendus sur ce point, je suis plutôt bon dans ce que je fais. Tout le monde vous le confirmera ici !

Ils sont tombés en panne un peu plus haut sur la 169. D’après ce que m’a dit votre père, il avait un souci avec son embrayage et le démarreur depuis un moment déjà et les choses ont empirées. Pas étonnant vu comme il avait forcé ! C'est très imprudent de rouler dans de telles conditions et vos parents venaient d'assez loin. Enfin bref, j’ai passé une bonne partie de ma nuit à travailler sur l’engin. J’ai démonté le moteur, remplacé la cloche, quelques autres pièces en piteux état, puis je l’ai remonté pour que leur bébé soit prêt à l’aube. C’est que vot’ père était pressé de reprendre le volant !

Votre mère un peu moins par contre. Elle a tenté de l’en dissuader et s'inquiétait pour son coeur, fragile d'après ce que j'ai compris. C’est qu’il avait l’air aussi épuisé que son épave ! Mais c’était un têtu votre vieux, pas vrai ?

Je lui ai conseillé de rester quelques temps à Grayson, histoire de se reposer et pour que je puisse passer plus de temps sur la voiture, mais il a refusé. Je lui ai donné l’adresse d’un garage plus équipé que le mien à quelques kilomètres d’ici par précaution et pour, je l'avoue, qu'un autre garagiste en qui il aurait peut-être plus confiance le persuade de se débarrasser de cet engin de mort ! Mais, comme nous le savons tous, ils ne sont jamais arrivés jusque là… Et j’ai dans l’idée que de toute manière, il n’y aurait pas été. En tous cas, c’est bien triste tout ça ! Comme je vous l’ai dis, c’était de braves gens qui, contrairement à leurs fils, m’avaient fait très bonne impression

Oh et, avant que vous ne montiez à nouveau sur vos grands chevaux, non, je n’ai pas bâclé mon travaille pour aller me coucher. Je suis quelqu’un de consciencieux et d’ordonné

Et mon assistant pourra confirmer que je me suis donné du mal et que j’ai correctement fait mon travaille. Il ne devrait plus tarder maintenant, vous pourrez lui faire passer un interrogatoire à lui aussi… Autre chose, gentlemen ?

L'atmosphère devenait oppressante au fur et à mesure que les paroles s'échangeaient. C'était comme un lourd voile qui tombait sur nous, sans qu'on ne puisse lui échapper. Cette sensation se renforça encore lorsque nous entrâmes dans le garage. L'odeur d'huile et de ferraille vînt presque immédiatement irriter mes narines, à tel point que mes yeux se posèrent sur l'extérieur que l'on distinguait encore par la petite porte restée ouverte. Elle semblait être la seule échappatoire à ce basculement d'émotions qui paraissaient nous submerger les uns après les autres. Je me sentais à l'étroit ici, prisonnier, face à un homme dont je ne connaissais rien et qui avait tendance à m'inspirer l'ennemi. Son attitude demeurait courtoise bien que quelques pics nous étaient visiblement destinés. Il n'appréciait pas la tournure de la discussion, cet espèce d'interrogatoire où Aahron tenait un peu le rôle du méchant flic et moi celui du gentil. Je n'avais pas repris mon aîné, ni ne m'étais excusé pour lui. Il avait agi avec moins de délicatesse mais exprimait ce que nous ressentions tous, de la colère.

Enfin peut-être pas tous. Samuel croyait en la thèse de l'accident. Il n'était pas inquiété outre mesure, c'était juste sa façon d'être. J'en venais à me demander pourquoi il était venu à Grayson avec nous, me doutant qu'il y avait bien d'autres raisons que celles qui nous amenaient véritablement : comprendre ce qui était arrivé à nos parents et espérer les retrouver en vie. En apparence distrait, Sam finit par prendre la parole et s'adresser à Redd.
Les réactions de cet homme m'intéressaient. Elles m'intéressaient car elles n'étaient pas sensées. J'avais le ferme sentiment qu'il ne disait pas tout, mais cela n'avait rien à voir avec les réparations qu'il a supposément faites sur la voiture. Ma tête pivota vers la droite pour que mon regard puisse se poser sur Aidan. Il avait l'air extrêmement mal à l'aise. Ses yeux étaient braqués sur le sol, comme si regarder Redd signerait sa fin. Ses cernes étaient profondément marquées, il ne dormait pas beaucoup. Tout ceci était difficile pour chacun de nous, mais il semblait que les cauchemars de mon petit frère l'affectent plus que je ne l'aurais pensé. Il fallait que je lui parle.

Mon attention se reporta sur Redd qui daigna enfin nous donner des réponses. Les réparations avaient été faites avec minutie, l'homme savait de quoi il parlait. Mais encore une fois cette impression qu'une pièce du puzzle manquait me laissait dans le doute. Notre interlocuteur demanda si nous désirions autre chose, terme qui sous-entendait plutôt qu'il préférait nous voir partir. Je pris les devants.

- Non, ce sera tout. Merci de nous avoir accordé un peu de votre temps.

Je le saluai d'un signe de tête et lançai un regard aux autres pour lui intimer de sortir. Une fois que l'air pur agit comme une bouffée d'oxygène pour mes poumons, j'attendis Aahron alors que Sam et Aidan marchaient jusqu'à la voiture. Je fourrai mes mains dans mes poches et tout en suivant du regard nos cadets, m'adressai à lui à propos de ce qui venait de se passer et des réponses que nous avions obtenues.

- T'en penses quoi ?

Si on voulait trouver ce qui s'était réellement passé, il fallait collaborer, mettre nos différends de côté. Je savais que tout ne pourrait pas être lisse tout le temps, que nos habitudes reprendraient le dessus et que cela irriteraient l'un ou l'autre mais je m'appliquai à faire des efforts. Pour nos parents...Et parce que probablement nous n'étions plus que tous les quatre...

Samuel avait raison : question subtilité, ce coup-ci, ils avaient fait extrêmement fort. Eux qui avaient fait profil bas jusqu’à maintenant, dans la mesure du possible évidemment, venaient de tout flanquer par terre. Mais même si Isaac avait fichu les pieds dans le plat dès leur arrivée au garage, Aahron ne parvenait pas à lui en vouloir. Après tout, la méthode bourrin avait parfois son avantage…. Peut-être par ce coup-ci, mais il fallait bien commencer quelque part. La remarque de Samuel le dérida quelque peu, et il hocha la tête, tout en observant le jeune homme faire joujou avec le petit chien du comptoir. Tiens, c’était à noter ça, pour le prochain anniversaire du petit Sam !
Les autres considèrent aussi un instant le jeune homme, qui devait bien se mordre la langue d’avoir ouvert la bouche, puis les regards des quatre Donnelly revinrent ensuite vers leur objectif premier. Nathaniel, le garagiste, vers qui Sam glissa quelques précisions, et aussi une petite allusion sur le fait que si le garagiste leur sortait un quelconque baratin, Samuel le discernerait. Aahron jeta un regard approbateur vers son cadet, avant de poser ses yeux clairs sur le plus petit, qui n’avait pas moufté un mot depuis plus d’une dizaine de minutes. Cela ne lui ressemblait tellement pas qu’Aahron ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter, surtout quand il vit le regard du garagiste se poser sur lui. Sans vraiment prendre le temps de se pencher sur la question, l’aîné fit quelques pas sur le côté, se mettant en ligne direct entre Nathaniel et son plus jeune frère. Protection inconsciente, ou juste une manière de réconforter Aidan, Aahron ne prit pas la peine de se poser la question. Nathaniel répondait à leurs accusations, et le jeune homme l’observa avec un rictus agacé : décidément, ce gars là, avec sa voix badine et sa bonne humeur tout à fait déplacée, ne lui apparaissait pas très sympathique.

L’autre avait posé sa main sur le nouveau jouet de Sam, et débita son baratin. Baratin qui fit serrer les poings à Aahron, mais il se doutait vaguement que c’était l’effet escompté. Nathaniel semblait savoir où frapper pour que cela fasse le plus mal possible, et l’aîné se demanda vaguement si il attendait une réaction autre qu’un coup de poing dans sa tête de fouine. Franchement, ça n’en avait pas l’air, parce que chacune de ses remarques étaient pour le moins dérangeante. Et sa dernière tirade sur sa prétendue conscience, Aahron n’y croyait pas. Il s’apprêta d’ailleurs à le lui faire remarquer, avec toute la finesse qui caractérisait cette conversation, mais Isaac ne lui en laissa pas le temps.
Ce dernier remercia le garagiste avec toute la gentillesse d’un bon garçon bien élevé, puis fit comprendre aux trois autres qu’ils devaient sortir. Un peu trop surpris pour répliquer, Aahron s’exécuta, et ce ne fut que quand ils se furent un peu éloignés que son frère lui demanda ce qu’il en pensait. Quelque peu désolé de casser cette image de fraternité soudé qu’ils avaient créés… quoique non, en fait. Aahron était bien trop furieux de s’être laissé balader et proprement dégagé par ce bouseux de garagiste qu’il se tourna vers Isaac, plaquant sa main sur l’épaule de son frère pour l’empêcher d’avancer.

"Qu’est-ce que j’en pense ? Qu’il nous a mené en bateau d’un bout à l’autre de cette pseudo conversation, et que tu viens de baisser pavillon comme un gentil petit garçon ! Attends, tu nous fait quoi là ? Oui vous avez raison, on vous a accusé injustement, merci et bonne journée ?"

Furieux, Aahron dévisagea son frère. L’impression tenace qu’Isaac s’était laissé dicter sa conduite par ce type ne l’aidait pas à se calmer, loin de là. Certes, son frère avait toujours été le plus raisonnable des deux, et après son départ, c’était lui qui avait pris les choses en main, qui avait joué les frères aînés. Mais là, il ne s’agissait pas d’être raisonnable, ou même poli ! A la fin de la journée, personne ne distribuait les bons ou les mauvais points, et il se faisait fort de l’expliquer à Isaac.

"Je vais pas tourner les talons et rentrer à Cleveland la queue entre les jambes ! Ce type nous cache quelque chose, et j’ai bien l’intention de savoir quoi ! Si tu veux jouer les bons garçons, libre à toi, mais je refuse de me laisser impressionner par un campagnard débile ! Alors moi j’y retourne, et je n’ai pas l’intention de partir tant que je n’aurais pas tiré cette affaire au clair… ou, du moins, lui avoir expliqué qu’on ne parle pas comme ça de mes parents. Qu’est-ce qu’il va faire, appeler les flics ? Libre à toi de rentrer retrouver ta fiancée, et ramène les garçons, mais moi, je refuse d’abandonner aussi facilement."

Sans même laisser le temps à Isaac d’ouvrir la bouche, Aahron tourna les talons, se dirigeant d’un pas furibond vers ce Nathaniel au sourire trop flippant pour être honnête. Peu lui importait que ce dernier ait assisté à la scène, peu lui importait également que ses frères le suivent ou non. Pour l’instant, de toute manière, il était légèrement trop en colère pour réfléchir correctement. La fureur se lisait dans ses yeux quand il retourna au comptoir derrière lequel le garagiste s’abritait et, uniquement pour le plaisir de jouer les sales gosses, Aahron asséna un violent coup sur la tête du petit chien, qui se mit à dodeliner de la tête plus vite qu’il n’avait jamais du le faire.
Puis il regarda Nathaniel, provocateur.

"C’est vous qui avez repêché l’épave de la voiture ? Comment pouvez vous être sur d’avoir fait votre travail aussi efficacement que vous le dites ? La bagnole n’était pas de toute première jeunesse, je vous l’accorde, mais nos parents ne seraient jamais repartis si elle avait eu un problème. Donc soit vous avez manqué quelque chose, soit vous avez merdé quelque part !"

Nathaniel avait insinué tout à l’heure qu’ils l’avaient accusé de quelque chose. Au moins là, les choses étaient claires : c’était bel et bien des accusations !

Aidan regarda ses frères tour à tour depuis le pas de la porte du garage Redd, terminant son observation en jetant un œil par-dessus son épaule. Un frisson le parcourut lorsqu’il constata que Nathaniel n’avait rien manqué de leur progression vers l’extérieur et continuait de sourire de l’autre côté de son comptoir.
Durant quelques secondes qui lui parurent s’étirer cruellement, il vit l’homme lui adresser un haussement de sourcils des plus amusés qu’il accompagna d’un geste qui lui parut étrange avant de prendre tout son sens.
Il venait de joindre ses deux mains, comme s’il s’apprêtait à prier, mais les dirigea vers sa joue pour mimer le sommeil. Une moue faussement attristée apparut sur ses traits singuliers et Aidan compris.
Il savait. Le jeune homme n’avait aucune idée de la manière dont le garagiste pouvait être au courant mais il savait pour ses rêves.
Si le cadet des Donnelly s’était essayé à décrire cette réaction à ses frères, ils lui auraient certainement répliqué que personne ne pouvait ignorer ses insomnies à la vue des immenses cernes qui soulignaient ses yeux. Mais c’était autre chose. Personne n’arriverait à lui faire lâcher cette idée.
Nathaniel savait pour ses cauchemars et sans doute beaucoup de choses encore. Il en savait plus qu’il ne le laissait entendre sur leurs parents, mais le blondinet n’avait pas attendu qu’il le provoque pour le savoir.
Pire que tout, le garagiste savait parfaitement ce qu’il faisait.
Il les menait en bateau et son manège avait pris avec Isaac. Du moins était-ce ce qu’il croyait. Aidan pensait que son frère avait été aussi peu dupé qu’eux tous. Il avait simplement voulu mettre fin à l’échange avant que les choses dégénères. Ou peut-être avait-il voulu retrouver la confiance de Nathaniel en vue d’un prochain interrogatoire….
Il ne s’agissait que d’hypothèses mais ce qui était certain, c’est que ni Aahron, ni lui-même n’étaient décidés à en rester là. Son frère le fit d’ailleurs savoir, s’énervant après le médecin qui semblait lui aussi prêt à donner de la voix. Mais l’ainé ne lui en laissa pas l’occasion et il traversa d’un pas furibond les quelques mètres de distance qu’ils avaient mis entre eux et le garage.

Le plus jeune des Donnelly s’écarta pour le laisser passer et lui emboita le pas après avoir jeté un coup d’œil aux deux autres. Isaac semblait mordre sur sa chique et son visage précédemment si impassible trahissait maintenant une colère sourde qu’il contrôlait avec difficultés. Samuel quant à lui, semblait simplement blasé. Aidan lui était reconnaissant de les avoir accompagnés et de jouer le jeu. C’était sans doute lui qui avait sauvé la situation tout à l’heure et incité Nathaniel à leur répondre. Quoi que le jeune homme soupçonne que malgré l’impolitesse dont ils avaient fait preuve, le garagiste semblait impatient de les torturer un peu en leur servant son récit bidon et plein de bons sentiments sur leurs parents.
Ils se mirent en route tous les deux et Aidan rejoignit donc son frère à l’intérieur. Ce dernier venait de se taire et faisait maintenant face à Nathaniel, ses deux mains plaquées sur le comptoir lisse de l’établissement.
Il était hors de lui. Aidan n’était pas certain que ce soit une bonne chose et il craignait que tout cela ne dégénère et qu’on vienne les mettre dehors prématurément. C’était des pratiques courantes dans les petites villes américaines de ce type. Le shérif débarquait et vous raccompagnait à la frontière en vous menaçant de vous faire disparaitre si vous repassiez par sa ville. Il l’avait vu dans les films.
Et c’était sans compter sur la remarque de Nathaniel à propos de plomb…
D’un autre côté, le jeune homme appréciait la situation. Il connaissait ses frères et savait à quel point il ne faisait pas bon s’attirer leurs foudres. S’attaquer à une famille d’Irlandais équivalait à venir frapper à la porte du Diable, c’était ce que leur père disait parfois quand Margaret leur passait un savon pour s’être battus afin de défendre leur honneur ou l’un ou l’autre de leur frère.
Aujourd’hui, Nathaniel venait de tambouriner à leur porte et ses frères semblaient bien décidés à venir lui ouvrir…
Et ça l’amusait. Ça l’amusait même beaucoup visiblement. Son sourire demeurait et ses yeux rieurs creusaient un peu plus les rides d’expressions de son visage serein. Peut-être ne pouvait-il pas s’en empêcher.
Toujours est-il que cette bonne humeur déplacée l’agaçait prodigieusement et que sa colère prenait peu à peu le pas sur ses craintes, lui faisant presque oublier son geste moqueur.

Tout doux mon gars

Si vous continuez comme ça, je ne donne pas cher de votre peau ! Ce n’est pas bon pour le cœur ce genre de comportement…

Aidan sentit la tension monter d’un cran dans la pièce. Elle était électrique, presque palpable, tout comme la rage qui sourdait par tous les pores d’Aahron. Il allait craquer. Le plus jeune ne savait pas dans combien de temps, mais il allait finir par passer par-dessus le comptoir pour régler son compte à Nathaniel et lui faire ravaler son sourire. Et les autres voudraient certainement se joindre à la fête…
Ils n’attendaient sans doute que ça tous les quatre, même Isaac qui était pourtant la voix de la sagesse. Et à en croire ses réponses, Nathaniel aussi n’attendait que ça. La question était : pourquoi ? A quoi jouait-il ? Était-il maso ou bien avait-il un plan ? Peut-être espérait-il les voir s’énerver pour pouvoir justement avoir une raison d’appeler les autorités et s’en débarrasser…

A ce propos, messieurs,

avez-vous seulement envisagée la possibilité que cet accident n’ait rien à voir avec la voiture ? Comme je vous l’ai dis, votre père m’a semblé bien épuisé ce jour-là, votre mère a insisté pour qu’ils restent un peu plus longtemps sur place mais il a refusé et prétexté qu’ils avaient déjà une journée de retard sur le planning… et si jamais la fatigue avait eue raison de lui, hm ? Et si jamais son cœur fatigué l’avait lâché et lui avait fait perdre le contrôle du véhicule ?

Aidan déglutit péniblement, incapable de ne pas trouver cette explication aussi plausible que toutes les autres. Il y avait pensé un moment mais ses cauchemars l’avaient persuadé que ça ne pouvait pas être aussi simple.
Il était vrai que leur père avait un cœur fragile et qu’il était aussi têtu qu’une mule. Mais en général, sa femme arrivait à lui faire entendre raison. C’était elle qui prenait les décisions, dans l’ombre évidemment, mais c’était elle tout de même.
Pourquoi leur père ne l’aurait-il pas écoutée cette fois-ci ?
Peut-être sa mère avait-elle eue envie de quitter cette ville en vitesse. Peut-être avait-elle compris que quelque chose ne tournait pas rond. Comment le blâmer ? Eux-mêmes sentait à quel point Nathaniel était étrange et combien se présence était malsaine. Margaret avait toujours parfaitement su lire les gens…
Peut-être qu’elle n’avait pas vraiment insisté et jugé plus prudent de quitter la ville au plus vite…

Mais je vous comprends, vous avez besoin de blâmer quelqu’un pour tout ça

Et si la thèse de la crise cardiaque s’avérait être la bonne,… vous devriez blâmer ce cher Sean d’avoir tué votre jolie p’tite maman…

Les battements du cœur d’Aidan s’accélérèrent à cette remarque tandis qu’une pierre tombait dans son estomac noué. Il était partagé entre deux sentiments. D’un côté, il avait l’impression désagréable que Nathaniel les manipulait encore mais de l’autre, sa théorie tenait affreusement la route et était plausible. Plus plausible en tout cas que celle qu’ils avaient. Pourquoi quiconque pourrait en vouloir à leurs parents ? Qui pourrait vouloir tuer ce couple si gentil ?
S’ils n’avaient pas trouvés ces quelques articles sur d’autres disparitions, s’il n’y avait eu que les cauchemars, les garçons se seraient sans doute pliés aux conclusions des autorités. Un tragique et stupide accident de voiture…
Et cet enfoiré de fils de pute continuait de sourire. Il les observait tour à tour, content de son petit effet, du voile de doute qu’il venait de jeter sur eux en quelques phrases. Il prenait son pied, bien à l’abri derrière le comptoir de son bouge ordonné et méticuleusement arrangé.
Le sang d’Aidan ne fit qu’un tour.

Sans qu’il sache réellement pourquoi ou comment, sans qu’il ait vraiment conscience de ce qu’il faisait, le jeune homme qui se tenait entre Aahron et Isaac se jeta brusquement en avant.
D’un geste vif, il saisit la chemise rayée du garagiste de sa main valide et l’attira à lui. Il ne lut même pas de surprise ou de peur dans le regard de son interlocuteur et ce détail ne fit qu’accroitre sa frustration et sa colère.

Écoute moi bien, sac à merde, si tu manques encore une seule petite fois de respect à mes parents, j’te fais avaler tes putains d'grandes d’dents qu’t’aime tant montrer, c’est clair ?

Un silence oppressant s’abattit sur le garage et se prolongea durant un temps indéfini. Le cœur du jeune home continuait de cogner dans sa poitrine et son souffle était court. De son côté, Nathaniel continuait de sourire comme un bien heureux, un éclat dément brillant dans le fond de ses yeux sombres.

Et pourtant, elle t’avait décris comme le plus doux de ses quatre précieux garçons, Aidan

Le cœur de l’intéresser rata quelques battements lorsque son nom fut prononcé. Le ton de l’homme n’avait jamais été si dérangeant, son regard si pénétrant. Il savait. Ce déchet savait tout sur tout et il jouait avec eux ; présentement avec lui.
Il allait le tuer. Oh oui, il allait le tuer. Il allait lui faire passer l’envie de sourire et de se foutre de sa gueule ; d’insulter ses parents et de parler de leur mère comme il le faisait. Cet enfoiré avait osé porter son regard malade sur elle et elle était morte quelques temps plus tard. Il allait défoncer son crâne jusqu’à le vider de toutes les idées perverse qu’il pouvait receler.
Mais il n’en eut pas l’occasion. Pressentant certainement ce qui allait se passer, l’un de ses frères était intervenu.

Aahron n'avait décidément pas le sang froid nécessaire pour ruser face à ce vil serpent de garagiste. Il pensait peut-être que c'était moi qui baissait pavillon, mais en réalité c'est lui qui se faisait prendre dans le filet de ce fourbe. C'était si facile de tout mettre sur mon dos, et aussi d'aller casser la gueule à ce mec qui se croyait un peu trop bien pour nous. Mon frère ne comprenait pas que c'était seulement ce qu'il attendait, d'en passer aux mains pour pouvoir nous accuser à tort plus tard. Il était intelligent, et ce n'est pas en l'interrogeant que nous aurions des réponses. Mais cela nous ne pouvions le comprendre que maintenant que nous lui avions parlé. Malheureusement, Aahron était en train de tout faire foiré.

- Tu crois que je l'ai cru ?

m'offusquai-je, en me dégageant de son emprise sur mon épaule.

C'est pas comme ça qu'on l'aura, Aahron. C'est pas fini, mais tant qu'il pense qu'on le croit, il ne sera pas un obstacle pour nous.

Il n'écoutait décidément rien, à se jeter ainsi dans la gueule du loup. Ne pouvait-il pas ranger ses poings pour une fois et réfléchir sensément avec son crâne ?

On reviendra, autrement. Tu sais aussi bien qu'il ne faut pas qu'on attire l'attention sur nous, si les flics s'en mêlent, ça va être le bordel. Aahron...Aahron !

le rappelai-je alors qu'il s'éloignait.

Il ne m'avait même pas laissé placer un mot et filait tout droit à l'intérieur du garage. Comment faire entendre raison à une tête de mule ? Il voulait mettre sans dessus-dessous le garage, éclater les dents de ce cher Nathaniel, très bien mais qu'il ne vienne pas pleurer lorsque les flics l'emmèneront en garde à vue. J'en avais assez de payer pour ses erreurs.
Il semblait que Aahron ne soit pas le seul à vouloir refaire le portrait de Redd, Aidan suivit Aahron comme son ombre et disparut par l'entrée du garage. Je distinguai à peine quelques bribes de paroles d'ici. Je lançai un regard à Samuel, puis soupirai et décidai de retourner à mon tour dans le garage. Aahron était assez grand pour assumer les conséquences de ses actes mais Aidan était mon petit frère, et je m'en faisais un devoir de le protéger.

La scène était comparable à ce que j'avais imaginé. Je m'arrêtai en retrait, faisant mine d'observer cette fois-ci même si je ne pouvais décemment pas laisser Aahron et Aidan se ridiculiser de la sorte. Mon sang ne fit qu'un tour lorsque Aidan se jeta en avant et agrippa le col de Redd pour le menacer ouvertement. Le silence qui s'en suivit me mit presque mal à l'aise et les paroles si malsaines du garagiste me frappèrent de stupeur. Je ne pouvais pas laisser cela continuer.
Je m'avançai et repoussai Aidan en arrière en le tirant par l'épaule. Je n'avais pas exactement saisi quel lien semblait se tisser entre mon petit frère et cet individu, mais je pressentais une menace si forte que mon sang se glaçait dans mes veines rien qu'à l'idée d'y penser. Je pointai un doigt menaçant vers Redd et le regardai durement.

- Tu t'approches pas de lui...

Je n'avais pas besoin de compléter ma menace par des potentiels châtiments corporels que je lui infligerai s'il s'avisait de traîner à proximité de Aidan. La raison avait ses limites, même pour moi, il y avait un moment où la violence était nécessaire. Je fis dos au garagiste et poussai Aidan vers la sortie, m'arrêtant à hauteur de Aahron.

- Fais-moi confiance

chuchotai-je pour que Redd n'entende rien.

J'appuyai mes mots par un regard confiant, l'implorant presque de céder et de sortir avec nous. Je me remis en marche en faisant toujours en sorte qu'Aidan reste dans la bonne direction.

Ce mec était vraiment un porc, mais malgré sa rage, Aahron avait la nette impression que tout ceci était calculé. A vrai dire, cela ne le dérangeait pas plus que ça, il avait juste envie de dégommer ce sourire sur la figure de Nathaniel, à coups de poings si possible. Mais pourtant, au fond de lui, une petite voix qui ressemblait à Isaac le sage lui soufflait que c’était exactement là que le garagiste voulait en venir. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y gagnait, ça, l’aîné des Donnelly ne voyait vraiment pas. La remarque à peine voilée sur leur père, et la prétendue hypothèse d’une crise cardiaque, ne fit qu’augmenter la rage du jeune homme.
Cette théorie ne tenait pas. Il connaissait ses parents, et même si son père était plus têtu qu’une mule, il avait avec lui la seule personne capable de lui faire changer d’avis. Aahron en savait quelque chose : combien de fois leur mère, avec sa douce voix, était-elle parvenu à faire entendre raison à l’un des cinq hommes de la maison ? Alors non, ça ne collait pas. En plus, jamais leur père n’aurait mis en danger sa femme : il se serait arrêté, il aurait fait quelque chose… bon sang, une crise cardiaque, y’avait des symptômes quand même ! Cela ne se faisait pas d’un claquement de doigts ! L’aîné n’était peut-être pas médecin, mais il y avait des signes avant-coureurs : la fatigue, le mal dans le bras gauche… nan, l’explication ne résidai pas là, il en était certain, plus que certain même.

Isaac les avait rejoint, mais Aahron ne daigna pas prendre acte de sa présence. Il l’avait entendu appeler, tout à l’heure, mais il était bien trop furieux pour pouvoir faire gentiment demi-tour. Se retournant à demi, l’aîné aperçut Samuel, resté à l’écart. Au final, c’était certainement lui le moins idiot des trois !
Nathaniel enchaîna sur une remarque dénuée de subtilité, et Aahron sentit son sang se glacer dans ces veines. Il allait lui arracher son sourire, à ce sale type, et peu importe les conséquences ! Mais avant qu’il ne puisse esquisser un geste, Aidan le devança. C’est vrai qu’il l’avait suivi tout à l’heure, mais jusqu’à présent, le plus petit de la bande s’était tenu en retrait. Seulement, à présent, ce n’était plus le cas : la menace était claire au moins : la moindre remarque déplacée sur leurs parents signifieraient quelques dents en moins pour le garagiste. Et sur ce point, Aahron était tout à fait d’accord : le sourire de ce type commençait également à lui taper sur les nerfs.
En tant normal, l’aîné serait intervenu. Laisser à son petit frère le soin de régler les comptes familiaux lui paraissait impensable, en général, et s’il devait y avoir des conséquences à cet acte, il tenait à les assumer plus qu’il ne souhaitait qu’Aidan le fasse. Mais pourtant, devant ce garagiste au trop grand sourire, l’aîné des Donnelly n’esquissa pas un geste. Il avait le sentiment diffus que cogner le rat qu’il tenait par le col ferait du bien au petit Aidan. C’était toujours bon de se défouler, et au moins, ce Nathaniel impressionnerait moins son cadet une fois que ce dernier lui aurait tapé dessus !

Mais la voix de la sagesse, autrement nommé Isaac par ses frères, s’interposa avant le coup de poing qu’Aahron croyait inéluctable, repoussant leur petit frère en arrière, avant de l’entraîner, presque de force, vers la sortie. Quelques mots en passant, que ce Nathaniel ne pouvait avoir entendu, et Aahron entendit ses deux frères se diriger vers la sortie. Il ne bougea pourtant pas, lui, restant immobile à contempler l’homme qui souriait toujours, et éprouvant toujours la même furieuse envie de lui faire rentrer de force ce sourire.
Ne pas attirer l’attention, c’est ce qu’avait dit Isaac. Ne pas compliquer les choses, faire confiance au grand Sachem et battre en retraite sagement, en attendant on ne savait trop quoi. C’était bien difficile pour Aahron, qui était ainsi tiraillé entre l’envie de protéger ses frères, et celle d’en savoir plus, de faire cracher à ce mec tout ce qu’il savait. Car il savait quelque chose, c’était évident.

"Désolé, Isaac."

Murmura-t-il, alors que ce dernier était sans doute trop loin pour l’entendre. Aahron posa son regard de glace sur le garagiste qui lui faisait face derrière le comptoir. Sa rage ne s’était pas calmée, loin de là, mais il avait suffisamment repris le dessus pour pouvoir parler avec un tant soit peu de logique. Son ton ne laissait aucun doute sur son état d’esprit, cependant, quand il reprit la parole pour expliquer froidement au garagiste :

"On en a rien à foutre de vos théories sur le déroulement de l’accident. A la prochaine remarque, c’est moi qui vous cogne, et il n’y aura pas d’ange gardien pour vous sauver la mise.
Et ne vous avisez plus de parler à mes frères, ni même de les approcher. Si vous devez parler à quelqu’un, c’est à moi. Clair ?"

Demanda-t-il avec calme, même si la menace semblait planer dans l’air. Oh non, Aahron n’avait pas aimé la façon dont ce type s’était adressé à Aidan, ou même à Samuel. Il y avait quelque chose dans son sourire, le ton de sa voix et dans ses yeux, voire même les trois à la fois, de profondément malsain. Un peu comme les vieux types dans les films d’horreurs, ceux qui sont présenté comme au-dessus de tout soupçon mais qui pourtant, dès le début, nous apparaissent très louche. Et ce Nathaniel était louche, à n’en pas douter. Plus loin il resterait de ses frères, mieux Aahron s’en porterait. D’ailleurs, sorti d’ici, il toucherait un mot à Samuel : les deux plus jeunes faisaient tous leurs coups fourrés ensemble, et Aahron comptait sur Sam pour veiller à ce qu’Aidan ne refasse pas un tour dans le coin.

J’ai subi vos assauts répétés, vos menaces et autres accusations infondées sans broncher ; j’ai essuyées de nombreuses critique sur mon travail et remise en question de mon intégrité

Mais… c’est moi qui ne devrais pas approcher vos frères et suit le méchant de votre histoire ? Vous avez un curieux sens de la justice, Aahron, laissez-moi vous le dire ! Il me semble avoir été plus que courtois jusqu’à présent et j’ai sans nul doute fait preuve de compassion et de patience. Seulement - et je pense que c’est humain et légitime – ma patience à des limites que vous vous apprêter à franchir, mon cher !

Je devrai être en train d’appeler le shérif à l’heure qu’il est ! Je devrai vous demander de quitter mon établissement sur le champ et de ne plus jamais y remettre les pieds ! Je pourrais même très certainement porté plainte pour diffamation ! …Et pourtant vous me trouvez planté devant-vous, souriant, avenant, maitre de moi-même. Si j’avais assez d’audace, je vous suggèrerai d’en prendre de la graine, mais je ne suis pas du genre donneur de leçon

Si vous voulez tout savoir, je vous comprends tous les quatre ; plus que vous ne le pensez. Je ne m’attarderai pas sur le sujet mais, voyez-vous… mes propres parents se sont tués dans un accident de voiture il y a des années de cela. En traversant le même pont que les vôtres

Les raisons de leur accident sont toujours restées un mystère pour mon frère et moi, mais il est vrai que dans notre cas, les corps ont été retrouvés. Étant l’établissement le plus proche du lieu de l’accident, c’est à mon garage qu’on a fait appel pour repêcher le véhicule et j’ai eu l’occasion d’assister au dragage de la rivière… Bref, tout cela pour dire qu’il a été plus évident pour nous de faire notre deuil puisque nous avions des dépouilles sur lesquelles épancher notre peine

Je suis navré que vous n’arriviez pas à accepter l’accident dont ont été victime vos parents mais, une fois encore, je comprends votre envie de trouver un coupable. Et qui pourrait-être mieux placé que l’homme qui les a laissé prendre la route ? Je me sens coupable moi aussi et, tout comme vous, je n’ai pas la moindre idée de ce qui a pu se passer et me pose des questions sur le sujet. Mais puisque vous n’obtiendrez pas plus de réponses que moi… je vous l’demande : pourquoi vous entêter ? Vous devriez plutôt vous occuper de vos frères et les aider à tourner la page

Et maintenant, tout compte fait, je vais vous demander de quitter mon garage sur le champ et de passer une laisse au petit roquet. Parce que si je le revois trainer un peu trop près de mon garage,… j’appelle le shérif. Et vous pouvez être certain que c’est de mon côté qu’il se rangera. Vous êtes dans une petite ville ici, les gars, et on a l’habitude de se serrer les coudes… Sur ce, je vous souhaite un agréable séjour à Grayson

Dans un sitcom, c'est à ce moment là qu'on entend le public applaudir...

« Y'a un problème ? »

Simple, concis. Logan, tu es un garçon si concret.

Au moins, Nathaniel avait perdu son sourire ; Aahron ignorait si cela constituait ou non une victoire, mais il décida que oui. Les petits ruisseaux font les grandes rivières, ou un truc du genre… En tout cas, le garagiste décida de jouer les pauvres victimes innocentes, dans l’espoir de lui faire peur en agitant la carte « shérif » sous son nez. Manque de clairvoyance, clairement : cela faisait longtemps qu’Aahron ne craignait plus de s’attirer des ennuis. Au final, parler aux flics serait peut-être même une bonne idée, et l’aîné était quasiment sûr de s’en sortir avec une tête de chien battu. Le « vous comprenez, il vient de perdre ses parents »… ça marchait pas mal, en général. Et s’il fallait se servir de cette excuse répugnante pour pouvoir cogner sur l’homme qui lui faisait face, eh bien, cela valait la peine d’y songer.
Le discours de l’homme était moralisateur à souhait, et Aahron ne pût empêcher ses mâchoires de se contracter, et ses poings de se serrer jusqu’à laisser une marque blanchâtre. S’il avait eu la moindre preuve, la moindre parcelle d’un fait, cela faisait longtemps que ce Nathaniel aurait cessé de discourir sur sa prétendue innocence. Mais il n’y avait rien, que des soupçons, des regroupements étranges et de sacrées coïncidences. Trisha, son ex-femme, avait raison : tout cela, ça ne constituait pas une preuve. Un accident, une banale coïncidence… et le fait qu’Aahron n’y croyait pas, pas plus que ses frères, cela ne constituait en rien quelque chose de valable. Juste une conviction, et ce n’était pas recevable. Pourtant, devant ce garagiste miteux et son discours grandiloquent, Aahron savait qu’il avait raison, comme rarement auparavant il en avait été sûr. Ce type n’était peut-être pas responsable, mais il avait trempé là-dedans. Qu’est-ce que définissait exactement ce « là-dedans « , par contre…

Et puis Nathaniel reprit la parole, abordant cette fois un sujet plus personnel, ce qui étonna suffisamment Aahron pour lui faire perdre sa tête de cogneur. L’homme avait plongés son regard dans le sien, et l’aîné des Donnelly le regarda avec attention. Est-ce qu’il mentait, utilisant la méthode de l’empathie pour mieux l’embobiner ? Ou est-ce que c’était vrai, tout ça. Et même si ça l’était, est-ce qu’il y avait un rapport ? Genre je suis désolé, j’ai vécu la même histoire, donc faites votre deuil comme je l’ai fait ?
En tout cas, les paroles de l’homme avait suffisamment donné à s’interroger à Aahron, qui écouta attentivement Nathaniel. Ca y est, on y arrivait… Le jeune Donnelly esquissa un sourire dubitatif quand l’autre l’enjoignit de laisser tomber, puisque de toute manière, ni lui ni personne n’aurai jamais de réponse. Cela ne répondait pas à la question de savoir si Nathaniel mentait ou pas, mais au moins, cela l’éclairait quand à savoir pourquoi il en avait parlé. Et se servir de ses frères pour le culpabiliser était… pathétique. Aahron ouvrit la bouche pour lui répondre, histoire d’exprimer sa façon de penser sur le prétendu intérêt de l’homme pour la peine de ses frères, et la façon qu’avaient les habitants de se « serrer les coudes », mais il n’eut pas l’occasion de parler. Une silhouette émergea dans le garage, une que le jeune homme n’avait jamais vu avant. Discrètement, il jeta un regard derrière lui pour voir où se trouvaient ses frères, avant de reporter son attention sur le nouvel arrivant. Le garagiste avait dit un peu plus tôt qu’il attendait son assistant, et cela devait être lui. Mais se retrouver en infériorité numérique n’avait jamais fait fuir Aahron, et ce n’était pas maintenant qu’il allait commencer. Le silence s’éternisa, avant que l’autre ne finisse par demander ce qui se passait. Son regard clair posé à nouveau sur le garagiste, Aahron répondit avec un calme apparent.

"Aucun. Je comptais juste remercier Nathaniel de son inquiétude pour mes frères, mais ils vont très bien. A Grayson, vous vous serrez peut-être les coudes, mais nous ne sommes pas dénués de ressources à ce sujet non plus. Et juste pour votre information, je ne compte pas laisser tomber. A fouiner, je finirais bien par découvrir quelque chose, non ?"

Demanda-t-il en haussant les épaules, avant de se tourner vers le nouvel arrivant.

"Combien de voitures accidentées avez-vous reçu, ces dernières années ?"

Peut-être que tenter une autre approche se révélerait payant, non ? Car Aahron n’avait pas envie d’écouter les gentils conseils de Nathaniel et de tourner les talons. S »il y avait un défaut récurrent dans le caractère du jeune homme, c’était bien celui de détester obéir à des ordres. Et l’idée qu’un bouseux comme Nathaniel ne se permette de lui faire la morale et de lui indiquer ce qu’il avait à faire… esprit de contradiction, attitude butée ou simplement pas envie, quoi qu’il en soit, Aahron n’était pas décidé à écouter les conseils de ce minable qui avait osé insulter ses parents.

Woaf ! Woaf woaf !!

C'est dans son oeil qu'on lui mettrait bien notre coup de crayon...

« Ecoutez M'sieur »

« Je sais qui vous êtes, et... enfin je comprend bien pourquoi vous êtes là mais... »

« Ce que j'essaye de vous dire, c'est qu'on est vraiment désolé pour vos parents mais... on y est pour rien. Ils sont arrivé avec un problème de démarreur ou je ne sais quoi... , et ils sont reparti peu de temps après. Quand on à de nouveau entendu parler d'eux, c'était pour allez repêcher la carcasse de leur voiture complètement sinistrée dans la flotte. Et je peux vous assurer que c'était pas un spectacle très joyeux. Vous croyez que ça nous amuse ? J'aurai bien aimé ne pas avoir à faire ça... mais c'est comme ça. C'est paumé ici, et les routes sont dangereuses. C'est un fait et n'importe qui de la région vous le dira... Et ouais, y'a pas mal d'accidents, surtout des touristes qui connaissent pas le coin. Comme vos parents. Y'a aussi des touristes qui traversent la région et en gardent un bon souvenir figurez-vous... Bref »

« J'vous assure que ça sert a rien de nous montrer du doigt. J'sais pas quoi vous dire de plus »

C'est pas héroïnofish le terme scientifique ?

**Invité** Invité

« Allez on se tire »

« Ouais ou on peut rester ici pour savoir qui, entre toi et Mr.Colgate, baissera les yeux en premier? Allez, ils ont répondu à tes questions et ça n’avance à rien. On tourne en rond. Tu vas encore les attaquer, Miss Grayson et ses dents blanches va faire son numéro d’acteurs de série B sur la compassion, tu vas t’énerver alors le larbin risque de mordre »

« Et t’as vu sa gueule de shooté? J’veux pas attraper la rage ou le tétanos moi »

Nathaniel perdit son éblouissant sourire dès que les Donnelly eurent franchi la porte de son garage. Ses zygomatiques étaient habitués à ce genre d’exercices et l’homme avait des années de pratique à son actif. Dans une ville telle que Grayson où le paraitre était primordial, il n’avait pas vraiment eu le choix. Cela dit, tout ça l’amusait beaucoup et il ne se lassait pas de jouer la comédie.
Surjouer était un terme plus approprié à ce qu’il faisait d’ailleurs.
Il avait toujours aimé se foutre ouvertement de la gueule des gens. Son père avait été sa victime favorite avant sa disparition presque tragique. Les coups qu’il recevait en retour ne le gênaient pas vraiment. Quand Clyde le traitait de fou furieux et tentait de le raisonner, il se plaisait à lui répondre que la douleur était son alliée la plus fidèle.
C’était tellement théâtral ! N’empêche que ça lui coupait la chique à chaque fois.

Présentement en tout cas, Nathan n’avait plus envie de rire, que du contraire.
Ces enfoirés de petits fouineurs pathétiques et chialeurs avaient bien failli lui faire perdre son sang-froid. Et ce n’était pas une chose aisée. Les plus coriaces s’étaient attelé à cette tâche ; il avait conversé avec les types les plus stupides que le monde ait jamais portés, avait fréquenté la pire racaille. Mais aucun de tous les arriérés que l’homme avait pu croiser au cours de sa vie n’égalaient les frères Donnelly.
La brute mentalement déficiente, le pseudo intello qui faisait plus office de bouffon, le faux-rebelle imbécile et la fiotte pleurnicharde.
Il n’y en avait pas un pour rattraper l’autre et remonter le niveau. Et dire que Margaret lui avait décrit ses fils comme quatre gentils jeunes hommes cultivés et serviables. Quatre bouffons tout droit sorti du Pays de Candy en somme.
Encore une preuve que les parents ne connaissent pas leurs enfants aussi bien qu’ils l’imaginent.

L’homme contourna son comptoir en vitesse, les mâchoires crispées par une colère qu’il tentait d’étouffer depuis un peu trop longtemps maintenant. Il traversa le hangar d’un bon pas et tira la porte jusqu’à lui pour la fermer. Contrôler ses mouvements lui demandait un effort certain mais il ne voulait pas risquer de perdre pied devant son asocial de cousin.
Cousin qui, comme toujours, n’avait pas jugé utile de ramener son gros cul paresseux à l’heure au garage. S’il l’avait fait, peut-être les choses se seraient-elles mieux passées, ou du moins n’aurait-il pas été obligé de parlementer des heures avec ces crétins de citadin.

« Bien dormi, Logan ? » demanda Nathaniel d’un ton chargé de sarcasmes tandis qu’il se tournait vers lui, armé de son plus beau sourire « Tu sais, s’il te prenait l’envie, comme ça, pour une fois dans ta vie, d’arriver à l’heure au boulot… personne ne t’en voudrais, surtout pas moi ! »

Son expression rieuse déplacée déserta bientôt ses traits, remplacée par une grimace haineuse.

« Spécialement alors que ces quatre bâtards sont en ville » persifla-t-il en s’approchant de son cousin d’un air menaçant, même s’il savait ne pas vraiment l’impressionner le moins du monde « Tu savais parfaitement qu’il viendrait ici, pas vrai ? On en avait parlé, non ? Alors tu peux me dire, nom de Dieu de merde, ce que tu as foutu ? » le questionna-t-il d’un ton étrangement flegmatique et teinté d’ironie

« Ce que j'ai foutu ? »

« Si j'te raconte tu vas jamais me croire. J'me suis levé à l'heure, frai et dispo, et quand je suis sortit, j'ai vu de la fumée un peu plus loin dans la rue. Tu me connais, je me suis précipité. Je suis rentré dans la maison en flamme et j'ai sauvé deux bébés et demi et un chien. J'te conseil pas de faire du bouche à bouche à un clébard d'ailleurs, j'ai encore des poiles dans la bouche »

« Pour me remercier, leur maman célibataire et sexy m'a taillé une pipe derrière un buisson. Tu m'excuseras mais j'ai pas dis non, je le méritais bien »

Un homme doit faire ce qu'un homme doit faire mec !

« Et plus sérieusement »

« J'avais pas vraiment envie de voir leur tronches où de les entendre geindre. Tu peux pas m'en vouloir après tout. En plus j'avais raison. J'suis pas là depuis trois minutes que Fonzie me traite de shooté. En plus tu m'engueule. C'est dégelasse. J'ai juste attendu un peu pour voir. Quand j'ai compris qu'ils restaient caler comme des débiles je me suis ramené... et regarde... »

« Mon charme naturel à encore frapper. Maintenant ils sont plus là. C'est 'merci' que tu devrais me dire »

Je pense que je vais passer sur le remerciement. Tout ce que tu as fais, c’est utiliser cette capacité étonnante et naturelle que tu as à repousser les gens et à les faire crever d’ennui, cher cousin

Puisque tu as raté la moitié de notre échange, laisse-moi t’en faire un résumé

Comme nous nous en doutions, ces quatre trou du cul sont persuadés que nous sommes personnellement responsables de la disparition tragique de papa et maman… Ils n’ont aucune preuve cela dit, mais assez de conviction pour retourner ciel et terre jusqu’à dénicher un élément qui puissent les conforter dans leur idée

Autrement dit : nous sommes dans la merde

Puisque t’as foiré de A à Z, tu vas me rendre un service

J’ai besoin que tu passes voir ce connard prétentieux de shérif pour lui faire un rapport. Tu lui diras que notre idée n’a pas fonctionné et que les Donnelly ne croient pas que l’accident puisse avoir été provoqué par une crise cardiaque de leur papounet chéri. Il va falloir être plus convainquant. Il va sans doute falloir qu’il les rencontre. Dis-lui qu’on devra peut-être retrouver un des corps prochainement

Ces petits cons voudront sans doute le faire rapatrier à Cleveland pour une autopsie, il faudra certainement qu’il use de son charme naturel sur quelques personnes. Dis-lui…

« Tu crois pas que c'est débile d'écrire tout ça sur ta note de merde alors que tu m'as sortit y'a deux minutes qu'ils allaient retourner terre et ciel pour trouver une preuve ?! Tu crois que ce 'connard prétentieux de Shérif' aura la présence d'esprit de la brûler ou j'sais pas quoi ? »

« J'sais très bien ce qu'il faut que je lui dise »

« Garde ta note à la con, j'lui dirai de ramener sa stupide gueule ici et tu lui diras toi même à quel point tu nous a mis dans la merde parce que t'as pas su leur mentir... T'as raison j'aurai du me ramener plus tôt... peut-être que moi ils m'auraient cru »

Kathleen, jolie Kathleen, ses petites jupes et ses longues jambes... miam !

N'est-ce qu'une odieuse impression ou cette journée est diablement pourrie ?

« Nath,.... t'as pas 10 dollars ?... j'ai plus de clopes... »

Radin avec ça...

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